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Pascal Leonardi 1
Tardets
Le petit village souletin fait
preuve d'une mobilisation
exceptionelle pour l'Ukraine
Préparation d'un convoi pour la
Pologne
Accueil de plusieurs familles
de réfugiées : des femmes et
des enfants
Pascal Leonardi 2
uels fantômes ont hantés Poutine jusqu'à ce 24 février 2022 pour qu'il se
lance dans cette guerre délirante ? Caprice de Tsar, syndrome d'hubris ?
Mais sa folie meurtrière aurait-elle réveillé nos instincts les meilleurs ? La
crise Ukrainienne sera-t-elle le catalyseur d'une nouvelle ère, celle de la conscience des
effets de la guerre et du pouvoir de la solidarité. Même si cet espoir est un peu naïf, la
solidarité vis-à-vis d'une population réfugiée que nous allons devoir accueillir sera dans les
jours qui suivent sans précédent.
Q
Le 26 février Kiev sous couvre-feu, la Russie intensifie son offensive. C'est peut être
là que notre ami Jorgé, mu par des images de guerre aux portes de l'Europe, se décide à
agir. Le 27 février : Vladimir Poutine brandit à demi mots la menace nucléaire.
C'est donc ces derniers jours de février 2022 que notre modeste aventure locale à
démarrée. Jorgé, le kiné de Tardets à décidé de partir avec son vieux camping car pour
convoyer du matériel et proposer sur place une aide d'urgence. Il contacte la mairie de
Tardets qui me met en contact avec lui. Le 1er mars les bombardements s’intensifient à
Kiev et Kharkiv.
Pascal Leonardi 3
Le 3 mars, ce jour où démarre notre belle rencontre, une frappe russe tue 47
personnes à Tcherniguiv. Le 4 mars, la Russie s’empare de la centrale nucléaire de
Zaporijjia. Les événements s'enchaînent. Le 5 mars le port de Marioupol assiégé et le 6
mars l’aéroport de Vinnytsia est bombardé, au moins neuf morts. Vladimir Poutine se rend
coupable de crimes de guerre. Il n'épargne pas les civils. Le 9 mars un établissement
abritant un hôpital pédiatrique et une maternité a été détruit par des bombardements
russes.
C'est pendant cette semaine de drame en Ukraine que nous progressons dans notre
petite entreprise humanitaire. Organiser une telle opération demande une logistique à
laquelle nous avons dû répondre au fil de nos interrogations et de la mise en place du
projet. Bien que Jorgé ait eu dès le départ une idée assez précise du camp qu'il souhaitait
déployer sur place, nous sommes partis de rien, si ce n'est un camion vide. L'idée pourtant
est ambitieuse puisque Jorgé compte, à la frontière ukrainienne, aménager quatre
espaces autour du camion qui une fois vidé servira de Taxi-ambulance. Ces espaces sont
un dortoir, une crèche, une cuisine et un poste de soin.
Chaque étape de ce voyage doit avoir un sens et être utile. Donc à l'aller nous avons
voulu remplir le camion pour apporter ce dont les personnes qui fuient ont besoin.
Nous avons lancé un appel aux dons dès le 3 mars : vêtements chauds, hygiène,
couches, doudous. Les réponses ne se sont pas fait attendre puisque dès le lendemain
vendredi les dons ont afflué de partout.
Lorsque nous avons pensé au convoi, la température à la frontière entre l'Ukraine et
la Pologne oscillait autour de zéro le jour et plongeait dans le négatif la nuit.
Pascal Leonardi 4
Vous, souletins, avez répondu à cet appel avec une générosité incroyable. En 4 jours
notre lieu de stockage s'est empli de tout ce dont nous avions besoin et plus encore. Des
mètres cubes de solidarité. Il y a de quoi remplir plusieurs camions. Il a donc fallu passer
par une première phase de tri pour prioriser ce qui devait partir avec Jorgé. Ceci fait, nous
avons stocké le reste ailleurs pour préparer la suite des événements.
Pendant la semaine nous prenons la mesure de ce qu'il reste à faire pour équiper
une base de camp humanitaire. Nous déployons donc toutes nos énergies à penser et
rassembler la structure du camp.
Un abri pour chaque espace d'accueil, un système électrique autonome alimentant
l'ensemble du camp, le sol, une cuisine mobile et de quoi servir les repas, des animations
pour les enfants...
C'est très curieux et culpabilisant, car durant cette semaine vécue à 100 à l'heure
chaque réflexion, chaque conversation résolvait un besoin, ce qui faisait naître dans notre
équipe une certaine euphorie et une joie partagée qui occultent les souffrances de ceux
pour qui nous œuvrions. Le village de Tardets compte à peine plus de 500 habitants et un
indice de vieillissement important. Cependant c'est un village qui montre un réel
dynamisme et en particulier dans le domaine de l'accueil des autres, en grande partie
grâce à l'association Solidarité Tardets dont la vocation est celle-ci. Depuis 6 ans environ il
est dans la tradition du village d'accueillir des familles de réfugiés et de les accompagner
au quotidien sur le long terme. Sur le terrain cette semaine certains d'entre eux ont donné
sans compter pour la réussite de notre mission ukrainienne. En particulier Heba, originaire
de Damas en Syrie. Elle a donné toutes ses journées pour trier les vêtements et organiser
l'arrivée des futurs réfugiés ukrainiens. Soulamita,
une Ukrainienne, arrivée comme réfugiée il y a
quelques années et aujourd'hui en Licence à
Bordeaux. Soulamita nous a fourni des traductions
de textes utiles pour la signalétique et la
communication entre Jorgé et les ukrainiens sur le
camp.
Je formule le souhait que cet élan de solidarité national et transnational ne s’éteigne
jamais tant qu'il y aura en ce monde de la détresse humaine. [Hors temps de crise, cette
même énergie disponible mise au service des plus démunis autour de soi pourrait
résoudre une grande part de la pauvreté...]
Cette joie dont je parlais plus haut, empreinte d'une légère culpabilité est une joie
saine au contraire. Elle est le fruit de toute action en direction d'autrui. En soignant les
autres c'est aussi soi même que l'on guérit.
Pascal Leonardi 5
C'est le 10 mars que nous trouvons les derniers éléments essentiels au déploiement
du camp. Deux barnums pour abriter les espaces, l'un trouvé à Oloron et l'autre à Pau.
C'est dans l'après-midi que je termine le montage du réseau électrique du camp. Maïté
Pitrau, mairesse de Tardets, Jorgé et moi-même faisons un dernier point dans le jardin
public du village au milieu des enfants qui jouent. Il fait beau. Nous sommes satisfait du
travail accompli. Le camion doit partir le soir même, dans la nuit. Nous embrassons Jorgé
avant qu'il ne parte.
Il part dans la nuit avec Bernard, un ami à lui, et son chien.
Le 11 mars 2022, alors que Jorgé est sur la route entre Paris et Bruxelles, les
Nations unies indiquent que depuis le début de la guerre 2,5 millions de personnes ont fui
l'Ukraine. S'y ajoutent 2 millions de personnes déplacées dans le pays. Soit 4,5 millions de
personnes dans la détresse absolue, la peur, l'effroi et le froid. Des familles séparées,
d'autres meurtries. Lorsque ces gens quittent leur maison, ils abandonnent tout et
n'emportent souvent que ce qu'un sac peut contenir et ce qu'ils ont sur le dos.
Leurs besoins sont alors matériel : des soins, des vêtements chauds, des produits
d'hygiène ; et humain : réconfort, un doudou pour les enfants, des sourires, un repas
chaud, de la patience, de la bienveillance. C'est là finalement tout ce que Jorgé a voulu
emporter avec lui dans son camion, de la chaleur humaine.
Pourquoi un individu, une famille ou une population se déplace, pour s’installer
ailleurs ? En général c’est pour pouvoir vivre, pour pouvoir JUSTE vivre ! Vivre mieux. Et
idéalement le droit fondamental de tout individu au bonheur justifie que chacun puisse
s’installer là où il se sentira le mieux
Pascal Leonardi 6
Le 12 mars au soir arrivée du camion à Berlin
13 mars, L’ouest du pays, relativement épargné jusqu’ici, est attaqué. Jorgé et
Bernard arrivent le soir à Chelm en Pologne, une ville à 30 km de la frontière avec
l'Ukraine.
14 mars Jorgé et Bernard sont toujours à Chelm où il tente de prendre des contacts.
Il croise la croix blanche qui le prend en charge. Après avoir expliqué les actions qu'ils
souhaitent mener, les professionnels définissent le lieu où les conduire dès le lendemain.
Le 15 mars, Zelensky renonce à l’Otan. Malgré cette concession importante,
l’offensive russe s’est intensifiée, avec une série de frappes sur Kiev
Jorgé et Bernard sont laissés à Dorohusk, à 1,5km de la frontière ukrainienne. Ils
restent là en observateur quelques temps avant de trouver le meilleur site pour de
déployer le camp.
Le matin Jorgé a dû retourner à Chelm. Son chien n'était pas en règle avec la
législation polonaise. Il a dû aller le faire vacciner contre la rage. Ce léger contre-temps
s'ajoute à la désorientation.
Peu ou pas d'immatriculation étrangère, la présence alentour est exclusivement
polonaise.
Jorgé me dit que les différents textes qu'il a emportés en français-anglais-ukrainien
lui sont très utiles. Je me fais la remarque qu'il aurait aussi été judicieux d'obtenir des
traductions polonaises puisque c'est en Pologne qu'il est basé !
Depuis le départ du camion nous avons ici, avec Heba, continué a trier sans relâche
tous les vêtements issus des dons. Nous avons trié par âge et par type de vêtement. Nous
voulons constituer des gardes robes complètes qui pourront être distribuées aux réfugiés
que nous allons accueillir ici. Il y a des tonnes de vêtements. La grande majorité pour les
enfants. Trier, encartonné, étiqueté. Il y en a beaucoup mais vu l'ampleur du drame
humain qui se joue en Ukraine, en aurons-nous assez pour tout le monde ?
Très tôt dans le conflit nous avons perçu l'ampleur des conséquences humanitaires.
Nous avons donc rassemblé les informations juridiques et administratives relatives à
l'accueil de réfugiés ukrainiens. Là encore nous
avons constaté un élan de solidarité incroyable.
Les communes et les particuliers ont proposé
plusieurs logements.
La solidarité matériel ou mécanique, qui se
traduit par un don d'argent ou de biens, même si
elle est très louable bien-sûr, n’entraîne pas de
véritable engagement. C'est un geste symbolique.
Alors que l'élan de solidarité que nous vivons
actuellement est assez singulier. Il témoigne de la
part des personnes qui s'engagent, d'un vrai élan
moral et durable.
