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Université Paris-Panthéon-Assas
Institut Français de Presse (IFP)
Mémoire de Master 2
Médias, Publics et Cultures Numériques
dirigé par Valérie DEVILLARD
Sarah MARCASSIN
Sous la direction de Valérie DEVILLARD
Date de dépôt : 5 septembre 2022
Mémoire
de
Master
2
/
2021-2022
L’hypersexualisation des adolescentes :
relation entre médias et image corporelle
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
Avertissement
La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises
dans ce mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
- -
2
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
Remerciements
Je tiens à remercier,
Madame Valérie Devillard, directrice du Master Médias, Publics et Cultures Numériques
de l’Institut Français de Presse, pour son accompagnement tout au long de mes études à
l’Université Paris II.
Le corps enseignant du Master MPCN pour la qualité des enseignements dispensés durant
ces deux années de master, ainsi que l’Université Paris II Panthéon-Assas.
Ma famille et mes proches pour leur soutien sans faille lors de la rédaction de ce
mémoire, et plus généralement dans mes études.
Et moi-même, pour ne jamais avoir abandonné.
- -
3
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
Résumé
Ayant traversé les siècles, le phénomène d’hypersexualisation est un concept en
constante évolution. Avec la révolution sexuelle, une libération des mœurs s’opère et
la sexualité considérée comme quelque chose de tabou, et appartenant alors à la
sphère privée, va alors envahir l’espace médiatique public et complètement se
démocratiser. On assiste alors à une surenchère de la sexualité dans tous les aspects
du quotidien et les jeunes filles en sont les premières victimes.
Les médias, et notamment la presse féminine pour adolescentes, participent
activement à la propagation d’idées selon lesquelles le corps serait un capital à
développer et exploiter, car c’est misant tout sur une apparence érotique que les
jeunes filles pourront s’accomplir en tant que femmes et avoir de la valeur.
L’hypersexualisation représente aussi une porte ouverte à de nombreuses dérives :
envahissement de l’espace public par la pornographie, troubles dans le
développement et la construction identitaire, image corporelle complètement
entachée, troubles mentaux, conduites à risque et mise en scène du corps afin d’être
valorisée.
Les médias sociaux ont décuplé le phénomène et ont modifié notre rapport au corps.
Avec l’existence d’une multitude de réseaux sociaux basés sur l’image et
l’égocentrisme, les adolescentes ont compris qu’il fallait s’hypersexualiser pour
gagner en visibilité, quitte à s’auto-objectifier.
Mots clés : Hypersexualisation, Adolescence, Médias, Pornographie, Réseaux sociaux,
Corps, Injonction, Objectification
- -
4
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
Introduction
« L'hypersexualisation valorise le paraître au dépens de l'être, l'avoir plutôt que le
savoir » . Au fil des générations, de multiples changements s’opèrent au sein de notre
1
société, donnant naissance à de nouvelles problématiques. Le phénomène de
l’hypersexualisation des jeunes filles n’échappe pas à la règle. Afin de mieux comprendre
le développement de ce phénomène dans la société moderne occidentale, il faut remonter
en mai 68. Ce moment charnière de l’histoire sociale française, symbole même de la
libération sexuelle, permet l’éclatement de normes répressives et rigides qui entouraient
autrefois la sexualité. À partir de là, le sexe passe du domaine de la morale à celui du bien-
être et devient sujet de discussion sociale. En prenant de plus en plus d’ampleur, le
phénomène d’hypersexualisation s’exprime désormais par la surenchère de la sexualité
dans tous les aspects du quotidien, et l’omniprésence des références à la sexualité dans
l’espace public. Ce concept d’hypersexualisation touche particulièrement les jeunes filles.
Les comportements sexualisés, la nouvelle manière de se vêtir, les effets liés à la mise en
scène du corps dans les médias ainsi que les conséquences sur l’image corporelle et la
construction identitaire, suscitent de nombreux questionnements.
Définir l’hypersexualisation n’est pas chose aisée : de nombreux chercheurs québécois se
sont penchés sur le phénomène pour tenter de mettre des mots sur cette nouvelle réalité.
Pour certains, c’est « un phénomène qui consiste à donner un caractère sexuel à un
comportement ou à un produit qui n’en a pas en soi ». Pour d’autres, « c’est un usage
2
excessif de stratégies axées sur le corps dans le but de séduire », qui se manifeste par la
3
parure, les comportements sexuels, la mise en scène du corps et ses altérations. Le
phénomène d’hypersexualisation s’est intensifié avec l’avènement du numérique et la
prolifération médiatique. Les adolescents d’aujourd’hui sont nés dans un monde où les
réseaux sociaux font partie du quotidien. Ces plateformes en ligne ont contribué à
Francine Descarries, Professeure, département de sociologie, UQAM, Extrait du documentaire Sexy INC de Sophie
1
Bissonnette, 2007.
Pierrette Bouchard, Natasha Bouchard, Isabelle Boily, La sexualisation précoce des filles, 2005.
2
Sylvie Richard-Bessette, lexique sur les différences sexuelles, le féminisme et la sexualité, chargée de cours-
3
département de psychologie et sexologie, UQAM, 2006.
- -
5
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
l’accroissement de l’hypersexualisation des jeunes filles et ont redéfini le rapport au corps.
Impact sur l’image corporelle, mise en scène du corps de façon sexualisée, estime de soi,
injonctions aux normes esthétiques, les médias sociaux ont d’importantes répercussions,
autant sociales que psychologiques, sur les adolescentes.
Objectifs de recherche
Le présent mémoire a pour but d’explorer la relation entre les médias et l’image corporelle
des adolescentes, à travers le spectre de l’hypersexualisation. Le phénomène
d’hypersexualisation influence fortement la façon dont les jeunes filles construisent et
conçoivent leur féminité. D’abord influencées par les modèles véhiculés par les médias
traditionnels, l’hypersexualisation a pris de nouvelles dimensions avec l’utilisation des
réseaux sociaux, qui encouragent fortement les contenus et comportements sexualisés.
Ce travail se divisera en trois chapitres qui tâcheront aux interrogations suivantes :
comment l’hypersexualisation in
fl
uence-t’elle la construction de la féminité ? Comment
s’organise la construction d’une apparence féminine ? Quel rôle jouent les médias dans le
phénomène d’hypersexualisation ? Comment l’hypersexualisation affecte-t’elle le
développement psychoaffectif des adolescentes ? Quel est l’impact sur l’image corporelle
et l’estime personnelle ? Comment se manifeste l’hypersexualisation sur les réseaux
sociaux ? Comment ont-ils modi
fi
é les modes d’expression et de mise en scène de soi des
adolescentes ?
Le premier chapitre portera sur l’exploitation du corps féminin et son in
fl
uence dans la
construction d’une identité féminine. Nous ferons le point sur les différentes instances de
socialisation permettant aux adolescentes d’apprendre à devenir une femme et les
différents modèles de féminité véhiculés dans tous les types de médias confondus.
Le second chapitre sera l’occasion d’aborder les conséquences de l’hypersexualisation. Les
conséquences sont d’autant plus importantes qu’elles surgissent pendant l’adolescence,
période de construction et de crise identitaire. Les impacts sont autant physiques que
psychologiques, et surtout, se concentrent essentiellement sur le rapport au corps qui est
complètement modi
fi
é.
- -
6
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
En
fi
n, nous verrons de quelle façon les nouvelles technologies de l’information et de la
communication ont complètement révolutionné la façon d’appréhender son corps et de se
mettre en scène. La ré
fl
exion se basera sur l’étude du réseau social TikTok, qui est basé sur
l’image et la performativité du corps, en s’hypersexualisant de son plein gré.
- -
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MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
Chapitre 1
L’exploitation du corps féminin :
un phénomène prégnant aux multiples causes
Ce premier chapitre a pour but d’explorer toutes les entités qui participent à la
construction de la féminité des petites filles. Cette construction se base, depuis
quelques décennies sur l’hypersexualisation, à cause d’une évolution de la société qui
est perçue comme saturée d’images érotiques et rabaissantes. Les médias dans leur
ensemble, la famille et les pairs vont proposer un cadre identitaire du « devenir-
femme » auquel les filles vont devoir se conformer si elles souhaitent être considérées
comme de vraies femmes. Nous étudierons également la place que prend la
pornographie dans la société actuelle, et à quel point elle forge l’image de la femme
et la mise en scène de soi à travers une fétichisation de la jeune fille.
I. Une construction de la féminité à travers l’hypersexualisation
1.1. L’émergence de la figure de la Lolita
La seconde moitié du XXe siècle est un moment de renouveau dans le secteur
de la presse populaire et féminine. Les changements apportés par la révolution
sexuelle en mai 68 ont conduit à une généralisation du sexe dans la publicité et les
médias écrits. Peu à peu, ces deux entités vont mobiliser la figure de la Lolita, et plus
tard de la sex-bomb, autour desquelles s’articule un discours de la féminité. La figure
de la Lolita voit le jour avec le roman culte de Vladimir Nabokov, Lolita (1955).
Hautement controversée, cette œuvre raconte l’histoire d’Humbert-Humbert,
professeur de littérature française de 37 ans qui s’établit en Angleterre avec Charlotte
Haze, sa seconde femme. Un désir obsessionnel va alors naître pour la fille de sa
femme : Dolorès Haze, alias Lolita, âgée de 12 ans. Humbert devient son parent
unique à l’issue de la mort de Charlotte et c’est à ce moment qu’il va s’éprendre de
Lolita, notamment sexuellement. L’Humbert-Humbert ne cessera de courir après la
- -
8
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
nymphette . Dolorès n’est pas considérée comme une personne en soi, mais comme
4
un objet de discours. Pour Humbert, elle est un véritable objet de fantasme, et il la
décrit dans son journal : « Je voudrais décrire son visage, ses gestes et attitudes – et
cela m'est impossible, aveuglé que je suis par la concupiscence quand elle est auprès
de moi » (p.67). Lolita est alors assujettie à ce rôle de « femme-enfant ». Avec
l'avènement de l'hypersexualisation, le terme deviendra populaire. Le roman a été
adapté au cinéma par Stanley Kubrick en 1962. L'affiche du film rend Lolita
« affriolante » : on y retrouve la couleur rouge qui y domine. Le rouge est synonyme
de passion, d’amour et d’érotisme. Nous pouvons deviner son regard perçant à travers
ses lunettes, sa sucette et ses lèvres, habillées de rouge à lèvres rouge. Le rouge à
lèvres est « la première arme de séduction d’une femme » .
5
C’est à travers le personnage de Lolita que naît la figure de la jeune fille fatale, de la
« femme-enfant ». La Lolita va laisser place à celle de la sex-bomb (Duquel et
Quéniart, 2009). Cette figure de la sex-bomb est prédominante dans la presse
française pour adolescentes (les 13-19 ans) et les jeunes femmes (les 20-25 ans). Les
magazines élaborent une stratégie éditoriale bien précise : ils élucident des stratégies
Dictionnaire Le Robert : définition de nymphette : très jeune fille au physique attrayant ; adolescente aux manières
4
aguicheuses, à l'air faussement candide.
Coco Chanel
5
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9
Affiche du film Lolita de Stanley Kubrick (1962)
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
du « devenir-femme ». Cette expression est issue de l’ouvrage Mille Plateaux (1980)
de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Les auteurs font référence à l’idée de
reproduction sexuée. Dans le cadre de notre recherche, le fait de « devenir-femme »
fait allusion aux modèles de féminité propagés par les entités médiatiques et auxquels
il faudrait se conformer.
1.2. Socialisation et construction de l’identité sexuée
Les modèles de féminité véhiculés dans les médias écrits contribuent à la
construction de l’identité sexuée. L’identité sexuée concerne le fait de « se reconnaître
comme étant un homme ou une femme et des comportements dits masculins ou féminins » .
6
L’identité sexuée n’est pas quelque chose d’inné. Elle se forme au cours des premières
années de vie et se confirme à l’adolescence. C’est une période charnière où opère bon
7
nombre de changements identitaires ainsi que dans la mise en scène de soi. L’identité
sexuée est le résultat d’un construit impliquant 3 facteurs :
8
• Le facteur biologique : il est basé sur le sexe génétique (déterminé à la fécondation) et
les caractéristiques sexuelles et corporelles de la personne.
• Le facteur social : se traduit par le sentiment d’appartenance à un certain sexe par
l’appropriation des normes de masculinité et de féminité socialement définies, les
rapports sociaux entre les sexes ainsi que la hiérarchie entre les hommes et les femmes.
• Le facteur psychologique : il est en lien avec la représentation de soi et les attentes de
l’entourage, ainsi que la façon dont l’individu se conforme aux normes sociales de
féminité et de masculinité.
Outre ces trois facteurs, les médias participent également à la construction de cette
identité sexuée. Véronique Rouyer a émis l’hypothèse selon laquelle la presse
communiquait des schémas de féminité et de présentation de soi qui contribuaient à
construire l’identité sexuée.
Véronique Rouyer, 2007.
6
Véronique Rouyer, Yoan Mieyaa et Alexis le Blanc. Socialisation de genre et construction des identités sexuées, Revue
7
française de pédagogie, 187 | 2014, 97-137.
Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Éducation à la sexualité, 2021.
8
- -
10
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
1.3. Un cadre identitaire du « devenir-femme »
En effet, les médias diffusent des modèles de féminité qu’il est préférable de suivre
pour rentrer dans la norme et s’accomplir en tant que femme. Dès leur plus jeune âge, les
petites filles sont formatées à se percevoir à travers le regard de « l’autre absolu », c’est-à-
dire le regard masculin. Dans les magazines, notamment, « la féminité se donne comme un
ensemble de propriétés qui s’acquièrent et se définissent par rapport aux garçons, et plus
tard les hommes » . Afin d’attirer le regard masculin, il faut mettre toutes les chances de
9
son côté en adoptant les codes de l’érotisme. Cela fait référence à la construction d’une
apparence féminine et l’érotisation du corps. Cette dernière est nécessaire pour attirer
l’attention des garçons via la socialisation par la parure (manière de se vêtir).
L’hypersexualisation des enfants s’opère dans notre société où la frontière entre les
générations est de plus en plus floue, particulièrement entre les enfants et les
adolescentes . Les pré-adolescentes (âgées de 9 à 12 ans) sont particulièrement touchées
10
par ce phénomène, subissant une pression constante pour paraître adolescentes (âgées de
13 à 19 ans) avant l’âge, puis adultes avant l’âge.
1.3.1. Une hyperérotisation du corps
Cette érotisation est présente dès l’enfance et omniprésente dans la société. Elle
passe par le port de sous-vêtements plus osés, de la culotte en coton au string ou tanga. Le
fait de porter des vêtements décolletés ou courts comme les crop tops, très populaires
auprès des adolescentes. Les piercings sont aussi un moyen de s’érotiser, de se mettre en
scène de façon ludique. Cette marque corporelle représente un mode de communication
séducteur et provocateur , suggérant un désir d’attirer l’attention. C’est aussi une façon de
11
s’impliquer dans cette « culture jeune », le jeune étant perçu comme un véritable client par
les institutions médiatiques et le secteur du marketing car il est influençable (Borzekowski
& Robinson, 1999). Il existe trois types de piercings particulièrement populaires chez les
adolescentes : les piercings à la langue, les piercings au nombril et, plus récemment, les
piercings aux tétons. Assimilés à un outil pour améliorer la sensation du baiser ou du sexe
Phillipe Liotard et Sandrine Jamain-Samson, « La « Lolita » et la « sex bomb », figures de socialisation des jeunes
9
filles. L’hypersexualisation en question ». Sociologie et sociétés, Volume 43, Numéro 1, Printemps 2011.
Les dangers de l’hypersexualisation des jeunes filles : une enfance volée, GROW - Generation for Rights Over the
10
World, 2021.
Catherine Grognard. Marques corporelles et adolescence : une écriture symbolique, Enfances & Psy, vol. no. 32, no.
11
3, 2006, pp. 87-93.
- -
11
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
oral, les piercings à la langue peuvent être considérés comme vulgaires. D’autre part, le
piercing au téton, ne fait que renforcer cette hypersexualisation de la poitrine. Comme le
disait Tartuffe dans la célèbre pièce de Molière, « couvrez ce sein que je ne saurais voir ».
Que ce soit dans la rue, au travail, lors de l’allaitement ou sur les réseaux sociaux, la
poitrine doit être cachée pour ne pas attirer les regards des hommes. Le piercing au téton
fait ressortir ce dernier, ce qui peut engendrer des regards indésirables. Et ce, parce que les
seins et en particulier les tétons qui « pointent » sont directement associés au désir sexuel.
Au final, le but étant de pousser les jeunes filles à avoir des attitudes de « petites femmes
sexy » (Bouchard et Bouchard, 2005) en ayant recours à la sexualisation précoce.
1.3.2. Une proposition de cadre identitaire
De surcroît, les magazines pour adolescentes mettent en place des stratégies
éditoriales pour promouvoir le « devenir-femme » (Philippe Liotard, Sandrine Jamain-
Samson, 2011). Ils proposent un cadre identitaire où il faut par exemple être en couple
pour s’accomplir en tant que jeune fille, et femme par la suite. Une femme se définit par sa
capacité à trouver un partenaire et donc la manière dont elle saura se faire remarquer. Une
pression peut se faire ressentir par la jeune fille si elle ne rentre pas les cases. Prenons
l’exemple d’un groupe de collégiennes qui sont amies. Le collège n’est pas une période
aisée pour tout le monde, c’est un moment synonyme de bouleversements, tant physiques
que psychiques. Si une jeune fille est la seule de son groupe d’amies à ne pas avoir de
petits amis, cela peut susciter plusieurs réactions chez elle. Elle peut se sentir exclue, et
être amenée à penser qu’elle n’est pas assez belle ou intéressante pour attirer l’attention
d’un garçon. Qu’elle n’a pas assez de valeur pour être en couple. Ces pensées intrusives la
font se remettre en question et peuvent avoir des impacts sur son estime personnelle et sa
santé mentale. Par ailleurs, la presse écrite n’est pas la seule entité qui promeut des
modèles de féminité précis. La publicité, la télévision avec les émissions de télé-réalité…
montrent que les attitudes à caractère sexuel sont fortement valorisés.
1.4. Entre famille et pairs
La construction de la féminité passe par plusieurs instances de socialisation.
La famille, et plus précisément les parents, est la première instance de socialisation.
Ce sont eux qui doivent aider de la façon la plus positive à la construction de
- -
12
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
l’identité sexuée. Ils sont les modèles les plus importants pour l’enfant. Leur rôle est
d’inculquer à l’enfant qu’il ne faut pas se définir uniquement par son apparence - ce
qui est le message de cette société sexiste et sexualisée - et que ce n’est pas la chose
la plus importante (Tanith Carey, 2013). Les parents vont poser des normes qui vont,
ensuite, être négociées par les jeunes filles (Aurélia Mardon, 2011). Même si tous les
parents s’étonnent de la précocité avec laquelle les filles réclament certains des
attributs vestimentaires traditionnels de la féminité (ou des marqueurs corporels
comme le piercing évoqué juste avant), ils n’ont pas tous la même réponse à ce sujet
selon l’appartenance sociale.
D’un côté, les classes moyennes et supérieures interdisent l’accès précoce à des
vêtements sexualisant trop les corps. À savoir, les dos nus, les sous-vêtements tels
que les strings, les soutiens-gorge push-up ou rembourrés, les hauts talons, les
pantalons taille basse et bien encore. Ces vêtements représenteraient une source de
danger physique et scolaire. Source de danger physique à cause des regards masculins
: le corps féminin restant perçu comme un objet de désir par les hommes (Guichard-
Claudic, Kergoat, 2007). Les mères sont, le plus souvent, responsables du domaine de
l’apparence pour deux raisons : « D’une part parce qu’elles sont les responsables
socialement désignées des corps de la famille, et d’autre part parce qu’étant elles-
mêmes plus spécifiquement soumises aux normes corporelles et vestimentaires, elles y
sont particulièrement sensibles » . Cependant, les pères et mères sont tous les deux
12
contre cette hypersexualisation du corps des filles. Ils ont tendance à se référer à l’âge
biologique pour contrôler les pratiques vestimentaires de leurs filles, contrairement
aux jeunes filles qui se laissent influencer par leurs pairs dans leur construction de
l’apparence. Pour les parents issus des classes moyennes et supérieures, l’érotisation
du corps par la parure peut être significative d’échec scolaire. Ils valorisent fortement
la réussite scolaire et s’adonner à des pratiques diverses de la féminité pourrait les
éloigner de cet objectif.
Au sein des classes populaires, le schéma de pensée est plutôt inverse. Dès lors que
les filles souhaitent avoir recours à des attributs adultes de la féminité, elles y sont
Aurélia Mardon. La génération Lolita. Stratégies de contrôle et de contournement, Réseaux, vol. 168-169, no. 4-5,
12
2011, pp. 111-132.
- -
13
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
autorisées, et même soutenues dans leur démarche. Dans ces milieux, « ce sont les
identités sexuées traditionnelles qui sont valorisées (Schwartz, 1990) ». Les parents
ne sont donc pas choqués par l’exhibition du corps étant donné que cela les rassure
quant à la conformité de leur fille au modèle valorisé (s’hypersexualiser). Par ailleurs,
autoriser la sexualisation précoce du corps s’inscrit dans cette conception de profiter
de sa jeunesse vu que les enfants seront amenés à travailler toute leur vie (Hoggart,
La Culture du Pauvre, 1957). C’est « une façon de soutenir la sociabilité et de
faciliter l’intégration au sein du groupe de pairs » .
13
À l’aube de l’adolescence, l’influence va changer de camp. Avec l’accroissement de
la conscience de soi, l’influence des pairs va prendre une place prépondérante chez
les adolescentes et celle des parents et des autres adultes va drastiquement diminuer
(Guindon, 2010). Le milieu de l’adolescence est la période où l’influence des pairs
aurait le plus d’importance (Buhrmester, 1990). Les pairs participent également à la
création de cette identité sexuée (De Single, 2006 ; Pasquier, 2005). Ils vont avoir une
certaine influence sur le comportement, la mise en scène de soi ou encore sur le
contenu partagé sur les réseaux sociaux - endroit où il est possible de se créer une
nouvelle identité - qui sera déterminé comme socialement présentable et désirable
(Boyd, 2007).
