2. Définition de la morale
Morale > mores (latin) = éthique > ethos (grec) : les moeurs,
les coutumes, les manières de vivre.
La morale désigne l’ensemble des règles de conduite,
reconnues par les membres d’une société, qui permettent de
distinguer le bien et le mal, et donc de juger les actions
humaines.
Contrairement à la science qui est descriptive (elle cherche à
décrire le réel tel qu’il est), la morale est normative (elle
énonce, non pas ce qui est, mais ce qui doit être).
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3. La distinction entre le droit et la morale
• Le droit a d’abord une utilité sociale. Il vise à organiser la
vie en société. La morale, en revanche, s’adresse
davantage à l’individu.
• Les lois juridiques et morales, qui varient d’une société à
l’autre, et au cours de l’histoire, ne se recoupent pas
nécessairement.
• Le droit reçoit le soutien de l’État, et donc de la force
publique. L’individu est contraint d’obéir à la loi juridique.
Il est seulement obligé vis-à-vis de la loi morale.
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4. La
morale
Le
droit
• Une action peut être à la fois
illégale et immorale.
Ex : le meurtre.
• Une action peut être légale
et licite, mais immorale.
Ex : l’adultère.
• Une action peut être illégale,
interdite par la loi, mais avoir
une valeur morale, et donc
être légitime.
Ex : l’euthanasie.
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5. Contrainte ≠ obligation
• La contrainte suppose un rapport de force. J’agis contre
ma volonté, car je suis soumis à une force extérieure. Je
ne peux pas faire autrement. Mais, dès que la contrainte
cesse, je retrouve ma liberté.
• L’obligation repose sur un sentiment intérieur qui
engage l’individu vis-à-vis de lui-même. J’accomplis
mon devoir moral, non pas sous la menace, ou par peur
d’une sanction, mais librement par moi-même, parce que
je reconnais que c’est ainsi que je dois agir.
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6. Problématisation
1) Le problème des valeurs
De prime abord, un acte est moral s’il est conforme au bien.
Mais, qu’est-ce que le bien ? Comment le déterminer ?
Comment savoir ce que je dois faire ?
• Je peux écouter ma conscience.
• Je peux suivre les moeurs et les coutumes de la
société dans laquelle je vis.
• Je peux m’appuyer sur ma religion.
→Comment échapper au relativisme ?
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7. 2) Le problème du critère du jugement
Supposons quemon action soit conforme à la règle morale, et
donc à ce qui est bien. Mon action est-elle morale pour
autant ?
• Dans l’évaluation morale, il faut tenir compte de
l’intention du sujet. N’est-ce pas la qualité de l’intention
qui donne sa valeur morale à l’action ?
• Mais suffit-il d’avoir de bonnes intentions pour agir
moralement ? Ne faut-il pas tenir aussi compte des
conséquences de l’action ?
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8. Quels critères faut-il adopter pour évaluer l’action ?
Quel fondement ?
Conscience
2) L’intention du 3) Les conséquences
sujet
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1) La conformité à
la loi morale
L’ACTION
Religion
Société
Le désintéressement / le souci d’autrui
9. a) La valeur morale de l’intention
Cf. Kant : « Quand il s’agit de valeur morale, l’essentiel n’est point
dans les actions, que l’on voit, mais dans ces principes intérieurs des
actions, que l’on ne voit pas » (Fondements de la métaphysique des
moeurs, 1785).
Pour déterminer si un acte est moral, il ne suffit pas de
constater sa conformité avec la loi morale. Il faut s’interroger
sur les motifs et les mobiles de l’action. Pourquoi la
personne agit-elle ainsi ? Qu’est-ce qui détermine sa
volonté ?
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10. Agir par devoir ≠ agir conformément au devoir
1. Une action peut être seulement conforme au devoir.
Extérieurement, la personne accomplit la bonne action.
Mais sa volonté est déterminée par son intérêt propre ou
par une inclination sensible.
2. Une action est accomplie par devoir, si la personne agit par
respect pour la loi morale. Sa volonté est alors déterminée
seulement par la raison. Elle fait le devoir pour le devoir lui-même,
et rien d’autre. Selon Kant, « le devoir est la
nécessité d’accomplir une action par respect pour la loi ».
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Actions
Non conformes
au devoir
Conformes au
devoir
Seulement
conformes au
devoir
Motivées par
l’intérêt
personnel
Motivées par la
sympathie
Accomplies par
devoir
Blâme
Simple
louange
Véritable
respect
Les différents types d’action selon Kant
12. Paradoxe : selon Kant, celui qui aide autrui, parce qu’il
éprouve de la sympathie à son égard, n’agit pas encore
moralement ! Pourquoi ?