Il ne s'agit donc pas uniquement d'une solidarité
quantitativement hors norme. Sa nature est passée
du symbole à l'action, du matériel à l'organique.
Ce convoi en est l'exemple puisque personne
dans cette entreprise collective n'appartient au milieu
humanitaire. Et pourtant nous nous inscrivons dans
l'action.
Pascal Leonardi 7
Alors je réitère le souhait que cet élan de solidarité national et transnational ne
s’éteigne jamais tant qu'il y aura en ce monde de la détresse humaine. Et j'ajoute que
TOUS les réfugiés et migrants, peu importe la couleur de leur peau, leur religion ou la
zone de conflit qu'ils fuient, méritent dignité et sécurité ! Tous doivent être accueillis à bras
ouverts et soutenus par les pays démocratiques et riches.
Elie Wiesel est un écrivain et philosophe rescapé d'Auschwitz et Buchenwald. Au
retour des camps il est venu en France pour faire ses études. Il a dit ceci : “Le monde
savait et est resté silencieux… Nous devons toujours choisir. La neutralité aide
l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté…
Partout où les hommes et les femmes sont persécutés à cause de leur race, religion, ou
points de vue politique, cet endroit doit à ce moment devenir le centre de l’univers.”
Alors faisons que le centre de l'univers soit en Ukraine aujourd'hui, et ailleurs
demain. Soyons sur tous les fronts de la solidarité et de la fraternité.
Pascal Leonardi 8
17 mars. Je n'ai pas de nouvelles de Jorgé et Bernard. Maïté a eu quelques
nouvelles hier et il semblerait qu'ils n'arrivent pas à déployer leur camp comme ils le
souhaiteraient face aux grosses ONG qui occupent tout l 'espace, en particulier Caritas.
S'ils n'arrivent pas à faire, sur le site où ils sont, ce pour quoi ils sont là, ils changeront de
lieu prochainement.
Ici à Tardets l'activité ne tarit pas. La préfecture hier nous a annoncé que deux
familles de réfugiés allaient nous être confiées d'ici à samedi. Effectivement tout logement
déclaré en préfecture est susceptible de recevoir des familles. Les logements en question
(maison l'oiseau, propriété de l’hôpital de Tardets longtemps occupée par des religieuses)
sont restés vides depuis des années. Nous avons donc dû mettre un plan d'action
d'urgence pour qu'ils deviennent salubres et accueillants d'ici 48h. A nouveau sur le pont,
Heba (syrienne), accompagnée de Mérémé (albanaise) et Maïté Pitrau, notre mairesse
toujours sur le terrain, ont aspiré, décrassé, décapé, aménagé, organisé… (Je dis
« notre » mairesse bien que je ne sois pas du village de Tardets, mais ces deux dernières
semaines font que je suis de cœur un Atharraztar). Samedi les logements seront
impeccables ! Pour ce couple avec deux enfants de 8 ans et cette maman avec sa fille de
14 ans.
21h29 Jorgé vient de m'appeler. Il est content mais je sens une petite pointe de
frustration. Il n'a pu déployer qu'une petite partie de son dispositif seulement. Tous les
acteurs humanitaires présents, petits ou grands, s'observent et tentent de travailler
ensemble. Évidemment ce sont les plus gros qui occupent l'espace comme Caritas. Là où
ils sont des ambulances et pompiers déposent des réfugiés qui sont ensuite pris en
charge par des bus. Jorgé a eu la satisfaction de co-organiser un bus de 80 personnes à
destination de l’Espagne, proche de là où vit sa grand-mère, ce qui le réjouit. Je sens son
envie d'aller plus loin et de faire plus. Il a voulu passer en Ukraine mais la police ne lui a
pas permis.
Je reviens sur la journée du 9 mars par le biais d'une photo que je viens de voir. Une
photo de Evgeniy Maloletka prise à Marioupol.
Un enfant qui naît c'est un petit être neuf porteur de renouveau et d'espoir. C'est une
chance de changer ce monde en un monde meilleur. Un enfant qui naît c'est une
Pascal Leonardi 9
promesse. Un enfant qui naît c'est quelque chose de diamétralement opposé à la ruine et
à la désolation. L'enfant qui naît c'est comme la neige, pure, beau, immaculé. La photo
d'Evgeniy Maloletka montre une future maman évacuée sur une civière, la main sur son
ventre pour protéger son bébé. Derrière, la désolation, les ruines, un nuage de fumée et
des cendres... La naissance et les ruines, neige et cendres. Quel type d'homme est
capable de s'en prendre à celui qui n'est pas encore né ? Quelle tragédie ! Quelle
inhumanité ! D'un côté la maternité, l'innocence et l'avenir, de l'autre le chaos et la
désolation. La volonté de détruire un hôpital pédiatrique et une maternité c'est le symbole
de la volonté d'exterminer un peuple. La volonté tyrannique d'un seul homme d'organiser
la mort. Il s'attaque aux racines de la vie. Cinq jours après la publication de la photo,
l'agence de presse AP a annoncé le décès de cette femme ainsi que de son bébé.
Vendredi soir, 18 mars, les logements sont prêts, propres, rutilants... ce n'était pas
gagné mais notre travail acharné à eu raison des salissures du temps et des effets
nuisibles sur une maison restée trop longtemps vide. Mais voilà que surviennent des
problèmes au niveau des familles et de la préfecture. Les familles que nous devions
recevoir sont redirigées ailleurs. Les enfants d'une des familles sont malentendants et
nécessitent un accompagnement particulier. Il est déjà difficile en temps normal dans son
propre pays pour une famille de répondre à ces questions d'établissement spécialisé,
alors je compatis sincèrement avec cette famille et souhaite que ces enfants déracinés
trouvent refuge là où ils seront bien pris en charge et protégés.
Pas de nouvelles de Jorgé et Bernard sur leur frontière. Une pensée particulière pour
Jorgé qui à du se sentir bien loin de chez lui ce samedi puisque sa fille fêtait son
anniversaire ce week-end.
Cette frontière entre la Pologne et l'Ukraine voit les frappes russes se rapprocher. La
guerre se rapproche dramatiquement de la Pologne. Lviv est à à peine plus de 60 km de
la Pologne.
Pascal Leonardi 10
Nous sommes le 21 mars, c'est le printemps. Ici il fait très beau. Je suis avec Heba,
nous continuons à trier et conditionner les dons de vêtements. Mérémé nous rejoint une
partie de l'après-midi. Heba me dit qu'à Damas (Syrie) c'est le jour de la fête des mères.
Sa mère et ses sœurs sont à Damas, elle pense à elles qui sont là bas, ensemble... Ici
c'est une belle journée. Nous
travaillons dans la joie et la
bonne humeur. Le matin, les
douceurs du marché sur la place
du village. L'après midi une
petite pluie presque tropicale
puisque ce sont de grosses
gouttes chaudes qui tombent sur
le sol qu'à maintenant déserté le
marché.
Là bas ce ne sont pas des
gouttes chaudes mais des
bombes et des missiles
« hypersoniques » qui frappent
le sol et les personnes. Par
endroit des cadavres jonchent le
sol. 3,3 millions de personnes
ont quitté le pays et au total 10 millions de déplacés. Un habitant sur 4 n'a plus de chez
lui ! De fait, l'Ukraine est entrée dans l'Europe. La cohésion unanime des États européens,
les sanctions économiques radicales, les tentatives diplomatiques et l'accueil fait aux
réfugiés en sont autant de preuves.
Cette guerre est un véritable désastre. Quel qu’en soit l'issue, elle aura des
répercussions pendant longtemps sur le plan géopolitique, humain, écologique. Le visage
du monde va être modifié.
Dès aujourd'hui nous pouvons préparer la résilience en faisant le choix de l'humain.
Cela passe par la reconnaissance de toutes les détresses humaines et développer les
formules institutionnelles de leurs résolutions. Se penser ni au-dessus, ni à côté des
autres mais au milieu d'eux, avec eux.
Le propre de l'Homme c'est la Culture. Partout , l'intention qui conduit à la Culture est
à peu près toujours la même, elle est universelle. Les particularismes qui font LES
culturelles sont relatifs aux contextes locaux. Et l'histoire de l'humanité à continuellement
créé des passerelles entre les cultures. Depuis des millénaires les cultures humaines se
sont enrichies les unes des autres. L'économie de la culture n'est qu'un enrichissement
permanent.
Pascal Leonardi 11
Si par exemple j'ai 10 € et que je souhaite partager avec mon ami, je dois me
déposséder de 5 €. Je suis donc moitié moins riche, je me suis appauvri. Par contre, si je
veux lui transmettre des connaissances relatives à ma culture, je ne me dépossède de
rien et lui se sera enrichi. L'échange m'aura également enrichi de ce qu'il m'aura offert des
connaissances de sa propre culture. Que du gain, du bénéfice et du rapprochement !
Il ne faut donc pas sombrer non plus dans le piège de « l'autro-phobie », en
l’occurrence la russophobie. La situation actuelle n'est pas le fait des russes mais de
l'idéologie du régime « oligarchique » actuel en Russie et des délires d'un tyran solitaire.
Donc écoutons Prokofiev, Tchaïkovski et Rachmaninov en lisant Dostoïevski, Gogol,
Nabokov, Boulgakov assis sous un tableau doux, poétique et tendre de Marc Chagall...
Par la voix d'Alexei Navalny je cite Léon Tolstoï « La guerre est une œuvre du despotisme.
Ceux qui veulent combattre la guerre ne doivent combattre que le despotisme. »
Pascal Leonardi 12
22 mars. J'ai Jorgé au téléphone en fin d'après-midi. Il s'est déplacé pour rejoindre
une zone avec plus d'activités. Il est maintenant basé à Przemyśl. Cette ville à la frontière
polonaise est en ligne directe avec Lviv qui à été bombardée il y a quelques jours. Il a pu
déployer une partie de son camp, la cuisine notamment. Il est avec des « copains »
espagnols, italiens, canadiens... Des compagnons humanitaires. J'entends des rires
derrière lui. Je lui demande comment il va. Sa réponse est vraiment sans conviction,
éteinte. Ils ont fait un petit feu au centre de leur camp. Difficile d'avoir des informations,
comme s'il voulait parler d'autres choses. Il me donne quand même quelques
informations. Chaque jour transite dans les 3000 réfugiés, des femmes et des enfants. Il
occupe ses journées avec les autres acteurs humanitaires à dispatcher ces femmes et ces
enfants dans des convois vers les pays d'Europe de l'ouest. Il me semble que parler d'eux
c'est comme dévoiler ses émotions. Alors il se cantonne à des considérations techniques
et matérielles. Il reprend sa voix pleine d'entrain et me demande comment ça va ici, où on
en est, comme pour détourner la conversation... Je lui dis donc tout le travail achevé ici et
que nous sommes au village dans l'attente de familles. Je lui dis qu'une cinquantaine de
Pascal Leonardi 13
réfugiés orientés vers Mauléon seront hébergés au château de Libarrenx. Ils doivent
arriver dans la nuit. Mais leur accueil n'a pas été vraiment préparé. Pas de vêtements, peu
de produits d'hygiène et le collectif souletin, sollicité au dernier moment, un peu
déboussolé face aux repas qu'il faudra servir au groupe... Nous mesurons l'ampleur de la
tâche qu'il y aura encore après son retour. Je tente encore une question et lui demande
dans quel état sont les gens qui arrivent à la frontière ? Pudiquement avec une voix
éteinte il m'a répondu « je regarde pas ». Tout le silence dans cette voix habituellement si
joviale m'a transpercé la poitrine.