1.4.1. L’enjeu de la socialisation
La socialisation influe forcément dans cette construction de la féminité. Elle
est fondamentalement sexiste, et ce dès le plus jeune âge. La famille, première
instance de socialisation, conditionne l’enfant à des modèles pré-déterminés selon son
genre. C’est ensuite les autres instances de socialisation, comme les médias, la mode,
la publicité ou encore la musique, qui prendront le relai. Il existe des clivages
évidents dans l’éducation des filles et des garçons : c’est l’éducation genrée. Elle se
manifeste à travers les jouets, la scolarité, les activités culturelles ou encore les choix
professionnels. Les jouets induisent une forme de distinction sexuée des capacités et
qualités importantes à développer. Notamment, la mise en valeur de soi, la docilité, la
Hoggart, La Culture du Pauvre, 1957.
13
- -
14
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
patience, la douceur. Contrairement aux garçons à qui l’on inculque, qu’il faut
développer sa force physique (avec des jeux de combats, les super-héros…), sa
mobilité et son autonomie (avec des jeux de construction…). Pour les filles, les jouets
attribués sont en rapport avec la mise en valeur de l’apparence et les qualités de
maîtresse de maison : nous y retrouvons des faux bijoux, des têtes à coiffer, des
poupons, les jeux de cuisine et de ménage. Les poupées (type Barbie ou Bratz)
participent à cette hypersexualisation, car elles présentent de plus en plus de
caractéristiques sexy dans leur apparence.
Dès le plus jeune âge, la société enseigne aux fillettes et aux garçons des attitudes et
des comportements différents selon leur sexe. Les petites filles sont élevées dans un
environnement qui les invite à être passives, à soigner leur apparence en portant des
boucles d’oreilles, des petites robes, en mettant du rouge à lèvres pour fillette, la
plupart du temps vendu dans des magasins comme Claire’s. Claire’s décrit ses
magasins comme « la destination fun pour les bijoux, les cosmétiques, les accessoires
et le perçage des oreilles pour les pré-adolescentes, les adolescentes et les jeunes de
3 à 18 ans » .
14
Au-delà de l’éducation et des dictats de la société, cette différenciation entre les sexes
est aussi visible dans la publicité. Les hommes y sont généralement représentés en
action (en train de faire du sport, de conduire…) et dans une position de dominance.
Quant aux femmes, elles sont utilisées pour leur apparence physique : nous les
retrouvons peu vêtues, dans des postures passives ou sexuellement explicites. La
femme est représentée en tant qu’objet et son corps est utilisé pour vendre tout type
de produit : des livres, des produits nettoyants, des montres, du papier toilette…
Produits qui n’auraient, normalement, pas besoin d’être mis en scène par une femme
pour être vendu (voir annexes 1, 2, 3).
À travers cette socialisation, les petites filles et plus tard, adolescentes, ne se voient
que comme des objets esthétiques, résultat d’un bercement dans un culte de
l’apparence dès l’enfance et les jouets notamment, où l’accent est mis en priorité sur
Site Corporate de Claire’s, onglet Marques.
14
- -
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MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
la représentation de soi. Au fil des années, une multiplication des vecteurs d’influence
proposant des modèles de féminité va avoir lieu.
II. Le rôle des médias : des agents de socialisation différenciée
2.1. La socialisation via les médias
Les médias, c’est-à-dire l’Internet, la télévision, la radio et la presse, sont
également des agents de socialisation. Ils font office de super pairs en matière de
sexualité et de construction de la féminité (Brown et al., 2005). Ces médias de masse
véhiculent des représentations sociales et des idéaux identitaires à qui il faudrait se
greffer pour être dans la norme (Lahire, 2001).
Ici, nous nous concentrerons sur le rôle de la presse écrite dans la construction de la
féminité. La socialisation via les médias, et plus précisément la presse écrite pour
jeunes filles, se fait par palier et par tranche d’âge. Corinne Destal, sociologue,
explique que « dès la 6ème les filles délaissent la presse préadolescente des 8-12 ans
pour glisser vers la presse adolescente dont le taux de contact est très important.
- -
16
Couverture du magazine Girls ! (Juillet 2008) avec comme sujets principaux : « 27
façons d’être plus belle », « Envie de lui ? Sors le grand jeu » et « Mode… Tes looks
de l’été ! ». Le principal focus est sur la construction et l’amélioration de son
apparence.
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
Julie, Witch et Les petites Sorcières, revues les plus populaires sont officieusement
abandonnées au profit de Girls, jeune et jolie...ou autres » . Ces magazines font un
15
véritable travail sur le corps avec une mise en scène minutieuse de l’apparence à
travers des accessoires, un savoir-être qui dicte les postures et les conduites à tenir
aux jeunes filles (Philippe Liotard, Sandrine Jamain-Samson, 2010). Elle souligne
aussi la force des médias à l’heure actuelle. Ils sont devenus de véritables vecteurs de
socialisation et d’exploration de la puberté des jeunes filles . Les médias vont
16
accompagner la fillette dans cette période de changements qu’est l’adolescence, et ce,
en lui partageant des codes de la « bienséance féminine ».
2.2. Devenir une sex-bomb : critères véhiculés par la presse écrite
La presse écrite participe activement à cette construction de la féminité.
Remontons à l’origine de ce fameux type de presse : l’existence des magazines pour
fillettes remonte au XIXe siècle avec des magazines tels que Lisette, destiné aux
jeunes de 7 à 15 ans. Nous y retrouvons notamment des bandes dessinées ainsi que
des rubriques de formation au futur rôle de mère des fillettes. Un renouveau de la
presse pour jeunes filles va avoir lieu dans les années 90. Les articles vont maintenant
être principalement centrés sur des sujets liés à l’apparence physique, la mise en
Propos de Corinne Destal rapporté dans le rapport parlementaire de Chantal Jouanno, Contre l’hypersexualisation, un
15
nouveau combat pour l’égalité, mars 2012
Corinne Destal, Hypersexualisation des filles et troubles des frontières de l’âge - Actes du colloque international,
16
Ministère de la Culture et de la Communication – Association internationale des sociologues de langue française –
Université Paris Descartes, 9es Journées de sociologie de l’enfance, Paris, 2010.Université Bordeaux 3 (ISIC).
- -
17
Exemples de couvertures de magazines pour adolescentes
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
scène de soi et les célébrités. À savoir que les principales cibles de la presse écrite
française sont un public de jeunes filles (donc un lectorat âgé de 12 à 15 ans) avec des
magazines culte tels que Jeune et Jolie, Julie ou Girls ! et un public de jeunes
femmes (donc un lectorat âgé de 19 à 25 ans) avec des magazines comme Glamour,
Biba ou encore Cosmopolitan.
La presse pour jeunes filles, qui sera le focus central de notre réflexion, se présente
comme l’un des meilleurs moyens d’accéder à l’épanouissement personnel, amoureux
et social par l’intermédiaire du corps. Comme nous l’avons évoqué plus tôt, les
magazines développent l’idée que le « devenir-femme » s’élabore par rapport aux
garçons et à leur regard. Une forme de sexualisation y est clairement affichée : en
effet, les articles dans ces périodiques font la promotion de critères de construction
d’une apparence érotique présentée comme nécessaire à la séduction. Celle-ci
passerait par la mode hypersexualisée et les cosmétiques (Vigarello, 2004). Selon
Corinne Destal, qui a étudié et analysé la presse pour jeunes filles et ses dérives, « la
féminité, telle que les revues l’imposent, se mérite et se juge » . Nous comprenons
17
que, pour que les jeunes filles puissent devenir de « vraies » femmes, il est nécessaire
qu’elles adoptent des codes, des comportements et une certaine mise en scène de soi.
Les magazines servent alors de guides en publiant des articles portant sur la
construction de l’apparence : selon le magazine Isa, « être une sex-bomb ça s’apprend
! ». Même chose dans Jeune & Jolie, « Sexy : devenez une vraie bombe ! ».
Nombreux sont les périodiques à avoir recours à ce genre de titres, en les mettant en
première de couverture afin d’attirer l’attention des jeunes filles et les persuader que
c’est quelque chose de vraiment important.
2.3. Les magazines pour adolescentes
Ce type de presse a véritablement transformé la figure de la jeune fille et pour
cause, c’est le seul média où les filles sont surreprésentées. Selon une étude de
l’ethnologue Caroline Caron réalisée en 2003 sur les magazines québécois Adorable,
Cool et Filles d’aujourd’hui : 65 % de leur contenu éditorial est consacré à
l’apparence et aux relations hommes-femmes, et seulement 35 % au développement
Corinne Destal, op. cit. p.14
17
- -
18
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personnel et social. Dans son article, « Que lisent les jeunes filles ? Une analyse
thématique de la « presse ados » au Québec » , Caroline Caron s’interroge aussi sur
18
la représentation de la féminité et des rapports entre les femmes et les hommes
véhiculés dans ces articles. Son analyse fait ressortir une certaine répartition des
thèmes abordés :
• Près des deux tiers (64,8 %) des articles traitent de la beauté, de la mode, des
garçons, des relations hommes-femmes et des célébrités masculines.
• Plus du tiers (35,2 %) des articles touchent au développement personnel et social.
Cependant, la dimension sociale de l’identité y est majoritairement négligée pour
favoriser l’insistance sur la dimension personnelle. Dans ces articles, le
développement personnel, important durant l’adolescence, est illustré à travers la
vie des célébrités que les adolescentes ont l’habitude de suivre.
Effectivement, ces magazines proposent principalement des rubriques beauté, love
astro, sexe love, sexy attitude, santé, psycho, mode… Le but étant de diffuser des
conseils sur les manières de se comporter, de penser et d’agir en tant que filles. Ils
propagent un modèle autour de la féminité qui articule 3 dimensions inter-reliées :
19
• Le modèle autour de la féminité ramène systématiquement l’intérêt des lectrices
sur les relations amoureuses, en plus de les orienter vers la provocation sexuelle.
• Il propose des modèles professionnels liés au pouvoir de séduction des femmes
sur les hommes : des carrières reliées à la mode ou la beauté. D’ailleurs, à cause
de l’hypersexualisation, les jeunes filles ont tendance à ne se voir que comme des
objets esthétiques et ont des horizons assez « restreints » : certaines rêvent de
devenir mannequin ou chanteuse.
• Il actualise et renforce les stéréotypes féminins associés à la mise en valeur
sexualisée du corps des filles. Il s’appuie sur la conception traditionnelle de la
femme selon laquelle leur pouvoir réside dans la séduction qu’elles exercent sur
les hommes.
Caroline Caron, publié en 2003 dans un numéro de la revue Pratiques psychologiques, la revue européenne
18
des praticiens en psychologie, publiée sous l’égide de la Société Française de Psychologie (Paris).
Caroline Caron, op. cit., p.16
19
- -
19
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Enfin, nous pouvons également évoquer les magazines féminins, dont le lectorat est
plus de l’ordre des 18-25 ans. Ils jouent, eux aussi, un rôle dans ce phénomène
d’hypersexualisation en incitant les adolescentes à utiliser leur apparence physique et
la sexualité pour plaire et être reconnues par leurs pairs.
III. Le fléau de la pornographisation
3.1. L’envahissement de l’espace public par la pornographie
Avec le développement de nouveaux médias comme Internet, la pornographie
s’est banalisée. Cette omniprésence de représentation sexuelle, aisément accessible
grâce aux nouvelles technologies est devenue un nouveau problème au cœur des
préoccupations publiques, féministes et médiatiques (Mercier, 2013). De
l’hypersexualisation des femmes découle la pornographisation de l’espace public
médiatique, qui est synonyme d’une banalisation de la sexualité dans la sphère
publique. Cela est principalement dû à un accès facilité à la production, la diffusion et
la consommation de contenu sexuellement explicite rendu possible par les nouvelles
technologies, qui représentent une source de dangers pour les jeunes filles. En effet,
avec le développement d’Internet, l’industrie de la pornographie a explosé. L’accès à
la pornographie est devenu très simple et l’âge médian de consommation de contenu
pornographique est de 11 ans. Nous estimons que 90 % des enfants entre 8 et 16 ans
- -
20
Infographie de Data Looks Dope par rapport à l’apparence physique des 100 pornstars
favorites des américains (2014).
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ont déjà consultés des sites pornographiques . Depuis quelques années, nous
20
assistons ainsi à une nouvelle réalité hypersexualisée, à un raz-de-marée sexuel qui
impliquerait une « perte de sens et de signification liés au sexuel, et un dérapage de
cette société qui nage dans la pornographie » (Robert, citée dans Chouinard, 2005).
La pornographie s’est démocratisée et complètement banalisée ces dernières années.
Elle a envahi les cours d’écoles, la manière de se vêtir, les clips vidéo et les médias
modernes comme les réseaux sociaux et les smartphones (Robert, 2005). Cela n’est
pas sans conséquences : la pornographie influence fortement les pratiques sexuelles
des jeunes et influe sur leurs représentations du corps et de la sexualité. Elle
imposerait une vision du corps sexualisé comme une norme à la société, notamment
par le matraquage publicitaire. Pour certain(e)s, ces sites à caractères sexuellement
explicites représentent leur première expérience en matière d’éducation sexuelle. En
effet, la pornographie peut être considérée comme un acteur de socialisation en
devenant une référence pour un grand nombre de personnes.
3.2. La pornographisation culturelle : une intrusion très précoce de la sexualisation
La pornographisation de la culture s’immisce de façon précoce chez les
adolescentes et exploite la figure de la Lolita. En effet, le corps des jeunes filles a
toujours été exploité et représenté comme un objet de désir. Selon le professeur de
sociologie québécois Richard Poulin, cette pornographisation culturelle est un des
principaux facteurs du phénomène d’hypersexualisation. Dans son ouvrage
Sexualisation précoce et pornographie (2009), il va analyser les tenants et les
aboutissants de la banalisation de la pornographie. Il en déduit plusieurs conclusions :
avant toute chose, il met en évidence l’étendue de l’influence de la pornographie dans
les systèmes de représentation et de communication, ainsi que par rapport aux normes
adoptées et promues. En effet, les contenus pornographiques diffusent des normes à la
fois corporelles et sexuelles : les actrices X ont, pour la majorité, des corps normés
qui deviennent synonymes de fantasmes pour les garçons. Max Einstein, détenteur du
site Data Looks Dope, a réalisé une infographie en étudiant les caractéristiques des
100 actrices X préférés des Américains (données basées sur le site XVideos) . Les
21
Pauline Pelissier, L’hypersexualisation des jeunes filles, « résultat de l’influence du porno », LeMonde.fr, 2012.
20
Data Looks Dope, Top Porn Stars, octobre 2014.
21
- -
21
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critères pris en compte sont les suivants : la poitrine refaite ou non, les mensurations,
la taille et l’origine. La plupart ont eu recours à une chirurgie mammaire et la
majorité des bonnets sont C, D et E. Concernant les mensurations, elles n’excèdent
pas une taille 40. À savoir que la majorité d’entre elles sont caucasiennes, donc
blanches. L’infographie ci-dessous inclut tous les détails.
Richard Poulin poursuit son analyse et précise que l’hypersexualisation des jeunes
filles se fait à travers le prisme de la pornographie. L’hyper-visibilité des corps
sexualisés est le signe d’une surenchère sexuelle dans l’espace public via de multiples
facteurs que nous aborderons au fil de la réflexion. C’est une culture pornographique
« sexiste, excessive et consumériste dont il est impératif de « sauver les
filles » (Lamb, 2009) ».
3.3. Le porno-chic
L’omniprésence de la pornographie intervient également par le biais du porno-
chic publicitaire. Cela est principalement dû à la transition entre le statut de ménagère
dans les années 60 à celui de femme-objet dans les années 90. Le porno-chic désigne
« une pratique publicitaire qui puise son inspiration directement dans la
pornographie, ayant pour but de retenir l’attention du public et influencer son
opinion à l’égard de la marque » . Pratique née dans les années 70 aux États-Unis
22
pour désigner les premiers films pornographiques, ce phénomène touche plusieurs
secteurs : la publicité, l’univers du luxe (avec la parfumerie, la haute couture…), en
proposant une représentation dégradante, dévalorisante et déshumanisée de la femme.
La chercheuse Fabienne Martin-Juchat définit ce phénomène comme « un sous-genre
publicitaire, résultant de la combinaison d’une thématique sémiotique
(l’hypersexualisation de la femme) avec un critère marketing (les marques de luxe) »
ou nous allons « souvent élaborer une mise en scène visant à suggérer des pratiques
marginales ou taboues, tout en transformant la femme comme un objet » .
23
Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012.
22
Lucia Granget, Transgression et banalisation du sexe dans la publicité sur Internet, Hermès, La Revue, vol. 69, no. 2,
23
2014, pp. 102-104.
- -
22
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Le « pornographisme » de la publicité se repose essentiellement sur la mise en scène
de la soumission des femmes et de leur asservissement sexuel. Cela fait partie d’une
stratégie de la part des marques : il fait susciter un désir chez le consommateur tout
en lui faisant mémoriser la marque. C’est ce que nous appelons le shockvertising. Il
désigne « une stratégie de communication qui, par un contenu choquant ou
provocateur, vise à augmenter l’attention du destinataire et la mémorisation du
message qui doit être considéré comme choquant, ce qui est susceptible de provoquer
un impact émotionnel » . Il existe trois formes du porno-chic récurrentes :
24
• La publicité égalitaire : les femmes y sont identifiées par leur féminité, mais
pas dans un schéma de domination et réducteur. Ce type de publicités n’est pas
discriminant, mais elles sont malheureusement très peu nombreuses.
• La publicité discriminante : c’est le type de publicités les plus stéréotypées.
Elles comportent de nombreuses images discriminantes, et les femmes y sont
généralement méprisées et rabaissées.
• La publicité agressive : elle se distingue par un arrière-plan morbide ou
mortifère. Elles se réfèrent à des pratiques sexuelles agressives qui mettent, très
souvent, en scène la domination de la femme par l’homme. La femme est souvent
représentée dans une position dite animale et perçue comme un objet.
Nombreuses sont les publicités sexistes où la femme est mise en scène dans une
position rabaissante, où nous pouvons clairement observer ce rapport de domination
entre les deux sexes. Une des plus connues est celle de Dolce & Gabbana en 2007
(voir p.24). Véritable sujet de discorde, cette publicité est considérée comme
25
« trash ». Elle est même retirée en Italie sous les ordres de l’Institut d’Autodiscipline
Publicitaire car elle « offense la dignité de la femme. Si l’image ne porte pas de
références implicites à la violence physique, elle évoque, en raison de la position
passive et désarmée de la femme face aux hommes, la représentation d’un abus ou
l’idée d’une violence à son encontre ». L’idée de soumission est clairement induite
avec la position de la femme et son regard fuyant. Tous les hommes ont le regard
AntiPub, Association Résistance à l’Agression Publicitaire, définition de Shockvertising.
24
Jean-Marc Sfeir, NouvelObs, La pub, plus sexiste que jamais ?, janvier 2017.
25
- -
23
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tourné vers elle et son corps, la regardant comme un objet de désir.
3.4. La fétichisation de la jeune fille
La pornographisation s’accompagne de sérieuses dérives. L’une d’entres elles
est la fétichisation de la jeune, de la figure de la Lolita. La pornographie crée des
fantasmes et désirs comme celui de la « femme-enfant », sous-entendu que pour être
belle, il faut être jeune. Cette fétichisation de la jeune fille dans la pornographie est
directement corrélée à la question de la banalisation de la pédophilie dans notre
société. D’ailleurs, lorsque nous tapons « adolescente » dans la barre de recherche du
site pornographique PornHub, un message d’alerte s’affiche :
- -
24
Message d’alerte qui s’affiche sur PornHub suite à la recherche de vidéos « adolescentes ».
Publicité Dolce & Gabbana (2007).
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Cependant, Richard Poulin révèle que l’industrie de la pornographie exploite le
fantasme de la Lolita. Quand nous nous rendons sur ce site, il est très facile de repérer
cette exploitation : en effet, ce genre de contenu est très populaire et très consommé
par les internautes. Nous estimons à 12 700 000 millions, le nombre de résultats lors
de la recherche du terme « teen porn » (adolescente en anglais).
Dans cette infographie de Data Looks Dope (voir annexe 4) datant de 2014, le propriétaire
du site analyse les 15 catégories PornHub les plus recherchées ainsi que les 24 vidéos les
plus regardées de chacune des catégories (aux États-Unis). Sans surprise, la première
catégorie est celle de « Teen ». Avec comme vidéo la plus visionnée à l’époque « Tight
pussy gets smashed » (= une chatte serrée se fait détruire) avec 54 376 700 vues. Le fait de
préciser que c’est un vagin serré peut faire penser à un sexe d’enfant ou de jeune fille.
Cette hypersexualisation et fétichisation de la jeune fille passent aussi par
l’hypersexualisation de l’adolescente en tenue d’écolière ou d’étudiante. Quand nous
tapons « tenue d’écolière » sur Google, ce ne sont pas des photos de petites filles
habillées d’une certaine façon que nous voyons, mais des tenues sexy. À savoir, des
mini-jupes écossaises, un chemisier accompagné d’une cravate et des bas résilles. Ces
femmes sont le plus souvent coiffées de deux tresses. C’est là le plus célèbre cliché
de la pornographie.
18 ans, l’âge de la majorité. Ce nombre fait l’objet de nombreux « fantasmes ». En
effet, beaucoup fantasment sur ce corps jeune et pré-pubère qu’est celui de la jeune
fille. Le fait qu’elle soit mineure est synonyme d’interdit, d’illégal même si cela
n’empêche pas de voir ces jeunes filles comme des objets de désir. Dans les esprits,
être enfin majeur est synonyme de maturité émotionnelle et, aussi que la notion de
consentement devient plus floue. Par exemple, lorsqu’une jeune fille aura finalement
18 ans, ce ne sera plus considéré comme un crime de fantasmer sur elle, car elle aura
l’âge légal.
