Geste de l’écriture et manipulation des images.
Présentation de quatre textes de Pierre Ménard utilisant l'image dans le cadre du Colloque "Les iconothèques d’écrivain·e·s contemporain·e·s", de l’Université du Québec à Montréal, organisé dans le cadre du programme de recherche HANDLING, avec l’aide de l’Institut INCAL de l’UCLouvain, et en partenariat avec la Chaire de recherche du Canada sur les arts et les littératures numériques (ALN/NT2).
3. « Un homme se propose la tâche de
dessiner le monde. Au fil des ans, il peuple
un espace d’images de provinces, de
royaumes, de montagnes, de baies, de
navires, d’îles, de poissons, d’habitations,
d’instruments, d’astres, de chevaux et de
personnes. Peu avant de mourir, il découvre
que ce patient labyrinthe de lignes trace
l’image de son visage. »
4. Dans les manuscrits du
Moyen Âge, il n’est pas
rare de rencontrer,
dans les marges, des
indications relatives à
l’établissement du texte,
notes de l’auteur ou d’un
copistes. Ces marques
sont généralement des
traces de lecture.
31. Une rencontre sur les
marches de l'escalier
monumental de la gare
Saint-Charles à Marseille.
Celle de Sandor et Nyssia.
32.
33.
34. Sandor
monte l'escalier
marche n°26
Parfois dans la rue je lance un geste, je m’adresse à
quelqu’un qui n’est plus vraiment moi, d’autres fois
au contraire, en réalisant d’autres mouvements, je
me vois. C’est une forme de respiration. Un temps
isolé de l’autre côté du jour, un arrêt sur le fil des
accumulations du pareil au même. Plus je pense à
un visage, par exemple celui de cette femme que j’ai
aimée sans me l’avouer, sans réussir à lui dire en
face, la trompant autant que je lui mentais, plus ce
que je vois à chaque fois se révèle n’être rien
d’autre que mon propre visage. Je me sens devenir
invisible. Je cherche dans mes tissus les traces de
l’instant où mon geste se fixe pour la première fois.
Chacun me regarde à sa façon mais aucun ne peut
m’arrêter du regard. Je poursuis la montée de
l’escalier. Mon visage rougit sous la pression et
l’effort, l’ascension est rude. J’ouvre la bouche en
grand pour ne pas manquer d’air. Ma respiration se
bloque, devient haletante. Mes muscles se crispent
dans l’effort, se tétanisent.
35.
36. Pendant longtemps je ne prêtais pas attention à ce
que je voyais en descendant les escaliers. C’est
comme dans le train que j’emprunte pour venir
depuis l’Estaque, à peine si je remarque encore les
voyageurs dans mon compartiment, nous ne
sommes pas si nombreux le matin, il s’agit souvent
des mêmes personnes dans les mêmes postures
qui, pour la plus part, rejoignent comme moi
Marseille pour leur travail. Les paysages à travers la
vitre. Un ébranlement d’abord très lent. C’est l’aube
encore. La ville se défait par petits bouts, se délite
en fragments épars, défilement des immeubles,
ponts de pierre, pans de murs aveugles, aux
couleurs uniformes, strates entassées qu’on peine
à discerner malgré la vitesse réduite du train sur ce
parcours, angles qui s’éloignent, se distendent, rues
qui filent vers la mer, leurs perspectives fuyantes.
Je suis en terrain connu, dans la répétition des
trajets, mais le cadre de la fenêtre qui me fait perdre
mes repères, découpe l’espace en contrées
inconnues.
Nyssia
descend l'escalier
marche n°103
50. « La grande révélation n’était jamais arrivée.
En fait, la grande révélation n’arrivait peut-
être jamais. C’était plutôt de petits miracles
quotidiens, des illuminations, allumettes
craquées à l’improviste dans le noir ; en voici
une. »
Vers le phare, Virginia Woolf
51. LECTURE D'UN EXTRAIT DE
L'ESPACE D'UN INSTANT
PAR PIERRE MÉNARD
MUSIQUE DE
WOXFAZER