La frontière est le passage d'un monde à un autre, de la guerre à ailleurs. Un voyage
épuisant et déchirant. Une blessure sans fond. Anastasia est dans la guerre à Kherson,
Sud de l'Ukraine. Extrait du podcast note vocale d'Ukraine : « D'habitude je pleure pas,
même quand je regarde les films... amoureux disons. Mais maintenant c'est très difficile
de tenir les larmes. Quand je vais dormir j'imagine les images comme si une roquette
attaquerait cette nuit la maison. Comment je vais le sentir, est ce que je vais le sentir. Est
ce que ça va faire mal ou ça va juste arriver comme si je dormais jamais réveiller. J'en
pense pas exprès. Ces pensées arrivent juste dans ma tête...mmm.. c'est vraiment
triste... ».
Jorgé voit passer ces gens déjà traumatisés chez eux et qui ont dû tout abandonner.
Mais de l'autre côté, dans la paix et la sécurité des terres d'accueil sont ils guéris ? Non !
Darya est arrivé près de Zurich en Suisse. Elle a trouvé refuge dans une maison près
de l'aéroport. Elle se promène avec son fils : « J'ai une image qui me brise un peu le cœur
c'est que je vois un papa qui joue au foot avec son fils. Et mon fils ne joue pas au football
avec son papa parce que ces con de russe ont attaqué et les avions ne volent pas non
plus sur ma terre c'est que des avions qui font du bombardement. Alors c'est tout une
image qui me semble
une image de vie de
fantaisie. Et vice versa.
Ca existe ce
sentiment dont on
parle beaucoup ces
jours c'est le sentiment
d'être coupable pour
qu'on est en sécurité.
Les gens qui sont à
Kiev le sont par rapport
à ceux qui sont au
première rangée des
armées. Les gens qui
sont à l'ouest de
l'Ukraine le sont par
rapport à ceux qui sont
à Kiev. Et nous qu'on
est déjà à l'étranger, et
je parle avec plusieurs personnes ici, nous ressentons tous aussi cette culpabilité très
forte parce que nous, nous sommes en situation super. On prend vraiment beaucoup soin
de nous, on a beaucoup plus qu'il nous faut d'abord... c'est assez difficile à supporter... ».
Pascal Leonardi 14
23 mars. Hier soir et ce matin je suis allé au château de Libarrenx, là où une
cinquantaine de réfugiés sont arrivés à 3h du matin. Je discute longuement avec une
personne de l'association France Horizon. Nous tentons de voir comment coordonner nos
actions. Quelques ukrainiens sont dans la grande salle à manger et déjeunent. D'autres
viennent tenter d'avoir des informations et de demander le Wifi ou des cartes SIM. Une
jeune fille semble à la fois complètement perdue et affiche de la douceur et des sourires
de politesse.
Il leur faut à tout pris avoir des informations de leur famille, sur ce qui se passe chez
eux et le wifi devient donc pour eux quelque chose de vital, comme un cordon ombilical
qui les relie à ce qui reste de leur monde d'avant.
Cet après midi réunion à la mairie avec, Heba, Solidarité Tardets et Maïté. Ca y est
deux familles vont nous être envoyées. Ces deux familles dans leur composition et leurs
histoires montrent tout le drame et l'absurdité de la guerre...
Pour nous qui sommes si loin c'est très dur de se figurer la guerre, la vraie. Nous
sommes si loin et si bien confortablement installé dans notre monde de privilégiés. Ce soir
je suis triste, révolté, déboussolé, agacé. L'attitude de certains ici me fait honte et
m'indigne. Les petites préoccupations, l'expression des petits sentiments de supériorité
sont tellement insignifiantes et indécentes. Je ne connais pas la guerre. Est-il possible de
prendre la mesure de ce qu'ont vécu ceux qui nous arrivent. Peut-on vivre par la pensée
ce qu'ils ont vécu dans leur chair et dans leur psychisme. Non, non, et non ! Notre
imagination si puissante soit-elle ne le peut. Notre esprit de privilégié nous emprisonne
dans un confort insupportable. Je suis triste !
Pascal Leonardi 15
La première famille se compose de quatre femmes et un enfant de 8 ans. Où sont les
maris et le papa ? Ces femmes et cet enfant ont échappé aux promesses funèbres de la
guerre en abandonnant tout derrière eux. Elles ont passé la frontière et dans leur détresse
sont certainement montées dans le premier véhicule qui leur offrait des promesses
d'espoir et de sécurité. Enfermées à l'arrière du véhicule, elles ont roulé des heures ou
des jours avant de se rendre compte que quelque chose n'allait pas. C'est dans les
environs de Bilbao qu'elles ont pu prévenir la police via leur portable certainement. Une
fois délivrées de ces ignobles trafiquants elles ont été ramenées à Bayonne où Vendredi
Maïté et Solidarité Tardets vont les récupérer.
La seconde petite famille est constituée d'une
enfant et de son bébé de 8 mois. Je dis une
enfant car elle n'a que 21 ans ! Qu'y avait-il, amis
lecteurs, dans votre tête et dans votre cœur
lorsque vous aviez 21 ans ? De l'insouciance, de
la fête, des amis, de l'ivresse de vie, des
amours... Qu'y a-t-il à cet instant dans la tête de
cette toute jeune maman ?
Nous avons tous mis tant d’énergie dans la préparation depuis deux semaines
qu'une chose curieuse se produit. Il y a déjà un lien fort qui nous unit à elles. Au fil des
heures nous recevons des informations sur ces familles que nous allons accueillir. Nous
ne les connaissons pas, ne les avons pas encore vues, mais déjà elles s'incarnent dans
une histoire terrible, et nous avons tous hâte de prendre soin d'elles. Des agents
communaux, des employés de l’hôpital,
des anonymes, des donateurs, tous nous
avons œuvés d'une façon ou d'une autre
à cette belle entreprise. Et nous sommes
impatients de les accueillir. Nous avons
de l'affect pour elles et entre nous s'est
tissé quelque chose qui nous rassemble.
Aider les autres c'est s'aider soi-même.
S'aider soi-même c'est s'unir aux autres
Ce cercle vertueux est la démonstration
de tous les bienfaits pour une société de
s'ouvrir et d'accueillir les étrangers.
Pascal Leonardi 16
Nous sommes le 30 mars. Quelques jours se sont écoulés. Jorgé est rentré ce soir
chez lui. Au téléphone, il semble avoir retrouvé sa jovialité. Il est très pressé de nous revoir
et de continuer ici. Il veut voir ses enfants. Il reste évasif sur ce qu'il a vécu là bas. Il a
peut-être sauvé 200 personnes me dit-il, mais il est très triste de ne pas en avoir aidé
2000. Il m'avoue avoir craqué une fois et ne pas avoir réussi à retenir ses larmes...
Aujourd'hui 31 mars j'ai passé une partie de la journée avec Jorgé. Son état est inquiétant.
Nous déjeunons ensemble. La il me raconte un peu ce qu'il a rencontré comme épreuve.
Puis nous nous rendons à Tardets. Il est sombre, triste, très taciturne. Nous croisons des
gens qui se réjouissent de le revoir et lui posent des questions auxquelles il ne répond
pas ! Jorgé n'est pas un travailleur humanitaire professionnel. Cependant pendant ces 3
semaines il en a endossé la fonction. La profession de travailleur humanitaire consiste à
fournir une assistance à des populations en difficulté lors de crises humanitaires. Ce qu'il a
fait ! Ces travailleurs, qui évoluent dans des environnements complexes, sont exposés à
diverses sources de stress, incluant des événements potentiellement traumatiques. Par
conséquent, ils formeraient un groupe de professionnels à haut risque de présenter divers
problèmes de santé mentale, incluant un trouble de stress post-traumatique. Je ne sais
pas dans quelle mesure mais je pense que Jorgé vit très mal son retour. Nous allons
devoir l'entourer.
Pascal Leonardi 17
Ici, Tania et son bébé Rita, Nina la grand-mère, Ina sa fille et Ruslan leur garçon de 8
ans, Irina et Yana sa fille, tous sont arrivés depuis bientôt une semaine. Nous avons tout
fait pour préparer leur arrivée et faire qu'elles se sentent les bienvenues et en sécurité.
Mais c'était sans compter sur l'importance du traumatisme qui les habite. Les deux
premiers jours nous les avons beaucoup entourées. Mais la peur et les craintes étaient là
comme une blessure béante. L'association Solidarité Tardets accompagnée par la
représentation officielle de Maïté sont allés les chercher à Bayonne. Tania était terrorisée,
elle a refusé de monter dans le car. Il a donc fallu la conduire elle et son bébé en voiture.
Le soir, l'autre famille prise de terreur n'a pas voulu dormir dans les trois chambres que
nous leur avions préparées. Elles se sont entassées toutes les quatre avec Ruslan au
même endroit pour dormir. Il aura fallu parlementer des heures pour les rassurer un tant
soi peu.
Heureusement depuis leur arrivée les choses ont commencé à changer. Elles sont
souriantes, d'un sourire plus détendu, moins suspicieux. Ruslan a demandé
immédiatement d'aller à l'école. Cela fait deux jours qu'il à intégré l'école du village. Le soir
lorsque Ruslan passe la portail de l'école, il court vers sa maman avec un large sourire et
se jette dans ses bras. Ina lui répond par le sourire d'une maman heureuse pour son
enfant. Aujourd'hui il semblerait que toutes ces femmes se soient un peu libérées de la
terreur qui les habitait à leur arrivée. Hier Ina est venue trier les vêtements avec nous.
Pour communiquer nous utilisons l'application Google traduction avec le téléphone de
Heba. C'est très drôle car Heba et moi
parlons à son téléphone en français, celui-ci
écrit en Arabe puisque Heba est syrienne, et
le téléphone traduit et répond en ukrainien.
C'est magnifique ! C'est un de ces petits
moments fugaces de bonheur. Qu'est ce que
« l'humain » ? C'est tous les Hommes qui
composent l'humanité. C'est donc toutes les
cultures, toutes les traditions, tous les rituels,
toutes les langues. L'humanité est multitude.
