2. Plan
1. Les arguments en faveur du libre arbitre
a) L’argument de la conscience (Bergson, Descartes)
b) Les « preuves » de la liberté (Thomas d’Aquin)
2. La critique du libre arbitre. Liberté et déterminisme
(Spinoza)
a) L’illusion du libre arbitre
b) La liberté comme libre nécessité
c) Objections
3. Liberté et morale
a) La liberté comme postulat pratique (Kant)
b) Liberté et culpabilité : le libre arbitre comme fiction (Nietzsche)
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3. INTRODUCTION (1)
• Définitions
Par « liberté », on peut entendre soit la liberté
d’action, soit la liberté de choix.
1. Je suis « libre » au sens de la liberté d’action si et
seulement si je peux faire ce que je veux.
Tout ce qui m’empêche d’agir réduit ma liberté. Pour être
(absolument) libre, je ne dois rencontrer ni obstacles ni
entraves.
Je ne dois pas non plus être soumis à la volonté d’autrui. Si c’est
le cas, je ne suis pas libre, mais esclave.
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4. INTRODUCTION (2)
2. Je suis « libre » au sens de la liberté de choix si et
seulement si je suis capable de choisir par moi-même
d’accomplir telle action plutôt que telle autre.
Cette liberté se nomme « libre arbitre » (free will
en anglais). Une telle liberté implique :
a) Que l’individu soit capable de faire ses propres choix, donc
de s’autodéterminer à agir.
b) Que ses choix soient, non pas nécessaires, mais
contingents ; autrement dit, ils pourraient être différents.
NB : « contingent » s’oppose à « nécessaire ». Est contingent ce qui peut être
ou ne pas être, ce qui peut être autrement. Est nécessaire ce qui doit être, ce
qui ne peut être autrement.
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5. Liberté d’action Liberté de choix
Liberté extérieure Liberté intérieure
Je suis libre si je PEUX Je suis libre si je VEUX
Liberté limitée
Je ne peux pas faire tout ce que je veux. Il y a les
lois de nature (par exemple, la loi de la gravitation
universelle), les lois des hommes (par exemple,
l’interdiction du meurtre) qui m’empêchent de faire
ce que je veux.
Liberté absolue
Je peux vouloir tout et n’importe quoi : rien, à
première vue, ne me contraint à vouloir ceci ou
cela.
Liberté contestée et revendiquée
Au cours de l’histoire, les hommes ont cherché à
augmenter leur liberté d’action.
Grâce à la science et à la technique, ils ont pu
connaître et s’approprier les lois de la nature
(l’avion, par exemple, leur permet de « déjouer »,
en quelque sorte, la loi de la gravitation).
Les États « démocratiques » modernes ont, par
ailleurs, conféré à leurs citoyens de plus en plus de
droits.
Liberté reconnue
Tout le monde (à part certains philosophes) est
convaincu de l’existence du libre arbitre.
Le libre arbitre est cette liberté intérieure que
personne, à première vue, ne peut m’enlever.
Par exemple, je peux être esclave. Soumis à la
volonté d’un maître, je ne fais pas ce que je veux. Je
conserve pourtant une forme de liberté : je peux
toujours vouloir obéir ou me révolter. Même
esclave, je conserve mon libre arbitre.
6. INTRODUCTION (3)
• Problématisation
Notre liberté d’action n’est jamais absolue ou totale. Nous
sommes sensibles aux contraintes extérieures qui nous empêchent
de faire ce que nous voulons, et nous avons tendance à nous en
plaindre.
Or, autant nous doutons de notre liberté d’action, autant nous
sommes certains de notre liberté de choix, c’est-à-dire de notre
libre arbitre. Ce dernier relève d’un sentiment immédiat que nous
partageons tous. Quand nous voulons quelque chose, nous savons
(ou du moins, nous croyons savoir) que c’est nous qui voulons. À
première vue, nous sommes complètement maîtres de notre volonté.
Mais le sommes-nous vraiment ? Autrement dit, le libre arbitre
existe-t-il ?
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7. INTRODUCTION (4)
La question du libre arbitre a suscité et suscite toujours un
important débat. Certains croient au libre arbitre ; d’autres n’y
croient pas, soit parce qu’ils invoquent le destin, soit parce qu’ils
défendent le déterminisme.
Ce débat a deux enjeux importants.
1) Dans la pensée occidentale, le libre arbitre a souvent été
considéré comme le propre de l’homme.
Nier que l’homme a un libre arbitre reviendrait à admettre qu’il
est un animal comme les autres.
Cf. Rousseau : « La nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que
l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par instinct,
et l’autre par un acte de liberté. » (Second discours, Première partie).
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8. INTRODUCTION (5)
2) La morale et le droit présuppose que l’homme a un libre
arbitre. C’est, en effet, parce que l’homme est libre qu’on peut le
juger et le punir. Si on le punit pour une mauvaise action, c’est
parce qu’on présuppose qu’il aurait pu ne pas la faire. Il aurait
pu vouloir faire une bonne action. Il a choisi (librement) de faire
une mauvaise action. Cette action est donc la sienne, et il doit en
assumer les conséquences.
