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“ CHAPITRE III
Vers une épuration de l’art
1- Les bases de l’épuration au
début du XXème siècle
- Prélude à la fièvre de la guerre
- Des recherches audacieuses
- Le futurisme plastique
2- L’abstraction et l’épuration des
concepts
- La libération totale
- Le degré zéro de la création
- Le constructivisme comme concept
- Mondrian et De Stijl
- De Monet à Mondrian
117
Dans le cubisme synthétique, les artistes découvrent d’autres champs
inattendus pour la création, en optant pour la technique du collage, ils
rendent possible l’insertion de plusieurs matériaux ou objets, les uns dans
les autres, découverte chez les primitifs, ayant recours aux « techniques
mixtes », une technique qui va faire ravage dans les arts contemporains ; en
aplatissant l’espace dénué des ombrages, et en tendant vers la stylisation
des formes, ils s’ouvrent sur l’abstraction, grâce à un mouvement issu
du cubisme : l’orphisme, avec Delaunay. D’autres artistes, en étudiant le
cubisme analytique, ont abouti à une abstraction pure, comme Mondrian
et son néoplasticisme, selon des recherches rigoureuses et logiques.
Ainsi, le cubisme, qui propose de dégager les formes et les structures
géométriques cachées sous l’apparence des objets, selon un ordre nouveau,
va influencer profondément les esprits actifs dans le domaine plastique
et architectural. Il va inspirer le futurisme dans la décomposition du
mouvement, et l’orphisme dans celle de la lumière. En même temps, il
inspirera le dadaïsme et le pop’art dans l’introduction du collage et des
techniques mixtes dans l’œuvre. Mais son influence sur l’architecture et le
design sera encore plus importante et plus directe, avec le « rondocubisme»
tchèque, le mouvement De Stijl en Hollande, et le fonctionnalisme de Le
Corbusier.
Prélude à la fièvre de la guerre
La peinture en plein air a ouvert aux artistes des horizons inconnus, se situant
comme le champ fécond pour le dialogue artistique, et même l’origine et
tout l’art moderne. En quittant l’atelier, pour peindre la nature directement
et spontanément, l’artiste impressionniste découvre une lumière scintillante
où les corps se meuvent dans des taches en mouvement. Il va s’occuper
à peindre « l’instant », ému par un cocktail visuel, contre lequel d’autres
artistes vont réagir.
118
Les qualités dynamiques de la vie ont été mises en valeur par les artistes
baroques, mais le mouvement exprimé dans leurs œuvres, tourne dans
un tourbillon flottant, comme en spirale autour d’un axe imaginaire. En le
saisissant plus fort dans la vie moderne, tout en exprimant la lumière, l’eau
et son reflet, les impressionnistes n’ont pas su résoudre le problème de sa
représentation dans leurs peintures.
Les attitudes et les conceptions se trouvent bouleversées, certes, mais le
peintre reste toujours devant un paysage localisé, et non pas au milieu de
ce paysage, avec son chaos visuel et sonore. C’est ce spectacle troublant
que les futuristes vont essayer d’exprimer, et même de définir.
Des recherches audacieuses
En brandissant le flambeau de la vitesse, les futuristes proposent une
solution naïve, qui va être exploitée, d’ailleurs, dans la bande dessinée : un
cheval au galop, selon eux, n’a pas quatre pattes mais vingt, et le mouvement
effectué par les pattes est triangulaire.
En se mettant à peindre, suivant cette logique, des objets et des corps
dotés d’une profusion de formes et de couleurs, avec une sensation du
dynamisme, les futuristes ont essayé de développer une technique. Pour
comprendre cette peinture déroutante, on doit analyser la conception
futuriste, en général, où la peinture et la sculpture ne préfigurent que
comme des aspects symboliques.
Le futurisme est né dans un jaillissement de recherches culturelles qui vont
constituer les bases de l’art contemporain. Tous les domaines de la culture au
début du XX° siècle connaissent des bouleversements. Revues, manifestes et
mouvements poétiques foisonnent, opposant des préoccupations nouvelles.