- -
25
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3.4.1. L’acomoclitisme
La pornographisation véhicule l’image d’un corps impubère, sans pilosité, où
les caractéristiques sexuelles adultes sont gommées. Ce phénomène d’acomoclitisme
s’apparente à un fétichisme des pubis dépourvus de poils. Il est étroitement lié au
rapport à l’enfance et « évoque dangereusement la pédophilie et améliore la visibilité
des images pornographiques » . Cette dérive de la filmographie pornographique
26
entraîne un voyeurisme car elle donne une extrême visibilité des parties génitales et
véhicule « l’image d’un corps infantilisé, aseptisé, prépubère, voire vierge » . La
27
distinction entre la femme adulte et l’enfant est clairement effacée. De plus, cela a
instauré une norme en matière d’épilation : en mai 94, le magazine Vingt ans
(consommé par les (pré)-adolescentes) donnait des instructions à la jeune fille en
l’invitant à traquer ses poils pubiens. Dans notre société actuelle, l’épilation intégrale
du maillot s’est largement répandue. Selon une étude Ifop de 2021 sur l'évolution des
habitudes d'épilation des Françaises depuis 2013 , 24 % de la population féminine
28
opterait pour l’épilation intégrale contre 14 % en 2013. Cette pratique est
particulièrement en vogue chez les moins de 25 ans avec 56 %, et chez les 25-24 ans
avec 48%.
3.4.2. La néoténie
Faire jeune est devenu un critère central dans les représentations médiatiques.
La néoténie se définit comme une valorisation d’un corps éternellement jeune. C’est
l’attirance que les humains éprouvent pour les caractéristiques physiques,
comportementales ou sociologues des jeunes de leur espèce. Cela inclut les traits
physiques (petit nez, le corps mince, l’absence de pilosité) et les traits
comportementaux (la parure, les goûts…). Ce phénomène entraînerait une
reconfiguration des âges : les rôles sont inversés, la jeune fille se fait femme et la
femme devient enfant. L’anthropologue Laurent Barry a appliqué la notion de
néoténie aux sciences sociales en montrant que de nombreuses sociétés humaines
valorisaient les caractéristiques physiques de l’enfant et de l’adolescent dans leurs
représentations de l’adulte. Ce concept peut totalement s’appliquer à l’univers
Sylvie Tenenbaum, Les Hommes naissent libres et égaux.. : ... Et les femmes ?, 2014.
26
Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012.
27
Justine Feutry, Madame Le Figaro, L’épilation du maillot séduit moins les Françaises… sauf dans sa version
28
intégrale, 04/02/21, mis à jour le 05/02/21.
- -
26
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pornographique étant donné la popularité du contenu « teen » et la valorisation des
jeunes filles ayant des rapports sexuels.
3.5. La pornification de la musique pop
Les stars de la musique jouent un rôle important dans la socialisation
vestimentaire et dans la prise en compte des normes de la féminité. Les chanteuses
pop sont nombreuses à proposer un modèle de féminité uniquement basé sur
l’apparence et la parure. Le phénomène d’hypersexualisation est donc largement
véhiculé par les idoles des jeunes filles telles que Britney Spears, Rihanna, Nicki
Minaj, Doja Cat… Elles ont été sexuées dès leurs débuts et sont devenues de
véritables sex-symbol. Ces célébrités produisent parfois des clips s’approchant de la
pornographie douce. La musique pop, et plus précisément les clips vidéo, sexualisent
et objectivent les femmes. Ces vidéos marquent également un retour des stéréotypes
sexuels dans l’industrie du divertissement avec l’image de la sex-symbol et le recours
aux codes de la pornographie.
Les jeunes filles, qui s’identifient à leurs idoles, ont envie de reproduire ce qu’elles
voient. C’est une forme d’expérimentation et d’appropriations des codes de la
séduction corporelle (Mardon, 2006 ; Monnot, 2008 ; Court, 2010). Selon Baker
(2010), « les filles utilisent les médias et notamment la musique pop, pour explorer
les limites de la séduction et apprendre à devenir des femmes, ce qui laisse penser
que leurs jeux autour de la musique n’ont rien d’anodin ». D’autant plus que les
jeunes filles sont très friandes de ce genre de contenus qui jouent sur les codes
sexuels proches de la pornographie et qui véhiculent des normes hypersexualisées.
La pornification de la musique pop se fait par le biais de clips explicites, tant dans les
images que dans les paroles que certains chantent sans réellement avoir conscience de
leur signification. Ces stars portent souvent des tenues explicites et moulantes,
s’apparentant au fétichisme chic. Le fétichic est un terme apparu en 2011 désignant
une tendance de mode mélangeant les codes vestimentaires du fétichisme avec ceux
du prêt-à-porter . Son origine vient de la mode fétichiste (les chaussures à talons
29
Wikimonde, définition de Fétichic.
29
- -
27
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aiguilles, les corsets, les minijupes, le latex, le cuir) avec l'emprunt des symboles
vestimentaires du sadomasochisme et du fétichisme. L’exemple parfait de cette
pontification de la pop est le groupe The Pussycat Dolls. Nombreuses de leurs
chansons, sont centrées sur l’apparence, le fait d’être une femme sexy et un objet de
désir pour les hommes. Le but étant d’être la plus sexy possible pour être enviée par
les autres femmes, une certaine forme de compétition basée sur l’apparence qui est
illustrée dans leur célèbre titre Don’t Cha qui raconte l’histoire d’une protagoniste qui
demande à un homme s’il ne souhaiterait pas que sa copine soit aussi canon et aussi
aventureuse sexuellement qu’elle.
- -
28
Le groupe The Pussycat Dolls sur le tournage d’un clip, avec des tenues
s’apparentant aux codes du fétichisme chic.
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Chapitre 2
Les travers de l’hypersexualisation
Dans ce second chapitre, nous allons nous intéresser aux conséquences de
l’hypersexualisation. Les conséquences sont d’autant plus sérieuses qu’elles
surgissent à l’adolescence, moment charnière pour une adolescente qui est en pleine
construction identitaire. Augmentation de la conscience de soi, égocentrisme, les
adolescentes vont largement être influencées par leurs pairs dans leur développement
cognitif. L’adolescence est aussi synonyme de nombreux changements corporels qui
ne sont pas sans conséquence. Le rapport au corps va être complètement remis en
question par les images véhiculées dans les médias et cela va mener à une
insatisfaction corporelle, une baisse de l’estime personnelle, voire des troubles
mentaux, plus graves.
I. Adolescence et développement psycho-affectif
1.1. Le passage de l’enfance à l’adolescence : la période de latence
« Dès leur plus jeune âge, les enfants sont plongés dans un bain de sexualité
permanent. Ce qui apparaît comme une hypersexualisation de la société provoque
chez eux une excitation qui les déborde et peut se traduire par certaines pathologies
comme l’hyperactivité » . Les fillettes vont devenir des jeunes filles, des
30
adolescentes, en passant de l’enfance à l’adolescence. Le fait d’être exposé à des
contenus et figures hypersexualisées peut laisser des séquelles lors de leur
développement. Les jeunes âgées de 8 à 12 ans vont vivre une période de transition
entre l’enfance et l’adolescence . C’est que nous appelons la période de latence. Elle
31
se caractérise par une désexualisation des relations objectales (relation qu’entretient
un individu avec l’Objet vers lequel se tourne ses pulsions, l’Objet pulsionnel peut
être une personne comme la mère par exemple) et des affects (représentation
psychique de la pulsion, pour Freud c’est un processus de « décharge ») .
32
Didier Lauru, Laurence Delpierre.
30
Site Psychiatrie Infirmière, Cours sur le concept de latence.
31
Claude Smadja, L’affect, entre psychanalyse et biologie, 2010.
32
- -
29
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La période de latence a été développée par Sigmund Freud. Cette période de
transition entre l’enfance et la puberté se situe à la fin du stade appelé « L’Œdipe ».
L’Œdipe représente une passion que démontre un enfant pour son parent de sexe
opposé. Ce stade prend fin vers les 6-7 ans, lorsque l’enfant commence à prendre en
compte les modèles de vie en société et à bien intégrer l’importance des règles et des
interdits, et va jusqu’à la puberté. Cette phase est marquée par une nette diminution
des activités pulsionnelles et l’apparition de certains sentiments comme la tendresse,
la dévotion et le respect envers les figures parentales. Par exemple, la petite fille ne
verra plus de « rivalité » avec sa mère, mais voudra l’imiter et lui ressembler, car elle
la verra comme un modèle.
Cette phase de transition cruciale va permettre à l’enfant de se construire d’un point
de vue psycho-affectif et de l’amener progressivement vers un corps plus adulte grâce
à la puberté. Il est primordial de ne pas perturber cette période de latence sous peine
d’y laisser des traces. En effet, les enfants hypersexualisés dont la période de latence
a été perturbée peuvent être confrontés à des problèmes d’apprentissage : selon le
Professeur Botbol, dans 80 % des cas, l’hypersexualisation conduit à l’échec scolaire.
Selon le psychiatre Didier Lauru, une excitation permanente peut susciter des
problèmes d’hyperactivité.
1.2. L’entrée dans l’adolescence…
L’adolescence est une période de grands changements caractérisée par la
transition entre l’enfance et l’âge adulte (Santrock, 1998). Longtemps ignorée, car les
croyances voulaient que nous passions directement de l’enfance à l’âge adulte, c’est
au XXe siècle que l’étude de cette période charnière de la vie se matérialise. En 1904,
Stanley Hall avait élaboré une conception de l’adolescence comme étant une période
de détresse, de confusion et de bouleversements. Cette dernière a été remise en cause
dans les années 70 pour laisser place à une conception un peu moins pessimiste : la
conception contemporaine de l’adolescence suggérerait que, pour la plupart,
l’adolescence constituerait une période de développement, riche de défis positifs
(Ariès, 1952 ; Lehalle, 1985 ; Frydenberg, 2000). Cependant, cette période de
développement reste tout de même très sujette à l’expérimentation et la remise en
- -
30
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question des limites imposées par la société ou par les figures parentales (Nicholson,
2000). Jouer avec les normes - les limites - représente aussi un acte à travers lequel la
jeune fille se prouve à elle-même son autonomie et acquiert le sentiment d’être maître
de son corps et de son identité. Les jeunes filles voient l’exploration de l’érotisation
du corps comme un moyen de se démarquer de l’image de la jeune fille modèle.
(Aurélie Mardon, 2005).
La période de l’adolescence peut être divisée en trois stades : le début de
l’adolescence (10-13 ans), le milieu (14-16 ans) et la fin (17-19 ans) (Guindon, 2010).
La puberté, signe d’entrée dans l’adolescence, est marquée par une évolution des
caractéristiques physiologiques. Chez les garçons, elle se traduit par une mue de la
voix, un développement de la pilosité, de la prise de masse musculaire, etc. Pour les
filles, l’apparition de certains caractères sexuels peut être perturbante. Leur apparence
se modifie avec l’apparition de poils pubiens qui différencie le pubis enfantin à celui
plus adulte, l’arrivée des règles et la poitrine qui se développe. Certaines jeunes filles
ont une grosse poitrine à un jeune âge, ce qui peut devenir synonyme de moqueries ou
de commentaires sexualisés de la part de camarades - en particulier masculins - et
donc créer des complexes. La poitrine d’une femme est hypersexualisée quel que soit
son âge. La preuve en est avec les différents règlements en matière de tenue
vestimentaire dans les établissements scolaires.
En 2020, le mouvement #BalanceTonHaut a fait jaser sur les réseaux sociaux. De
nombreuses adolescentes se sont mobilisées en postant leurs tenues sur leurs réseaux
respectifs afin de manifester contre les injections sexuelles. En effet, nombreux sont
les directeurs ou directrices de collège et lycée qui réprimandent les jeunes filles par
rapport à leurs tenues, qui n’ont rien d’extravagantes ou de dérangeantes. Beaucoup
vont même jusqu’à bannir les crop-tops, les jupes ou les robes considérées comme
trop courtes ou provocantes, ou encore les décolletés à cause d’une poitrine trop
voyante. L’excuse souvent utilisée pour justifier l’interdiction de ces vêtements est la
suivante : ces tenues pourraient distraire les garçons et les exciter. Ces règles
montrent à quel point les adolescentes sont perçues comme des objets sexuels et ne
signifie rien d’autre qu’une assignation des filles à la potentialité sexuelle de leurs
- -
31
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corps adolescents. Cela s’inscrit parfaitement dans cette société marquée par la
culture du viol, où les femmes sont blâmées pour leur attitude, leur tenue, surtout
quand elles sont victimes d’agressions sexuelles.
Le début de l’adolescence est une période de construction de l’identité. C’est à ce
moment que va se former l’estime personnelle, la confiance en soi et l’adoption d’un
ou plusieurs modèles de féminité qu’elles ont pu observer depuis leur enfance.
D’ailleurs, c’est à ce moment où les jeunes filles sont les plus vulnérables, que les
médias leur envoient le message suivant : il faut être belle, séduisante et sexy. Ces
dictats vont les influencer dans leur construction identitaire et peuvent réactiver des
problématiques orales comme les troubles du comportement alimentaire ou la
dépendance à l’alcool ou au tabac . L’adolescence n’est donc pas un stade, mais
33
plutôt un moment de « crise » narcissique et identificatoire, accompagné d’angoisses
concernant l’intégrité de soi, l’image corporelle et le sexe.
1.3. …Synonyme de crise identitaire
L’adolescence est synonyme d’une grande exploration identitaire,
l’adolescente étant un individu qui va être en perpétuelle transition (Arnett, 2004). Le
psychanalyste Erik Erikson (1968) va travailler sur les stades de développement
identitaire lors de l’adolescence. Entre 12 et 18 ans, l’individu va atteindre le stade
cinq sur huit du développement identitaire. Le stade cinq correspondant à une crise
identitaire causée par une période de confusion de l’adolescent quant à son identité. À
cette période, les adolescents sont des identités en devenir et sont surtout à recherche
de leur personnalité. Les jeunes, voire les très jeunes, sont plus susceptibles d’être
influencés par les représentations de la femme dans la société, qui sont illustrées par
les célébrités comme les chanteuses, les mannequins, les actrices ou encore les
influenceuses sur les réseaux sociaux. Une influenceuse se définit comme « un
individu qui, par son statut ou son exposition médiatique, peut influencer les
comportements de consommation dans un univers donné ». Au-delà de son influence
en matière de consommation, l’influenceuse qui est idolâtrée par de nombreuses
jeunes filles et jeunes femmes, va les influencer dans leur manière de se comporter,
Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012.
33
- -
32
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
de se vêtir, les poussant inconsciemment à reproduire ce qu’elle fait. Les jeunes filles
vont vouloir ressembler aux personnalités qu’elles suivent, et ce, même si ce n’est pas
approprié à leur âge. Elles vont être constamment à la recherche de la reconnaissance
de leur entourage, surtout des pairs, dont l’influence est multipliée à cet âge.
Cela va entraîner une certaine difficulté à comprendre le discours moralisateur des
adultes qui ont plus de recul sur la situation et sont plus aptes à se rendre compte des
dangers de cette hypersexualisation qui n’est pas toujours consciente. Ce discours
moralisateur fait référence à la tendance des adolescentes à se confronter aux interdits
parentaux, notamment en matière de parure. Dans son article La Génération Lolita
(2011) , Aurélia Mardon a réalisé des entretiens avec des collégiennes âgées de 11 à
34
14 ans et leurs parents, principalement des mères (11) afin de discuter de la
socialisation corporelle durant la période du collège, appréhendée à travers la puberté
et l’apparence. Les mères sont plutôt catégoriques : « Un enfant, ça doit être habillé
comme un enfant, ça doit être habillé correctement, sans que ce soit tape-à-l’œil,
discret » (propos d’une mère d’une adolescente de 14 ans). Il n’est donc pas question
de porter des strings, des crop-tops qui laissent entrevoir le ventre, à un jeune âge. Ni
de se maquiller d’ailleurs, ou du moins pas à outrance. Cela va directement à
l’encontre de l’environnement dans lequel les adolescentes évoluent. En effet, dans
notre société actuelle et tous les médias consommés par les jeunes filles, les femmes
hyper sexy, célèbres, qui jouent la carte de la sexualité pour se valoriser sont le
modèle mis en avant.
L’adolescence est aussi bien une période de construction de l’identité que de « bilan
personnel ». Elle encourage vivement les expérimentations, l’exploration des limites
aussi bien parentales que sociétales. Il y a énormément de remise en question : que ce
soit sur l’apparence, l’orientation sexuelle, l’estime de soi… Tout est sujet à
préoccupation. L’adolescent va également se servir de ce temps pour confronter les
valeurs familiales qui lui ont été inculquées depuis sa naissance, aux nouvelles
valeurs auxquelles il est exposé quotidiennement par le biais des médias, des réseaux
sociaux ou de ses pairs. À travers les croisements de ces multiples environnements,
Aurélia Mardon, La génération Lolita. Stratégies de contrôle et de contournement, Réseaux, vol. 168-169, no. 4-5,
34
2011, pp. 111-132.
- -
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MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
l’adolescent finira par se forger sa propre identité et personnalité.
1.4. Une augmentation de la conscience de soi
L’adolescence est synonyme de modifications de la cognition sociale. Elle
renvoie « à l’étude des processus par lesquels les gens donnent du sens à eux-mêmes,
aux autres, au monde qui les entoure, ainsi qu’aux conséquences de ces pensées sur
le comportement social » (Bless, Fiedler et Strack, 2004 ; Fiske et Taylor, 2008) . En
35
clair, c’est une tendance à observer et à comprendre le monde. Le concept de soi
renvoie à la représentation que nous nous faisons de nous-mêmes, de nos
caractéristiques et de nos traits. Cette construction, de type cognitif, est à la fois
descriptive et évaluative, elle détermine comment nous nous sentons et elle guide
notre action (Harter, 1996). Les filles ont tendance à avoir une conscience de soi plus
élevée que les garçons (Rankin, Lane, Gibbons et Gerrard, 2004). Avec cette
augmentation de la conscience de soi, « les adolescents ont tendance à penser qu’ils
sont constamment observés et évalués et que les autres sont autant attentifs à leur
comportement qu’à eux-mêmes » (Elkind, 1985). Cela peut engendrer un
comportement égocentrique (Seifert, Hoffnung, 1991) qui s’accompagne d’un
sentiment d’être unique et mal compris par les autres (Santrock, 2008). Pleine de
changements, la période de l’adolescence est propice à une prise de conscience des
multiples dimensions de soi. En effet, le jeune peut osciller entre plusieurs Soi : par
exemple, le rôle qu’il joue à la maison et le rôle joué avec ses pairs ou sur les réseaux
sociaux, qui permettent de se créer une toute nouvelle identité si nous le souhaitons.
Le but étant d’analyser qui il est, et ce qu’il souhaiterait être.
1.5. L’influence change de camp
Avec l’accroissement de la conscience de soi, l’influence des pairs prend de
plus en plus d’importance chez les adolescentes (Buhrmester, 1990). Comme nous
l’avons étudié dans le premier chapitre, l’influence des parents, qui prédominait sur
tout auparavant, va diminuer pour laisser place à celle des pairs (Guindon, 2010). Les
pairs vont avoir un réel impact dans l’hypersexualisation du corps des adolescentes.
François Ric et Dominique Muller. Chapitre 1. Qu’entend-on par cognition sociale ?, La cognition sociale. sous la
35
direction de François Ric, Dominique Muller. Presses universitaires de Grenoble, 2017, pp. 7-19.
- -
34
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
En effet, les jeunes filles vont vouloir reproduire ce qu’elles observent autour d’elles.
Prendre part à cette hypersexualisation par la parure notamment, est un moyen de se
sentir acceptée. Dans notre société actuelle, il est très facile de se sentir jugé si nous
ne rentrons pas dans les normes. Si une jeune fille adopte un style vestimentaire
« classique » et n’adhère pas aux codes actuels (hauts laissant apparaître le ventre ou
le décolleté, pantalons taille basse, sous-vêtements apparents…) car ses parents le lui
interdisent, elle peut rencontrer des difficultés à se socialiser et être vue comme
quelqu’un de « bizarre ». De plus, au cours de cette période, le fait de se lier d’amitié
est associé à de meilleures compétences sociales, ce qui est valorisant pour l’individu
en question. Inversement, si une jeune fille a du mal à s’intégrer pour X raisons, cela
laissera place à la comparaison sociale qui peut avoir de réels effets sur son estime
personnelle. D’ailleurs, un lien direct a été établi les pairs et une bonne estime de soi
(Harter, 1990).
Les pairs sont utiles dans la construction identitaire de l’adolescente. En effet, la
jeune fille va avoir besoin de « couper le cordon » et s’éloigner de sa sphère parentale
et familiale, pour se rapprocher de ses semblables, son groupe de pairs. Ceci explique
que le groupe de pairs est le groupe le plus influent au moment de l’adolescence.
Avec sa théorie de socialisation par le groupe de pairs, Judith Harris (1994) a montré
que l’influence des parents n’avait qu’un faible impact sur la construction identitaire.
Pour construire son identité personnelle, l’humain est sous l’influence d’éléments
provenant de trois origines différentes : la génétique (50 %), la famille (10 %) et des
facteurs inexpliqués (40 %, qui représenteraient l’influence des pairs selon Judith
Harris).
Cette importance des pairs se poursuit même sur la toile. Avec l’avènement du
numérique, les réseaux sociaux ont pris une place prépondérante dans la vie des
adolescents. C’est un moyen pour eux de rester connectés à leurs pairs mais aussi et
surtout de se créer une énième identité. L’identité numérique permet une autre forme
de mise en scène de soi. C’est également un moyen de gérer la présentation de soi et
de faire impression auprès des pairs.
- -
35
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
II. Un rapport au corps entaché
2.1. Entre image et insatisfaction corporelle
Cette féminisation précoce (Catherine Monnot) qui véhicule l’image de corps
parfait et sexy, instaure des standards en matière de beauté et d’image corporelle
(Julien, 2009). Cette notion d’image corporelle est une des préoccupations majeures
de l’adolescence. À l’heure des changements physiques, il n’est pas forcément simple
pour une adolescente d’accepter ces modifications. L’image corporelle se définit
comme « la perception d’un individu à l’égard de son corps, qu’elle se rapproche ou
non de la perception d’un observateur externe » (Croll, 2005). Elle se réfère à la
perception qu’une personne a de son propre corps, ce qui inclut ses pensées, ses
jugements, ses émotions et ses sensations . Les pensées qu’une adolescente va avoir
36
sur son propre corps, qu’elles soient positives ou négatives, sont fortement
influencées par ses pairs. La notion d’image corporelle est un concept
multidimensionnel englobant quatre composantes : la satisfaction globale subjective,
la détresse affective en lien avec l’apparence, les aspects cognitifs et enfin les aspects
comportementaux de l’image corporelle . Au début de l’adolescence, l’image
37
corporelle est davantage influencée par des attributs physiques, sociaux et individuels
(Paxton, 2006).