Nier que l’homme a un libre arbitre reviendrait à saper le
fondement de la morale et du droit.
Cf. Nietzsche : « Nous n’accusons pas la nature d’immoralité quand elle nous envoie un
orage et nous trempe : pourquoi disons-nous donc immoral l’homme qui a fait quelque
chose de mal ? Parce que nous supposons ici une volonté libre aux décrets arbitraires, là une
nécessité. » (Humain, trop humain, I, §102).
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9. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (1)
a) Le témoignage de la conscience
Cf. Henri Bergson (1859-1941), Leçons clermontoises.
• Faisons un retour sur nous-mêmes et examinons ce qui
se passe en nous lorsque nous agissons. Autrement dit,
tentons une introspection. Quelle conclusion pouvons-
nous en tirer ?
Selon Bergson, « un fait est indiscutable, c’est que notre
conscience témoigne de notre liberté ».
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10. Conscience
Étymologie latine :
cum scientia
(avec savoir)
Sens moral : faculté qui permet à l’homme de
distinguer le bien et le mal.
- Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine
de l’âme. »
- Rousseau : « Conscience ! Conscience ! instinct
divin, immortel et céleste voix... »
Sens psychologique : faculté qui permet à
l’homme de savoir ce qui se passe à l’extérieur
comme à l’intérieur de lui.
Bergson : « Qui dit esprit dit,
avant tout, conscience. Mais
qu’est-ce que la conscience ?
Vous pensez bien que je ne vais
pas définir une chose aussi
concrète, aussi constamment
présente à l’expérience de
chacun de nous. » (« La
conscience et la vie » (1911) dans
L’énergie spirituelle)
Conscience
immédiate
Conscience qui n’exige aucun
effort de notre part et qui
accompagne nos perceptions
lorsque nous sommes éveillés.
Ainsi, lorsque nous percevons
quelque chose, nous savons que
nous le percevons.
Conscience
réfléchie
Conscience qu’on obtient par
réflexion, c’est-à-dire par un
retour sur soi : l’individu
réfléchit sur lui-même et prend
ainsi conscience de lui-même,
de son état, de ses sentiments,
etc.
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11. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (2)
Selon Bergson, nous avons l’impression d’être libres,
avant d’agir, mais aussi après avoir agi.
1. Avant l’action : nous délibérons et décidons. Or, c’est librement que
nous envisageons les différentes actions que nous pourrions
accomplir. C’est librement que nous décidons d’accomplir telle ou telle
action. Une fois notre décision prise, nous savons que nous pourrions,
au dernier moment, changer d’avis, et ne pas passer à l’acte.
2. Après l’action : nous pouvons éprouver des sentiments comme le
regret ou le remords. Or, ces sentiments suggèrent que nous sommes
libres. Si nous les éprouvons, c’est que nous savons (ou croyons savoir)
que, si nous avions voulu, nous aurions pu agir autrement. Ainsi,
considérés rétrospectivement, nos actes, loin d’être nécessaires,
semblent contingents.
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12. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (3)
• Attention : Bergson est nuancé. Sa thèse ne consiste pas à affirmer
que l’homme est libre, mais qu’il a l’impression de l’être, ce qui est
très différent. La conscience « témoigne » de notre liberté, mais ce
témoignage n’est pas nécessairement fiable.
En ce sens, Bergson apparaît plus prudent que Descartes. Ce
dernier suppose, en effet, que les données de la conscience sont
fiables et que l’homme est ce qu’il a conscience d’être. Ainsi, si
l’homme a conscience d’être libre, c’est qu’il est libre !
Selon Descartes, le libre arbitre est une évidence : il est impossible
d’en douter. Ainsi écrit-il :
« La liberté de la volonté se connaît sans preuve, par la
seule expérience que nous en avons. »
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13. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (3)
• Attention : Bergson est nuancé. Sa thèse ne consiste pas à affirmer
que l’homme est libre, mais qu’il a l’impression de l’être, ce qui est
très différent. La conscience « témoigne » de notre liberté, mais ce
témoignage n’est pas nécessairement fiable.
En ce sens, Bergson apparaît plus prudent que Descartes. Ce
dernier suppose, en effet, que les données de la conscience sont
fiables et que l’homme est ce qu’il a conscience d’être. Ainsi, si
l’homme a conscience d’être libre, c’est qu’il est libre !
Selon Descartes, le libre arbitre est une évidence : il est impossible
d’en douter. Ainsi écrit-il :
« La liberté de la volonté se connaît sans preuve, par la
seule expérience que nous en avons. »
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14. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (4)
• Pour le comprendre, il faut reprendre l’analyse du Cogito.
Descartes est à la recherche d’une vérité absolument certaine. Il espère la
trouver en doutant de tout. Or, en doutant de tout, il ne peut pas douter de
son propre doute, car il a conscience de douter : au moment même où il
doute, il sait qu’il doute. En outre, il ne peut pas douter de son libre arbitre.