Après le symbolisme de Mallarmé et son groupe, l’unanisme de Jules
Romains recherche la présence d’une collective au-delà du spectacle de
la vie; Marinetti appelle à une poésie violente; Apollinaire préconise une
119
poésie qui exalte la richesse et le désordre de la vie quotidienne. Le naturel
de la vie est mis sur scène, avec le théâtre libre qui s’oppose au théâtre
conventionnel. La musique suit le même mouvement; on applaudit Verdi,
Richard Strauss et surtout Wagner qui s’impose sur les grandes scènes.
L’expression musicale échappe à la tradition avec Maurice Ravel et Debussy.
Toutes les capitales d’Europe sont enivrées par les Ballets russes. Ce sont
des spectacles féériques où les décors de Picasso et de Derain se mêlent à
la musique de Stravinsky, dont le Sacre du printemps, en 1913, déchaîne
un grand tumulte dans le public.
Dans ces recherches divergentes, le cinéma, cessant d’être un objet de
curiosité, prend sa place, de plus en plus dominante, avec ses premières
explorations multiples, voulant s’exprimer dès le début, avec Georges Méliès,
par le mouvement et la lumière.
Dans ce jaillissement des créations audacieuses multiples, et face aux
événements historiques, l’attitude et le discours des futuristes ont évolué
vers des positions extrémistes. Dans une fougue pleine d’audace et de
révolte, le poète italien Marinetti répandit dans le monde, dans le courant de
l’année 1909, un manifeste qui proclamait la mort du passé (le passéisme) et
la naissance d’un art futur le « Futurisme ». Dans ce manifeste, publié dans
le Figaro, il déclare que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté
nouvelle : la beauté de la vitesse, tout en ajoutant qu’une «automobile
rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire
de Samothrace».
Selon lui, la beauté n’existe que dans la lutte, que dans la guerre, « seule
hygiène au monde »; pour un art d’avenir, il crie à la destruction des musées
et des bibliothèques qui ne sont que « d’innombrables cimetières ». Dans le
dernier article de son manifeste, il déclare : « nous chanterons les grandes
foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte, les ressacs multicolores
et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes (….) Les
120
locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d’énormes
chevaux d’acier bridés de longs tuyaux et le vol glissant des aéroplanes »….
Chef de file de ce mouvement provocateur, qui pousse le culte de la force
dynamique jusqu’à l’exaltation de la destruction, pour finir fasciste, Marinetti
s’entoura d’un certain nombre de poètes et de peintres, dont les plus
importants furent Umberto Boccioni, Carlo Carra, Luigi Russolo, Giacomo
Balla et Gino Severini.
Le futurisme plastique
Boccioni, en tant que concepteur du mouvement, écrivit un Manifeste
des peintres futuristes, en 1910 à Turin, suivi la même année par un
Manifeste des techniques de la peinture futuriste, puis, en 1914, il publia
un ouvrage, « Dynamisme plastique, peinture et sculpture futuristes », qui
donna l’expression définitive aux idéaux du groupe. Durant ce temps, une
exposition des œuvres futuristes fut organisée à Paris, à Londres et à Berlin.
Les artistes futuristes ont voué leur expression au dynamisme de la vie
industrielle, chantant la puissance de la machine et sa vitesse. Empruntant
aux cubistes leur dislocation de la forme, ils l’ont utilisée comme
fragmentation du mouvement dans l’espace, poursuivant la compénétration
des objets, tout en prétendant faire du tableau ou de la statue une sensation
dynamique éternisée. La vitesse fut leur dieu comme s’était écrié Marinetti.
Cette peinture futuriste ne peut être que violente, fiévreuse et dynamique,
tout à fait le contraire de celle des cubistes, mais urbaine ; en cela, elle
est différente de celle des expressionnistes et des fauvistes, qui opte
pour un lyrisme sauvage. Tous les peintres futuristes se sont adonnés à la
représentation des forces physiques et mécaniques, voulant exprimer le
dynamisme universel, dans la mouvance des corps qui s’interpénètrent,
dans les couleurs scintillantes et les ombres lumineuses, épanouies dans
un rythme prismatique endiablé.