Et à cet instant en regardant ce téléphone je
me sens profondément humain parce qu'unis
à ces personnes au milieu de toutes ces
langues, de toutes ces cultures. Ce qui me
conforte dans le fait que le sentiment d'humanité ne peut se réaliser qu'en se nourrissant
de ce qui n'est pas nous. Ce petit « nous » ou « chez nous » que brandissent ceux qui ne
ressentiront jamais la plénitude et la profondeur d'être Humain.
Tania et son bébé vont régulièrement chez Heba boire un café et discuter. La famille
de Ruslan circule dans le village et tentent d'apprendre quelques petits mots de français.
Yana, qui chez elle suivait des cours de droit, a exprimé le souhait de poursuivre ici. La vie
reprend... et pour parfaire le tableau, le temps dehors est magnifique. En triant les
vêtements, dès que Heba voit quelque chose à la taille d'Ina et chaud, elle lui propose de
le prendre. Et chaque fois Ina lui répond en ukrainien avec un grand sourire: « Non, non,
non c'est beaucoup trop chaud, je veux des vêtements d'été ». Et oui dehors il fait plus de
20°C mais nous sommes restés sur un imaginaire selon lequel il leur fallait des vêtements
chauds. Est-ce par rapport au froid de son pays d'origine ou bien est-ce un réflexe
maternel de bienveillance et de surprotection ! Nous partageons de bons moments.
L'école, l'université, le travail, plus la rupture sera courte avec ces
Pascal Leonardi 18
activités sociales et plus la reconstruction sera facile.
Toute la difficulté des premiers jours a été de trouver une forme
d'équilibre entre notre désir trop grand de les protéger, de les « materner » et
la nécessité de ne pas envahir leur espace intime si fragilisé. Faire en sorte
qu'elles se sentent chez elles dans un espace qui n'est pas le nôtre mais que
nous préparons depuis 15 jours, tout en leur apportant le maximum de
réconfort et de présence.
Cette expérience est aussi l'occasion de faire notre autocritique et de nous améliorer.
En préparant les logements nous avons une légère tendance à infantiliser les
personnes qui vont les habiter. Nous prenons des décisions, nous organisons la répartition
des familles sans les connaître, sans les consulter comme si elles n'étaient pas capables
de le faire par elles-même. En faisant cela nous leur retirons de leur capacité d'auto-
gestion ou d'autonomie, nous les infantilisons. C'est même intrusif puisque nous projetons
sur eux notre propre culture, nos propres comportements que l'on souhaiterait les voir
appliquer. Nous actons pour eux à l'aune de nos propres comportements. Régenter ainsi
leurs faits et gestes peut être une forme de violence psychique et involontaire puisqu’à
l'origine c'est l'effet inverse que nous recherchons. Cet état nounou qui vous veut du bien.
Par ailleurs, les réfugiés ne parlent pas notre langue, évidemment, ce qui est un
handicap dans le pays d'accueil où ils ne pourront généralement pas exercer leur métier.
Ina par exemple est comptable. Irina est commerciale. Ici, elles vont se retrouver sur une
chaîne de production et effectuer un travail répétitif. Elles sont dévaluées socialement et
dans leur propre représentation d'elle-même. Nous devons être extrêmement attentif à
tous ces aspects qui participent aussi de la reconstruction de ces personnes déracinées.
Pascal Leonardi 19
Pour ces femmes et ces enfants, le souvenir de cette période douloureuse ne
s'effacera jamais. Les blessures liées à cette guerre ne s'effaceront jamais. Il faudra vivre
avec. Et cela sera d'autant plus facile si elles sont accompagnées humainement et
socialement. C'est donc notre rôle à tous à partir de maintenant que de mettre de la
beauté dans leur vie.
Nous sommes le 31 mars au soir. La pluie est revenue et la fraîcheur avec.
Une annonce est arrivée aujourd'hui. Six femmes avec trois enfants de 13 ans et un
de 4 ans vont arrivés ce week-end à Tardets.
Depuis un mois nous avons tous accompli, ici à Tardets, un travail « humanitaire » de
type logistique et purement matériel. Nous entrons maintenant dans la dimension
psychique. C'est la partie la plus délicate mais la plus belle et la plus riche.
Nous allons devoir solliciter toutes nos qualités d'empathie, de patience, d'écoute et
de créativité. Nous devons faire preuve d'une acuité psychologique particulière. Ce qui
peut nous paraître à nous la meilleure solution ne l'est peut-être pas du tout pour elle.
Elles sont en quête de repères et de sécurité, d'un cocon.
Des particuliers nous ont proposé leur résidence secondaire. Celle-ci est divisée en 2
logements bien séparés. Un grand appartement avec 4 chambres (TV internet inclus...) et
un petit studio au sous-sol. Le tout avec un grand jardin pour faire un potager. La maison
est accolée à l'école de Ruslan qui pourrait y aller seul en trente secondes. Les
propriétaires mettent à disposition leur grand appartement pour les familles de réfugiés.
Eux, pendant leur rares séjours habiteront le studio du sous sol. Nous avons donc pensé
que Ina et sa famille, Irina et Yana pourraient y être mieux que dans les deux petites
Pascal Leonardi 20
pièces ou elles se sont entassées à 5 avec Ruslan. Nous les y avons conduit, elles ont
visité et refusé l'offre. Plus tard nous sommes allés chez elles leur demander la raison. La
principale raison évoquée est qu'elles se sont habituées là où elles sont (dans l'ancien
presbytère) et qu'elles s'y sentent en sécurité toutes ensembles. Alors même que dans cet
ancien presbytère il y a 4 ou 5 chambres de libres, elles restent confinées dans deux
petites pièces minuscules. C'est tout petit, il y fait très chaud. Mais c'est rassurant...
comme est protecteur pour un enfant, le ventre de sa mère. Tous les choix de ces femmes
sont des choix qu'elles font à la lueur noire de leur triste histoire. Et nous devons les
comprendre et les respecter impérativement.
Les relations avec Ina et sa famille, Irina et Yana, et Tania vont de mieux en mieux.
La confiance s'installe. La méfiance a quitté leur regard. Ce ne sont plus des sourires de
politesse pressés par l'injonction à la reconnaissance et emprunts de suspicion. Ce sont
des sourires plus francs et sincères. J'échange de plus en plus avec Tania via whatsapp.
Ce sont des petits moments de bonheur partagés. Ces personnes me touchent
profondément.
Parfois il faut abandonner ses
larmes pour avancer le visage nu et enfin
aller à la rencontre de l'autre car il n'est
de plus franc visages que ceux que lavent
de pareils flots.
Pascal Leonardi 21
C'est là que s'achève mon récit. Mais l'histoire continue et je vous invite de tout cœur
à en faire partie en allant à la rencontre de ces femmes et de ces enfants, pour que la vie
soit toujours plus forte et plus grande que la guerre et les préjugés. Soyons attentifs les
uns envers les autres. Finalement nous ne formons qu'une seule et grande belle famille.
Prenons soin les uns des autres, c'est ce qui fait notre humanité.
Fin
Pascal Leonardi 22
Tout ce travail est d'une importance majeure car il s'agit de la vie d'êtres humains. Ce n'est
donc pas normal que cette tâche soit sous la seule responsabilité de bénévoles
inexpérimentés. C'est un travail de longue haleine qui pour se correctement doit impliquer
des acteurs sur la durée et à plein temps. Or le bénévolat à plein temps sur la durée ce
n'est pas possible pour tout le monde car il faut vivre. Et si certains des acteurs bénévoles
quittaient la mission, cela pourrait compromettre sa réussite.
Alors j'adresse la lettre qui suit à nos élus locaux pour qu'ils s'engagent dans la durée, à
nos élus nationaux pour qu'ils légifèrent, au HCR et à l'OFPRA pour qu'ils soutiennent
cette idée devant les législateurs.
Pascal Leonardi 23
Aux élus de mon territoire, aux élus de la nation
Un Bénévole à Tardets Au HCR, à l'OFPRA
Mesdames et messieurs les élus,
Tardets, le 22 mars 2022
OBJET : Création de postes de référent humanitaire locale encadré par un groupement d'employeurs
(collectivités).
Hier les chiffres concernant la crise ukrainienne étaient les suivants : 3,5 millions de personnes
ont quitté leur pays et au total on compte 10 millions de déplacés. Un habitant sur 4 n'a plus de chez lui !
De fait, l'Ukraine est entrée dans l'Europe. Et je pense que chaque élu en ressent sur sa commune les
premiers effets. L'accueil de réfugiés s'anticipe. Pour que tout se passe au mieux, une grande préparation
est nécessaire en amont et un suivi sur le long terme..
Cette guerre est un véritable désastre. Quel qu’en soit l'issue, elle aura des répercussions pendant
longtemps sur le plan géopolitique, humain, écologique. Le visage du monde va être modifié jusqu'à l'échelle
locale.
Les ukrainiens que nous allons accueillir en Soule (au château de Libarrenx dès cette nuit) le seront pour
des mois voire des années, c'est une évidence. Et durant ces années quelles autres crises encore
déplaceront des populations qu'il nous faudra aider ?
Dès aujourd'hui nous pouvons anticiper la résilience en faisant le choix de l'humain. Cela passe par la
reconnaissance de toutes les détresses humaines sur toutes les formes de conflits, quelles que soient leurs
couleurs de peau, leurs religions et leurs cultures.
Pourquoi un individu, une famille ou une population se déplace pour s’installer ailleurs ? En général c’est
pour pouvoir vivre, pour pouvoir JUSTE vivre ! Vivre mieux. Et idéalement le droit fondamental de tout
individu au bonheur justifie que chacun puisse s’installer là où il se sentira le mieux.
Alors pour que ces personnes trouvent un vrai refuge dans l'accueil que nous leurs offriront localement sur le
terrain, il faut développer des réponses institutionnelles à la hauteur. L'ampleur du phénomène ne peut
plus être laissée exclusivement aux associations et aux bénévoles. Il faut un référent institutionnel sur le
terrain. Les préfectures ne font que du recensement, de la répartition et un suivi à distance.
A l'échelle locale, je suggère, sur le modèle du salariat par un groupements d'employeurs agricoles de
créer des postes de « logisticien humanitaire local » totalement dédiés à l'accueil des réfugiés. Ce poste
serait sectorisé et financé par un ensemble de communes ou autres collectivités.
Les tâches afférentes au poste pourraient être les suivantes, la liste n'est pas exhaustive, elle est à réfléchir :
- Préparation de l'accueil
- Recensement des capacités de logement
- Service technique des locaux
- Gestion de l'intendance pour les primo-arrivants
- Recherche de financements
- Collecter et centraliser toutes les informations sur un secteur géographique donné
- Orientation des réfugiés dans leurs démarches administratives
- Suivi juridique
- Organisation et suivi de la scolarité des enfants.