Car, c’est parce qu’il a un libre arbitre qu’il peut douter. Douter,
c’est, en effet, faire usage de son libre arbitre, c’est décider de refuser de
croire telle ou telle idée (par exemple, que le monde extérieur existe).
Ainsi, selon Descartes, il y a, non pas une, mais deux vérités absolument
certaines : 1) j’existe en tant qu’être pensant (« cogito ergo sum » : je
pense donc je suis) ; 2) j’ai un libre arbitre.
Problème : le témoignage de la conscience est-il fiable, comme le
présuppose Descartes ? On peut en douter.
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15. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (5)
b) Les « preuves » de la liberté
Cf. Thomas d’Aquin, Somme théologique.
• L’argument pratique
« L’homme est libre ; sans quoi conseils, exhortations,
préceptes, interdictions, récompenses et châtiments seraient
vains. »
Cet argument fait intervenir un raisonnement par
l’absurde.
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16. Le raisonnement par
l’absurde
Soit une proposition : p.
1. Je veux prouver p, mais je
n’y arrive pas directement.
Je fais donc l’hypothèse
de la proposition contraire
: non p.
2. Si non p est vraie, alors il
s’ensuit une contradiction
ou une absurdité. Donc,
non p est fausse.
3. Or, si non p est fausse,
alors p est vraie.
Le raisonnement
de Thomas d’Aquin
L’homme est-il libre ?
Supposons que l’homme ne soit pas libre.
Un telle supposition conduit à des
absurdités.
Si l’homme n’est pas libre, certaines actions
de la vie quotidienne deviennent
impossibles ou perdent leur sens :
conseiller, encourager, ordonner, interdire,
etc.
Donc notre supposition initiale est fausse.
Donc l ’homme est libre !
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17. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (6)
• Nous agissons toujours comme si nous étions libres. On peut faire
remarquer « au philosophe qui prétend douter de l’acte libre que son
doute n’est pas entièrement convaincant puisqu’en réalité il ne
renonce nullement à faire comme si les gens autour de lui pouvaient
agir d’eux-mêmes. Par exemple, il leur parle pour leur demander des
services » (Vincent Descombes, Le complément de sujet. Enquête
sur le fait d’agir de soi-même, 2004, p. 18).
• En disant « s’il vous plaît », on reconnaît qu’autrui est une
personne libre qui pourrait ne pas vouloir faire ce qu’on lui
demande de faire. La formule de politesse « s’il vous plaît » est un
hommage rendu à la liberté d’autrui !
• La croyance au libre arbitre est, en fait, omniprésente. Elle est
présupposée par toutes nos actions dans la vie quotidienne.
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18. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (7)
• L’argument théorique
Types d’être Exemples Types d’action
Être matériel « La pierre »
Action « sans jugement ».
Mouvement nécessaire, conformément aux
lois de la nature.
Être vivant « La brebis »
Action d’après un jugement « non libre »,
car déterminé par « l’instinct naturel ».
→ Action nécessaire.
Être doué de
raison
« L’homme »
Action d’après un jugement « libre », car
déterminé par la raison, laquelle « peut
faire des choix opposés ».
→ Action contingente.
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19. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (8)
« Par conséquent, il est nécessaire que l’homme soit doué du libre
arbitre, du fait même qu’il est doué de raison. »
• Thomas d’Aquin procède ici à une déduction : si on admet que
l’homme a une raison, alors on doit aussi admettre qu’il a un libre
arbitre.
• Contrairement à l’animal, l’homme peut, dans une situation donnée,
accomplir des actions différentes : tout dépend de son
raisonnement, de son jugement, de sa manière de considérer ou
d’examiner la situation (« acte de synthèse »).
• Tel individu décidera de faire ceci, tel autre individu décidera de
faire cela : les actions humaines, étant libres, sont, en grande partie,
imprévisibles.
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20. 1. Les arguments en faveur du libre
arbitre (9)
• Objections
1) Thomas d’Aquin présuppose que l’homme est un être à part, distinct
des animaux. On pourrait interroger ce présupposé. Depuis Darwin,
nous savons qu’il n’y a pas de coupure radicale entre l’homme et
l’animal. D’une part, l’homme est un animal comme les autres, avec
des instincts et des pulsions. D’autre part, certains animaux ont des
facultés semblables à celles des hommes.
2) Les sciences de l’homme (dont le développement est relativement
récent, puisqu’il remonte à la fin du XIXe siècle et au début du XXe
siècle) ont montré que les actions humaines, loin d’être complètement
imprévisibles, obéissent à certaines régularités. Exemple : en
psychologie sociale, la théorie de l’effet-spectateur (Peggy
Chekroun).
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21. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (1)
a) L’illusion du libre arbitre
Cf. Spinoza, Lettre à Schuler.
Spinoza rejette les deux arguments précédents que nous
avons vus :
1) l’argument de la conscience (Descartes) ;
2) l’argument de l’exception humaine (Thomas d’Aquin).