121
Beaucoup d’artistes en Europe se sont inspirés de la conception futuriste, ne
voyant en elle que dynamisme de la vie moderne, comme Marcel Duchamp,
Picabia, et surtout Delaunay dans son orphisme.
Le mouvement futuriste s’éteignit en 1916, avec la mort de Boccioni et la
dispersion des membres du groupe. Avec la montée de Mussolini au pouvoir
en 1922, le fascisme, qui découvrit beaucoup de valeurs communes avec le
futurisme, cherchera à rassembler de nouveaux compagnons de Marinetti.
Même dépassées par le cinéma, les œuvres futuristes restent des symboles;
les artistes, adhérant à la conception de Boccioni, ont suscité une sensibilité
nouvelle à l’égard de la machine et à l’industrie moderne, dont ils ont glorifié
la puissance.
Avant le futurisme, le spectateur est placé toujours devant le tableau ;
avec cette expression dynamique violente et tourbillonnante, il est placé
au centre d’un spectacle vertigineux, au centre d’une vie d’acier axée sur la
vitesse, où les objets ne sont pas analysés avec l’impassibilité d’un Cézanne
ou d’un Braque, mais saisis dans leurs odeurs polluantes, dans leur vacarme
assourdissant et les vapeurs qu’ils éjectent, provoquant chez le spectateur
une émotion de trouble, comme dans un théâtre total. Un spectacle orienté
vers la déshumanisation de l’homme moderne.
2- L’abstraction et l’épuration des concepts
L’histoire de l’art nous a appris que la synthèse des formes tend vers
l’épuration qui s’épanouit dans l’abstraction. Seulement, les objectifs de
l’épuration diffèrent de cet ancêtre lointain qui a tracé ses mystérieux
blasons abstraits sur les parois des grottes paléolithiques, à cet inventeur de
l’alphabet phénicien, ou à cet artiste musulman qui a opté pour l’abstraction
spirituelle.
L’Europe, qui a hérité sa culture de la Grèce antique, n’a pu se détacher de
la représentation de l’objet qu’au prix de multiples efforts accomplis par les
122
artistes novateurs qui ont tendu vers l’épuration de l’art, avec une liberté
consciente, loin de toute intervention sauf celle de l’engagement artistique.
La libération totale :
L’impressionniste a ouvert les horizons sur les divergences artistiques,
inspirant ainsi aux premiers mouvements du XX° siècle l’épuration de la
couleur, de la forme, du mouvement et de la lumière, une épuration qui ne
cesse, d’ailleurs, de se développer. Avec le Russe Wassily Kandinsky, c’est
l’épuration des concepts qui devient nécessaire.
En 1895, dans une exposition des impressionnistes à Moscou, en
contemplant la Meule de foin, de Monet, Kandinsky s’est demandé si la
peinture n’aurait pu acquérir la même liberté que la musique ? Quinze
ans plus tard, il réalisa sa première aquarelle abstraite, et écrivit son livre
capital, « Du spirituel dans l’art », où il exprime sa conception audacieuse
et spirituelle.
Selon lui, la « nécessité intérieure » détermine l’œuvre. « Une œuvre d’art
consiste en deux éléments, l’intérieur et l’extérieur. L’intérieur est l’émotion
dans l’âme de l’artiste, cette émotion a la capacité d’éveiller une émotion
similaire dans l’âme de l’observateur ». Ou encore : « L’élément intérieur,
c’est-à-dire l’émotion, doit exister, autrement, l’œuvre d’art n’est qu’une
tromperie. L’élément intérieur détermine la forme de l’œuvre d’art ».