La notion d’image corporelle est intimement liée à celle d’insatisfaction corporelle. Elle
peut être plus ou moins négative en fonction de la perception que nous avons de notre
corps. L’insatisfaction corporelle est un concept multidimensionnel qui réunit les aspects
cognitif, affectif, perceptif et comportemental de l’apparence physique (Farrell, Shafran et
Lee, 2006). L’insatisfaction corporelle a été étudié par Cash et Pruzinsky dans plusieurs
ouvrages (2002). Les deux auteurs ont établi une corrélation entre des facteurs
psychologiques, physiques et environnementaux qui in
fl
ueraient sur le degré
d’insatisfaction corporelle. Ils ont également relevé que l’insatisfaction corporelle
constitue une notion indispensable pour étudier comment les individus perçoivent leur
corps. L’insatisfaction corporelle a connu une hausse avec l’avènement des réseaux
sociaux. Les médias pré-existants accordent déjà une importance toujours plus grande et
GuideÉcole, Image corporelle, de quoi parle-t-on ?, issu du programme québécois « Bien dans sa tête, bien dans sa
36
peau »
Menzel, J. E., Krawczyk, R., & Thompson, J. K. (2011). Attitudinal assessment of body image for adolescents and
37
adults. In T. F. Cash & L. Smolak (Eds.), Body image: A handbook of science, practice, and prevention (pp. 154– 169).
New York, NY: Guilford Press.
- -
36
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
démesurée à l’image corporelle, en faisant l’apologie de la minceur, de certains attributs
physiques comme les (grosses) poitrines qui ne tombent pas, les dents blanches et alignées,
des cheveux longs et lisses, une peau sans imperfections, etc. Avec les réseaux sociaux, la
comparaison est plus présente que jamais. En étant exposée à des corps normés en surfant
sur la toile, l’adolescente peut devenir beaucoup plus attentive à son apparence et en être
insatisfaite, ce qui peut mener à des problèmes beaucoup plus sérieux et profonds. Selon
une étude réalisée par Dion et d’autres auteurs en 2015, entre 57 et 84 % des adolescentes
seraient insatisfaites de leur image corporelle. Ce problème touche également les garçons
qui sont entre 49 et 82 % à être insatisfaits de leur apparence .
38
2.1.1. Les facteurs de risque de l’insatisfaction corporelle
L’insatisfaction corporelle qui touche largement les adolescentes est le fruit de
plusieurs facteurs, qu’ils soient socioculturels ou interpersonnels. Les facteurs
socioculturels se rapportent notamment aux standards de beauté qui varient en
fonction de la culture et de la période (Cash, 2008). Un des facteurs les plus
prépondérant dans cette notion d’insatisfaction corporelle est le poids. Dès le plus
jeune âge, nous inculquons aux filles qu’il faut faire attention à son poids et que la
beauté passe obligatoirement par la minceur. Ceci est quelque chose de spécifique au
genre. En effet, les filles sont soumises à une tyrannie de la minceur dès l’enfance et
subissent une pression d’atteindre les idéaux de beauté véhiculés par les médias et
notamment les magazines féminins. La pression d’être mince perçue par les
adolescentes provenant des médias en particulier contribuerait à renforcer de façon
significative l’internalisation d’un idéal de minceur (Blowers et al., 2003).
Nombreuses sont les couvertures de magazines mettant en scène des corps normés et
donc minces. Tout ce qui sort de cette norme de représentation féminine est catégorisé
comme « laid ». C’est l’essence même de la grossophobie ambiante qui règne dans la
société actuelle, et qui renforce l’omniprésence des injonctions de la culture du
régime. De nos jours, cela va au-delà des magazines féminins et a envahi les réseaux
sociaux où nous sommes exposés à des corps lissés et considérés comme parfaits à
longueur de temps.
Dion, Blackburn, Auclair, Laberge, Veillette, Gaudreault, Vachon, Perron, Touchette. Development and aetiology of
38
body dissatisfaction in adolescent boys and girls. Int J Adolescent Youth, 2015.
- -
37
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
Les facteurs interpersonnels concernent plutôt l’influence de la famille et du groupe
de pairs. La pression de la part des membres de la famille et les pairs peut se
manifester à travers des commentaires sur le poids ou l’apparence en général. Une
personne ayant été stigmatisée par ses pairs en raison de son apparence, à l’enfance
ou à l’adolescence, risque de développer une insatisfaction corporelle (Cash,
2008). De plus, les conversations basées sur l’apparence auraient pour effet
d’augmenter l’insatisfaction corporelle (Lawler, Nixon, 2011) . Au sein d’un groupe
39
d’adolescentes, le facteur de comparaison sociale est à prendre en compte. Lorsque
davantage d’importance est accordée à l’apparence au sein d’un groupe d’amies, cela
aurait pour effet d’augmenter le niveau de comparaison. Plus nous allons nous
comparer, plus notre degré d’insatisfaction corporelle risque d’être important (Jones,
2004) .
40
2.2. L’impact sur l’estime personnelle
L’insatisfaction personnelle peut avoir un impact sur l’estime de soi. L’estime
personnelle est comme une dimension évaluation de concept de soi et définie comme
l’évolution qu’une personne fait de sa propre valeur personnelle (Seifert, Hoffnung,
1991) . Selon Alex Mucchielli (1986), « l'estime de soi est constituée par la
41
répétition et la synthèse permanente d'un ensemble d'évaluations comprenant
l'influence sociale, les actions et les succès et échecs personnels ». L’estime
personnelle est formée par l’évaluation de la divergence entre l’image de soi et le soi
idéal entretenu par l’individu dont il est question, plusieurs critères sont inclus à cette
évaluation comme les résultats académiques, les compétences sociales, l’apparence
physique, etc. (Lawrence, 1988). C’est lors du premier stade de l’adolescence (entre 7
et 12 ans), que l’estime de soi va se former. En effet, c’est une période cruciale où les
adolescents s’intéressent au monde qui les entoure et qu’ils essaient de construire leur
identité. Afin d’évaluer le niveau global d’estime de soi et l’appréciation des
différentes facettes de soi d’un adolescent, Susan Harter (1988) a mis au point un
questionnaire basé sur le concept de soi, le « Self-Perception Profile for
Adolescents ».
Lawler et Nixon. Body dissatisfaction among adolescent boys and girls: The effects of body mass, peer appearance
39
culture and internalization of appearance ideals. Journal of Youth and Adolescence, 2011.
Jones. Body Image Among Adolescent Girls and Boys : A Longitudinal Study. Developmental Psychology, 2004.
40
Seifert, Hoffnung. Child and adolescent development, 2e Édition, 1991.
41
- -
38
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
Ce questionnaire est composé de huit domaines :
42
• La compétence scolaire : dans quelle mesure l’adolescent s’estime-t’il
intelligent ou bon à l’école ?
• L’acceptation sociale : dans quelle mesure l’adolescent se sent-il accepté par
ses pairs ? Estime-t’il être populaire ? A-t’il des facilités à se faire des amis
ou non ?
• La compétence athlétique : dans quelle mesure l’adolescent apprécie-t’il son
apparence ? Se sent-il beau ?
• La compétence professionnelle : dans quelle mesure l’adolescent estime-t’il
être compétent dans des petits boulots et les tâches qui lui sont confiées ?
• L’attrait dans les relations amoureuses : cela fait référence à l’attirance de
l’adolescent, est-il attrayant sentimentalement parlant ? Peut-il être en couple
avec les personnes de son choix ?
• La conduite : dans quelle mesure l’adolescent apprécie-t’il la façon dont il se
comporte ?
• Les amitiés intimes : fait référence à la perception qu’il a de sa capacité à se
faire des amis intimes.
• La valeur globale de soi : à quel point l’adolescent s’apprécie-t’il en tant
qu’individu ? Est-il satisfait de ce qu’il est et à quel point ?
Plusieurs facteurs peuvent influencer la variabilité de l’estime de soi des
adolescentes. Pendant cette période charnière, il existe des liens entre l’estime de soi,
les relations interpersonnelles et l’image corporelle (Littleton, Ollendick, 2003) . Il
43
est très facile d’intérioriser le jugement des autres, que les critiques viennent de la
famille ou du groupe de pairs. Il n’est pas rare pour une adolescente d’entendre des
critiques sur son apparence de la part de ses parents notamment. Pour revenir sur la
notion du poids, qui est un élément central de l’apparence et de l’appréciation de cette
dernière, les parents ont tendance à surveiller le corps de leur fille de près. Les mères,
spécifiquement, sont celles qui ont la plus grande influence dans le rapport au corps
de leurs filles. Les jeunes filles dont les mères les encouragent à perdre du poids ou
Françoise Bariaud. Le Self-perception profile for adolescents (SPPA) de S. Harter, Un questionnaire
42
multidimensionnel d’évaluation de soi, Self-perception profile for adolescents (SPPA) by S. Harter. p. 282-295, 2006.
Littleton, Ollendick. Negative body image and disordered eating behavior in children and adolescents: What places
43
youth at risk and how can these problems be prevented? Clinical Child and Family Psychology Review, 2003.
- -
39
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faire attention à leur corps sont celles qui seraient les moins satisfaites de leur corps
(McCabe & Ricciardelli, 2004) . L’influence des mères et du groupe de pairs
44
primerait même sur celle des médias de masse et des injonctions de beauté qu’ils
véhiculent. De plus, les adolescentes ont tendance à avoir une estime d’elles-mêmes
qui est sélective en fonction de l’évaluation perçue de la part de leurs pairs. Cela peut
les mener à devenir particulièrement autocritiques (Harter, 1999). Il suffit d’un « tu
as des grosses cuisses ! » ou d’un, « tu étais plus belle quand tu avais quelques kilos
en moins » pour que l’adolescente remette son estime personnelle en question. Ces
remarques vont rester gravées dans son esprit, ce qui affectera sa satisfaction
corporelle sur le long terme et peut la pousser à avoir recours à des régimes
amaigrissants ou d’autres pratiques bien plus dangereuses.
Chez les adolescentes, l’estime corporelle, qui constitue la dimension de l’estime de
soi liée à l’apparence physique, occuperait une place plus importante dans l’estime de
soi par rapport aux garçons. En effet, les filles sont plus sujettes aux changements
corporels perçus comme « négatifs » lors de la puberté, comme la prise de poids,
l’acné, l’apparition de poids… Ces modifications opèrent dans un contexte qui met
l’accent sur certaines normes corporelles. Ainsi, il est plus compliqué pour les jeunes
filles de s’accepter comme elles sont, « parce qu’elles ont été portées à croire, par le
biais de la socialisation, que leur apparence constituait la base quasi-essentielle de
leur évaluation personnelle et de celle opérée par autrui » (Thompson, Heinberg,
Altabe, Tantleff-Dunn, 1999).
2.3. Une sur-valorisation de l’apparence
Les médias et l’entourage de la jeune fille exercent une pression quotidienne
quant à l’apparence. Les adolescentes se doivent d’être belles, sexy et disponibles
sexuellement. Voici le message véhiculé. L’adolescence est une période charnière
dans l’intériorisation par les jeunes filles de l’injonction paradoxe qui les pousse à
mettre en valeur leur corps tout en faisant preuve de modération. D'un côté, il faut se
mettre en scène, mettre son corps en valeur, notamment à travers la parure. Et d'un
McCabe, Ricciardelli. A prospective study of pressures from parents, peers, and media on extreme weight change
44
behaviors among adolescent boys and girls. Behaviour Research and Therapy, 43, 2006.
- -
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autre, il est important de se préserver en tant que femme et d'avoir de la pudeur afin
d’être considérée comme une femme « bien ». La sur-valorisation de l'apparence et de
la séduction engendre certaines dérives. Avec l'imposition de standards irréalistes par
les industries de beauté, les médias et la publicité, les adolescentes peuvent avoir
tendance à avoir recours à des régimes amaigrissants de façon récurrente afin
d’atteindre le poids idéal, ou plutôt celui qui est préconisée par la société. Nous
notons que 37 % des jeunes filles de 11 ans seraient au régime . Elles peuvent même
45
développer des conduites à risques et sombrer dans les troubles du comportement
alimentaire. Ce n’est pas pour rien que l’anorexie mentale est la maladie des temps
modernes. C’est la pathologie la plus évidente face à la dictature de l’apparence.
La chirurgie esthétique devient aussi de plus en plus importante chez les
adolescentes. Nombreuses sont celles qui souhaitent avoir recours à la chirurgie
plastique, et nombreuses sont celles qui ont recours à la médecine esthétique, qui est
une forme moins invasive de modification corporelle. Depuis quelques années, la
médecine esthétique s’est complètement banalisée : injections aux lèvres, botox, fils
tenseurs… Certaines en rêvent afin d’accéder aux standards de beauté actuels : une
bouche pulpeuse, des yeux en amande et un visage lisse. La chirurgie esthétique, à
elle aussi la cote. Depuis quelques années, une opération de chirurgie esthétique,
particulièrement dangereuse s'est popularisée : le Brazilian Butt Lift, plus connu sous
le nom de « B.B.L. ». Cette opération consiste à prélever la graisse d’une ou plusieurs
zones du corps pour la réinjecter dans les fesses afin d’augmenter leur volume. Cette
intervention est l'archétype même du corps normé. Cette notion de corps normé
change constamment. Depuis quelques années, c'est la « mode » des corps pulpeux,
avec un ventre plat, une taille fine, des hanches développées, une forte poitrine et
surtout de grosses fesses. Si nous ne rentrons pas dans ces critères, c’est la porte
ouverte aux complexes.
Sur l'application TikTok, les vidéos concernant la chirurgie esthétique sont en vogue.
Beaucoup de femmes partagent leurs expériences concernant leurs opérations, le plus
souvent des rhinoplasties, des augmentations mammaires ou des B.B.L.. Il y a là, une
Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012.
45
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MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
volonté de ressembler aux célébrités comme Kim Kardashian par exemple, qui a un corps
« tendance ». Sur TikTok, il existe une trend (tendance) avec la chanson NEVER DAT! de
l’artiste Kay P. Dans sa chanson, il parle de Dr. Miami, célèbre chirurgien esthétique
américain qui s’est fait connaître en partageant ses opérations sur Snapchat et Instagram. Il
y a énormément de vidéos avec cette chanson où des femmes vont se refaire la poitrine, le
nez ou le corps dans son intégralité.
Il est important de préciser que cette sur-valorisation de l’apparence engendre d’autres
problèmes. Cette notion est intimement liée à l’image corporelle et l’insatisfaction
corporelle. En effet, en misant sur le paraître et la présentation de soi, les jeunes filles
peuvent devenir dépendantes à l’appréciation et la validation des autres. Cela rend leur
estime de soi plus vulnérable. Ces adolescentes vont être à la recherche constante de
compliments, autant dans la vraie vie que sur la toile. Sans cette validation externe, elles
vont avoir tendance à se remettre en question sur leur valeur aux yeux de la société. De
plus, l’exposition massive aux images lissées de femmes objectivées peut jouer sur
l’estime personnelle et peut même mener à des troubles mentaux comme l’anxiété ou la
dépression (Papadopoulos, 2010).
III. D’autres conséquences à ne pas négliger
3.1. La diet-culture, porte ouverte aux troubles du comportement alimentaire
Dans son rapport sur la sexualisation des filles, l’Association américaine de
psychologie (APA en anglais) met en exergue le lien entre les trois problèmes
mentaux les plus communs chez les filles et les femmes : les troubles du
comportement alimentaire (TCA), une mauvaise estime de soi-même et la dépression
(Abramson & Valene, 1991; Durkin & Paxton, 2002; Harrison, 2000; Hofschire &
Greenberg, 2001; Mills, Polivy, Herman, & Tiggemann, 2002; Stice, Schupak-
Neuberg, Shaw, & Stein, 1994;Thomsen,Weber, & Brown, 2002; Ward, 2004) . Selon
46
l’APA, « plus les jeunes filles consomment des images objectivées, plus il est
probable qu’elles souffrent d’une mauvaise estime personnelle […] ou de troubles du
comportement alimentaire ». Les troubles du comportement alimentaire sont
principalement causés par cette diet-culture, par cette pression quotidienne infligée
APA, Report of the APA Task Force on the Sexualization of Girls, 2008.
46
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MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
aux jeunes filles et aux femmes compte tenu de leur apparence et de leur poids. La
diet-culture (culture du régime) est un système qui prône la minceur et l’associe à la
santé, voire à la vertu morale. Depuis le Moyen-Âge, la minceur est considérée
« comme une vertu » selon l’historien Georges Vigarello . Elle s’oppose aux
47
comportements du gros, soupçonné « d’avidité et de balourdise » . Cette culture du
48
régime est basée sur l’idée que le bonheur passe par le fait d’être mince. De sorte que
les jeunes filles et femmes qui ne rentrent pas dans ces normes de minceur, se sentent
inférieures et mal dans leur peau. À partir de là, nous cheminons vers le
développement de TCA en faisant la promotion d’idéaux physiques non-atteignables.
Lucas, Beard, O’Fallon et Kurland (1991) ont étudié l’incidence de l’anorexie parmi
des filles âgées de 10 à 19 ans sur une période de 50 ans. Cette analyse a montré que
cette montée de l’anorexie coïncidait avec cette diffusion de l’image du corps
idéalisée et des changements dans la manière de se vêtir. De nombreuses études ont
également montré que l’existence de liens entre une exposition aux idéaux de beauté
féminins et les TCA, de sorte que l’exposition à des idéaux de beauté irréels serait
liée à un recours au régime et au sport de manière exacerbée (Abramson & Valene,
1991; Harrison, 2000; Hofschire & Greenberg, 2001; Stice, Schupak-Neuberg, Shaw,
& Stein, 1994;Thomsen,Weber, & Brown, 2002).
La tyrannie de la minceur est quelque chose dans laquelle les filles baignent depuis
leur plus tendre enfance. Les jouets comme les poupées Barbie ou les Bratz proposent
aux petites filles, une apparence idéalisée et surtout, hypersexualisée à travers la
parure. De plus, en diffusant des images hypersexualisées et « parfaites », les médias
contribuent au développement de complexes. Les magazines par exemple, valorisent
fortement la minceur, voire la maigreur, les corps blancs et jeunes, qui ont souvent été
retouchés avant d’être publiés. Des études ont démontré que la consommation de
matériel médiatique de masse, en particulier les magazines de mode, fait en sorte que
les jeunes filles internalisent un idéal de minceur quasi impossible à atteindre, ce qui
prédit l'apparition de symptômes de perturbations alimentaires.
Sandra Lorenzo, Huffington Post, L’obsession des régimes : pourquoi les Françaises sont à ce point obsédées par la
47
minceur ?, octobre 2013.
Maïté Turonnet, L’express, « La minceur n’est pas une invention moderne ! », mars 2010.
48
- -
43
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
Dans son étude réalisée en 1999 , la professeure Renée Botta met en évidence la
49
contribution des médias dans différents aspects liés aux troubles alimentaires chez les
adolescents caucasiens et afro-américains. Les résultats montrent que les médias de
masse seraient responsables de 15 % de la variance du désir de mineur, de 17 % de la
variance de l’insatisfaction corporelle, de 16 % de la variance par rapport aux
comportements boulimiques et de 33 % de la variance de l’adhésion à un idéal de
minceur. D'autres études ont démontré que la consommation de matériel médiatique
de masse, en particulier les magazines de mode, fait en sorte que les jeunes filles
internalisent un idéal de minceur quasi impossible à atteindre, ce qui prédit
l'apparition de symptômes de perturbations alimentaires. Également, la quantité de
contenu télévisuel consommé est associée positivement à une diminution de l'estime
de soi au niveau social et au niveau de l'apparence chez les adolescents latino-
américains (Rivadeneyera, Ward, Gordon, 2007) .
50
3.2. Un retour des stéréotypes
« Les stéréotypes sapent la capacité des personnes à réaliser leur potentiel en
limitant les choix et les opportunités. Ils sont à la base de la discrimination sexiste
Renée A. Botta. Television images and adolescent girls' body image disturbance. Journal of communication, Volume
49
49, Issue 2, 1999.
APA, Report of the APA Task Force on the Sexualization of Girls, 2008.
50
- -
44
Exemple de poupées Bratz
MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022
ouverte et dissimulée, directe et indirecte, et récurrente, qui a des conséquences
négatives sur l’égalité de fond de jure et de facto qui devrait être garantie aux
femmes. » . Les stéréotypes se définissent comme « des images réductrices et
51
monosémiques, construits sur la base des différences socioculturelles caractérisant
des groupes inscrits dans des rapports sociaux. Les stéréotypes sont appris et
transmis, et susceptibles d’être amplifiés par les médias. » . Dans son ouvrage Du
52
côté des petites filles (1973), Elena Gianini Belotti met en évidence la puissance des
stéréotypes enracinés en chacun de nous qui assignent des propriétés et des qualités
différentes aux filles et aux garçons, et ce avant même la naissance et tout au long de
l’éducation. En effet, les stéréotypes sont présents dès le plus jeune âge. Au départ, ils
sont perceptibles à travers des clivages entre les sexes. En fonction de leur sexe, les
enfants ne reçoivent pas la même éducation, n’ont pas les mêmes activités culturelles,
ne sont pas guidés de la même façon dans leurs choix professionnels. Les filles et les
garçons ne sont pas amenés à construire leur identité de la même manière. Il y a une
forte assignation sexuée des rôles. Les fillettes sont invitées à baser leur construction
identitaire sur leur apparence, car les codes de l’hypersexualisation valorisent le fait
d’être belle, sexy et célèbre. Pendant ce temps, les garçons sont uniquement
représentés autour du prisme de l’action et de la découverte. L’hypersexualisation a
contribué au renforcement des stéréotypes en réduisant la petite fille à une « femme-
enfant » ou un « objet sexuel ».