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22. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (2)
1) La conscience d’être libre est illusoire.
« Les hommes se trompent en ce qu’ils se pensent libres, opinion
qui consiste seulement en ceci, qu’ils sont conscients de leurs
actions, et ignorants des causes qui les déterminent. » (Éthique,
II, proposition 35, scolie)
• J’ai conscience de ma volonté, et non des causes qui agissent sur
celle-ci et qui la déterminent.
• Ma volonté, loin d’être une cause première, n’est que l’effet de
certaines causes antécédentes dont je n’ai pas conscience.
• Or, ce n’est pas parce que je ne les sens pas que ces causes
n’existent pas. Selon Spinoza, elles existent et déterminent ma
volonté à mon insu. Si je me crois libre, c’est donc par ignorance !
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23. Volonté Action
CONSCIENCE
Raisons d’agir
(motifs )
Contraintes
extérieures
(obstacles, lois)
Le corps
(Spinoza)
La société
(Marx)
L’inconscient psychique
(Freud)
Causes inconscientes
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24. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (3)
Pour expliquer son propos, Spinoza tente une expérience de
pensée. Imaginons une pierre dotée d’une conscience. Cette pierre,
lorsqu’elle se meut, pourrait avoir l’impression de désirer aller dans
telle ou telle direction.
Or, nous savons que cette pierre, loin d’être libre, est déterminée par
les forces extérieures qui s’exercent sur elle (en particulier, la loi de
la gravitation universelle).
La pierre peut, certes, se croire libre : c’est son point de vue subjectif
(point de vue à la première personne). Mais, bien sûr, elle ne l’est
pas selon le point de vue objectif de la science (point de vue à la
troisième personne).
Selon Spinoza, les êtres humains sont exactement comme cette
pierre.
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25. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (4)
2) Il n’y a pas d’exception humaine.
Selon Spinoza, l’homme n’a pas de statut privilégié : comme la
pierre, comme l’animal, il est soumis aux lois de la nature.
• Les partisans du libre arbitre ont le tort de concevoir l’homme
« comme un empire dans un empire », et de croire qu’il
« perturbe l’ordre de la nature plutôt qu’il ne le suit » (Éthique,
III, préface).
• Spinoza est déterministe : il pense que le monde est
intégralement régi par le principe de causalité. Selon ce
principe : « Étant donné une cause déterminée, son effet suit
nécessairement ; et au contraire, s’il n’y a pas de cause
déterminée, il est impossible qu’un effet s’ensuive. » (Éthique,
I, axiome 3)
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26. L’homme
ou le règne
de la
liberté
La nature
ou le règne
de la
nécessité
L’homme n’est pas dans la nature
« comme un empire dans un empire »
Selon Spinoza, l’homme n’est pas un
« empire » à part, à l’intérieur du plus grand
« empire » que serait la nature. Comme toute
chose, il fait partie de celle-ci, et obéit donc à
ses lois. Il n’y a donc qu’un seul règne : le règne
de la nature, c’est-à-dire, celui de la nécessité.
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27. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (5)
b) La liberté comme libre nécessité
Spinoza dénonce l’illusion du libre arbitre. Mais il conserve
l’idée d’une liberté de l’homme.
Le titre de la partie V de l’Éthique en témoigne (De Libertate). Que l’homme
n’ait pas de libre arbitre ne signifie pas qu’il ne puisse pas être libre.
1. Paradoxalement, on peut concilier déterminisme et liberté.
2. Pour cela, il faut redéfinir le mot « liberté ». C’est précisément ce que
fait Spinoza dans la lettre à Schuller.
→ « Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre
décret, mais dans une libre nécessité. »
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28. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (6)
• Il faut distinguer déterminisme et fatalisme.
Cf. Alain : « L’idée fataliste c’est que ce qui est écrit ou prédit se
réalisera quelles que soient les causes (…). Au lieu que, selon le
déterminisme, le plus petit changement écarte de grands malheurs,
ce qui fait qu’un malheur bien clairement prédit n’arriverait
point. » (Éléments de philosophie)
→ Selon le fatalisme, on ne peut pas agir, car, quoi qu’on fasse, ce
qui doit arriver arrivera.
→ Selon le déterminisme, tout ce qui a lieu n’est qu’un
enchaînement nécessaire de causes et d’effets, mais il n’y a pas
d’événement final inéluctable.
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29. Le fatalisme Le déterminisme
Etre fataliste, c’est croire au destin (fatum, en
latin)
Etre déterministe, c’est croire au principe de
causalité. Cf. Leibniz : « Nihil est sine
ratione. »
Le fatalisme a une origine mythique et
religieuse.
Ex : Œdipe-roi de Sophocle
Le déterminisme est un présupposé
scientifique.
Pierre Bourdieu : « La science qui doit rendre
raison de ce qui est, postule par là même que
rien n’est sans raison d’être. » (Questions de
sociologie)
Ce qui est prédit arrivera nécessairement, quoi
qu’on fasse. L’avenir est déjà écrit.