- Mise en place d'un réseau de traducteurs
- Organisation de l'apprentissage de la langue
- Suivi de l'intégration des familles sur le moyen et long terme
- Sociabilisation et intégration des réfugiés
- Communication avec les administrés
Un référent local et disponible sur le terrain permettrait d'humaniser l'accueil. Et c'est ce dont ont besoin les
réfugiés. En espérant pouvoir poursuivre la réflexion avec des élus.
Cordialement
P.L.
Pascal Leonardi 24

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Tardets mission Ukraine

  • 1. Pascal Leonardi 1 Tardets Le petit village souletin fait preuve d'une mobilisation exceptionelle pour l'Ukraine Préparation d'un convoi pour la Pologne Accueil de plusieurs familles de réfugiées : des femmes et des enfants
  • 3. uels fantômes ont hantés Poutine jusqu'à ce 24 février 2022 pour qu'il se lance dans cette guerre délirante ? Caprice de Tsar, syndrome d'hubris ? Mais sa folie meurtrière aurait-elle réveillé nos instincts les meilleurs ? La crise Ukrainienne sera-t-elle le catalyseur d'une nouvelle ère, celle de la conscience des effets de la guerre et du pouvoir de la solidarité. Même si cet espoir est un peu naïf, la solidarité vis-à-vis d'une population réfugiée que nous allons devoir accueillir sera dans les jours qui suivent sans précédent. Q Le 26 février Kiev sous couvre-feu, la Russie intensifie son offensive. C'est peut être là que notre ami Jorgé, mu par des images de guerre aux portes de l'Europe, se décide à agir. Le 27 février : Vladimir Poutine brandit à demi mots la menace nucléaire. C'est donc ces derniers jours de février 2022 que notre modeste aventure locale à démarrée. Jorgé, le kiné de Tardets à décidé de partir avec son vieux camping car pour convoyer du matériel et proposer sur place une aide d'urgence. Il contacte la mairie de Tardets qui me met en contact avec lui. Le 1er mars les bombardements s’intensifient à Kiev et Kharkiv. Pascal Leonardi 3
  • 4. Le 3 mars, ce jour où démarre notre belle rencontre, une frappe russe tue 47 personnes à Tcherniguiv. Le 4 mars, la Russie s’empare de la centrale nucléaire de Zaporijjia. Les événements s'enchaînent. Le 5 mars le port de Marioupol assiégé et le 6 mars l’aéroport de Vinnytsia est bombardé, au moins neuf morts. Vladimir Poutine se rend coupable de crimes de guerre. Il n'épargne pas les civils. Le 9 mars un établissement abritant un hôpital pédiatrique et une maternité a été détruit par des bombardements russes. C'est pendant cette semaine de drame en Ukraine que nous progressons dans notre petite entreprise humanitaire. Organiser une telle opération demande une logistique à laquelle nous avons dû répondre au fil de nos interrogations et de la mise en place du projet. Bien que Jorgé ait eu dès le départ une idée assez précise du camp qu'il souhaitait déployer sur place, nous sommes partis de rien, si ce n'est un camion vide. L'idée pourtant est ambitieuse puisque Jorgé compte, à la frontière ukrainienne, aménager quatre espaces autour du camion qui une fois vidé servira de Taxi-ambulance. Ces espaces sont un dortoir, une crèche, une cuisine et un poste de soin. Chaque étape de ce voyage doit avoir un sens et être utile. Donc à l'aller nous avons voulu remplir le camion pour apporter ce dont les personnes qui fuient ont besoin. Nous avons lancé un appel aux dons dès le 3 mars : vêtements chauds, hygiène, couches, doudous. Les réponses ne se sont pas fait attendre puisque dès le lendemain vendredi les dons ont afflué de partout. Lorsque nous avons pensé au convoi, la température à la frontière entre l'Ukraine et la Pologne oscillait autour de zéro le jour et plongeait dans le négatif la nuit. Pascal Leonardi 4
  • 5. Vous, souletins, avez répondu à cet appel avec une générosité incroyable. En 4 jours notre lieu de stockage s'est empli de tout ce dont nous avions besoin et plus encore. Des mètres cubes de solidarité. Il y a de quoi remplir plusieurs camions. Il a donc fallu passer par une première phase de tri pour prioriser ce qui devait partir avec Jorgé. Ceci fait, nous avons stocké le reste ailleurs pour préparer la suite des événements. Pendant la semaine nous prenons la mesure de ce qu'il reste à faire pour équiper une base de camp humanitaire. Nous déployons donc toutes nos énergies à penser et rassembler la structure du camp. Un abri pour chaque espace d'accueil, un système électrique autonome alimentant l'ensemble du camp, le sol, une cuisine mobile et de quoi servir les repas, des animations pour les enfants... C'est très curieux et culpabilisant, car durant cette semaine vécue à 100 à l'heure chaque réflexion, chaque conversation résolvait un besoin, ce qui faisait naître dans notre équipe une certaine euphorie et une joie partagée qui occultent les souffrances de ceux pour qui nous œuvrions. Le village de Tardets compte à peine plus de 500 habitants et un indice de vieillissement important. Cependant c'est un village qui montre un réel dynamisme et en particulier dans le domaine de l'accueil des autres, en grande partie grâce à l'association Solidarité Tardets dont la vocation est celle-ci. Depuis 6 ans environ il est dans la tradition du village d'accueillir des familles de réfugiés et de les accompagner au quotidien sur le long terme. Sur le terrain cette semaine certains d'entre eux ont donné sans compter pour la réussite de notre mission ukrainienne. En particulier Heba, originaire de Damas en Syrie. Elle a donné toutes ses journées pour trier les vêtements et organiser l'arrivée des futurs réfugiés ukrainiens. Soulamita, une Ukrainienne, arrivée comme réfugiée il y a quelques années et aujourd'hui en Licence à Bordeaux. Soulamita nous a fourni des traductions de textes utiles pour la signalétique et la communication entre Jorgé et les ukrainiens sur le camp. Je formule le souhait que cet élan de solidarité national et transnational ne s’éteigne jamais tant qu'il y aura en ce monde de la détresse humaine. [Hors temps de crise, cette même énergie disponible mise au service des plus démunis autour de soi pourrait résoudre une grande part de la pauvreté...] Cette joie dont je parlais plus haut, empreinte d'une légère culpabilité est une joie saine au contraire. Elle est le fruit de toute action en direction d'autrui. En soignant les autres c'est aussi soi même que l'on guérit. Pascal Leonardi 5
  • 6. C'est le 10 mars que nous trouvons les derniers éléments essentiels au déploiement du camp. Deux barnums pour abriter les espaces, l'un trouvé à Oloron et l'autre à Pau. C'est dans l'après-midi que je termine le montage du réseau électrique du camp. Maïté Pitrau, mairesse de Tardets, Jorgé et moi-même faisons un dernier point dans le jardin public du village au milieu des enfants qui jouent. Il fait beau. Nous sommes satisfait du travail accompli. Le camion doit partir le soir même, dans la nuit. Nous embrassons Jorgé avant qu'il ne parte. Il part dans la nuit avec Bernard, un ami à lui, et son chien. Le 11 mars 2022, alors que Jorgé est sur la route entre Paris et Bruxelles, les Nations unies indiquent que depuis le début de la guerre 2,5 millions de personnes ont fui l'Ukraine. S'y ajoutent 2 millions de personnes déplacées dans le pays. Soit 4,5 millions de personnes dans la détresse absolue, la peur, l'effroi et le froid. Des familles séparées, d'autres meurtries. Lorsque ces gens quittent leur maison, ils abandonnent tout et n'emportent souvent que ce qu'un sac peut contenir et ce qu'ils ont sur le dos. Leurs besoins sont alors matériel : des soins, des vêtements chauds, des produits d'hygiène ; et humain : réconfort, un doudou pour les enfants, des sourires, un repas chaud, de la patience, de la bienveillance. C'est là finalement tout ce que Jorgé a voulu emporter avec lui dans son camion, de la chaleur humaine. Pourquoi un individu, une famille ou une population se déplace, pour s’installer ailleurs ? En général c’est pour pouvoir vivre, pour pouvoir JUSTE vivre ! Vivre mieux. Et idéalement le droit fondamental de tout individu au bonheur justifie que chacun puisse s’installer là où il se sentira le mieux Pascal Leonardi 6
  • 7. Le 12 mars au soir arrivée du camion à Berlin 13 mars, L’ouest du pays, relativement épargné jusqu’ici, est attaqué. Jorgé et Bernard arrivent le soir à Chelm en Pologne, une ville à 30 km de la frontière avec l'Ukraine. 14 mars Jorgé et Bernard sont toujours à Chelm où il tente de prendre des contacts. Il croise la croix blanche qui le prend en charge. Après avoir expliqué les actions qu'ils souhaitent mener, les professionnels définissent le lieu où les conduire dès le lendemain. Le 15 mars, Zelensky renonce à l’Otan. Malgré cette concession importante, l’offensive russe s’est intensifiée, avec une série de frappes sur Kiev Jorgé et Bernard sont laissés à Dorohusk, à 1,5km de la frontière ukrainienne. Ils restent là en observateur quelques temps avant de trouver le meilleur site pour de déployer le camp. Le matin Jorgé a dû retourner à Chelm. Son chien n'était pas en règle avec la législation polonaise. Il a dû aller le faire vacciner contre la rage. Ce léger contre-temps s'ajoute à la désorientation. Peu ou pas d'immatriculation étrangère, la présence alentour est exclusivement polonaise. Jorgé me dit que les différents textes qu'il a emportés en français-anglais-ukrainien lui sont très utiles. Je me fais la remarque qu'il aurait aussi été judicieux d'obtenir des traductions polonaises puisque c'est en Pologne qu'il est basé ! Depuis le départ du camion nous avons ici, avec Heba, continué a trier sans relâche tous les vêtements issus des dons. Nous avons trié par âge et par type de vêtement. Nous voulons constituer des gardes robes complètes qui pourront être distribuées aux réfugiés que nous allons accueillir ici. Il y a des tonnes de vêtements. La grande majorité pour les enfants. Trier, encartonné, étiqueté. Il y en a beaucoup mais vu l'ampleur du drame humain qui se joue en Ukraine, en aurons-nous assez pour tout le monde ? Très tôt dans le conflit nous avons perçu l'ampleur des conséquences humanitaires. Nous avons donc rassemblé les informations juridiques et administratives relatives à l'accueil de réfugiés ukrainiens. Là encore nous avons constaté un élan de solidarité incroyable. Les communes et les particuliers ont proposé plusieurs logements. La solidarité matériel ou mécanique, qui se traduit par un don d'argent ou de biens, même si elle est très louable bien-sûr, n’entraîne pas de véritable engagement. C'est un geste symbolique. Alors que l'élan de solidarité que nous vivons actuellement est assez singulier. Il témoigne de la part des personnes qui s'engagent, d'un vrai élan moral et durable. Il ne s'agit donc pas uniquement d'une solidarité quantitativement hors norme. Sa nature est passée du symbole à l'action, du matériel à l'organique. Ce convoi en est l'exemple puisque personne dans cette entreprise collective n'appartient au milieu humanitaire. Et pourtant nous nous inscrivons dans l'action. Pascal Leonardi 7