1. L’acte de bienfaisance est, en fait, égoïste. Malgré les
apparences, en aidant autrui, je recherche mon propre
bonheur.
2. L’acte, aussi naturel et spontané soit-il, n’est pas libre. Je
laisse mes sentiments dicter ma conduite. Si je fais le bien, je
n’ai aucun mérite.
3. La moralité fondée sur la sympathie est précaire, puisqu’il
suffit que mon sentiment s’émousse, pour que je cesse
aussitôt de faire mon devoir.
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13. Les conditions de la moralité selon Kant
Une action est bonne moralement si et seulement si le sujet
agit par devoir, ce qui signifie que :
1. Le sujet agit de manière complètement désintéressée, sans
tenir compte de ses intérêts personnels, de ses désirs ou de
son bonheur.
2. Il agit en tant qu’être raisonnable, indépendamment des
penchants naturels ou des sentiments qui peuvent l’affecter.
3. Il est autonome, au sens où il obéit seulement à la loi que sa
raison lui donne.
.
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14. NB : Selon Kant, ce qui donne sa valeur morale à l’action,
c’est seulement « la bonne volonté » du sujet, et non la
réussite de l’action ou ses conséquences, lesquelles ne
dépendent pas complètement de lui..
« Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses oeuvres ou ses
succès, ce n’est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c’est
seulement le vouloir. »
Du point de vue moral, l’intention est donc plus
importante que la réalisation. Tant que je fais preuve de
bonne volonté, et agis par devoir, même si mon action
échoue, elle garde sa valeur morale.
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15. b) L’universalité comme critère de la moralité
Problème : je sais que je dois agir par devoir, mais je ne sais
toujours pas ce que je dois faire. Comment savoir si mon
action est conforme à la loi morale ?
La solution de Kant : le test d’universalisation.
Pour échapper au relativisme, il faut fonder le devoir, non pas
sur la conscience individuelle ou sur les moeurs, mais sur la
raison – faculté universelle, présente en chaque homme.
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16. L’exemple du mensonge
1. Le mensonge repose sur la confiance de l’interlocuteur (il croit
que le menteur dit la vérité).
2. Si tout le monde ment, alors la confiance disparaît.
3. Or, si plus personne ne fait confiance à personne, il n’est plus
possible de mentir.
→ L’universalisation du mensonge conduit à une contradiction,
donc le mensonge est immoral.
Nous avons ainsi un critère fiable, car rationnel, pour
distinguer l’action morale et l’action immorale. Est morale
l’action dont la maxime (la règle d’action) peut être
universalisée sans contradiction.
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Les impératifs
Les impératifs
hypothétiques
Si tu veux X,
Alors tu dois faire Y.
L’habileté
→ règles techniques à
appliquer pour réussir
son action
La prudence
→ conseils pratiques
(pour accéder au
bonheur)
L’impératif catégorique
Je dois parce que je
dois.
La moralité
→ commandement de
la raison
Les différents impératifs
selon Kant
18. Les deux formulations principales de
l’impératif catégorique
1. « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que
tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne
une loi universelle. »
2. « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité,
aussi bien dans ta personne que dans la personne
de tout autre, toujours en même temps comme
une fin, et jamais simplement comme un
moyen. »
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19. Les devoirs envers les autres et les devoirs
envers soi-même
• Autrui n’est pas une chose, mais une personne. Il ne faut
pas le traiter comme un simple moyen, c’est-à-dire
l’instrumentaliser. Mais, si je dois respecter autrui, je dois
aussi respecter ma propre personne. Selon Kant, il y a des
devoirs envers soi-même. Ex : le devoir de rester en vie, le
devoir de développer ses talents.
• Problème : peut-on qualifier d’immorale une action qui ne
concerne que la personne qui l’effectue, et donc qui n’a
aucune conséquence négative sur autrui ? Cf. Ruwen Ogien.
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20. c) Les limites de la morale kantienne
Le problème de l’intention
Comment savoir si la volonté est déterminée seulement par
la loi morale, et non par des inclinations sensibles ? La
moralité n’est-elle pas une chimère ?
Kant est conscient de cette difficulté :
« Il est absolument impossible d’établir par expérience avec une
entière certitude un seul cas où la maxime d’une action d’ailleurs
conforme au devoir ait uniquement reposé sur des principes moraux
et sur la représentation du devoir. »
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21. Le problème des conséquences
Cf. Max Weber, Le savant et le politique (1919). Il y a une
« opposition abyssale » entre deux types d’éthique :
• L’éthique de la conviction : je dois être fidèle à mes principes
et à mes valeurs, quelles que soient les conséquences de
mon action. Mais c’est une attitude qui peut être : 1)
irresponsable ; 2) égoïste.