Ce qui arrive arrive nécessairement,
conformément aux lois de la nature, telle ou
telle cause produisant tel ou tel effet et ainsi de
suite. Mais l’avenir n’est pas déjà écrit.
Le fatalisme encourage à l’inaction (c’est ce
qu’on appelle « l’argument du paresseux »).
On ne peut rien face au destin.
On peut empêcher un événement de se
produire en agissant sur ses causes.
Le fatalisme est irrationnel.
Il ne respecte pas le principe de causalité,
puisque l’événement prédit doit arriver, quelles
que soient les condition antérieures, ce qui est,
à bien y regarder, absurde.
Le déterminisme est rationnel.
Il respecte le principe de causalité.
Tel ou tel événement se produira si et
seulement si les conditions nécessaires à sa
production (c’est-à-dire ses causes) sont
réunies.
30. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (7)
• Examinons la définition de la liberté proposée par Spinoza.
« J’appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule
nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à
exister et à agir d’une certaine façon déterminée. »
Paradoxe : une action peut être nécessaire et pourtant libre !
Spinoza définit la liberté par opposition, non pas à la nécessité,
mais à la contrainte.
Pour expliquer sa définition de la liberté, Spinoza prend un exemple
pour le moins surprenant – Dieu ! Pourquoi ? Pour le comprendre,
il faut savoir que Spinoza ne pense pas Dieu comme un être
extérieur au monde, comme c’est le cas dans les monothéismes
traditionnels. En effet, une formule célèbre revient sans cesse dans
l’Éthique : « Deus sive natura » (Dieu ou la nature).
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31. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (8)
• Selon Spinoza, l’homme peut devenir libre. Comment ? En prenant
conscience des causes qui le déterminent ! La liberté n’est pas
donnée d’emblée : elle est acquise au terme d’un long processus. Elle
est une conquête. Elle passe par la connaissance de soi.
Je suis d’autant plus esclave que j’ignore les causes qui agissent en
moi et à mon insu. Je suis d’autant plus libre que, connaissant ces
causes, je peux m’en libérer et ne plus les subir. Plus je me connais,
plus j’agis selon la seule nécessité de ma nature, et non pas sous
l’influence des causes extérieures, plus je suis libre, plus je suis
joyeux : j’exerce alors pleinement ma puissance d’agir.
Cf. Paul Ricoeur : « C’est la leçon de Spinoza : on se découvre
d’abord esclave, on comprend son esclavage, on se retrouve libre
dans la nécessité comprise. » (De l’interprétation)
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32. Moi
Forces
extérieures
L’esclave
• L’homme n’est pas Dieu : il y a nécessairement des
êtres extérieurs à lui, qui agissent sur lui. Loin d’être
comme Dieu « cause de lui-même » (causa sui), il est
« contraint » à « exister et agir d’une façon
déterminée ».
• Subissant les forces extérieures, soumis aux affects
que ces dernières produisent en lui, l’esclave (ou
l’ignorant) ne peut pas pleinement exercer sa puissance
d’agir. Il est donc passif, impuissant, et triste.
Moi
L’homme libre
• L’homme ne sera jamais Dieu : il ne pourra jamais être
complètement cause de lui-même. Mais l’homme libre
(ou le sage) peut se rapprocher de cet état. En
connaissant les forces qui s’exercent sur lui, il
peut réussir à moins les subir, à en atténuer les
effets, voire à s’en libérer complètement.
• Certes, il ne fait pas ce qu’il veut (puisque le libre
arbitre n’existe pas). Mais il pâtit de moins en moins
des forces extérieures. Il agit de plus en plus selon « la
seule nécessité de sa nature ». Autrement dit, au lieu de
subir, il exerce sa puissance propre. Il est actif et
joyeux. Liberté et joie vont de pair chez Spinoza.
33. La science a-t-elle prouvé
que le libre arbitre n’existe pas ?
Les scientifiques ont fait, au cours des dernières décennies, des expériences qui
semblent donner raison à Spinoza. Le plus célèbre d’entre eux est le
neuropsychologue américain Benjamin Libet (1916-2007).
Dans les années 1980, Libet a étudié une action volontaire simple : le fait de fléchir
le poignet. Il a découvert qu’avant même que les sujets de l’expérience soient
conscients de leur propre décision de fléchir le poignet, leur cerveau semble avoir
déjà décidé pour eux, puisque l’électro-encéphalogramme enregistre une activité
cérébrale qui précède la décision.
Même si Libet lui-même ne nie pas l’existence du libre arbitre, son expérience a
souvent été interprétée comme une réfutation de celui-ci.
Pourtant, une telle interprétation pose problème. Deux objections :
1) Qu’il y ait une activité cérébrale inconsciente qui précède de quelques
millisecondes la décision n’implique pas nécessairement que c’est le cerveau
qui décide. Car, que se passe-t-il au cours de ces millisecondes ? On ne le sait
pas, en fait.