  • 8. Alors je réitère le souhait que cet élan de solidarité national et transnational ne s’éteigne jamais tant qu'il y aura en ce monde de la détresse humaine. Et j'ajoute que TOUS les réfugiés et migrants, peu importe la couleur de leur peau, leur religion ou la zone de conflit qu'ils fuient, méritent dignité et sécurité ! Tous doivent être accueillis à bras ouverts et soutenus par les pays démocratiques et riches. Elie Wiesel est un écrivain et philosophe rescapé d'Auschwitz et Buchenwald. Au retour des camps il est venu en France pour faire ses études. Il a dit ceci : “Le monde savait et est resté silencieux… Nous devons toujours choisir. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté… Partout où les hommes et les femmes sont persécutés à cause de leur race, religion, ou points de vue politique, cet endroit doit à ce moment devenir le centre de l’univers.” Alors faisons que le centre de l'univers soit en Ukraine aujourd'hui, et ailleurs demain. Soyons sur tous les fronts de la solidarité et de la fraternité. Pascal Leonardi 8
  • 9. 17 mars. Je n'ai pas de nouvelles de Jorgé et Bernard. Maïté a eu quelques nouvelles hier et il semblerait qu'ils n'arrivent pas à déployer leur camp comme ils le souhaiteraient face aux grosses ONG qui occupent tout l 'espace, en particulier Caritas. S'ils n'arrivent pas à faire, sur le site où ils sont, ce pour quoi ils sont là, ils changeront de lieu prochainement. Ici à Tardets l'activité ne tarit pas. La préfecture hier nous a annoncé que deux familles de réfugiés allaient nous être confiées d'ici à samedi. Effectivement tout logement déclaré en préfecture est susceptible de recevoir des familles. Les logements en question (maison l'oiseau, propriété de l’hôpital de Tardets longtemps occupée par des religieuses) sont restés vides depuis des années. Nous avons donc dû mettre un plan d'action d'urgence pour qu'ils deviennent salubres et accueillants d'ici 48h. A nouveau sur le pont, Heba (syrienne), accompagnée de Mérémé (albanaise) et Maïté Pitrau, notre mairesse toujours sur le terrain, ont aspiré, décrassé, décapé, aménagé, organisé… (Je dis « notre » mairesse bien que je ne sois pas du village de Tardets, mais ces deux dernières semaines font que je suis de cœur un Atharraztar). Samedi les logements seront impeccables ! Pour ce couple avec deux enfants de 8 ans et cette maman avec sa fille de 14 ans. 21h29 Jorgé vient de m'appeler. Il est content mais je sens une petite pointe de frustration. Il n'a pu déployer qu'une petite partie de son dispositif seulement. Tous les acteurs humanitaires présents, petits ou grands, s'observent et tentent de travailler ensemble. Évidemment ce sont les plus gros qui occupent l'espace comme Caritas. Là où ils sont des ambulances et pompiers déposent des réfugiés qui sont ensuite pris en charge par des bus. Jorgé a eu la satisfaction de co-organiser un bus de 80 personnes à destination de l’Espagne, proche de là où vit sa grand-mère, ce qui le réjouit. Je sens son envie d'aller plus loin et de faire plus. Il a voulu passer en Ukraine mais la police ne lui a pas permis. Je reviens sur la journée du 9 mars par le biais d'une photo que je viens de voir. Une photo de Evgeniy Maloletka prise à Marioupol. Un enfant qui naît c'est un petit être neuf porteur de renouveau et d'espoir. C'est une chance de changer ce monde en un monde meilleur. Un enfant qui naît c'est une Pascal Leonardi 9
  • 10. promesse. Un enfant qui naît c'est quelque chose de diamétralement opposé à la ruine et à la désolation. L'enfant qui naît c'est comme la neige, pure, beau, immaculé. La photo d'Evgeniy Maloletka montre une future maman évacuée sur une civière, la main sur son ventre pour protéger son bébé. Derrière, la désolation, les ruines, un nuage de fumée et des cendres... La naissance et les ruines, neige et cendres. Quel type d'homme est capable de s'en prendre à celui qui n'est pas encore né ? Quelle tragédie ! Quelle inhumanité ! D'un côté la maternité, l'innocence et l'avenir, de l'autre le chaos et la désolation. La volonté de détruire un hôpital pédiatrique et une maternité c'est le symbole de la volonté d'exterminer un peuple. La volonté tyrannique d'un seul homme d'organiser la mort. Il s'attaque aux racines de la vie. Cinq jours après la publication de la photo, l'agence de presse AP a annoncé le décès de cette femme ainsi que de son bébé. Vendredi soir, 18 mars, les logements sont prêts, propres, rutilants... ce n'était pas gagné mais notre travail acharné à eu raison des salissures du temps et des effets nuisibles sur une maison restée trop longtemps vide. Mais voilà que surviennent des problèmes au niveau des familles et de la préfecture. Les familles que nous devions recevoir sont redirigées ailleurs. Les enfants d'une des familles sont malentendants et nécessitent un accompagnement particulier. Il est déjà difficile en temps normal dans son propre pays pour une famille de répondre à ces questions d'établissement spécialisé, alors je compatis sincèrement avec cette famille et souhaite que ces enfants déracinés trouvent refuge là où ils seront bien pris en charge et protégés. Pas de nouvelles de Jorgé et Bernard sur leur frontière. Une pensée particulière pour Jorgé qui à du se sentir bien loin de chez lui ce samedi puisque sa fille fêtait son anniversaire ce week-end. Cette frontière entre la Pologne et l'Ukraine voit les frappes russes se rapprocher. La guerre se rapproche dramatiquement de la Pologne. Lviv est à à peine plus de 60 km de la Pologne. Pascal Leonardi 10
  • 11. Nous sommes le 21 mars, c'est le printemps. Ici il fait très beau. Je suis avec Heba, nous continuons à trier et conditionner les dons de vêtements. Mérémé nous rejoint une partie de l'après-midi. Heba me dit qu'à Damas (Syrie) c'est le jour de la fête des mères. Sa mère et ses sœurs sont à Damas, elle pense à elles qui sont là bas, ensemble... Ici c'est une belle journée. Nous travaillons dans la joie et la bonne humeur. Le matin, les douceurs du marché sur la place du village. L'après midi une petite pluie presque tropicale puisque ce sont de grosses gouttes chaudes qui tombent sur le sol qu'à maintenant déserté le marché. Là bas ce ne sont pas des gouttes chaudes mais des bombes et des missiles « hypersoniques » qui frappent le sol et les personnes. Par endroit des cadavres jonchent le sol. 3,3 millions de personnes ont quitté le pays et au total 10 millions de déplacés. Un habitant sur 4 n'a plus de chez lui ! De fait, l'Ukraine est entrée dans l'Europe. La cohésion unanime des États européens, les sanctions économiques radicales, les tentatives diplomatiques et l'accueil fait aux réfugiés en sont autant de preuves. Cette guerre est un véritable désastre. Quel qu’en soit l'issue, elle aura des répercussions pendant longtemps sur le plan géopolitique, humain, écologique. Le visage du monde va être modifié. Dès aujourd'hui nous pouvons préparer la résilience en faisant le choix de l'humain. Cela passe par la reconnaissance de toutes les détresses humaines et développer les formules institutionnelles de leurs résolutions. Se penser ni au-dessus, ni à côté des autres mais au milieu d'eux, avec eux. Le propre de l'Homme c'est la Culture. Partout , l'intention qui conduit à la Culture est à peu près toujours la même, elle est universelle. Les particularismes qui font LES culturelles sont relatifs aux contextes locaux. Et l'histoire de l'humanité à continuellement créé des passerelles entre les cultures. Depuis des millénaires les cultures humaines se sont enrichies les unes des autres. L'économie de la culture n'est qu'un enrichissement permanent. Pascal Leonardi 11
  • 12. Si par exemple j'ai 10 € et que je souhaite partager avec mon ami, je dois me déposséder de 5 €. Je suis donc moitié moins riche, je me suis appauvri. Par contre, si je veux lui transmettre des connaissances relatives à ma culture, je ne me dépossède de rien et lui se sera enrichi. L'échange m'aura également enrichi de ce qu'il m'aura offert des connaissances de sa propre culture. Que du gain, du bénéfice et du rapprochement ! Il ne faut donc pas sombrer non plus dans le piège de « l'autro-phobie », en l’occurrence la russophobie. La situation actuelle n'est pas le fait des russes mais de l'idéologie du régime « oligarchique » actuel en Russie et des délires d'un tyran solitaire. Donc écoutons Prokofiev, Tchaïkovski et Rachmaninov en lisant Dostoïevski, Gogol, Nabokov, Boulgakov assis sous un tableau doux, poétique et tendre de Marc Chagall... Par la voix d'Alexei Navalny je cite Léon Tolstoï « La guerre est une œuvre du despotisme. Ceux qui veulent combattre la guerre ne doivent combattre que le despotisme. » Pascal Leonardi 12
  • 13. 22 mars. J'ai Jorgé au téléphone en fin d'après-midi. Il s'est déplacé pour rejoindre une zone avec plus d'activités. Il est maintenant basé à Przemyśl. Cette ville à la frontière polonaise est en ligne directe avec Lviv qui à été bombardée il y a quelques jours. Il a pu déployer une partie de son camp, la cuisine notamment. Il est avec des « copains » espagnols, italiens, canadiens... Des compagnons humanitaires. J'entends des rires derrière lui. Je lui demande comment il va. Sa réponse est vraiment sans conviction, éteinte. Ils ont fait un petit feu au centre de leur camp. Difficile d'avoir des informations, comme s'il voulait parler d'autres choses. Il me donne quand même quelques informations. Chaque jour transite dans les 3000 réfugiés, des femmes et des enfants. Il occupe ses journées avec les autres acteurs humanitaires à dispatcher ces femmes et ces enfants dans des convois vers les pays d'Europe de l'ouest. Il me semble que parler d'eux c'est comme dévoiler ses émotions. Alors il se cantonne à des considérations techniques et matérielles. Il reprend sa voix pleine d'entrain et me demande comment ça va ici, où on en est, comme pour détourner la conversation... Je lui dis donc tout le travail achevé ici et que nous sommes au village dans l'attente de familles. Je lui dis qu'une cinquantaine de Pascal Leonardi 13