Dans Le Deuxième sexe (1949), Simone de Beauvoir dénonçait l’existence de
stéréotypes fortement sexistes à l’œuvre de l’infériorisation des femmes dans la
société. Selon elle, les femmes seraient presque aussi fautives que les hommes. Elle
dénonce la passivité et la soumission des femmes, or elles ont intériorisé le fait d’être
passive et soumise à travers leur éducation depuis qu’elles sont des petites filles. Les
hommes sont, quant à eux, accusés de sexisme et de cruauté. Au final, les stéréotypes
perdurent aujourd’hui, et encore pour longtemps, par le biais des médias, la mode
hypersexualisée, les célébrités ou encore les réseaux sociaux.
Discours de Lakshmi Puri, Directrice exécutive adjointe d’ONU Femmes et Sous-Secrétaire générale. Table ronde sur
51
le thème « Lutter contre la discrimination sexuelle et les stéréotypes sexistes négatifs : des réponses politiques efficaces
», juillet 2011.
Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012.
52
- -
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L'hypersexualisation des adolescentes : relation entre médias et image corporelle
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L'hypersexualisation des adolescentes : relation entre médias et image corporelle

  • 1. Université Paris-Panthéon-Assas Institut Français de Presse (IFP) Mémoire de Master 2 Médias, Publics et Cultures Numériques dirigé par Valérie DEVILLARD Sarah MARCASSIN Sous la direction de Valérie DEVILLARD Date de dépôt : 5 septembre 2022 Mémoire de Master 2 / 2021-2022 L’hypersexualisation des adolescentes : relation entre médias et image corporelle
  • 2. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Avertissement La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. - - 2
  • 3. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Remerciements Je tiens à remercier, Madame Valérie Devillard, directrice du Master Médias, Publics et Cultures Numériques de l’Institut Français de Presse, pour son accompagnement tout au long de mes études à l’Université Paris II. Le corps enseignant du Master MPCN pour la qualité des enseignements dispensés durant ces deux années de master, ainsi que l’Université Paris II Panthéon-Assas. Ma famille et mes proches pour leur soutien sans faille lors de la rédaction de ce mémoire, et plus généralement dans mes études. Et moi-même, pour ne jamais avoir abandonné. - - 3
  • 4. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Résumé Ayant traversé les siècles, le phénomène d’hypersexualisation est un concept en constante évolution. Avec la révolution sexuelle, une libération des mœurs s’opère et la sexualité considérée comme quelque chose de tabou, et appartenant alors à la sphère privée, va alors envahir l’espace médiatique public et complètement se démocratiser. On assiste alors à une surenchère de la sexualité dans tous les aspects du quotidien et les jeunes filles en sont les premières victimes. Les médias, et notamment la presse féminine pour adolescentes, participent activement à la propagation d’idées selon lesquelles le corps serait un capital à développer et exploiter, car c’est misant tout sur une apparence érotique que les jeunes filles pourront s’accomplir en tant que femmes et avoir de la valeur. L’hypersexualisation représente aussi une porte ouverte à de nombreuses dérives : envahissement de l’espace public par la pornographie, troubles dans le développement et la construction identitaire, image corporelle complètement entachée, troubles mentaux, conduites à risque et mise en scène du corps afin d’être valorisée. Les médias sociaux ont décuplé le phénomène et ont modifié notre rapport au corps. Avec l’existence d’une multitude de réseaux sociaux basés sur l’image et l’égocentrisme, les adolescentes ont compris qu’il fallait s’hypersexualiser pour gagner en visibilité, quitte à s’auto-objectifier. Mots clés : Hypersexualisation, Adolescence, Médias, Pornographie, Réseaux sociaux, Corps, Injonction, Objectification - - 4
  • 5. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Introduction « L'hypersexualisation valorise le paraître au dépens de l'être, l'avoir plutôt que le savoir » . Au fil des générations, de multiples changements s’opèrent au sein de notre 1 société, donnant naissance à de nouvelles problématiques. Le phénomène de l’hypersexualisation des jeunes filles n’échappe pas à la règle. Afin de mieux comprendre le développement de ce phénomène dans la société moderne occidentale, il faut remonter en mai 68. Ce moment charnière de l’histoire sociale française, symbole même de la libération sexuelle, permet l’éclatement de normes répressives et rigides qui entouraient autrefois la sexualité. À partir de là, le sexe passe du domaine de la morale à celui du bien- être et devient sujet de discussion sociale. En prenant de plus en plus d’ampleur, le phénomène d’hypersexualisation s’exprime désormais par la surenchère de la sexualité dans tous les aspects du quotidien, et l’omniprésence des références à la sexualité dans l’espace public. Ce concept d’hypersexualisation touche particulièrement les jeunes filles. Les comportements sexualisés, la nouvelle manière de se vêtir, les effets liés à la mise en scène du corps dans les médias ainsi que les conséquences sur l’image corporelle et la construction identitaire, suscitent de nombreux questionnements. Définir l’hypersexualisation n’est pas chose aisée : de nombreux chercheurs québécois se sont penchés sur le phénomène pour tenter de mettre des mots sur cette nouvelle réalité. Pour certains, c’est « un phénomène qui consiste à donner un caractère sexuel à un comportement ou à un produit qui n’en a pas en soi ». Pour d’autres, « c’est un usage 2 excessif de stratégies axées sur le corps dans le but de séduire », qui se manifeste par la 3 parure, les comportements sexuels, la mise en scène du corps et ses altérations. Le phénomène d’hypersexualisation s’est intensifié avec l’avènement du numérique et la prolifération médiatique. Les adolescents d’aujourd’hui sont nés dans un monde où les réseaux sociaux font partie du quotidien. Ces plateformes en ligne ont contribué à Francine Descarries, Professeure, département de sociologie, UQAM, Extrait du documentaire Sexy INC de Sophie 1 Bissonnette, 2007. Pierrette Bouchard, Natasha Bouchard, Isabelle Boily, La sexualisation précoce des filles, 2005. 2 Sylvie Richard-Bessette, lexique sur les différences sexuelles, le féminisme et la sexualité, chargée de cours- 3 département de psychologie et sexologie, UQAM, 2006. - - 5
  • 6. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 l’accroissement de l’hypersexualisation des jeunes filles et ont redéfini le rapport au corps. Impact sur l’image corporelle, mise en scène du corps de façon sexualisée, estime de soi, injonctions aux normes esthétiques, les médias sociaux ont d’importantes répercussions, autant sociales que psychologiques, sur les adolescentes. Objectifs de recherche Le présent mémoire a pour but d’explorer la relation entre les médias et l’image corporelle des adolescentes, à travers le spectre de l’hypersexualisation. Le phénomène d’hypersexualisation influence fortement la façon dont les jeunes filles construisent et conçoivent leur féminité. D’abord influencées par les modèles véhiculés par les médias traditionnels, l’hypersexualisation a pris de nouvelles dimensions avec l’utilisation des réseaux sociaux, qui encouragent fortement les contenus et comportements sexualisés. Ce travail se divisera en trois chapitres qui tâcheront aux interrogations suivantes : comment l’hypersexualisation in fl uence-t’elle la construction de la féminité ? Comment s’organise la construction d’une apparence féminine ? Quel rôle jouent les médias dans le phénomène d’hypersexualisation ? Comment l’hypersexualisation affecte-t’elle le développement psychoaffectif des adolescentes ? Quel est l’impact sur l’image corporelle et l’estime personnelle ? Comment se manifeste l’hypersexualisation sur les réseaux sociaux ? Comment ont-ils modi fi é les modes d’expression et de mise en scène de soi des adolescentes ? Le premier chapitre portera sur l’exploitation du corps féminin et son in fl uence dans la construction d’une identité féminine. Nous ferons le point sur les différentes instances de socialisation permettant aux adolescentes d’apprendre à devenir une femme et les différents modèles de féminité véhiculés dans tous les types de médias confondus. Le second chapitre sera l’occasion d’aborder les conséquences de l’hypersexualisation. Les conséquences sont d’autant plus importantes qu’elles surgissent pendant l’adolescence, période de construction et de crise identitaire. Les impacts sont autant physiques que psychologiques, et surtout, se concentrent essentiellement sur le rapport au corps qui est complètement modi fi é. - - 6
  • 7. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 En fi n, nous verrons de quelle façon les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont complètement révolutionné la façon d’appréhender son corps et de se mettre en scène. La ré fl exion se basera sur l’étude du réseau social TikTok, qui est basé sur l’image et la performativité du corps, en s’hypersexualisant de son plein gré. - - 7
  • 8. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Chapitre 1 L’exploitation du corps féminin : un phénomène prégnant aux multiples causes Ce premier chapitre a pour but d’explorer toutes les entités qui participent à la construction de la féminité des petites filles. Cette construction se base, depuis quelques décennies sur l’hypersexualisation, à cause d’une évolution de la société qui est perçue comme saturée d’images érotiques et rabaissantes. Les médias dans leur ensemble, la famille et les pairs vont proposer un cadre identitaire du « devenir- femme » auquel les filles vont devoir se conformer si elles souhaitent être considérées comme de vraies femmes. Nous étudierons également la place que prend la pornographie dans la société actuelle, et à quel point elle forge l’image de la femme et la mise en scène de soi à travers une fétichisation de la jeune fille. I. Une construction de la féminité à travers l’hypersexualisation 1.1. L’émergence de la figure de la Lolita La seconde moitié du XXe siècle est un moment de renouveau dans le secteur de la presse populaire et féminine. Les changements apportés par la révolution sexuelle en mai 68 ont conduit à une généralisation du sexe dans la publicité et les médias écrits. Peu à peu, ces deux entités vont mobiliser la figure de la Lolita, et plus tard de la sex-bomb, autour desquelles s’articule un discours de la féminité. La figure de la Lolita voit le jour avec le roman culte de Vladimir Nabokov, Lolita (1955). Hautement controversée, cette œuvre raconte l’histoire d’Humbert-Humbert, professeur de littérature française de 37 ans qui s’établit en Angleterre avec Charlotte Haze, sa seconde femme. Un désir obsessionnel va alors naître pour la fille de sa femme : Dolorès Haze, alias Lolita, âgée de 12 ans. Humbert devient son parent unique à l’issue de la mort de Charlotte et c’est à ce moment qu’il va s’éprendre de Lolita, notamment sexuellement. L’Humbert-Humbert ne cessera de courir après la - - 8
  • 9. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 nymphette . Dolorès n’est pas considérée comme une personne en soi, mais comme 4 un objet de discours. Pour Humbert, elle est un véritable objet de fantasme, et il la décrit dans son journal : « Je voudrais décrire son visage, ses gestes et attitudes – et cela m'est impossible, aveuglé que je suis par la concupiscence quand elle est auprès de moi » (p.67). Lolita est alors assujettie à ce rôle de « femme-enfant ». Avec l'avènement de l'hypersexualisation, le terme deviendra populaire. Le roman a été adapté au cinéma par Stanley Kubrick en 1962. L'affiche du film rend Lolita « affriolante » : on y retrouve la couleur rouge qui y domine. Le rouge est synonyme de passion, d’amour et d’érotisme. Nous pouvons deviner son regard perçant à travers ses lunettes, sa sucette et ses lèvres, habillées de rouge à lèvres rouge. Le rouge à lèvres est « la première arme de séduction d’une femme » . 5 C’est à travers le personnage de Lolita que naît la figure de la jeune fille fatale, de la « femme-enfant ». La Lolita va laisser place à celle de la sex-bomb (Duquel et Quéniart, 2009). Cette figure de la sex-bomb est prédominante dans la presse française pour adolescentes (les 13-19 ans) et les jeunes femmes (les 20-25 ans). Les magazines élaborent une stratégie éditoriale bien précise : ils élucident des stratégies Dictionnaire Le Robert : définition de nymphette : très jeune fille au physique attrayant ; adolescente aux manières 4 aguicheuses, à l'air faussement candide. Coco Chanel 5 - - 9 Affiche du film Lolita de Stanley Kubrick (1962)
  • 10. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 du « devenir-femme ». Cette expression est issue de l’ouvrage Mille Plateaux (1980) de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Les auteurs font référence à l’idée de reproduction sexuée. Dans le cadre de notre recherche, le fait de « devenir-femme » fait allusion aux modèles de féminité propagés par les entités médiatiques et auxquels il faudrait se conformer. 1.2. Socialisation et construction de l’identité sexuée Les modèles de féminité véhiculés dans les médias écrits contribuent à la construction de l’identité sexuée. L’identité sexuée concerne le fait de « se reconnaître comme étant un homme ou une femme et des comportements dits masculins ou féminins » . 6 L’identité sexuée n’est pas quelque chose d’inné. Elle se forme au cours des premières années de vie et se confirme à l’adolescence. C’est une période charnière où opère bon 7 nombre de changements identitaires ainsi que dans la mise en scène de soi. L’identité sexuée est le résultat d’un construit impliquant 3 facteurs : 8 • Le facteur biologique : il est basé sur le sexe génétique (déterminé à la fécondation) et les caractéristiques sexuelles et corporelles de la personne. • Le facteur social : se traduit par le sentiment d’appartenance à un certain sexe par l’appropriation des normes de masculinité et de féminité socialement définies, les rapports sociaux entre les sexes ainsi que la hiérarchie entre les hommes et les femmes. • Le facteur psychologique : il est en lien avec la représentation de soi et les attentes de l’entourage, ainsi que la façon dont l’individu se conforme aux normes sociales de féminité et de masculinité. Outre ces trois facteurs, les médias participent également à la construction de cette identité sexuée. Véronique Rouyer a émis l’hypothèse selon laquelle la presse communiquait des schémas de féminité et de présentation de soi qui contribuaient à construire l’identité sexuée. Véronique Rouyer, 2007. 6 Véronique Rouyer, Yoan Mieyaa et Alexis le Blanc. Socialisation de genre et construction des identités sexuées, Revue 7 française de pédagogie, 187 | 2014, 97-137. Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Éducation à la sexualité, 2021. 8 - - 10
  • 11. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 1.3. Un cadre identitaire du « devenir-femme » En effet, les médias diffusent des modèles de féminité qu’il est préférable de suivre pour rentrer dans la norme et s’accomplir en tant que femme. Dès leur plus jeune âge, les petites filles sont formatées à se percevoir à travers le regard de « l’autre absolu », c’est-à- dire le regard masculin. Dans les magazines, notamment, « la féminité se donne comme un ensemble de propriétés qui s’acquièrent et se définissent par rapport aux garçons, et plus tard les hommes » . Afin d’attirer le regard masculin, il faut mettre toutes les chances de 9 son côté en adoptant les codes de l’érotisme. Cela fait référence à la construction d’une apparence féminine et l’érotisation du corps. Cette dernière est nécessaire pour attirer l’attention des garçons via la socialisation par la parure (manière de se vêtir). L’hypersexualisation des enfants s’opère dans notre société où la frontière entre les générations est de plus en plus floue, particulièrement entre les enfants et les adolescentes . Les pré-adolescentes (âgées de 9 à 12 ans) sont particulièrement touchées 10 par ce phénomène, subissant une pression constante pour paraître adolescentes (âgées de 13 à 19 ans) avant l’âge, puis adultes avant l’âge. 1.3.1. Une hyperérotisation du corps Cette érotisation est présente dès l’enfance et omniprésente dans la société. Elle passe par le port de sous-vêtements plus osés, de la culotte en coton au string ou tanga. Le fait de porter des vêtements décolletés ou courts comme les crop tops, très populaires auprès des adolescentes. Les piercings sont aussi un moyen de s’érotiser, de se mettre en scène de façon ludique. Cette marque corporelle représente un mode de communication séducteur et provocateur , suggérant un désir d’attirer l’attention. C’est aussi une façon de 11 s’impliquer dans cette « culture jeune », le jeune étant perçu comme un véritable client par les institutions médiatiques et le secteur du marketing car il est influençable (Borzekowski & Robinson, 1999). Il existe trois types de piercings particulièrement populaires chez les adolescentes : les piercings à la langue, les piercings au nombril et, plus récemment, les piercings aux tétons. Assimilés à un outil pour améliorer la sensation du baiser ou du sexe Phillipe Liotard et Sandrine Jamain-Samson, « La « Lolita » et la « sex bomb », figures de socialisation des jeunes 9 filles. L’hypersexualisation en question ». Sociologie et sociétés, Volume 43, Numéro 1, Printemps 2011. Les dangers de l’hypersexualisation des jeunes filles : une enfance volée, GROW - Generation for Rights Over the 10 World, 2021. Catherine Grognard. Marques corporelles et adolescence : une écriture symbolique, Enfances & Psy, vol. no. 32, no. 11 3, 2006, pp. 87-93. - - 11
  • 12. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 oral, les piercings à la langue peuvent être considérés comme vulgaires. D’autre part, le piercing au téton, ne fait que renforcer cette hypersexualisation de la poitrine. Comme le disait Tartuffe dans la célèbre pièce de Molière, « couvrez ce sein que je ne saurais voir ». Que ce soit dans la rue, au travail, lors de l’allaitement ou sur les réseaux sociaux, la poitrine doit être cachée pour ne pas attirer les regards des hommes. Le piercing au téton fait ressortir ce dernier, ce qui peut engendrer des regards indésirables. Et ce, parce que les seins et en particulier les tétons qui « pointent » sont directement associés au désir sexuel. Au final, le but étant de pousser les jeunes filles à avoir des attitudes de « petites femmes sexy » (Bouchard et Bouchard, 2005) en ayant recours à la sexualisation précoce. 1.3.2. Une proposition de cadre identitaire De surcroît, les magazines pour adolescentes mettent en place des stratégies éditoriales pour promouvoir le « devenir-femme » (Philippe Liotard, Sandrine Jamain- Samson, 2011). Ils proposent un cadre identitaire où il faut par exemple être en couple pour s’accomplir en tant que jeune fille, et femme par la suite. Une femme se définit par sa capacité à trouver un partenaire et donc la manière dont elle saura se faire remarquer. Une pression peut se faire ressentir par la jeune fille si elle ne rentre pas les cases. Prenons l’exemple d’un groupe de collégiennes qui sont amies. Le collège n’est pas une période aisée pour tout le monde, c’est un moment synonyme de bouleversements, tant physiques que psychiques. Si une jeune fille est la seule de son groupe d’amies à ne pas avoir de petits amis, cela peut susciter plusieurs réactions chez elle. Elle peut se sentir exclue, et être amenée à penser qu’elle n’est pas assez belle ou intéressante pour attirer l’attention d’un garçon. Qu’elle n’a pas assez de valeur pour être en couple. Ces pensées intrusives la font se remettre en question et peuvent avoir des impacts sur son estime personnelle et sa santé mentale. Par ailleurs, la presse écrite n’est pas la seule entité qui promeut des modèles de féminité précis. La publicité, la télévision avec les émissions de télé-réalité… montrent que les attitudes à caractère sexuel sont fortement valorisés. 1.4. Entre famille et pairs La construction de la féminité passe par plusieurs instances de socialisation. La famille, et plus précisément les parents, est la première instance de socialisation. Ce sont eux qui doivent aider de la façon la plus positive à la construction de - - 12
  • 13. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 l’identité sexuée. Ils sont les modèles les plus importants pour l’enfant. Leur rôle est d’inculquer à l’enfant qu’il ne faut pas se définir uniquement par son apparence - ce qui est le message de cette société sexiste et sexualisée - et que ce n’est pas la chose la plus importante (Tanith Carey, 2013). Les parents vont poser des normes qui vont, ensuite, être négociées par les jeunes filles (Aurélia Mardon, 2011). Même si tous les parents s’étonnent de la précocité avec laquelle les filles réclament certains des attributs vestimentaires traditionnels de la féminité (ou des marqueurs corporels comme le piercing évoqué juste avant), ils n’ont pas tous la même réponse à ce sujet selon l’appartenance sociale. D’un côté, les classes moyennes et supérieures interdisent l’accès précoce à des vêtements sexualisant trop les corps. À savoir, les dos nus, les sous-vêtements tels que les strings, les soutiens-gorge push-up ou rembourrés, les hauts talons, les pantalons taille basse et bien encore. Ces vêtements représenteraient une source de danger physique et scolaire. Source de danger physique à cause des regards masculins : le corps féminin restant perçu comme un objet de désir par les hommes (Guichard- Claudic, Kergoat, 2007). Les mères sont, le plus souvent, responsables du domaine de l’apparence pour deux raisons : « D’une part parce qu’elles sont les responsables socialement désignées des corps de la famille, et d’autre part parce qu’étant elles- mêmes plus spécifiquement soumises aux normes corporelles et vestimentaires, elles y sont particulièrement sensibles » . Cependant, les pères et mères sont tous les deux 12 contre cette hypersexualisation du corps des filles. Ils ont tendance à se référer à l’âge biologique pour contrôler les pratiques vestimentaires de leurs filles, contrairement aux jeunes filles qui se laissent influencer par leurs pairs dans leur construction de l’apparence. Pour les parents issus des classes moyennes et supérieures, l’érotisation du corps par la parure peut être significative d’échec scolaire. Ils valorisent fortement la réussite scolaire et s’adonner à des pratiques diverses de la féminité pourrait les éloigner de cet objectif. Au sein des classes populaires, le schéma de pensée est plutôt inverse. Dès lors que les filles souhaitent avoir recours à des attributs adultes de la féminité, elles y sont Aurélia Mardon. La génération Lolita. Stratégies de contrôle et de contournement, Réseaux, vol. 168-169, no. 4-5, 12 2011, pp. 111-132. - - 13
  • 14. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 autorisées, et même soutenues dans leur démarche. Dans ces milieux, « ce sont les identités sexuées traditionnelles qui sont valorisées (Schwartz, 1990) ». Les parents ne sont donc pas choqués par l’exhibition du corps étant donné que cela les rassure quant à la conformité de leur fille au modèle valorisé (s’hypersexualiser). Par ailleurs, autoriser la sexualisation précoce du corps s’inscrit dans cette conception de profiter de sa jeunesse vu que les enfants seront amenés à travailler toute leur vie (Hoggart, La Culture du Pauvre, 1957). C’est « une façon de soutenir la sociabilité et de faciliter l’intégration au sein du groupe de pairs » . 13 À l’aube de l’adolescence, l’influence va changer de camp. Avec l’accroissement de la conscience de soi, l’influence des pairs va prendre une place prépondérante chez les adolescentes et celle des parents et des autres adultes va drastiquement diminuer (Guindon, 2010). Le milieu de l’adolescence est la période où l’influence des pairs aurait le plus d’importance (Buhrmester, 1990). Les pairs participent également à la création de cette identité sexuée (De Single, 2006 ; Pasquier, 2005). Ils vont avoir une certaine influence sur le comportement, la mise en scène de soi ou encore sur le contenu partagé sur les réseaux sociaux - endroit où il est possible de se créer une nouvelle identité - qui sera déterminé comme socialement présentable et désirable (Boyd, 2007). 1.4.1. L’enjeu de la socialisation La socialisation influe forcément dans cette construction de la féminité. Elle est fondamentalement sexiste, et ce dès le plus jeune âge. La famille, première instance de socialisation, conditionne l’enfant à des modèles pré-déterminés selon son genre. C’est ensuite les autres instances de socialisation, comme les médias, la mode, la publicité ou encore la musique, qui prendront le relai. Il existe des clivages évidents dans l’éducation des filles et des garçons : c’est l’éducation genrée. Elle se manifeste à travers les jouets, la scolarité, les activités culturelles ou encore les choix professionnels. Les jouets induisent une forme de distinction sexuée des capacités et qualités importantes à développer. Notamment, la mise en valeur de soi, la docilité, la Hoggart, La Culture du Pauvre, 1957. 13 - - 14
  • 15. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 patience, la douceur. Contrairement aux garçons à qui l’on inculque, qu’il faut développer sa force physique (avec des jeux de combats, les super-héros…), sa mobilité et son autonomie (avec des jeux de construction…). Pour les filles, les jouets attribués sont en rapport avec la mise en valeur de l’apparence et les qualités de maîtresse de maison : nous y retrouvons des faux bijoux, des têtes à coiffer, des poupons, les jeux de cuisine et de ménage. Les poupées (type Barbie ou Bratz) participent à cette hypersexualisation, car elles présentent de plus en plus de caractéristiques sexy dans leur apparence. Dès le plus jeune âge, la société enseigne aux fillettes et aux garçons des attitudes et des comportements différents selon leur sexe. Les petites filles sont élevées dans un environnement qui les invite à être passives, à soigner leur apparence en portant des boucles d’oreilles, des petites robes, en mettant du rouge à lèvres pour fillette, la plupart du temps vendu dans des magasins comme Claire’s. Claire’s décrit ses magasins comme « la destination fun pour les bijoux, les cosmétiques, les accessoires et le perçage des oreilles pour les pré-adolescentes, les adolescentes et les jeunes de 3 à 18 ans » . 14 Au-delà de l’éducation et des dictats de la société, cette différenciation entre les sexes est aussi visible dans la publicité. Les hommes y sont généralement représentés en action (en train de faire du sport, de conduire…) et dans une position de dominance. Quant aux femmes, elles sont utilisées pour leur apparence physique : nous les retrouvons peu vêtues, dans des postures passives ou sexuellement explicites. La femme est représentée en tant qu’objet et son corps est utilisé pour vendre tout type de produit : des livres, des produits nettoyants, des montres, du papier toilette… Produits qui n’auraient, normalement, pas besoin d’être mis en scène par une femme pour être vendu (voir annexes 1, 2, 3). À travers cette socialisation, les petites filles et plus tard, adolescentes, ne se voient que comme des objets esthétiques, résultat d’un bercement dans un culte de l’apparence dès l’enfance et les jouets notamment, où l’accent est mis en priorité sur Site Corporate de Claire’s, onglet Marques. 14 - - 15
  • 16. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 la représentation de soi. Au fil des années, une multiplication des vecteurs d’influence proposant des modèles de féminité va avoir lieu. II. Le rôle des médias : des agents de socialisation différenciée 2.1. La socialisation via les médias Les médias, c’est-à-dire l’Internet, la télévision, la radio et la presse, sont également des agents de socialisation. Ils font office de super pairs en matière de sexualité et de construction de la féminité (Brown et al., 2005). Ces médias de masse véhiculent des représentations sociales et des idéaux identitaires à qui il faudrait se greffer pour être dans la norme (Lahire, 2001). Ici, nous nous concentrerons sur le rôle de la presse écrite dans la construction de la féminité. La socialisation via les médias, et plus précisément la presse écrite pour jeunes filles, se fait par palier et par tranche d’âge. Corinne Destal, sociologue, explique que « dès la 6ème les filles délaissent la presse préadolescente des 8-12 ans pour glisser vers la presse adolescente dont le taux de contact est très important. - - 16 Couverture du magazine Girls ! (Juillet 2008) avec comme sujets principaux : « 27 façons d’être plus belle », « Envie de lui ? Sors le grand jeu » et « Mode… Tes looks de l’été ! ». Le principal focus est sur la construction et l’amélioration de son apparence.