2) L’expérience porte sur un acte simple, sans délibération préalable. Qu’en est-il
des actions plus complexes, qui exigent que le sujet délibère ?
Cf. Alfred R. Mele, Free: Why Science Hasn’t Disproved Free Will (2014).
34.
35. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (9)
c) Objections
1) Le déterminisme n’est pas prouvé mais seulement postulé.
Spinoza l’admet parce qu’il en a besoin pour son projet. Les
physiciens classiques comme Galilée et Newton font de même.
Ayant le projet d’expliquer le réel, ils présupposent que ce dernier
obéit à des lois qu’on peut formuler de manière mathématique.
Les scientifiques du XVIIe au XXe siècle sont tous déterministes.
Ils peuvent douter de leurs théories. Ils ne peuvent pas douter du
déterminisme qui est la condition de possibilité de la science elle-
même (cf. Claude Bernard). Si le réel n’obéit à aucune loi, si
n’importe quelle cause peut produire n’importe quel effet, on ne
peut ni expliquer ni prévoir les phénomènes.
GGP, LCS, 2023-2024
36. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (10)
Or, qu’est-ce qui prouve que le réel obéit à des lois ?
À la fin du XIXe siècle, Nietzsche ose émettre un doute. Selon
lui, la science moderne, loin de connaître le réel tel qu’il est
objectivement, ne fait que l’interpréter.
« L’idée commence peut-être à se faire jour dans cinq, six têtes que la physique
aussi n’est qu’une interprétation et un réarrangement du monde (en
fonction de nous ! ne vous en déplaise ?) et non pas une explication du monde. »
(Par-delà bien et mal, § 14)
« ... mais cette "conformité de la nature à des lois", dont vous, physiciens,
parlez avec tant d’orgueil, comme si – – ne repose que sur votre commentaire et
votre mauvaise "philologie", – elle n’est pas un état de fait, pas un "texte", mais
bien plutôt un réarrangement et une distorsion de sens naïvement
humanitaires avec lesquels vous vous montrez largement complaisants envers
les instincts démocratiques de l’âme moderne ! » (ibid., § 22)
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37. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (11)
Au XXe siècle, c’est la science elle-même, et en particulier, la
physique quantique, qui tend à remettre en question le
déterminisme.
La physique quantique c’est la physique de l’infiniment petit, des
particules élémentaires, celles qui composent les atomes.
Paradoxe 1 : les lois de la physique classique (qui permettent
d’expliquer, par exemple, le mouvement des astres) ne
s’appliquent pas à l’infiniment petit (par exemple, pour expliquer
le mouvement des électrons).
Paradoxe 2 : au niveau quantique, il y aurait de
l’indéterminisme. Il y a eu un débat important, à ce sujet, entre
Niels Bohr et Albert Einstein. Cf. à ce sujet, Étienne Klein,
Petit voyage dans le monde des quanta (2004).
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38. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (12)
2) Non seulement Spinoza n’apporte aucune preuve en faveur du
déterminisme, mais il commet une faute d’extension, en
appliquant le principe de causalité, valide pour les phénomènes
naturels, aux actions humaines.
C’est la critique de Bergson : les partisans du déterminisme
comme Spinoza « ne font qu’étendre arbitrairement aux actions
volontaires une loi vérifiée dans les cas où la volonté n’intervient
pas » (« L’âme et le corps » dans L’énergie spirituelle).
Spinoza a aussi le tort de faire de l’homme un être comme les
autres. C’est la critique de Sartre : l’homme est « un projet qui se
vit subjectivement, au lieu d’être une mousse, une pourriture ou
un chou fleur » (L’existentialisme est un humanisme).
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39. 2. La critique du libre arbitre.
Liberté et déterminisme (13)
3) Nier l’existence du libre arbitre comme le fait Spinoza conduit à
fragiliser la morale et le droit. Si le libre arbitre n’existe pas, peut-
on encore juger les hommes ?
Transition : nous sommes face à un dilemme.
• Soit l’homme a un libre arbitre : on peut le juger, mais on ne peut
pas le connaître. Autrement dit, il est impossible de faire une
science de l’homme.
• Soit l’homme est déterminé : on peut le connaître, mais on ne peut
pas le juger. C’est la morale qui est désormais impossible.
Or, le rapport que les philosophes ont à la morale détermine, en
grande partie, la réponse qu’ils apportent à la question du libre
arbitre. Nous allons le voir avec deux exemples : Kant et Nietzsche.
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40. Fritz LANG, M Le Maudit, 1931.
Scène finale
1) L’argument de M : « Ce
n’est pas ma faute ». M
prétend agir par nécessité,
soumis à une force intérieure.
2) La réponse du chef de la
pègre : si M ne peut pas ne
pas tuer, il est donc une
menace pour l’ordre public. Il
faut le tuer comme une bête
fauve.
3) L’intervention de la
défense : « Là où il y a
contrainte, il n’y a plus libre
arbitre. Là où il n’y a pas de
responsabilité, aucune peine
ne peut être prononcée. »
41. Intermède : M le maudit de F. Lang.
M est-il responsable ?