Avec Kandinsky, l’art abstrait devient l’entreprise la plus polémique aussi,
surtout que les artistes qui restent attachés beaucoup trop à la figuration,
ou ceux qui confondent encore entre art abstrait et art décoratif. Dans ce
mouvement, qui va devenir tout un courant, avec ses propres tendances,
se confrontant ou s’assimilant à la figuration, les artistes excluent toute
représentation de la réalité extérieure et conçoivent la peinture ou la
sculpture comme un pur agencement de formes et de couleurs susceptibles
d’éveiller l’émotion esthétique. Loin de l’art décoratif, qui a ses propres
123
règles, cet art s’affirme comme une libération totale de la création artistique,
et comme une réaction contre l’académisme encore dominant au début
du XX° siècle.
La conception abstraite est due en grande partie aux Russes, peuple sans
grande tradition picturale, à l’européenne, mais imprégnés d’une religion
soit orthodoxe, soit islamique hostile aux images.
La guerre de 1914 et la révolution russe ont provoqué un exode massif
d’artistes slaves en Occident.
En dix ans, des mouvements et des écoles artistiques se sont créés en
Europe, le rayonnisme de Larionov et de Gontcharova, en 1910, l’orphisme
de Delaunay en 1913, le suprématisme de Malevitch en 1915, le construc-
tivisme de Tatlin et de Rodchenko, à la même année, continué par Gabo
et Pevsner, le néoplasticisme de Mondrian qui animera la revue De Stijl en
1917, et qui sera le parrain du Bauhaus, fondé en 1919.
Le degré zéro de la création
Kandinsky resta fidèle à son « principe de la nécessité intérieure »,
inspirant plus tard des tendances de plus en plus lyriques. Seulement,
en se fondant aussi sur son œuvre, d’autres artistes furent orientés vers
des conceptions antagoniques à la sienne, en élaborant un principe de ce
qu’on pourrait appeler « nécessité extérieure ». Voulant s’affranchir de
la tragédie humaine et des émotions individuelles, ils proposèrent un art
pur, impersonnel et universel.
Optant pour l’annihilation de toute représentation figurative et même de
tout élément formel, cette recherche trouvera son aboutissement chez
Casimir Malevitch. Se fondant sur les théories esthétiques de l’époque,
cet artiste affirmait que la réalité dans l’art n’est autre que l’effet de la
couleur sur les sens. Il exposa en 1913 un tableau, «Carré noir sur fond
blanc », voulant soutenir que l’impression suscitée par ce contraste était le
124
fondement de tout art, tout en déclarant : « je me suis transfiguré dans le
zéro des formes et suis allé au-delà du zéro vers la création ». Il donna à sa
démarche le nom de « Suprématisme », c’est-à-dire au-delà de tout. Cette
conception radicale dépasse par son audace et sa logique largement toutes
les recherches effectuées avant lui.
Tout en annonçant que l’assujettissement de la peinture aux éléments
extérieurs est révolu, et que l’œuvre se réfère uniquement à elle-même,
il déclare : « La représentation d’un objet en soi est une chose qui n’a rien
à voir avec l’art. Pour le suprématisme, le moyen adéquat est celui qui
exprime le plus entièrement le sentiment pur et qui ignore l’objet tel qu’il est
habituellement adopté. L’objet en lui-même est sans signification pour lui,
et les idées de l’esprit conscient sont sans valeur. Le sentiment est le facteur
décisif (…) L’art parvient de la sorte à une représentation non objective-au
suprématisme ».
La peinture, selon lui, était le côté esthétique de l’objet, sans jamais parvenir
à son but, ni à être elle-même. Il écrit : « il ya création seulement là où dans
les tableaux apparait la forme qui ne prend rien de ce qui a été créé dans la
nature, mais qui découle des masses picturales, sans répéter et sans modifier
les formes premières des objets de la nature ». L’aboutissement de cette
recherche sera le « Carré blanc sur fond blanc », en 1918. Une impasse pour
la création elle-même.
Le constructivisme comme concept
Dès 1913, en Russie, trois points de vue antagoniques s’articulèrent : le point
de vue de Kandinsky tendu vers le sensible, celui de Malevitch axé sur le
purisme, et celui de Tatlin et de Rodchenko situé sur le constructivisme. La
révolution russe fit revenir en Russie plusieurs artistes novateurs, dont les
deux frères, Gabo et Pevsner. Avec eux se produisit la fusion d’une vision
artistique et d’une méthode scientifique.