  • 17. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Julie, Witch et Les petites Sorcières, revues les plus populaires sont officieusement abandonnées au profit de Girls, jeune et jolie...ou autres » . Ces magazines font un 15 véritable travail sur le corps avec une mise en scène minutieuse de l’apparence à travers des accessoires, un savoir-être qui dicte les postures et les conduites à tenir aux jeunes filles (Philippe Liotard, Sandrine Jamain-Samson, 2010). Elle souligne aussi la force des médias à l’heure actuelle. Ils sont devenus de véritables vecteurs de socialisation et d’exploration de la puberté des jeunes filles . Les médias vont 16 accompagner la fillette dans cette période de changements qu’est l’adolescence, et ce, en lui partageant des codes de la « bienséance féminine ». 2.2. Devenir une sex-bomb : critères véhiculés par la presse écrite La presse écrite participe activement à cette construction de la féminité. Remontons à l’origine de ce fameux type de presse : l’existence des magazines pour fillettes remonte au XIXe siècle avec des magazines tels que Lisette, destiné aux jeunes de 7 à 15 ans. Nous y retrouvons notamment des bandes dessinées ainsi que des rubriques de formation au futur rôle de mère des fillettes. Un renouveau de la presse pour jeunes filles va avoir lieu dans les années 90. Les articles vont maintenant être principalement centrés sur des sujets liés à l’apparence physique, la mise en Propos de Corinne Destal rapporté dans le rapport parlementaire de Chantal Jouanno, Contre l’hypersexualisation, un 15 nouveau combat pour l’égalité, mars 2012 Corinne Destal, Hypersexualisation des filles et troubles des frontières de l’âge - Actes du colloque international, 16 Ministère de la Culture et de la Communication – Association internationale des sociologues de langue française – Université Paris Descartes, 9es Journées de sociologie de l’enfance, Paris, 2010.Université Bordeaux 3 (ISIC). - - 17 Exemples de couvertures de magazines pour adolescentes
  • 18. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 scène de soi et les célébrités. À savoir que les principales cibles de la presse écrite française sont un public de jeunes filles (donc un lectorat âgé de 12 à 15 ans) avec des magazines culte tels que Jeune et Jolie, Julie ou Girls ! et un public de jeunes femmes (donc un lectorat âgé de 19 à 25 ans) avec des magazines comme Glamour, Biba ou encore Cosmopolitan. La presse pour jeunes filles, qui sera le focus central de notre réflexion, se présente comme l’un des meilleurs moyens d’accéder à l’épanouissement personnel, amoureux et social par l’intermédiaire du corps. Comme nous l’avons évoqué plus tôt, les magazines développent l’idée que le « devenir-femme » s’élabore par rapport aux garçons et à leur regard. Une forme de sexualisation y est clairement affichée : en effet, les articles dans ces périodiques font la promotion de critères de construction d’une apparence érotique présentée comme nécessaire à la séduction. Celle-ci passerait par la mode hypersexualisée et les cosmétiques (Vigarello, 2004). Selon Corinne Destal, qui a étudié et analysé la presse pour jeunes filles et ses dérives, « la féminité, telle que les revues l’imposent, se mérite et se juge » . Nous comprenons 17 que, pour que les jeunes filles puissent devenir de « vraies » femmes, il est nécessaire qu’elles adoptent des codes, des comportements et une certaine mise en scène de soi. Les magazines servent alors de guides en publiant des articles portant sur la construction de l’apparence : selon le magazine Isa, « être une sex-bomb ça s’apprend ! ». Même chose dans Jeune & Jolie, « Sexy : devenez une vraie bombe ! ». Nombreux sont les périodiques à avoir recours à ce genre de titres, en les mettant en première de couverture afin d’attirer l’attention des jeunes filles et les persuader que c’est quelque chose de vraiment important. 2.3. Les magazines pour adolescentes Ce type de presse a véritablement transformé la figure de la jeune fille et pour cause, c’est le seul média où les filles sont surreprésentées. Selon une étude de l’ethnologue Caroline Caron réalisée en 2003 sur les magazines québécois Adorable, Cool et Filles d’aujourd’hui : 65 % de leur contenu éditorial est consacré à l’apparence et aux relations hommes-femmes, et seulement 35 % au développement Corinne Destal, op. cit. p.14 17 - - 18
  • 19. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 personnel et social. Dans son article, « Que lisent les jeunes filles ? Une analyse thématique de la « presse ados » au Québec » , Caroline Caron s’interroge aussi sur 18 la représentation de la féminité et des rapports entre les femmes et les hommes véhiculés dans ces articles. Son analyse fait ressortir une certaine répartition des thèmes abordés : • Près des deux tiers (64,8 %) des articles traitent de la beauté, de la mode, des garçons, des relations hommes-femmes et des célébrités masculines. • Plus du tiers (35,2 %) des articles touchent au développement personnel et social. Cependant, la dimension sociale de l’identité y est majoritairement négligée pour favoriser l’insistance sur la dimension personnelle. Dans ces articles, le développement personnel, important durant l’adolescence, est illustré à travers la vie des célébrités que les adolescentes ont l’habitude de suivre. Effectivement, ces magazines proposent principalement des rubriques beauté, love astro, sexe love, sexy attitude, santé, psycho, mode… Le but étant de diffuser des conseils sur les manières de se comporter, de penser et d’agir en tant que filles. Ils propagent un modèle autour de la féminité qui articule 3 dimensions inter-reliées : 19 • Le modèle autour de la féminité ramène systématiquement l’intérêt des lectrices sur les relations amoureuses, en plus de les orienter vers la provocation sexuelle. • Il propose des modèles professionnels liés au pouvoir de séduction des femmes sur les hommes : des carrières reliées à la mode ou la beauté. D’ailleurs, à cause de l’hypersexualisation, les jeunes filles ont tendance à ne se voir que comme des objets esthétiques et ont des horizons assez « restreints » : certaines rêvent de devenir mannequin ou chanteuse. • Il actualise et renforce les stéréotypes féminins associés à la mise en valeur sexualisée du corps des filles. Il s’appuie sur la conception traditionnelle de la femme selon laquelle leur pouvoir réside dans la séduction qu’elles exercent sur les hommes. Caroline Caron, publié en 2003 dans un numéro de la revue Pratiques psychologiques, la revue européenne 18 des praticiens en psychologie, publiée sous l’égide de la Société Française de Psychologie (Paris). Caroline Caron, op. cit., p.16 19 - - 19
  • 20. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Enfin, nous pouvons également évoquer les magazines féminins, dont le lectorat est plus de l’ordre des 18-25 ans. Ils jouent, eux aussi, un rôle dans ce phénomène d’hypersexualisation en incitant les adolescentes à utiliser leur apparence physique et la sexualité pour plaire et être reconnues par leurs pairs. III. Le fléau de la pornographisation 3.1. L’envahissement de l’espace public par la pornographie Avec le développement de nouveaux médias comme Internet, la pornographie s’est banalisée. Cette omniprésence de représentation sexuelle, aisément accessible grâce aux nouvelles technologies est devenue un nouveau problème au cœur des préoccupations publiques, féministes et médiatiques (Mercier, 2013). De l’hypersexualisation des femmes découle la pornographisation de l’espace public médiatique, qui est synonyme d’une banalisation de la sexualité dans la sphère publique. Cela est principalement dû à un accès facilité à la production, la diffusion et la consommation de contenu sexuellement explicite rendu possible par les nouvelles technologies, qui représentent une source de dangers pour les jeunes filles. En effet, avec le développement d’Internet, l’industrie de la pornographie a explosé. L’accès à la pornographie est devenu très simple et l’âge médian de consommation de contenu pornographique est de 11 ans. Nous estimons que 90 % des enfants entre 8 et 16 ans - - 20 Infographie de Data Looks Dope par rapport à l’apparence physique des 100 pornstars favorites des américains (2014).
  • 21. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 ont déjà consultés des sites pornographiques . Depuis quelques années, nous 20 assistons ainsi à une nouvelle réalité hypersexualisée, à un raz-de-marée sexuel qui impliquerait une « perte de sens et de signification liés au sexuel, et un dérapage de cette société qui nage dans la pornographie » (Robert, citée dans Chouinard, 2005). La pornographie s’est démocratisée et complètement banalisée ces dernières années. Elle a envahi les cours d’écoles, la manière de se vêtir, les clips vidéo et les médias modernes comme les réseaux sociaux et les smartphones (Robert, 2005). Cela n’est pas sans conséquences : la pornographie influence fortement les pratiques sexuelles des jeunes et influe sur leurs représentations du corps et de la sexualité. Elle imposerait une vision du corps sexualisé comme une norme à la société, notamment par le matraquage publicitaire. Pour certain(e)s, ces sites à caractères sexuellement explicites représentent leur première expérience en matière d’éducation sexuelle. En effet, la pornographie peut être considérée comme un acteur de socialisation en devenant une référence pour un grand nombre de personnes. 3.2. La pornographisation culturelle : une intrusion très précoce de la sexualisation La pornographisation de la culture s’immisce de façon précoce chez les adolescentes et exploite la figure de la Lolita. En effet, le corps des jeunes filles a toujours été exploité et représenté comme un objet de désir. Selon le professeur de sociologie québécois Richard Poulin, cette pornographisation culturelle est un des principaux facteurs du phénomène d’hypersexualisation. Dans son ouvrage Sexualisation précoce et pornographie (2009), il va analyser les tenants et les aboutissants de la banalisation de la pornographie. Il en déduit plusieurs conclusions : avant toute chose, il met en évidence l’étendue de l’influence de la pornographie dans les systèmes de représentation et de communication, ainsi que par rapport aux normes adoptées et promues. En effet, les contenus pornographiques diffusent des normes à la fois corporelles et sexuelles : les actrices X ont, pour la majorité, des corps normés qui deviennent synonymes de fantasmes pour les garçons. Max Einstein, détenteur du site Data Looks Dope, a réalisé une infographie en étudiant les caractéristiques des 100 actrices X préférés des Américains (données basées sur le site XVideos) . Les 21 Pauline Pelissier, L’hypersexualisation des jeunes filles, « résultat de l’influence du porno », LeMonde.fr, 2012. 20 Data Looks Dope, Top Porn Stars, octobre 2014. 21 - - 21
  • 22. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 critères pris en compte sont les suivants : la poitrine refaite ou non, les mensurations, la taille et l’origine. La plupart ont eu recours à une chirurgie mammaire et la majorité des bonnets sont C, D et E. Concernant les mensurations, elles n’excèdent pas une taille 40. À savoir que la majorité d’entre elles sont caucasiennes, donc blanches. L’infographie ci-dessous inclut tous les détails. Richard Poulin poursuit son analyse et précise que l’hypersexualisation des jeunes filles se fait à travers le prisme de la pornographie. L’hyper-visibilité des corps sexualisés est le signe d’une surenchère sexuelle dans l’espace public via de multiples facteurs que nous aborderons au fil de la réflexion. C’est une culture pornographique « sexiste, excessive et consumériste dont il est impératif de « sauver les filles » (Lamb, 2009) ». 3.3. Le porno-chic L’omniprésence de la pornographie intervient également par le biais du porno- chic publicitaire. Cela est principalement dû à la transition entre le statut de ménagère dans les années 60 à celui de femme-objet dans les années 90. Le porno-chic désigne « une pratique publicitaire qui puise son inspiration directement dans la pornographie, ayant pour but de retenir l’attention du public et influencer son opinion à l’égard de la marque » . Pratique née dans les années 70 aux États-Unis 22 pour désigner les premiers films pornographiques, ce phénomène touche plusieurs secteurs : la publicité, l’univers du luxe (avec la parfumerie, la haute couture…), en proposant une représentation dégradante, dévalorisante et déshumanisée de la femme. La chercheuse Fabienne Martin-Juchat définit ce phénomène comme « un sous-genre publicitaire, résultant de la combinaison d’une thématique sémiotique (l’hypersexualisation de la femme) avec un critère marketing (les marques de luxe) » ou nous allons « souvent élaborer une mise en scène visant à suggérer des pratiques marginales ou taboues, tout en transformant la femme comme un objet » . 23 Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012. 22 Lucia Granget, Transgression et banalisation du sexe dans la publicité sur Internet, Hermès, La Revue, vol. 69, no. 2, 23 2014, pp. 102-104. - - 22
  • 23. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Le « pornographisme » de la publicité se repose essentiellement sur la mise en scène de la soumission des femmes et de leur asservissement sexuel. Cela fait partie d’une stratégie de la part des marques : il fait susciter un désir chez le consommateur tout en lui faisant mémoriser la marque. C’est ce que nous appelons le shockvertising. Il désigne « une stratégie de communication qui, par un contenu choquant ou provocateur, vise à augmenter l’attention du destinataire et la mémorisation du message qui doit être considéré comme choquant, ce qui est susceptible de provoquer un impact émotionnel » . Il existe trois formes du porno-chic récurrentes : 24 • La publicité égalitaire : les femmes y sont identifiées par leur féminité, mais pas dans un schéma de domination et réducteur. Ce type de publicités n’est pas discriminant, mais elles sont malheureusement très peu nombreuses. • La publicité discriminante : c’est le type de publicités les plus stéréotypées. Elles comportent de nombreuses images discriminantes, et les femmes y sont généralement méprisées et rabaissées. • La publicité agressive : elle se distingue par un arrière-plan morbide ou mortifère. Elles se réfèrent à des pratiques sexuelles agressives qui mettent, très souvent, en scène la domination de la femme par l’homme. La femme est souvent représentée dans une position dite animale et perçue comme un objet. Nombreuses sont les publicités sexistes où la femme est mise en scène dans une position rabaissante, où nous pouvons clairement observer ce rapport de domination entre les deux sexes. Une des plus connues est celle de Dolce & Gabbana en 2007 (voir p.24). Véritable sujet de discorde, cette publicité est considérée comme 25 « trash ». Elle est même retirée en Italie sous les ordres de l’Institut d’Autodiscipline Publicitaire car elle « offense la dignité de la femme. Si l’image ne porte pas de références implicites à la violence physique, elle évoque, en raison de la position passive et désarmée de la femme face aux hommes, la représentation d’un abus ou l’idée d’une violence à son encontre ». L’idée de soumission est clairement induite avec la position de la femme et son regard fuyant. Tous les hommes ont le regard AntiPub, Association Résistance à l’Agression Publicitaire, définition de Shockvertising. 24 Jean-Marc Sfeir, NouvelObs, La pub, plus sexiste que jamais ?, janvier 2017. 25 - - 23
  • 24. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 tourné vers elle et son corps, la regardant comme un objet de désir. 3.4. La fétichisation de la jeune fille La pornographisation s’accompagne de sérieuses dérives. L’une d’entres elles est la fétichisation de la jeune, de la figure de la Lolita. La pornographie crée des fantasmes et désirs comme celui de la « femme-enfant », sous-entendu que pour être belle, il faut être jeune. Cette fétichisation de la jeune fille dans la pornographie est directement corrélée à la question de la banalisation de la pédophilie dans notre société. D’ailleurs, lorsque nous tapons « adolescente » dans la barre de recherche du site pornographique PornHub, un message d’alerte s’affiche : - - 24 Message d’alerte qui s’affiche sur PornHub suite à la recherche de vidéos « adolescentes ». Publicité Dolce & Gabbana (2007).