• L’éthique de la responsabilité : je dois me préoccuper, avant
tout, de l’efficacité de mon action et de ses conséquences.
Mais l’action est-elle encore morale ?
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22. Le problème des conflits de devoirs
Cf. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme
(1945). La morale kantienne, formelle et abstraite, n’est
d’aucun secours, lorsqu’il faut agir concrètement : l’impératif
catégorique est inapplicable.
• Je ne sais pas a priori ce que je dois faire : plusieurs actions
sont possibles. Je suis tiraillé par des exigences morales
contradictoires.
• Je dois décider par moi-même et je suis seul : aucune
« morale générale » ne peut m’aider.
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23. Le problème du bonheur
• En accomplissant son devoir, on se rend digne du bonheur,
mais on n’est pas nécessairement heureux. Faut-il se résigner
à faire son devoir sans être heureux ? On peut reprocher à la
morale kantienne d’être austère.
• Scandale moral : les méchants sont heureux ! L’homme
bon et vertueux, s’il est accablé par le malheur, pourrait finir
par renoncer à la moralité.
• Pour résoudre ce problème, la morale a besoin de la
religion. Cf. Kant et les postulats de la raison pratique.
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24. a) L’eudémonisme antique : l’identification de la
vie vertueuse et de la vie heureuse.
Double thèse :
1. Le bonheur est le souverain bien, la fin suprême qu’il faut
atteindre.
2. Il n’y a pas d’opposition entre le bonheur et la moralité.
→ La morale n’est pas une théorie du devoir, comme c’est
le cas chez les modernes comme Kant. Elle se définit plutôt
comme un art de vivre.
L’homme heureux = l’homme vertueux ?
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25. Le bonheur comme exercice de la vertu
Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, I, 6.
1. Le bonheur consiste pour chaque être à réaliser la fonction
(ergon) qui lui est propre.
2. Or, l’homme est un animal raisonnable : c’est le fait de
posséder la raison (logos), qui le distingue des autres
animaux.
3. Son bonheur consiste donc à vivre de manière raisonnable,
c’est-à-dire conformément à la vertu.
→ Paradoxe : être heureux, ce n’est plus satisfaire ses désirs,
mais c’est réaliser ou accomplir sa nature.
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26. La VERTU (arétè) désigne chez Aristote l’excellence d’un
être, l’accomplissement parfait de sa fonction. Exemple :
un oeil vertueux, c’est un oeil qui voit bien.
• La vertu est une disposition acquise et non innée : elle
suppose un apprentissage, et donc du temps. Pour être
vertueux, il faut s’exercer.
• La vertu est un juste milieu entre deux vices, l’un par excès,
l’autre par défaut. Exemple : le courage se définit par
opposition à la témérité et à la lâcheté.
• La vertu est une condition nécessaire, mais non suffisante
du bonheur. Aristote est donc plus réaliste que les
Stoïciens.
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27. Le malheur des méchants
Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, IX, 4.
Le méchant est doublement malheureux :
1. Dans le rapport à soi : il se déteste, il souffre d’une division
ou tiraillement interne, il éprouve des regrets.
→ En faisant du mal aux autres, le méchant se fait du mal à
lui-même : il est victime de sa propre méchanceté.
2. Dans le rapport aux autres : il cherche des relations
sociales, mais il échoue à se faire des amis. L’amitié, qui est
une condition nécessaire au bonheur, suppose la vertu.
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28. Les limites
• Du point de vue de la morale moderne, l’eudémonisme grec
est, en fait, immoral. La vertu, loin d’être une fin en soi,
n’est qu’un moyen pour accéder au bonheur. L’homme dit
vertueux agit de manière intéressée : il cherche, avant tout, à
être heureux. Cf. Kant : tous les eudémonistes sont « des
égoïstes pratiques ».
• L’individu n’est pas libre de mener sa vie comme il le
souhaite. Pour être heureux, il doit réaliser sa nature, donc
vivre de manière raisonnable. On peut donc reprocher à
l’eudémonisme grec d’imposer une manière de vivre.
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29. b) L’utilitarisme : un acte est moral s’il maximise
le bonheur du plus grand nombre.
Deux auteurs principaux : Jeremy Bentham (1748-1832) /
John Stuart Mill (1806-1873).
Le principe d’utilité
Cf. Mill, L’utilitarisme, II.
Est morale l’action utile, celle qui apporte le plus grand
bonheur possible au plus grand nombre.