  • 14. réfugiés orientés vers Mauléon seront hébergés au château de Libarrenx. Ils doivent arriver dans la nuit. Mais leur accueil n'a pas été vraiment préparé. Pas de vêtements, peu de produits d'hygiène et le collectif souletin, sollicité au dernier moment, un peu déboussolé face aux repas qu'il faudra servir au groupe... Nous mesurons l'ampleur de la tâche qu'il y aura encore après son retour. Je tente encore une question et lui demande dans quel état sont les gens qui arrivent à la frontière ? Pudiquement avec une voix éteinte il m'a répondu « je regarde pas ». Tout le silence dans cette voix habituellement si joviale m'a transpercé la poitrine. La frontière est le passage d'un monde à un autre, de la guerre à ailleurs. Un voyage épuisant et déchirant. Une blessure sans fond. Anastasia est dans la guerre à Kherson, Sud de l'Ukraine. Extrait du podcast note vocale d'Ukraine : « D'habitude je pleure pas, même quand je regarde les films... amoureux disons. Mais maintenant c'est très difficile de tenir les larmes. Quand je vais dormir j'imagine les images comme si une roquette attaquerait cette nuit la maison. Comment je vais le sentir, est ce que je vais le sentir. Est ce que ça va faire mal ou ça va juste arriver comme si je dormais jamais réveiller. J'en pense pas exprès. Ces pensées arrivent juste dans ma tête...mmm.. c'est vraiment triste... ». Jorgé voit passer ces gens déjà traumatisés chez eux et qui ont dû tout abandonner. Mais de l'autre côté, dans la paix et la sécurité des terres d'accueil sont ils guéris ? Non ! Darya est arrivé près de Zurich en Suisse. Elle a trouvé refuge dans une maison près de l'aéroport. Elle se promène avec son fils : « J'ai une image qui me brise un peu le cœur c'est que je vois un papa qui joue au foot avec son fils. Et mon fils ne joue pas au football avec son papa parce que ces con de russe ont attaqué et les avions ne volent pas non plus sur ma terre c'est que des avions qui font du bombardement. Alors c'est tout une image qui me semble une image de vie de fantaisie. Et vice versa. Ca existe ce sentiment dont on parle beaucoup ces jours c'est le sentiment d'être coupable pour qu'on est en sécurité. Les gens qui sont à Kiev le sont par rapport à ceux qui sont au première rangée des armées. Les gens qui sont à l'ouest de l'Ukraine le sont par rapport à ceux qui sont à Kiev. Et nous qu'on est déjà à l'étranger, et je parle avec plusieurs personnes ici, nous ressentons tous aussi cette culpabilité très forte parce que nous, nous sommes en situation super. On prend vraiment beaucoup soin de nous, on a beaucoup plus qu'il nous faut d'abord... c'est assez difficile à supporter... ». Pascal Leonardi 14
  • 15. 23 mars. Hier soir et ce matin je suis allé au château de Libarrenx, là où une cinquantaine de réfugiés sont arrivés à 3h du matin. Je discute longuement avec une personne de l'association France Horizon. Nous tentons de voir comment coordonner nos actions. Quelques ukrainiens sont dans la grande salle à manger et déjeunent. D'autres viennent tenter d'avoir des informations et de demander le Wifi ou des cartes SIM. Une jeune fille semble à la fois complètement perdue et affiche de la douceur et des sourires de politesse. Il leur faut à tout pris avoir des informations de leur famille, sur ce qui se passe chez eux et le wifi devient donc pour eux quelque chose de vital, comme un cordon ombilical qui les relie à ce qui reste de leur monde d'avant. Cet après midi réunion à la mairie avec, Heba, Solidarité Tardets et Maïté. Ca y est deux familles vont nous être envoyées. Ces deux familles dans leur composition et leurs histoires montrent tout le drame et l'absurdité de la guerre... Pour nous qui sommes si loin c'est très dur de se figurer la guerre, la vraie. Nous sommes si loin et si bien confortablement installé dans notre monde de privilégiés. Ce soir je suis triste, révolté, déboussolé, agacé. L'attitude de certains ici me fait honte et m'indigne. Les petites préoccupations, l'expression des petits sentiments de supériorité sont tellement insignifiantes et indécentes. Je ne connais pas la guerre. Est-il possible de prendre la mesure de ce qu'ont vécu ceux qui nous arrivent. Peut-on vivre par la pensée ce qu'ils ont vécu dans leur chair et dans leur psychisme. Non, non, et non ! Notre imagination si puissante soit-elle ne le peut. Notre esprit de privilégié nous emprisonne dans un confort insupportable. Je suis triste ! Pascal Leonardi 15
  • 16. La première famille se compose de quatre femmes et un enfant de 8 ans. Où sont les maris et le papa ? Ces femmes et cet enfant ont échappé aux promesses funèbres de la guerre en abandonnant tout derrière eux. Elles ont passé la frontière et dans leur détresse sont certainement montées dans le premier véhicule qui leur offrait des promesses d'espoir et de sécurité. Enfermées à l'arrière du véhicule, elles ont roulé des heures ou des jours avant de se rendre compte que quelque chose n'allait pas. C'est dans les environs de Bilbao qu'elles ont pu prévenir la police via leur portable certainement. Une fois délivrées de ces ignobles trafiquants elles ont été ramenées à Bayonne où Vendredi Maïté et Solidarité Tardets vont les récupérer. La seconde petite famille est constituée d'une enfant et de son bébé de 8 mois. Je dis une enfant car elle n'a que 21 ans ! Qu'y avait-il, amis lecteurs, dans votre tête et dans votre cœur lorsque vous aviez 21 ans ? De l'insouciance, de la fête, des amis, de l'ivresse de vie, des amours... Qu'y a-t-il à cet instant dans la tête de cette toute jeune maman ? Nous avons tous mis tant d’énergie dans la préparation depuis deux semaines qu'une chose curieuse se produit. Il y a déjà un lien fort qui nous unit à elles. Au fil des heures nous recevons des informations sur ces familles que nous allons accueillir. Nous ne les connaissons pas, ne les avons pas encore vues, mais déjà elles s'incarnent dans une histoire terrible, et nous avons tous hâte de prendre soin d'elles. Des agents communaux, des employés de l’hôpital, des anonymes, des donateurs, tous nous avons œuvés d'une façon ou d'une autre à cette belle entreprise. Et nous sommes impatients de les accueillir. Nous avons de l'affect pour elles et entre nous s'est tissé quelque chose qui nous rassemble. Aider les autres c'est s'aider soi-même. S'aider soi-même c'est s'unir aux autres Ce cercle vertueux est la démonstration de tous les bienfaits pour une société de s'ouvrir et d'accueillir les étrangers. Pascal Leonardi 16
  • 17. Nous sommes le 30 mars. Quelques jours se sont écoulés. Jorgé est rentré ce soir chez lui. Au téléphone, il semble avoir retrouvé sa jovialité. Il est très pressé de nous revoir et de continuer ici. Il veut voir ses enfants. Il reste évasif sur ce qu'il a vécu là bas. Il a peut-être sauvé 200 personnes me dit-il, mais il est très triste de ne pas en avoir aidé 2000. Il m'avoue avoir craqué une fois et ne pas avoir réussi à retenir ses larmes... Aujourd'hui 31 mars j'ai passé une partie de la journée avec Jorgé. Son état est inquiétant. Nous déjeunons ensemble. La il me raconte un peu ce qu'il a rencontré comme épreuve. Puis nous nous rendons à Tardets. Il est sombre, triste, très taciturne. Nous croisons des gens qui se réjouissent de le revoir et lui posent des questions auxquelles il ne répond pas ! Jorgé n'est pas un travailleur humanitaire professionnel. Cependant pendant ces 3 semaines il en a endossé la fonction. La profession de travailleur humanitaire consiste à fournir une assistance à des populations en difficulté lors de crises humanitaires. Ce qu'il a fait ! Ces travailleurs, qui évoluent dans des environnements complexes, sont exposés à diverses sources de stress, incluant des événements potentiellement traumatiques. Par conséquent, ils formeraient un groupe de professionnels à haut risque de présenter divers problèmes de santé mentale, incluant un trouble de stress post-traumatique. Je ne sais pas dans quelle mesure mais je pense que Jorgé vit très mal son retour. Nous allons devoir l'entourer. Pascal Leonardi 17
  • 18. Ici, Tania et son bébé Rita, Nina la grand-mère, Ina sa fille et Ruslan leur garçon de 8 ans, Irina et Yana sa fille, tous sont arrivés depuis bientôt une semaine. Nous avons tout fait pour préparer leur arrivée et faire qu'elles se sentent les bienvenues et en sécurité. Mais c'était sans compter sur l'importance du traumatisme qui les habite. Les deux premiers jours nous les avons beaucoup entourées. Mais la peur et les craintes étaient là comme une blessure béante. L'association Solidarité Tardets accompagnée par la représentation officielle de Maïté sont allés les chercher à Bayonne. Tania était terrorisée, elle a refusé de monter dans le car. Il a donc fallu la conduire elle et son bébé en voiture. Le soir, l'autre famille prise de terreur n'a pas voulu dormir dans les trois chambres que nous leur avions préparées. Elles se sont entassées toutes les quatre avec Ruslan au même endroit pour dormir. Il aura fallu parlementer des heures pour les rassurer un tant soi peu. Heureusement depuis leur arrivée les choses ont commencé à changer. Elles sont souriantes, d'un sourire plus détendu, moins suspicieux. Ruslan a demandé immédiatement d'aller à l'école. Cela fait deux jours qu'il à intégré l'école du village. Le soir lorsque Ruslan passe la portail de l'école, il court vers sa maman avec un large sourire et se jette dans ses bras. Ina lui répond par le sourire d'une maman heureuse pour son enfant. Aujourd'hui il semblerait que toutes ces femmes se soient un peu libérées de la terreur qui les habitait à leur arrivée. Hier Ina est venue trier les vêtements avec nous. Pour communiquer nous utilisons l'application Google traduction avec le téléphone de Heba. C'est très drôle car Heba et moi parlons à son téléphone en français, celui-ci écrit en Arabe puisque Heba est syrienne, et le téléphone traduit et répond en ukrainien. C'est magnifique ! C'est un de ces petits moments fugaces de bonheur. Qu'est ce que « l'humain » ? C'est tous les Hommes qui composent l'humanité. C'est donc toutes les cultures, toutes les traditions, tous les rituels, toutes les langues. L'humanité est multitude. Et à cet instant en regardant ce téléphone je me sens profondément humain parce qu'unis à ces personnes au milieu de toutes ces langues, de toutes ces cultures. Ce qui me conforte dans le fait que le sentiment d'humanité ne peut se réaliser qu'en se nourrissant de ce qui n'est pas nous. Ce petit « nous » ou « chez nous » que brandissent ceux qui ne ressentiront jamais la plénitude et la profondeur d'être Humain. Tania et son bébé vont régulièrement chez Heba boire un café et discuter. La famille de Ruslan circule dans le village et tentent d'apprendre quelques petits mots de français. Yana, qui chez elle suivait des cours de droit, a exprimé le souhait de poursuivre ici. La vie reprend... et pour parfaire le tableau, le temps dehors est magnifique. En triant les vêtements, dès que Heba voit quelque chose à la taille d'Ina et chaud, elle lui propose de le prendre. Et chaque fois Ina lui répond en ukrainien avec un grand sourire: « Non, non, non c'est beaucoup trop chaud, je veux des vêtements d'été ». Et oui dehors il fait plus de 20°C mais nous sommes restés sur un imaginaire selon lequel il leur fallait des vêtements chauds. Est-ce par rapport au froid de son pays d'origine ou bien est-ce un réflexe maternel de bienveillance et de surprotection ! Nous partageons de bons moments. L'école, l'université, le travail, plus la rupture sera courte avec ces Pascal Leonardi 18