  • 25. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Cependant, Richard Poulin révèle que l’industrie de la pornographie exploite le fantasme de la Lolita. Quand nous nous rendons sur ce site, il est très facile de repérer cette exploitation : en effet, ce genre de contenu est très populaire et très consommé par les internautes. Nous estimons à 12 700 000 millions, le nombre de résultats lors de la recherche du terme « teen porn » (adolescente en anglais). Dans cette infographie de Data Looks Dope (voir annexe 4) datant de 2014, le propriétaire du site analyse les 15 catégories PornHub les plus recherchées ainsi que les 24 vidéos les plus regardées de chacune des catégories (aux États-Unis). Sans surprise, la première catégorie est celle de « Teen ». Avec comme vidéo la plus visionnée à l’époque « Tight pussy gets smashed » (= une chatte serrée se fait détruire) avec 54 376 700 vues. Le fait de préciser que c’est un vagin serré peut faire penser à un sexe d’enfant ou de jeune fille. Cette hypersexualisation et fétichisation de la jeune fille passent aussi par l’hypersexualisation de l’adolescente en tenue d’écolière ou d’étudiante. Quand nous tapons « tenue d’écolière » sur Google, ce ne sont pas des photos de petites filles habillées d’une certaine façon que nous voyons, mais des tenues sexy. À savoir, des mini-jupes écossaises, un chemisier accompagné d’une cravate et des bas résilles. Ces femmes sont le plus souvent coiffées de deux tresses. C’est là le plus célèbre cliché de la pornographie. 18 ans, l’âge de la majorité. Ce nombre fait l’objet de nombreux « fantasmes ». En effet, beaucoup fantasment sur ce corps jeune et pré-pubère qu’est celui de la jeune fille. Le fait qu’elle soit mineure est synonyme d’interdit, d’illégal même si cela n’empêche pas de voir ces jeunes filles comme des objets de désir. Dans les esprits, être enfin majeur est synonyme de maturité émotionnelle et, aussi que la notion de consentement devient plus floue. Par exemple, lorsqu’une jeune fille aura finalement 18 ans, ce ne sera plus considéré comme un crime de fantasmer sur elle, car elle aura l’âge légal. - - 25
  • 26. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 3.4.1. L’acomoclitisme La pornographisation véhicule l’image d’un corps impubère, sans pilosité, où les caractéristiques sexuelles adultes sont gommées. Ce phénomène d’acomoclitisme s’apparente à un fétichisme des pubis dépourvus de poils. Il est étroitement lié au rapport à l’enfance et « évoque dangereusement la pédophilie et améliore la visibilité des images pornographiques » . Cette dérive de la filmographie pornographique 26 entraîne un voyeurisme car elle donne une extrême visibilité des parties génitales et véhicule « l’image d’un corps infantilisé, aseptisé, prépubère, voire vierge » . La 27 distinction entre la femme adulte et l’enfant est clairement effacée. De plus, cela a instauré une norme en matière d’épilation : en mai 94, le magazine Vingt ans (consommé par les (pré)-adolescentes) donnait des instructions à la jeune fille en l’invitant à traquer ses poils pubiens. Dans notre société actuelle, l’épilation intégrale du maillot s’est largement répandue. Selon une étude Ifop de 2021 sur l'évolution des habitudes d'épilation des Françaises depuis 2013 , 24 % de la population féminine 28 opterait pour l’épilation intégrale contre 14 % en 2013. Cette pratique est particulièrement en vogue chez les moins de 25 ans avec 56 %, et chez les 25-24 ans avec 48%. 3.4.2. La néoténie Faire jeune est devenu un critère central dans les représentations médiatiques. La néoténie se définit comme une valorisation d’un corps éternellement jeune. C’est l’attirance que les humains éprouvent pour les caractéristiques physiques, comportementales ou sociologues des jeunes de leur espèce. Cela inclut les traits physiques (petit nez, le corps mince, l’absence de pilosité) et les traits comportementaux (la parure, les goûts…). Ce phénomène entraînerait une reconfiguration des âges : les rôles sont inversés, la jeune fille se fait femme et la femme devient enfant. L’anthropologue Laurent Barry a appliqué la notion de néoténie aux sciences sociales en montrant que de nombreuses sociétés humaines valorisaient les caractéristiques physiques de l’enfant et de l’adolescent dans leurs représentations de l’adulte. Ce concept peut totalement s’appliquer à l’univers Sylvie Tenenbaum, Les Hommes naissent libres et égaux.. : ... Et les femmes ?, 2014. 26 Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012. 27 Justine Feutry, Madame Le Figaro, L’épilation du maillot séduit moins les Françaises… sauf dans sa version 28 intégrale, 04/02/21, mis à jour le 05/02/21. - - 26
  • 27. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 pornographique étant donné la popularité du contenu « teen » et la valorisation des jeunes filles ayant des rapports sexuels. 3.5. La pornification de la musique pop Les stars de la musique jouent un rôle important dans la socialisation vestimentaire et dans la prise en compte des normes de la féminité. Les chanteuses pop sont nombreuses à proposer un modèle de féminité uniquement basé sur l’apparence et la parure. Le phénomène d’hypersexualisation est donc largement véhiculé par les idoles des jeunes filles telles que Britney Spears, Rihanna, Nicki Minaj, Doja Cat… Elles ont été sexuées dès leurs débuts et sont devenues de véritables sex-symbol. Ces célébrités produisent parfois des clips s’approchant de la pornographie douce. La musique pop, et plus précisément les clips vidéo, sexualisent et objectivent les femmes. Ces vidéos marquent également un retour des stéréotypes sexuels dans l’industrie du divertissement avec l’image de la sex-symbol et le recours aux codes de la pornographie. Les jeunes filles, qui s’identifient à leurs idoles, ont envie de reproduire ce qu’elles voient. C’est une forme d’expérimentation et d’appropriations des codes de la séduction corporelle (Mardon, 2006 ; Monnot, 2008 ; Court, 2010). Selon Baker (2010), « les filles utilisent les médias et notamment la musique pop, pour explorer les limites de la séduction et apprendre à devenir des femmes, ce qui laisse penser que leurs jeux autour de la musique n’ont rien d’anodin ». D’autant plus que les jeunes filles sont très friandes de ce genre de contenus qui jouent sur les codes sexuels proches de la pornographie et qui véhiculent des normes hypersexualisées. La pornification de la musique pop se fait par le biais de clips explicites, tant dans les images que dans les paroles que certains chantent sans réellement avoir conscience de leur signification. Ces stars portent souvent des tenues explicites et moulantes, s’apparentant au fétichisme chic. Le fétichic est un terme apparu en 2011 désignant une tendance de mode mélangeant les codes vestimentaires du fétichisme avec ceux du prêt-à-porter . Son origine vient de la mode fétichiste (les chaussures à talons 29 Wikimonde, définition de Fétichic. 29 - - 27
  • 28. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 aiguilles, les corsets, les minijupes, le latex, le cuir) avec l'emprunt des symboles vestimentaires du sadomasochisme et du fétichisme. L’exemple parfait de cette pontification de la pop est le groupe The Pussycat Dolls. Nombreuses de leurs chansons, sont centrées sur l’apparence, le fait d’être une femme sexy et un objet de désir pour les hommes. Le but étant d’être la plus sexy possible pour être enviée par les autres femmes, une certaine forme de compétition basée sur l’apparence qui est illustrée dans leur célèbre titre Don’t Cha qui raconte l’histoire d’une protagoniste qui demande à un homme s’il ne souhaiterait pas que sa copine soit aussi canon et aussi aventureuse sexuellement qu’elle. - - 28 Le groupe The Pussycat Dolls sur le tournage d’un clip, avec des tenues s’apparentant aux codes du fétichisme chic.
  • 29. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Chapitre 2 Les travers de l’hypersexualisation Dans ce second chapitre, nous allons nous intéresser aux conséquences de l’hypersexualisation. Les conséquences sont d’autant plus sérieuses qu’elles surgissent à l’adolescence, moment charnière pour une adolescente qui est en pleine construction identitaire. Augmentation de la conscience de soi, égocentrisme, les adolescentes vont largement être influencées par leurs pairs dans leur développement cognitif. L’adolescence est aussi synonyme de nombreux changements corporels qui ne sont pas sans conséquence. Le rapport au corps va être complètement remis en question par les images véhiculées dans les médias et cela va mener à une insatisfaction corporelle, une baisse de l’estime personnelle, voire des troubles mentaux, plus graves. I. Adolescence et développement psycho-affectif 1.1. Le passage de l’enfance à l’adolescence : la période de latence « Dès leur plus jeune âge, les enfants sont plongés dans un bain de sexualité permanent. Ce qui apparaît comme une hypersexualisation de la société provoque chez eux une excitation qui les déborde et peut se traduire par certaines pathologies comme l’hyperactivité » . Les fillettes vont devenir des jeunes filles, des 30 adolescentes, en passant de l’enfance à l’adolescence. Le fait d’être exposé à des contenus et figures hypersexualisées peut laisser des séquelles lors de leur développement. Les jeunes âgées de 8 à 12 ans vont vivre une période de transition entre l’enfance et l’adolescence . C’est que nous appelons la période de latence. Elle 31 se caractérise par une désexualisation des relations objectales (relation qu’entretient un individu avec l’Objet vers lequel se tourne ses pulsions, l’Objet pulsionnel peut être une personne comme la mère par exemple) et des affects (représentation psychique de la pulsion, pour Freud c’est un processus de « décharge ») . 32 Didier Lauru, Laurence Delpierre. 30 Site Psychiatrie Infirmière, Cours sur le concept de latence. 31 Claude Smadja, L’affect, entre psychanalyse et biologie, 2010. 32 - - 29
  • 30. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 La période de latence a été développée par Sigmund Freud. Cette période de transition entre l’enfance et la puberté se situe à la fin du stade appelé « L’Œdipe ». L’Œdipe représente une passion que démontre un enfant pour son parent de sexe opposé. Ce stade prend fin vers les 6-7 ans, lorsque l’enfant commence à prendre en compte les modèles de vie en société et à bien intégrer l’importance des règles et des interdits, et va jusqu’à la puberté. Cette phase est marquée par une nette diminution des activités pulsionnelles et l’apparition de certains sentiments comme la tendresse, la dévotion et le respect envers les figures parentales. Par exemple, la petite fille ne verra plus de « rivalité » avec sa mère, mais voudra l’imiter et lui ressembler, car elle la verra comme un modèle. Cette phase de transition cruciale va permettre à l’enfant de se construire d’un point de vue psycho-affectif et de l’amener progressivement vers un corps plus adulte grâce à la puberté. Il est primordial de ne pas perturber cette période de latence sous peine d’y laisser des traces. En effet, les enfants hypersexualisés dont la période de latence a été perturbée peuvent être confrontés à des problèmes d’apprentissage : selon le Professeur Botbol, dans 80 % des cas, l’hypersexualisation conduit à l’échec scolaire. Selon le psychiatre Didier Lauru, une excitation permanente peut susciter des problèmes d’hyperactivité. 1.2. L’entrée dans l’adolescence… L’adolescence est une période de grands changements caractérisée par la transition entre l’enfance et l’âge adulte (Santrock, 1998). Longtemps ignorée, car les croyances voulaient que nous passions directement de l’enfance à l’âge adulte, c’est au XXe siècle que l’étude de cette période charnière de la vie se matérialise. En 1904, Stanley Hall avait élaboré une conception de l’adolescence comme étant une période de détresse, de confusion et de bouleversements. Cette dernière a été remise en cause dans les années 70 pour laisser place à une conception un peu moins pessimiste : la conception contemporaine de l’adolescence suggérerait que, pour la plupart, l’adolescence constituerait une période de développement, riche de défis positifs (Ariès, 1952 ; Lehalle, 1985 ; Frydenberg, 2000). Cependant, cette période de développement reste tout de même très sujette à l’expérimentation et la remise en - - 30
  • 31. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 question des limites imposées par la société ou par les figures parentales (Nicholson, 2000). Jouer avec les normes - les limites - représente aussi un acte à travers lequel la jeune fille se prouve à elle-même son autonomie et acquiert le sentiment d’être maître de son corps et de son identité. Les jeunes filles voient l’exploration de l’érotisation du corps comme un moyen de se démarquer de l’image de la jeune fille modèle. (Aurélie Mardon, 2005). La période de l’adolescence peut être divisée en trois stades : le début de l’adolescence (10-13 ans), le milieu (14-16 ans) et la fin (17-19 ans) (Guindon, 2010). La puberté, signe d’entrée dans l’adolescence, est marquée par une évolution des caractéristiques physiologiques. Chez les garçons, elle se traduit par une mue de la voix, un développement de la pilosité, de la prise de masse musculaire, etc. Pour les filles, l’apparition de certains caractères sexuels peut être perturbante. Leur apparence se modifie avec l’apparition de poils pubiens qui différencie le pubis enfantin à celui plus adulte, l’arrivée des règles et la poitrine qui se développe. Certaines jeunes filles ont une grosse poitrine à un jeune âge, ce qui peut devenir synonyme de moqueries ou de commentaires sexualisés de la part de camarades - en particulier masculins - et donc créer des complexes. La poitrine d’une femme est hypersexualisée quel que soit son âge. La preuve en est avec les différents règlements en matière de tenue vestimentaire dans les établissements scolaires. En 2020, le mouvement #BalanceTonHaut a fait jaser sur les réseaux sociaux. De nombreuses adolescentes se sont mobilisées en postant leurs tenues sur leurs réseaux respectifs afin de manifester contre les injections sexuelles. En effet, nombreux sont les directeurs ou directrices de collège et lycée qui réprimandent les jeunes filles par rapport à leurs tenues, qui n’ont rien d’extravagantes ou de dérangeantes. Beaucoup vont même jusqu’à bannir les crop-tops, les jupes ou les robes considérées comme trop courtes ou provocantes, ou encore les décolletés à cause d’une poitrine trop voyante. L’excuse souvent utilisée pour justifier l’interdiction de ces vêtements est la suivante : ces tenues pourraient distraire les garçons et les exciter. Ces règles montrent à quel point les adolescentes sont perçues comme des objets sexuels et ne signifie rien d’autre qu’une assignation des filles à la potentialité sexuelle de leurs - - 31
  • 32. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 corps adolescents. Cela s’inscrit parfaitement dans cette société marquée par la culture du viol, où les femmes sont blâmées pour leur attitude, leur tenue, surtout quand elles sont victimes d’agressions sexuelles. Le début de l’adolescence est une période de construction de l’identité. C’est à ce moment que va se former l’estime personnelle, la confiance en soi et l’adoption d’un ou plusieurs modèles de féminité qu’elles ont pu observer depuis leur enfance. D’ailleurs, c’est à ce moment où les jeunes filles sont les plus vulnérables, que les médias leur envoient le message suivant : il faut être belle, séduisante et sexy. Ces dictats vont les influencer dans leur construction identitaire et peuvent réactiver des problématiques orales comme les troubles du comportement alimentaire ou la dépendance à l’alcool ou au tabac . L’adolescence n’est donc pas un stade, mais 33 plutôt un moment de « crise » narcissique et identificatoire, accompagné d’angoisses concernant l’intégrité de soi, l’image corporelle et le sexe. 1.3. …Synonyme de crise identitaire L’adolescence est synonyme d’une grande exploration identitaire, l’adolescente étant un individu qui va être en perpétuelle transition (Arnett, 2004). Le psychanalyste Erik Erikson (1968) va travailler sur les stades de développement identitaire lors de l’adolescence. Entre 12 et 18 ans, l’individu va atteindre le stade cinq sur huit du développement identitaire. Le stade cinq correspondant à une crise identitaire causée par une période de confusion de l’adolescent quant à son identité. À cette période, les adolescents sont des identités en devenir et sont surtout à recherche de leur personnalité. Les jeunes, voire les très jeunes, sont plus susceptibles d’être influencés par les représentations de la femme dans la société, qui sont illustrées par les célébrités comme les chanteuses, les mannequins, les actrices ou encore les influenceuses sur les réseaux sociaux. Une influenceuse se définit comme « un individu qui, par son statut ou son exposition médiatique, peut influencer les comportements de consommation dans un univers donné ». Au-delà de son influence en matière de consommation, l’influenceuse qui est idolâtrée par de nombreuses jeunes filles et jeunes femmes, va les influencer dans leur manière de se comporter, Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012. 33 - - 32
  • 33. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 de se vêtir, les poussant inconsciemment à reproduire ce qu’elle fait. Les jeunes filles vont vouloir ressembler aux personnalités qu’elles suivent, et ce, même si ce n’est pas approprié à leur âge. Elles vont être constamment à la recherche de la reconnaissance de leur entourage, surtout des pairs, dont l’influence est multipliée à cet âge. Cela va entraîner une certaine difficulté à comprendre le discours moralisateur des adultes qui ont plus de recul sur la situation et sont plus aptes à se rendre compte des dangers de cette hypersexualisation qui n’est pas toujours consciente. Ce discours moralisateur fait référence à la tendance des adolescentes à se confronter aux interdits parentaux, notamment en matière de parure. Dans son article La Génération Lolita (2011) , Aurélia Mardon a réalisé des entretiens avec des collégiennes âgées de 11 à 34 14 ans et leurs parents, principalement des mères (11) afin de discuter de la socialisation corporelle durant la période du collège, appréhendée à travers la puberté et l’apparence. Les mères sont plutôt catégoriques : « Un enfant, ça doit être habillé comme un enfant, ça doit être habillé correctement, sans que ce soit tape-à-l’œil, discret » (propos d’une mère d’une adolescente de 14 ans). Il n’est donc pas question de porter des strings, des crop-tops qui laissent entrevoir le ventre, à un jeune âge. Ni de se maquiller d’ailleurs, ou du moins pas à outrance. Cela va directement à l’encontre de l’environnement dans lequel les adolescentes évoluent. En effet, dans notre société actuelle et tous les médias consommés par les jeunes filles, les femmes hyper sexy, célèbres, qui jouent la carte de la sexualité pour se valoriser sont le modèle mis en avant. L’adolescence est aussi bien une période de construction de l’identité que de « bilan personnel ». Elle encourage vivement les expérimentations, l’exploration des limites aussi bien parentales que sociétales. Il y a énormément de remise en question : que ce soit sur l’apparence, l’orientation sexuelle, l’estime de soi… Tout est sujet à préoccupation. L’adolescent va également se servir de ce temps pour confronter les valeurs familiales qui lui ont été inculquées depuis sa naissance, aux nouvelles valeurs auxquelles il est exposé quotidiennement par le biais des médias, des réseaux sociaux ou de ses pairs. À travers les croisements de ces multiples environnements, Aurélia Mardon, La génération Lolita. Stratégies de contrôle et de contournement, Réseaux, vol. 168-169, no. 4-5, 34 2011, pp. 111-132. - - 33
  • 34. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 l’adolescent finira par se forger sa propre identité et personnalité. 1.4. Une augmentation de la conscience de soi L’adolescence est synonyme de modifications de la cognition sociale. Elle renvoie « à l’étude des processus par lesquels les gens donnent du sens à eux-mêmes, aux autres, au monde qui les entoure, ainsi qu’aux conséquences de ces pensées sur le comportement social » (Bless, Fiedler et Strack, 2004 ; Fiske et Taylor, 2008) . En 35 clair, c’est une tendance à observer et à comprendre le monde. Le concept de soi renvoie à la représentation que nous nous faisons de nous-mêmes, de nos caractéristiques et de nos traits. Cette construction, de type cognitif, est à la fois descriptive et évaluative, elle détermine comment nous nous sentons et elle guide notre action (Harter, 1996). Les filles ont tendance à avoir une conscience de soi plus élevée que les garçons (Rankin, Lane, Gibbons et Gerrard, 2004). Avec cette augmentation de la conscience de soi, « les adolescents ont tendance à penser qu’ils sont constamment observés et évalués et que les autres sont autant attentifs à leur comportement qu’à eux-mêmes » (Elkind, 1985). Cela peut engendrer un comportement égocentrique (Seifert, Hoffnung, 1991) qui s’accompagne d’un sentiment d’être unique et mal compris par les autres (Santrock, 2008). Pleine de changements, la période de l’adolescence est propice à une prise de conscience des multiples dimensions de soi. En effet, le jeune peut osciller entre plusieurs Soi : par exemple, le rôle qu’il joue à la maison et le rôle joué avec ses pairs ou sur les réseaux sociaux, qui permettent de se créer une toute nouvelle identité si nous le souhaitons. Le but étant d’analyser qui il est, et ce qu’il souhaiterait être. 1.5. L’influence change de camp Avec l’accroissement de la conscience de soi, l’influence des pairs prend de plus en plus d’importance chez les adolescentes (Buhrmester, 1990). Comme nous l’avons étudié dans le premier chapitre, l’influence des parents, qui prédominait sur tout auparavant, va diminuer pour laisser place à celle des pairs (Guindon, 2010). Les pairs vont avoir un réel impact dans l’hypersexualisation du corps des adolescentes. François Ric et Dominique Muller. Chapitre 1. Qu’entend-on par cognition sociale ?, La cognition sociale. sous la 35 direction de François Ric, Dominique Muller. Presses universitaires de Grenoble, 2017, pp. 7-19. - - 34
  • 35. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 En effet, les jeunes filles vont vouloir reproduire ce qu’elles observent autour d’elles. Prendre part à cette hypersexualisation par la parure notamment, est un moyen de se sentir acceptée. Dans notre société actuelle, il est très facile de se sentir jugé si nous ne rentrons pas dans les normes. Si une jeune fille adopte un style vestimentaire « classique » et n’adhère pas aux codes actuels (hauts laissant apparaître le ventre ou le décolleté, pantalons taille basse, sous-vêtements apparents…) car ses parents le lui interdisent, elle peut rencontrer des difficultés à se socialiser et être vue comme quelqu’un de « bizarre ». De plus, au cours de cette période, le fait de se lier d’amitié est associé à de meilleures compétences sociales, ce qui est valorisant pour l’individu en question. Inversement, si une jeune fille a du mal à s’intégrer pour X raisons, cela laissera place à la comparaison sociale qui peut avoir de réels effets sur son estime personnelle. D’ailleurs, un lien direct a été établi les pairs et une bonne estime de soi (Harter, 1990). Les pairs sont utiles dans la construction identitaire de l’adolescente. En effet, la jeune fille va avoir besoin de « couper le cordon » et s’éloigner de sa sphère parentale et familiale, pour se rapprocher de ses semblables, son groupe de pairs. Ceci explique que le groupe de pairs est le groupe le plus influent au moment de l’adolescence. Avec sa théorie de socialisation par le groupe de pairs, Judith Harris (1994) a montré que l’influence des parents n’avait qu’un faible impact sur la construction identitaire. Pour construire son identité personnelle, l’humain est sous l’influence d’éléments provenant de trois origines différentes : la génétique (50 %), la famille (10 %) et des facteurs inexpliqués (40 %, qui représenteraient l’influence des pairs selon Judith Harris). Cette importance des pairs se poursuit même sur la toile. Avec l’avènement du numérique, les réseaux sociaux ont pris une place prépondérante dans la vie des adolescents. C’est un moyen pour eux de rester connectés à leurs pairs mais aussi et surtout de se créer une énième identité. L’identité numérique permet une autre forme de mise en scène de soi. C’est également un moyen de gérer la présentation de soi et de faire impression auprès des pairs. - - 35