• Cette scène interroge le rapport entre conscience, liberté et
responsabilité. Seul un être conscient et libre peut être tenu pour
responsable de son action.
• Or, M prétend agir sous l’emprise d’une force intérieure qui le
pousse à assassiner les jeunes filles. Il semble souffrir d’un
dédoublement de la personnalité, et agir de manière inconsciente. Il
n’est donc pas, à première vue, responsable.
• Mais, s’il n’est pas responsable, faut-il pour autant le considérer
comme innocent ? Il faut distinguer la responsabilité et la
culpabilité, car les deux notions ne se recoupent pas
nécessairement. On peut être responsable et non coupable, et
inversement, coupable mais non responsable.
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42. 3. Liberté et morale (1)
a) La liberté comme postulat de la raison
pratique
• Pour Kant, on ne peut pas trancher le débat entre libre
arbitre et déterminisme. La raison théorique peut
argumenter en faveur de l’un comme de l’autre : elle
est face à une antinomie.
→ La liberté ne peut pas faire l’objet d’une connaissance ; on
n’a aucune preuve suffisante (contre Descartes).
→ Mais il ne faut pas non plus admettre la thèse déterministe
(contre Spinoza) : à défaut d’être prouvée, la liberté doit
être postulée. Pourquoi ?
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43. La liberté La morale
La liberté est la « ratio essendi » de la loi
morale. Autrement dit : sans la liberté, il n’y
aurait pas de morale.
La loi morale est la « ratio cognoscendi »
de la liberté. Autrement dit : sans la morale,
nous ne saurions pas que nous sommes libres.
Ratio essendi :
« raison d’être »,
ce qui fonde
l’existence de
quelque chose.
Ratio
cognoscendi :
littéralement,
« raison de
connaître », ce
qui fait
connaître
quelque chose,
ce qui fonde la
connaissance de
cette chose.
44. 3. Liberté et morale (2)
• La liberté est la ratio essendi de la loi morale.
Si l’homme n’était pas libre, il ne pourrait pas agir
moralement.
L’action morale suppose, en effet, que le sujet puisse agir par
devoir, c’est-à-dire par pur respect pour la loi morale, sans être
déterminé par ses inclinations sensibles.
Ainsi, la liberté n’est rien d’autre que la condition de possibilité de
la morale. Au nom de la morale, il faut admettre que l’homme est
libre.
La liberté est selon Kant une exigence de la raison pratique, un
postulat que celle-ci doit poser – sans quoi tout l’édifice moral
s’écroule.
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45. 3. Liberté et morale (3)
• La loi morale est la ratio cognoscendi de la
liberté.
Cf. Kant, Critique de la raison pratique, §6, scolie.
Nous n’avons aucune preuve de la liberté. Et pourtant,
nous savons (ou croyons savoir) que nous sommes libres.
Comment est-ce possible ?
Il y a une expérience première, qu’on ne peut pas
remettre en question selon Kant : nous avons conscience
de notre devoir moral.
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46. 3. Liberté et morale (4)
1. Nous avons conscience de notre devoir.
2. Or, si nous devons accomplir notre devoir, c’est que
nous pouvons aussi le faire.
3. Par conséquent, nous sommes libres.
L’expérience du devoir moral révèle à l’homme
sa propre liberté : il reconnaît que, s’il veut, il peut
toujours accomplir son devoir, indépendamment de ses
inclinations sensibles.
« Tu dois, donc tu peux.»
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47. 3. Liberté et morale (5)
b) Liberté et culpabilité : le libre arbitre
comme fiction.
Cf. Nietzsche, Le crépuscule des idoles (« Les quatre
grandes erreurs », §7).
• Comme Kant, Nietzsche affirme la primauté du fait
moral. Mais il en tire une conclusion diamétralement
opposée.
Alors que Kant rejoint in fine le camp de Descartes, Nietzsche
rejoint le camp de Spinoza. Ceci dit, il défend une thèse un peu
différente. Alors que Spinoza considère le libre arbitre comme une
illusion, Nietzsche le considère comme une fiction. Pourquoi ?
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48. 3. Liberté et morale (6)
• Selon Nietzche, si le libre arbitre est une fiction, et non une simple
illusion, c’est parce qu’il a été inventé.
Mais par qui ? Par les théologiens.
Pourquoi ? Parce que les théologiens désirent juger et punir les
hommes, c’est-à-dire exercer un pouvoir sur eux. Or, pour cela,
ils ont besoin de supposer les hommes libres.
Mais qui sont ces théologiens ? Nietzsche n’est pas très précis à ce
sujet. Il faut comprendre qu’il vise, non pas des personnes en
particulier, mais plutôt une certaine catégorie de personnes, celles
qui sont animées par « l’instinct de punir et de juger ».
Mais de quoi s’agit-il ? Pour le comprendre, il n’est pas inutile de
dire quelques mots sur la philosophie de Nietzsche en général.