  • 19. activités sociales et plus la reconstruction sera facile. Toute la difficulté des premiers jours a été de trouver une forme d'équilibre entre notre désir trop grand de les protéger, de les « materner » et la nécessité de ne pas envahir leur espace intime si fragilisé. Faire en sorte qu'elles se sentent chez elles dans un espace qui n'est pas le nôtre mais que nous préparons depuis 15 jours, tout en leur apportant le maximum de réconfort et de présence. Cette expérience est aussi l'occasion de faire notre autocritique et de nous améliorer. En préparant les logements nous avons une légère tendance à infantiliser les personnes qui vont les habiter. Nous prenons des décisions, nous organisons la répartition des familles sans les connaître, sans les consulter comme si elles n'étaient pas capables de le faire par elles-même. En faisant cela nous leur retirons de leur capacité d'auto- gestion ou d'autonomie, nous les infantilisons. C'est même intrusif puisque nous projetons sur eux notre propre culture, nos propres comportements que l'on souhaiterait les voir appliquer. Nous actons pour eux à l'aune de nos propres comportements. Régenter ainsi leurs faits et gestes peut être une forme de violence psychique et involontaire puisqu’à l'origine c'est l'effet inverse que nous recherchons. Cet état nounou qui vous veut du bien. Par ailleurs, les réfugiés ne parlent pas notre langue, évidemment, ce qui est un handicap dans le pays d'accueil où ils ne pourront généralement pas exercer leur métier. Ina par exemple est comptable. Irina est commerciale. Ici, elles vont se retrouver sur une chaîne de production et effectuer un travail répétitif. Elles sont dévaluées socialement et dans leur propre représentation d'elle-même. Nous devons être extrêmement attentif à tous ces aspects qui participent aussi de la reconstruction de ces personnes déracinées. Pascal Leonardi 19
  • 20. Pour ces femmes et ces enfants, le souvenir de cette période douloureuse ne s'effacera jamais. Les blessures liées à cette guerre ne s'effaceront jamais. Il faudra vivre avec. Et cela sera d'autant plus facile si elles sont accompagnées humainement et socialement. C'est donc notre rôle à tous à partir de maintenant que de mettre de la beauté dans leur vie. Nous sommes le 31 mars au soir. La pluie est revenue et la fraîcheur avec. Une annonce est arrivée aujourd'hui. Six femmes avec trois enfants de 13 ans et un de 4 ans vont arrivés ce week-end à Tardets. Depuis un mois nous avons tous accompli, ici à Tardets, un travail « humanitaire » de type logistique et purement matériel. Nous entrons maintenant dans la dimension psychique. C'est la partie la plus délicate mais la plus belle et la plus riche. Nous allons devoir solliciter toutes nos qualités d'empathie, de patience, d'écoute et de créativité. Nous devons faire preuve d'une acuité psychologique particulière. Ce qui peut nous paraître à nous la meilleure solution ne l'est peut-être pas du tout pour elle. Elles sont en quête de repères et de sécurité, d'un cocon. Des particuliers nous ont proposé leur résidence secondaire. Celle-ci est divisée en 2 logements bien séparés. Un grand appartement avec 4 chambres (TV internet inclus...) et un petit studio au sous-sol. Le tout avec un grand jardin pour faire un potager. La maison est accolée à l'école de Ruslan qui pourrait y aller seul en trente secondes. Les propriétaires mettent à disposition leur grand appartement pour les familles de réfugiés. Eux, pendant leur rares séjours habiteront le studio du sous sol. Nous avons donc pensé que Ina et sa famille, Irina et Yana pourraient y être mieux que dans les deux petites Pascal Leonardi 20
  • 21. pièces ou elles se sont entassées à 5 avec Ruslan. Nous les y avons conduit, elles ont visité et refusé l'offre. Plus tard nous sommes allés chez elles leur demander la raison. La principale raison évoquée est qu'elles se sont habituées là où elles sont (dans l'ancien presbytère) et qu'elles s'y sentent en sécurité toutes ensembles. Alors même que dans cet ancien presbytère il y a 4 ou 5 chambres de libres, elles restent confinées dans deux petites pièces minuscules. C'est tout petit, il y fait très chaud. Mais c'est rassurant... comme est protecteur pour un enfant, le ventre de sa mère. Tous les choix de ces femmes sont des choix qu'elles font à la lueur noire de leur triste histoire. Et nous devons les comprendre et les respecter impérativement. Les relations avec Ina et sa famille, Irina et Yana, et Tania vont de mieux en mieux. La confiance s'installe. La méfiance a quitté leur regard. Ce ne sont plus des sourires de politesse pressés par l'injonction à la reconnaissance et emprunts de suspicion. Ce sont des sourires plus francs et sincères. J'échange de plus en plus avec Tania via whatsapp. Ce sont des petits moments de bonheur partagés. Ces personnes me touchent profondément. Parfois il faut abandonner ses larmes pour avancer le visage nu et enfin aller à la rencontre de l'autre car il n'est de plus franc visages que ceux que lavent de pareils flots. Pascal Leonardi 21
  • 22. C'est là que s'achève mon récit. Mais l'histoire continue et je vous invite de tout cœur à en faire partie en allant à la rencontre de ces femmes et de ces enfants, pour que la vie soit toujours plus forte et plus grande que la guerre et les préjugés. Soyons attentifs les uns envers les autres. Finalement nous ne formons qu'une seule et grande belle famille. Prenons soin les uns des autres, c'est ce qui fait notre humanité. Fin Pascal Leonardi 22
  • 23. Tout ce travail est d'une importance majeure car il s'agit de la vie d'êtres humains. Ce n'est donc pas normal que cette tâche soit sous la seule responsabilité de bénévoles inexpérimentés. C'est un travail de longue haleine qui pour se correctement doit impliquer des acteurs sur la durée et à plein temps. Or le bénévolat à plein temps sur la durée ce n'est pas possible pour tout le monde car il faut vivre. Et si certains des acteurs bénévoles quittaient la mission, cela pourrait compromettre sa réussite. Alors j'adresse la lettre qui suit à nos élus locaux pour qu'ils s'engagent dans la durée, à nos élus nationaux pour qu'ils légifèrent, au HCR et à l'OFPRA pour qu'ils soutiennent cette idée devant les législateurs. Pascal Leonardi 23
  • 24. Aux élus de mon territoire, aux élus de la nation Un Bénévole à Tardets Au HCR, à l'OFPRA Mesdames et messieurs les élus, Tardets, le 22 mars 2022 OBJET : Création de postes de référent humanitaire locale encadré par un groupement d'employeurs (collectivités). Hier les chiffres concernant la crise ukrainienne étaient les suivants : 3,5 millions de personnes ont quitté leur pays et au total on compte 10 millions de déplacés. Un habitant sur 4 n'a plus de chez lui ! De fait, l'Ukraine est entrée dans l'Europe. Et je pense que chaque élu en ressent sur sa commune les premiers effets. L'accueil de réfugiés s'anticipe. Pour que tout se passe au mieux, une grande préparation est nécessaire en amont et un suivi sur le long terme.. Cette guerre est un véritable désastre. Quel qu’en soit l'issue, elle aura des répercussions pendant longtemps sur le plan géopolitique, humain, écologique. Le visage du monde va être modifié jusqu'à l'échelle locale. Les ukrainiens que nous allons accueillir en Soule (au château de Libarrenx dès cette nuit) le seront pour des mois voire des années, c'est une évidence. Et durant ces années quelles autres crises encore déplaceront des populations qu'il nous faudra aider ? Dès aujourd'hui nous pouvons anticiper la résilience en faisant le choix de l'humain. Cela passe par la reconnaissance de toutes les détresses humaines sur toutes les formes de conflits, quelles que soient leurs couleurs de peau, leurs religions et leurs cultures. Pourquoi un individu, une famille ou une population se déplace pour s’installer ailleurs ? En général c’est pour pouvoir vivre, pour pouvoir JUSTE vivre ! Vivre mieux. Et idéalement le droit fondamental de tout individu au bonheur justifie que chacun puisse s’installer là où il se sentira le mieux. Alors pour que ces personnes trouvent un vrai refuge dans l'accueil que nous leurs offriront localement sur le terrain, il faut développer des réponses institutionnelles à la hauteur. L'ampleur du phénomène ne peut plus être laissée exclusivement aux associations et aux bénévoles. Il faut un référent institutionnel sur le terrain. Les préfectures ne font que du recensement, de la répartition et un suivi à distance. A l'échelle locale, je suggère, sur le modèle du salariat par un groupements d'employeurs agricoles de créer des postes de « logisticien humanitaire local » totalement dédiés à l'accueil des réfugiés. Ce poste serait sectorisé et financé par un ensemble de communes ou autres collectivités. Les tâches afférentes au poste pourraient être les suivantes, la liste n'est pas exhaustive, elle est à réfléchir : - Préparation de l'accueil - Recensement des capacités de logement - Service technique des locaux - Gestion de l'intendance pour les primo-arrivants - Recherche de financements - Collecter et centraliser toutes les informations sur un secteur géographique donné - Orientation des réfugiés dans leurs démarches administratives - Suivi juridique - Organisation et suivi de la scolarité des enfants. - Mise en place d'un réseau de traducteurs - Organisation de l'apprentissage de la langue - Suivi de l'intégration des familles sur le moyen et long terme - Sociabilisation et intégration des réfugiés - Communication avec les administrés Un référent local et disponible sur le terrain permettrait d'humaniser l'accueil. Et c'est ce dont ont besoin les réfugiés. En espérant pouvoir poursuivre la réflexion avec des élus. Cordialement P.L. Pascal Leonardi 24