  • 36. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 II. Un rapport au corps entaché 2.1. Entre image et insatisfaction corporelle Cette féminisation précoce (Catherine Monnot) qui véhicule l’image de corps parfait et sexy, instaure des standards en matière de beauté et d’image corporelle (Julien, 2009). Cette notion d’image corporelle est une des préoccupations majeures de l’adolescence. À l’heure des changements physiques, il n’est pas forcément simple pour une adolescente d’accepter ces modifications. L’image corporelle se définit comme « la perception d’un individu à l’égard de son corps, qu’elle se rapproche ou non de la perception d’un observateur externe » (Croll, 2005). Elle se réfère à la perception qu’une personne a de son propre corps, ce qui inclut ses pensées, ses jugements, ses émotions et ses sensations . Les pensées qu’une adolescente va avoir 36 sur son propre corps, qu’elles soient positives ou négatives, sont fortement influencées par ses pairs. La notion d’image corporelle est un concept multidimensionnel englobant quatre composantes : la satisfaction globale subjective, la détresse affective en lien avec l’apparence, les aspects cognitifs et enfin les aspects comportementaux de l’image corporelle . Au début de l’adolescence, l’image 37 corporelle est davantage influencée par des attributs physiques, sociaux et individuels (Paxton, 2006). La notion d’image corporelle est intimement liée à celle d’insatisfaction corporelle. Elle peut être plus ou moins négative en fonction de la perception que nous avons de notre corps. L’insatisfaction corporelle est un concept multidimensionnel qui réunit les aspects cognitif, affectif, perceptif et comportemental de l’apparence physique (Farrell, Shafran et Lee, 2006). L’insatisfaction corporelle a été étudié par Cash et Pruzinsky dans plusieurs ouvrages (2002). Les deux auteurs ont établi une corrélation entre des facteurs psychologiques, physiques et environnementaux qui in fl ueraient sur le degré d’insatisfaction corporelle. Ils ont également relevé que l’insatisfaction corporelle constitue une notion indispensable pour étudier comment les individus perçoivent leur corps. L’insatisfaction corporelle a connu une hausse avec l’avènement des réseaux sociaux. Les médias pré-existants accordent déjà une importance toujours plus grande et GuideÉcole, Image corporelle, de quoi parle-t-on ?, issu du programme québécois « Bien dans sa tête, bien dans sa 36 peau » Menzel, J. E., Krawczyk, R., & Thompson, J. K. (2011). Attitudinal assessment of body image for adolescents and 37 adults. In T. F. Cash & L. Smolak (Eds.), Body image: A handbook of science, practice, and prevention (pp. 154– 169). New York, NY: Guilford Press. - - 36
  • 37. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 démesurée à l’image corporelle, en faisant l’apologie de la minceur, de certains attributs physiques comme les (grosses) poitrines qui ne tombent pas, les dents blanches et alignées, des cheveux longs et lisses, une peau sans imperfections, etc. Avec les réseaux sociaux, la comparaison est plus présente que jamais. En étant exposée à des corps normés en surfant sur la toile, l’adolescente peut devenir beaucoup plus attentive à son apparence et en être insatisfaite, ce qui peut mener à des problèmes beaucoup plus sérieux et profonds. Selon une étude réalisée par Dion et d’autres auteurs en 2015, entre 57 et 84 % des adolescentes seraient insatisfaites de leur image corporelle. Ce problème touche également les garçons qui sont entre 49 et 82 % à être insatisfaits de leur apparence . 38 2.1.1. Les facteurs de risque de l’insatisfaction corporelle L’insatisfaction corporelle qui touche largement les adolescentes est le fruit de plusieurs facteurs, qu’ils soient socioculturels ou interpersonnels. Les facteurs socioculturels se rapportent notamment aux standards de beauté qui varient en fonction de la culture et de la période (Cash, 2008). Un des facteurs les plus prépondérant dans cette notion d’insatisfaction corporelle est le poids. Dès le plus jeune âge, nous inculquons aux filles qu’il faut faire attention à son poids et que la beauté passe obligatoirement par la minceur. Ceci est quelque chose de spécifique au genre. En effet, les filles sont soumises à une tyrannie de la minceur dès l’enfance et subissent une pression d’atteindre les idéaux de beauté véhiculés par les médias et notamment les magazines féminins. La pression d’être mince perçue par les adolescentes provenant des médias en particulier contribuerait à renforcer de façon significative l’internalisation d’un idéal de minceur (Blowers et al., 2003). Nombreuses sont les couvertures de magazines mettant en scène des corps normés et donc minces. Tout ce qui sort de cette norme de représentation féminine est catégorisé comme « laid ». C’est l’essence même de la grossophobie ambiante qui règne dans la société actuelle, et qui renforce l’omniprésence des injonctions de la culture du régime. De nos jours, cela va au-delà des magazines féminins et a envahi les réseaux sociaux où nous sommes exposés à des corps lissés et considérés comme parfaits à longueur de temps. Dion, Blackburn, Auclair, Laberge, Veillette, Gaudreault, Vachon, Perron, Touchette. Development and aetiology of 38 body dissatisfaction in adolescent boys and girls. Int J Adolescent Youth, 2015. - - 37
  • 38. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Les facteurs interpersonnels concernent plutôt l’influence de la famille et du groupe de pairs. La pression de la part des membres de la famille et les pairs peut se manifester à travers des commentaires sur le poids ou l’apparence en général. Une personne ayant été stigmatisée par ses pairs en raison de son apparence, à l’enfance ou à l’adolescence, risque de développer une insatisfaction corporelle (Cash, 2008). De plus, les conversations basées sur l’apparence auraient pour effet d’augmenter l’insatisfaction corporelle (Lawler, Nixon, 2011) . Au sein d’un groupe 39 d’adolescentes, le facteur de comparaison sociale est à prendre en compte. Lorsque davantage d’importance est accordée à l’apparence au sein d’un groupe d’amies, cela aurait pour effet d’augmenter le niveau de comparaison. Plus nous allons nous comparer, plus notre degré d’insatisfaction corporelle risque d’être important (Jones, 2004) . 40 2.2. L’impact sur l’estime personnelle L’insatisfaction personnelle peut avoir un impact sur l’estime de soi. L’estime personnelle est comme une dimension évaluation de concept de soi et définie comme l’évolution qu’une personne fait de sa propre valeur personnelle (Seifert, Hoffnung, 1991) . Selon Alex Mucchielli (1986), « l'estime de soi est constituée par la 41 répétition et la synthèse permanente d'un ensemble d'évaluations comprenant l'influence sociale, les actions et les succès et échecs personnels ». L’estime personnelle est formée par l’évaluation de la divergence entre l’image de soi et le soi idéal entretenu par l’individu dont il est question, plusieurs critères sont inclus à cette évaluation comme les résultats académiques, les compétences sociales, l’apparence physique, etc. (Lawrence, 1988). C’est lors du premier stade de l’adolescence (entre 7 et 12 ans), que l’estime de soi va se former. En effet, c’est une période cruciale où les adolescents s’intéressent au monde qui les entoure et qu’ils essaient de construire leur identité. Afin d’évaluer le niveau global d’estime de soi et l’appréciation des différentes facettes de soi d’un adolescent, Susan Harter (1988) a mis au point un questionnaire basé sur le concept de soi, le « Self-Perception Profile for Adolescents ». Lawler et Nixon. Body dissatisfaction among adolescent boys and girls: The effects of body mass, peer appearance 39 culture and internalization of appearance ideals. Journal of Youth and Adolescence, 2011. Jones. Body Image Among Adolescent Girls and Boys : A Longitudinal Study. Developmental Psychology, 2004. 40 Seifert, Hoffnung. Child and adolescent development, 2e Édition, 1991. 41 - - 38
  • 39. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Ce questionnaire est composé de huit domaines : 42 • La compétence scolaire : dans quelle mesure l’adolescent s’estime-t’il intelligent ou bon à l’école ? • L’acceptation sociale : dans quelle mesure l’adolescent se sent-il accepté par ses pairs ? Estime-t’il être populaire ? A-t’il des facilités à se faire des amis ou non ? • La compétence athlétique : dans quelle mesure l’adolescent apprécie-t’il son apparence ? Se sent-il beau ? • La compétence professionnelle : dans quelle mesure l’adolescent estime-t’il être compétent dans des petits boulots et les tâches qui lui sont confiées ? • L’attrait dans les relations amoureuses : cela fait référence à l’attirance de l’adolescent, est-il attrayant sentimentalement parlant ? Peut-il être en couple avec les personnes de son choix ? • La conduite : dans quelle mesure l’adolescent apprécie-t’il la façon dont il se comporte ? • Les amitiés intimes : fait référence à la perception qu’il a de sa capacité à se faire des amis intimes. • La valeur globale de soi : à quel point l’adolescent s’apprécie-t’il en tant qu’individu ? Est-il satisfait de ce qu’il est et à quel point ? Plusieurs facteurs peuvent influencer la variabilité de l’estime de soi des adolescentes. Pendant cette période charnière, il existe des liens entre l’estime de soi, les relations interpersonnelles et l’image corporelle (Littleton, Ollendick, 2003) . Il 43 est très facile d’intérioriser le jugement des autres, que les critiques viennent de la famille ou du groupe de pairs. Il n’est pas rare pour une adolescente d’entendre des critiques sur son apparence de la part de ses parents notamment. Pour revenir sur la notion du poids, qui est un élément central de l’apparence et de l’appréciation de cette dernière, les parents ont tendance à surveiller le corps de leur fille de près. Les mères, spécifiquement, sont celles qui ont la plus grande influence dans le rapport au corps de leurs filles. Les jeunes filles dont les mères les encouragent à perdre du poids ou Françoise Bariaud. Le Self-perception profile for adolescents (SPPA) de S. Harter, Un questionnaire 42 multidimensionnel d’évaluation de soi, Self-perception profile for adolescents (SPPA) by S. Harter. p. 282-295, 2006. Littleton, Ollendick. Negative body image and disordered eating behavior in children and adolescents: What places 43 youth at risk and how can these problems be prevented? Clinical Child and Family Psychology Review, 2003. - - 39
  • 40. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 faire attention à leur corps sont celles qui seraient les moins satisfaites de leur corps (McCabe & Ricciardelli, 2004) . L’influence des mères et du groupe de pairs 44 primerait même sur celle des médias de masse et des injonctions de beauté qu’ils véhiculent. De plus, les adolescentes ont tendance à avoir une estime d’elles-mêmes qui est sélective en fonction de l’évaluation perçue de la part de leurs pairs. Cela peut les mener à devenir particulièrement autocritiques (Harter, 1999). Il suffit d’un « tu as des grosses cuisses ! » ou d’un, « tu étais plus belle quand tu avais quelques kilos en moins » pour que l’adolescente remette son estime personnelle en question. Ces remarques vont rester gravées dans son esprit, ce qui affectera sa satisfaction corporelle sur le long terme et peut la pousser à avoir recours à des régimes amaigrissants ou d’autres pratiques bien plus dangereuses. Chez les adolescentes, l’estime corporelle, qui constitue la dimension de l’estime de soi liée à l’apparence physique, occuperait une place plus importante dans l’estime de soi par rapport aux garçons. En effet, les filles sont plus sujettes aux changements corporels perçus comme « négatifs » lors de la puberté, comme la prise de poids, l’acné, l’apparition de poids… Ces modifications opèrent dans un contexte qui met l’accent sur certaines normes corporelles. Ainsi, il est plus compliqué pour les jeunes filles de s’accepter comme elles sont, « parce qu’elles ont été portées à croire, par le biais de la socialisation, que leur apparence constituait la base quasi-essentielle de leur évaluation personnelle et de celle opérée par autrui » (Thompson, Heinberg, Altabe, Tantleff-Dunn, 1999). 2.3. Une sur-valorisation de l’apparence Les médias et l’entourage de la jeune fille exercent une pression quotidienne quant à l’apparence. Les adolescentes se doivent d’être belles, sexy et disponibles sexuellement. Voici le message véhiculé. L’adolescence est une période charnière dans l’intériorisation par les jeunes filles de l’injonction paradoxe qui les pousse à mettre en valeur leur corps tout en faisant preuve de modération. D'un côté, il faut se mettre en scène, mettre son corps en valeur, notamment à travers la parure. Et d'un McCabe, Ricciardelli. A prospective study of pressures from parents, peers, and media on extreme weight change 44 behaviors among adolescent boys and girls. Behaviour Research and Therapy, 43, 2006. - - 40
  • 41. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 autre, il est important de se préserver en tant que femme et d'avoir de la pudeur afin d’être considérée comme une femme « bien ». La sur-valorisation de l'apparence et de la séduction engendre certaines dérives. Avec l'imposition de standards irréalistes par les industries de beauté, les médias et la publicité, les adolescentes peuvent avoir tendance à avoir recours à des régimes amaigrissants de façon récurrente afin d’atteindre le poids idéal, ou plutôt celui qui est préconisée par la société. Nous notons que 37 % des jeunes filles de 11 ans seraient au régime . Elles peuvent même 45 développer des conduites à risques et sombrer dans les troubles du comportement alimentaire. Ce n’est pas pour rien que l’anorexie mentale est la maladie des temps modernes. C’est la pathologie la plus évidente face à la dictature de l’apparence. La chirurgie esthétique devient aussi de plus en plus importante chez les adolescentes. Nombreuses sont celles qui souhaitent avoir recours à la chirurgie plastique, et nombreuses sont celles qui ont recours à la médecine esthétique, qui est une forme moins invasive de modification corporelle. Depuis quelques années, la médecine esthétique s’est complètement banalisée : injections aux lèvres, botox, fils tenseurs… Certaines en rêvent afin d’accéder aux standards de beauté actuels : une bouche pulpeuse, des yeux en amande et un visage lisse. La chirurgie esthétique, à elle aussi la cote. Depuis quelques années, une opération de chirurgie esthétique, particulièrement dangereuse s'est popularisée : le Brazilian Butt Lift, plus connu sous le nom de « B.B.L. ». Cette opération consiste à prélever la graisse d’une ou plusieurs zones du corps pour la réinjecter dans les fesses afin d’augmenter leur volume. Cette intervention est l'archétype même du corps normé. Cette notion de corps normé change constamment. Depuis quelques années, c'est la « mode » des corps pulpeux, avec un ventre plat, une taille fine, des hanches développées, une forte poitrine et surtout de grosses fesses. Si nous ne rentrons pas dans ces critères, c’est la porte ouverte aux complexes. Sur l'application TikTok, les vidéos concernant la chirurgie esthétique sont en vogue. Beaucoup de femmes partagent leurs expériences concernant leurs opérations, le plus souvent des rhinoplasties, des augmentations mammaires ou des B.B.L.. Il y a là, une Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012. 45 - - 41
  • 42. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 volonté de ressembler aux célébrités comme Kim Kardashian par exemple, qui a un corps « tendance ». Sur TikTok, il existe une trend (tendance) avec la chanson NEVER DAT! de l’artiste Kay P. Dans sa chanson, il parle de Dr. Miami, célèbre chirurgien esthétique américain qui s’est fait connaître en partageant ses opérations sur Snapchat et Instagram. Il y a énormément de vidéos avec cette chanson où des femmes vont se refaire la poitrine, le nez ou le corps dans son intégralité. Il est important de préciser que cette sur-valorisation de l’apparence engendre d’autres problèmes. Cette notion est intimement liée à l’image corporelle et l’insatisfaction corporelle. En effet, en misant sur le paraître et la présentation de soi, les jeunes filles peuvent devenir dépendantes à l’appréciation et la validation des autres. Cela rend leur estime de soi plus vulnérable. Ces adolescentes vont être à la recherche constante de compliments, autant dans la vraie vie que sur la toile. Sans cette validation externe, elles vont avoir tendance à se remettre en question sur leur valeur aux yeux de la société. De plus, l’exposition massive aux images lissées de femmes objectivées peut jouer sur l’estime personnelle et peut même mener à des troubles mentaux comme l’anxiété ou la dépression (Papadopoulos, 2010). III. D’autres conséquences à ne pas négliger 3.1. La diet-culture, porte ouverte aux troubles du comportement alimentaire Dans son rapport sur la sexualisation des filles, l’Association américaine de psychologie (APA en anglais) met en exergue le lien entre les trois problèmes mentaux les plus communs chez les filles et les femmes : les troubles du comportement alimentaire (TCA), une mauvaise estime de soi-même et la dépression (Abramson & Valene, 1991; Durkin & Paxton, 2002; Harrison, 2000; Hofschire & Greenberg, 2001; Mills, Polivy, Herman, & Tiggemann, 2002; Stice, Schupak- Neuberg, Shaw, & Stein, 1994;Thomsen,Weber, & Brown, 2002; Ward, 2004) . Selon 46 l’APA, « plus les jeunes filles consomment des images objectivées, plus il est probable qu’elles souffrent d’une mauvaise estime personnelle […] ou de troubles du comportement alimentaire ». Les troubles du comportement alimentaire sont principalement causés par cette diet-culture, par cette pression quotidienne infligée APA, Report of the APA Task Force on the Sexualization of Girls, 2008. 46 - - 42
  • 43. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 aux jeunes filles et aux femmes compte tenu de leur apparence et de leur poids. La diet-culture (culture du régime) est un système qui prône la minceur et l’associe à la santé, voire à la vertu morale. Depuis le Moyen-Âge, la minceur est considérée « comme une vertu » selon l’historien Georges Vigarello . Elle s’oppose aux 47 comportements du gros, soupçonné « d’avidité et de balourdise » . Cette culture du 48 régime est basée sur l’idée que le bonheur passe par le fait d’être mince. De sorte que les jeunes filles et femmes qui ne rentrent pas dans ces normes de minceur, se sentent inférieures et mal dans leur peau. À partir de là, nous cheminons vers le développement de TCA en faisant la promotion d’idéaux physiques non-atteignables. Lucas, Beard, O’Fallon et Kurland (1991) ont étudié l’incidence de l’anorexie parmi des filles âgées de 10 à 19 ans sur une période de 50 ans. Cette analyse a montré que cette montée de l’anorexie coïncidait avec cette diffusion de l’image du corps idéalisée et des changements dans la manière de se vêtir. De nombreuses études ont également montré que l’existence de liens entre une exposition aux idéaux de beauté féminins et les TCA, de sorte que l’exposition à des idéaux de beauté irréels serait liée à un recours au régime et au sport de manière exacerbée (Abramson & Valene, 1991; Harrison, 2000; Hofschire & Greenberg, 2001; Stice, Schupak-Neuberg, Shaw, & Stein, 1994;Thomsen,Weber, & Brown, 2002). La tyrannie de la minceur est quelque chose dans laquelle les filles baignent depuis leur plus tendre enfance. Les jouets comme les poupées Barbie ou les Bratz proposent aux petites filles, une apparence idéalisée et surtout, hypersexualisée à travers la parure. De plus, en diffusant des images hypersexualisées et « parfaites », les médias contribuent au développement de complexes. Les magazines par exemple, valorisent fortement la minceur, voire la maigreur, les corps blancs et jeunes, qui ont souvent été retouchés avant d’être publiés. Des études ont démontré que la consommation de matériel médiatique de masse, en particulier les magazines de mode, fait en sorte que les jeunes filles internalisent un idéal de minceur quasi impossible à atteindre, ce qui prédit l'apparition de symptômes de perturbations alimentaires. Sandra Lorenzo, Huffington Post, L’obsession des régimes : pourquoi les Françaises sont à ce point obsédées par la 47 minceur ?, octobre 2013. Maïté Turonnet, L’express, « La minceur n’est pas une invention moderne ! », mars 2010. 48 - - 43
  • 44. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 Dans son étude réalisée en 1999 , la professeure Renée Botta met en évidence la 49 contribution des médias dans différents aspects liés aux troubles alimentaires chez les adolescents caucasiens et afro-américains. Les résultats montrent que les médias de masse seraient responsables de 15 % de la variance du désir de mineur, de 17 % de la variance de l’insatisfaction corporelle, de 16 % de la variance par rapport aux comportements boulimiques et de 33 % de la variance de l’adhésion à un idéal de minceur. D'autres études ont démontré que la consommation de matériel médiatique de masse, en particulier les magazines de mode, fait en sorte que les jeunes filles internalisent un idéal de minceur quasi impossible à atteindre, ce qui prédit l'apparition de symptômes de perturbations alimentaires. Également, la quantité de contenu télévisuel consommé est associée positivement à une diminution de l'estime de soi au niveau social et au niveau de l'apparence chez les adolescents latino- américains (Rivadeneyera, Ward, Gordon, 2007) . 50 3.2. Un retour des stéréotypes « Les stéréotypes sapent la capacité des personnes à réaliser leur potentiel en limitant les choix et les opportunités. Ils sont à la base de la discrimination sexiste Renée A. Botta. Television images and adolescent girls' body image disturbance. Journal of communication, Volume 49 49, Issue 2, 1999. APA, Report of the APA Task Force on the Sexualization of Girls, 2008. 50 - - 44 Exemple de poupées Bratz
  • 45. MARCASSIN Sarah | Mémoire de master 2 | septembre 2022 ouverte et dissimulée, directe et indirecte, et récurrente, qui a des conséquences négatives sur l’égalité de fond de jure et de facto qui devrait être garantie aux femmes. » . Les stéréotypes se définissent comme « des images réductrices et 51 monosémiques, construits sur la base des différences socioculturelles caractérisant des groupes inscrits dans des rapports sociaux. Les stéréotypes sont appris et transmis, et susceptibles d’être amplifiés par les médias. » . Dans son ouvrage Du 52 côté des petites filles (1973), Elena Gianini Belotti met en évidence la puissance des stéréotypes enracinés en chacun de nous qui assignent des propriétés et des qualités différentes aux filles et aux garçons, et ce avant même la naissance et tout au long de l’éducation. En effet, les stéréotypes sont présents dès le plus jeune âge. Au départ, ils sont perceptibles à travers des clivages entre les sexes. En fonction de leur sexe, les enfants ne reçoivent pas la même éducation, n’ont pas les mêmes activités culturelles, ne sont pas guidés de la même façon dans leurs choix professionnels. Les filles et les garçons ne sont pas amenés à construire leur identité de la même manière. Il y a une forte assignation sexuée des rôles. Les fillettes sont invitées à baser leur construction identitaire sur leur apparence, car les codes de l’hypersexualisation valorisent le fait d’être belle, sexy et célèbre. Pendant ce temps, les garçons sont uniquement représentés autour du prisme de l’action et de la découverte. L’hypersexualisation a contribué au renforcement des stéréotypes en réduisant la petite fille à une « femme- enfant » ou un « objet sexuel ». Dans Le Deuxième sexe (1949), Simone de Beauvoir dénonçait l’existence de stéréotypes fortement sexistes à l’œuvre de l’infériorisation des femmes dans la société. Selon elle, les femmes seraient presque aussi fautives que les hommes. Elle dénonce la passivité et la soumission des femmes, or elles ont intériorisé le fait d’être passive et soumise à travers leur éducation depuis qu’elles sont des petites filles. Les hommes sont, quant à eux, accusés de sexisme et de cruauté. Au final, les stéréotypes perdurent aujourd’hui, et encore pour longtemps, par le biais des médias, la mode hypersexualisée, les célébrités ou encore les réseaux sociaux. Discours de Lakshmi Puri, Directrice exécutive adjointe d’ONU Femmes et Sous-Secrétaire générale. Table ronde sur 51 le thème « Lutter contre la discrimination sexuelle et les stéréotypes sexistes négatifs : des réponses politiques efficaces », juillet 2011. Chantal Jouanno, Rapport Parlementaire, Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, mars 2012. 52 - - 45