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49. 3. Liberté et morale (7)
• Nietzsche présente souvent le philosophe comme « un médecin de
la civilisation ». Le philosophe doit examiner la civilisation de son
époque pour déterminer si elle est en bonne santé ou malade.
Une thèse générale qui traverse l’œuvre de Nietzsche, c’est que la
« culture occidentale » de la fin du XIXe siècle est malade. Nietzsche
s’en prend, en particulier, à la morale judéo-chrétienne :
« Ma découverte, c’est que toutes les forces et les instincts qui
rendent possibles la vie et la croissance sont condamnés par la
morale. La morale est l’instinct négateur de la vie. Il faut
détruire la morale pour libérer la vie. » (Fragments
posthumes)
Nietzsche veut, dit-il, philosopher à coups de marteau, et renverser
toutes les valeurs, détruire toutes les idoles !
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50. 3. Liberté et morale (8)
• Mais contrairement aux apparences, Nietzsche n’est pas immoraliste
(comme Calliclès par exemple). S’il critique la morale occidentale
(judéo-chrétienne), c’est au nom d’une autre morale – une morale à
venir, qui soit au service de la vie.
Nietzsche distingue deux manières de vivre :
1) la manière de vivre des hommes qu’il appelle « forts » ;
2) la manière de vivre des hommes qu’il appelle « faibles ».
La thèse générale qu’il défend, c’est que ce sont les « faibles » qui
ont inventé la morale et le libre arbitre.
Les théologiens animés par « l’instinct de juger et de punir » sont
précisément des « faibles » au sens de Nietzsche.
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51. 3. Liberté et morale (9)
• Ce qui définit l’homme « fort », ce n’est pas sa force physique ou
encore son argent : c’est son rapport affirmatif à la vie en général. Il
affirme sa puissance. Il est joyeux. Il n’est pas nécessairement
méchant : s’il le peut, il aide volontiers les autres.
Ce qui définit l’homme « faible », c’est un rapport négatif à la vie
en général. Il est complexé vis-à-vis de lui-même, se compare aux
autres et finit par les détester autant qu’il se déteste.
Or le faible ne peut en rester là : il veut se venger du fort. Mais il ne
peut pas le faire seul : il doit s’associer avec d’autres faibles.
Ensemble, ils pourront reprendre le dessus sur les forts.
Selon Nietzsche, c’est ce qui s’est passé : les faibles se sont ligués
contre les forts, mais à défaut de pouvoir utiliser la force
physique, ils ont eu recours à une ruse – la ruse de la morale.
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52. 3. Liberté et morale (10)
• Les faibles ont inventé la morale et le libre arbitre pour
soumettre les forts, pour les faire plier à leur propre
commandement. Les hommes « forts » sont, dès lors, déclarés
« méchants », et comme ils sont « libres » – ça tombe bien – les
hommes « faibles » sont autorisés à les punir !
Selon Nietzsche, il s’agit d’un « tour de force » et surtout d’une
interprétation – très discutable – de la réalité, pour ne pas dire un
mensonge. Si on considère que l’homme est libre, ce n’est pas parce
qu’il est – objectivement – libre, mais parce qu’on veut qu’il soit
libre, afin de mieux pouvoir le juger, le punir, et le tenir sous
contrôle ! Voilà ce que cache, selon Nietzsche, la croyance au libre
arbitre !
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53. Sujets de dissertation
• Suffit-il de se sentir libre pour l’ê tre ?
• Sommes-nous toujours libres dans nos décisions ?
• Puis-je avoir la certitude que mes choix sont libres ?
• Peut-on ê tre libre quand on n’a pas le choix ?
• L’idée d’une liberté totale a-t-elle un sens ?
• La liberté est-elle une donnée ou une conquête ?
• Prendre conscience, est-ce se libérer ?
• La conscience de soi est-elle une connaissance de soi ?
• Les sciences humaines pensent-elles l’homme comme un ê tre
prévisible ?
• L'explication scientifique des conduites humaines est-elle
incompatible avec l'affirmation de la liberté ?
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54. Suggestions de lecture
(pour aller plus loin)
• Thomas Nagel, What Does It All Mean ? A Very Brief Introduction to
Philosophy, Oxford University Press, chap. 6 : « Free Will ». Trad. fr. :
Qu’est-ce que tout cela veut dire ?, trad. R. Ogien, éd. de L’Éclat, 1992.
• Arthur Schopenhauer, Essai sur le libre arbitre (1841), Rivages poche,
1992.
• Bertrand Russell, Science et religion (1935), Gallimard, Folio, 1971. En
particulier, le chapitre IV : « Le déterminisme », p.107-125.
• Cyril Michon, Qu’est-ce que le libre arbitre ?, Vrin, Collection « Chemins
philosophiques », 2011.
• Alfred R. Mele, Free: Why Science Hasn’t Disproved Free Will, Oxford
University Press, 2014. Trad. fr : Le libre arbitre à l’épreuve de la science,
trad. S. Dunand, Elliot, 2022.
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