→ Le bonheur est, pour les utilitaristes, le critère de la
moralité : il permet de distinguer le bien et le mal.
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30. L’utilitarisme est :
1) Un conséquentialisme
• Pour évaluer la valeur morale d’une action, il faut
considérer ses conséquences. Peu importe l’intention ou ce
qui détermine la volonté.
• Il n’y a pas d’action bonne ou mauvaise en soi. Il n’y a pas de
règles morales qu’il faudrait respecter absolument. Est
bonne l’action, quelle qu’elle soit, qui a des conséquences
positives.
Conséquentialisme ≠ déontologisme
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31. 2) Un eudémonisme
• Le bonheur est toujours le but (telos) à atteindre. En ce sens,
l’utilitarisme est proche de l’eudémonisme antique.
• Seulement, il s’agit, non pas du bonheur individuel, mais du
bonheur collectif. On pourrait parler d’eudémonisme social.
Agir moralement, c’est se soucier des autres, avant de se
soucier de soi. L’utilitarisme, sur ce point, rejoint la morale
chrétienne et la morale kantienne.
• Le bonheur est réduit ici au plaisir et l’absence de douleur.
C’est une conception modeste ou minimaliste du bonheur.
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32. Les limites de l’utilitarisme
1. Comment mesurer le bonheur global ?
Les utilitaristes n’ont pas retenu la leçon de Kant : le
bonheur qui est « un idéal, non de la raison, mais de
l’imagination » semble, à première vue, impossible à
quantifier.
Comment pourrait-il servir de critère de la moralité ?
On peut, certes, réduire la notion de bonheur à celle de
plaisir. Mais, tous les plaisirs se valent-ils ?
→ Débat entre Bentham et Mill.
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33. Bentham
Pour déterminer la bonne action, il suffit de faire un calcul
des plaisirs et les peines, en adoptant un point de vue
impersonnel et impartial.
→ Tous les plaisirs se valent. « Le jeu de quilles a autant de
valeur que la poésie » (Push-pin is as good as poetry).
→ Dans ce calcul, chaque individu compte, au même titre
que les autres : « Chacun doit compter pour un, personne
pour plus d’un » (Each person is to count for one and no one for
more than one). Les individus sont donc considérés comme
égaux.
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34. Mill
→ Dans le calcul des plaisirs, il faut tenir compte de la quantité
et de la qualité, car tous les plaisirs ne se valent pas. Refus
de l’hédonisme vulgaire.
→ L’homme ne peut pas être heureux en vivant comme un
animal. Mill renoue ici avec la pensée grecque : « Il vaut
mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait ; il vaut
mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait ».
→ Pour savoir quels sont les plaisirs supérieurs aux autres, il
faut consulter l’avis de ceux qui ont fait l’expérience des
uns et des autres, et peuvent donc comparer.
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35. 2. Au nom du bonheur global, peut-on légitimer le sacrifice
de certains individus ?
La maximisation du bonheur global peut avoir des effets
immoraux : au nom du bien-être de la majorité, on peut
bafouer les droits de la minorité.
→ C’est un recul par rapport à Kant : l’individu n’est plus
respecté en tant que personne ; il est instrumentalisé.
Cf. par exemple, le dilemme du « tramway qui tue ».
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36. Le dilemme du « tramway qui tue » (1)
Cf. Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté
humaine,(2011).
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Le dilemme du témoin qui pourrait
actionner l’aiguillage
Le dilemme du témoin qui pourrait
pousser le gros homme
37. Le dilemme du « tramway qui tue » (2)
• La logique utilitariste s’applique sans problème, lorsqu’il
s’agit seulement de « détourner le tramway » : il est toujours
préférable d’avoir un mort plutôt que cinq.
• Mais nous avons des scrupules à « pousser le gros homme ».
Pourquoi ? Notre intuition morale la plus forte est ici
déontologiste.
1) En le poussant du haut du pont, on commet directement
un meurtre. Dans le cas précédent, en détournant le
tramway, on laisse mourir le traminot sur la voie
secondaire, mais on ne le tue pas.
2) On ne respecte pas l’homme en tant que personne. On le
traite comme un simple moyen, ce qui est contraire au
devoir.
• Selon les conséquentialistes, refuser de pousser le gros
homme est irrationnel. Nos émotions (liées au contact
physique) brouilleraient notre jugement. Il faut, dans les deux
cas, chercher à sauver le maximum de vies.
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38. a) La démarche généalogique
Une double interrogation propre à Nietzsche :
1. D’où viennent les valeurs morales ? → Recherche, non pas
du fondement, mais de l’origine.
2. Quelle est leur valeur ? → Perspective critique.
« Nous avons besoin d’une critique des valeurs morales, c’est la
valeur de ces valeurs qu’il faut commencer par mettre en
question » (Généalogie de la morale, Avant-propos, §6).
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39. Cf. Le gai savoir, §21.
Nietzsche soulève un problème : la morale reconnue
(chrétienne, kantienne ou utilitariste) se contredit elle-même.
Elle nous dit ce qu’il faut faire, mais elle fait le
contraire de ce qu’elle dit.
Deux contradictions majeures :
1. La morale nous invite à agir de manière désintéressée. Or, elle
sert les intérêts de la société, au détriment de l’individu.
2. La morale nous invite à respecter l’être humain en tant que
personne. Or, elle utilise les hommes.
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40. Si Nietzsche critique la morale, il refuse pourtant le
nihilisme.
« Par-delà le bien et le mal, cela du moins ne veut pas dire :
par-delà le bon et le mauvais » (Généalogie de la morale, I,
§17).
Nietzsche critique seulement un type de morale : la morale
de la société, qui établit des fausses valeurs. Il appelle de ses
voeux une autre morale : une morale qui soit au service de
l’individu, et qui permette à la puissance de chacun de
croître.
→ Problème : en quoi peut consister cette nouvelle morale
« par-delà le bien et le mal » ?
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41. b) La morale des maîtres et la morale des
esclaves
Cf. Par-delà bien et mal, § 260.
• Les maîtres (ou les hommes forts) vivent en affirmant leur
puissance. Ils sont animés par un sentiment positif : l’amour
de soi.
→ En s’affirmant, ils peuvent nuire aux autres, mais ils ne sont pas
nécessairement méchants. Ils peuvent aussi aider les autres,
et faire preuve de bienveillance, spontanément.
→ Refus de la pitié, qui est une tristesse, et qui donc affaiblit
l’individu.
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42. • Les hommes faibles (ou esclaves) sont incapables d’affirmer
leur puissance. Ils n’aiment pas la vie. Ils sont animés par des
sentiments négatifs : la haine de soi et la haine des autres.
→ Jaloux des hommes forts, ils veulent se venger. Pour cela, ils créent
des valeurs : « Tu es méchant », « Ce que tu as fait est mal ». La
morale vise ainsi à protéger les faibles et à culpabiliser les forts.
→ L’homme « fort », qui culpabilise, devient « faible » : au lieu de
s’affirmer, il doute de lui-même, et finit par se détester. C’est le
phénomène de la « mauvaise conscience ».
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43. BONUS
Une mauvaise
compréhension de la
philosophie de
Nietzsche peut avoir des
conséquences
désastreuses.
Sous prétexte que le
bien et le mal ont été
inventés par et pour les
êtres faibles, Brandon et
Philip décident d’agir
sans en tenir compte :
avec une corde, ils
étranglent ainsi David,
leur ancien camarade de
classe.
HITCHCOCK, La corde (Rope), 1948.
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44. → Le meurtre de Brandon et Philip n’est pas un meurtre
ordinaire. C’est un « acte gratuit ». Non seulement la victime
n’a rien fait pour mériter son sort, mais les meurtriers ne
gagnent rien en tuant. Ils ne font que mettre en oeuvre
certains principes pseudo-philosophiques, à la fois
ridicules et effrayants :
• L’humanité serait divisée en deux catégories : les êtres
supérieurs et les êtres inférieurs.
• La morale est une invention des êtres inférieurs.
• Les êtres supérieurs peuvent passer outre la morale, et
tuer les êtres inférieurs, dont la vie n’a aucune valeur.
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45. → Brandon et Philip prétendent appartenir à l’élite autorisée
à agir « par-delà bien et mal ». Mais :
1. Ils commettent un grave contresens sur la philosophie de
Nietzsche. Ce dernier critique la morale, non pas pour
légitimer les meurtres et propager la mort, mais, au
contraire, pour protéger la vie, et favoriser son
développement.
2. Brandon et Philip sont, en fait, des « faibles » au sens
nietzschéen. L’homme « fort » n’a pas besoin de tuer pour
se sentir vivant. On pourrait s’interroger sur les motifs
cachés et non avoués du meurtre : jalousie ou ressentiment
à l’égard de David ? Désir homosexuel refoulé ?
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46. • Monique Canto-Sperber et Ruwen Ogien, La philosophie
morale, PUF, collection « Que sais-je ? », 2010.
• Ruwen Ogien
- L’éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes,
Gallimard, Folio, 2007.
- L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté
humaine. Et autres questions de philosophie morale
expérimentale., Grasset, Le livre de poche , 2011.
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