125
Se défendant d’être qualifiés d’artistes abstraits, et s’élevant contre l’emploi
du terme d’ « abstraction » en art, les deux frères acceptèrent néanmoins
le point de vue non-objectif de Malevitch, et cherchèrent une conception
de l’art plus spatiale et plus dynamique. Rejetant aussi le point de vue fonc-
tionnaliste de Tatlin et de Rodchenko, Gabo précise : « le groupe de Tatlin
réclame l’abolition de l’art, sous prétexte qu’il s’agissait d’un esthétisme
dépassé appartenant à la culture de la société capitaliste, et appelait les
artistes…à faire des choses utiles à la vie matérielle de l’être humain, à
fabriquer des chaises et des tables… Nous étions opposés à ces idées
matérialistes et politiques sur l’art et surtout à cette sorte de nihilisme »…
En publiant ce manifeste en 1920, les deux frères optèrent pour une
nouvelle synthèse de l’art, affirmant que « l’art sera toujours vivant, en tant
qu’expression indispensable de l’expérience humaine », et que « l’espace
et le temps constituent l’épine dorsale des arts constructifs ».
Leur rêve fut dissout sous le dirigisme des Soviets, ainsi que celui des autres
novateurs. En 1922, Gabo partit pour Berlin ; son frère le rejoignit une année
plus tard. Kandinsky s’en alla aussi, pour enseigner au Bauhaus. Restés à
Moskou, Tatlin et d’autres devinrent des dessinateurs industriels, d’autres
encore, comme Malevitch, sombrèrent dans la pauvreté et l’oubli.
Cette synthèse de l’art ne verra pas le jour à Moscou qui veut pour sa
révolution un art de propagande ; elle sera articulée en Hollande, avec
De Stijl.
Mondrian et De Stijl
Avec sa logique rigoureuse, Mondrian introduit l’abstraction dans sa
tendance constructiviste vers une structure rigide et austère. De formation
académique, Piet Mondrian passa du réalisme à l’impressionnisme, puis
au fauvisme et au cubisme, surtout analytique, pour aboutir à sa recherche
finale, une abstraction pure et statique.
126
Grâce à la société théosophique d’Amsterdam à laquelle il avait adhéré en
1909, et à l’influence du mathématicien et philosophe Schoenmaekers,
Mondrian put acquérir un vocabulaire philosophique et concevoir une vision
artistique, du nom de « néoplasticisme». La nature, selon Schoenmaekers,
«aussi vivace et capricieuse qu’elle puisse être dans ses variations,
fonctionne toujours fondamentalement avec une régularité absolue, une
régularité plastique ».
Selon Mondrian, la beauté du monde s’exprime scientifiquement,
c’est-à-dire avec une exactitude et une extrême logique, et « comme
représentation de l’esprit humain, l’art s’exprimera dans une forme
esthétique purifiée, c’est-à-dire abstraite ».
Ainsi, la peinture doit être libérée de toute subjectivité humaine, pour
aboutir à une réalité universelle « dans l’abstraction de toute forme
et couleur, c’est-à-dire dans la ligne droite et dans la couleur primaire
nettement définie ».Il se fixa alors des contraintes, n’utilisant que des
verticales et des horizontales noires, des couleurs primaires et des
non-couleurs.
L’art de Mondrian, qui refuse toute subjectivité et toute sentimentalité,
est purement mathématique, à l’instar du néo-platonisme de son ami et
philosophe Schoenmaekers ; pourtant, dans ses tableaux qui se répètent
sans se répéter, on « sent » une émotion mystique et spirituelle qui évoque
l’exactitude plastique, non du Cosmos, mais de la contemplation de ce
Cosmos.
A la quête d’un beau universel, le désir d’objectivité mène le néoplasticisme
à une tendance anti-individualiste et anti-expressive, une tendance vouée
à l’architecture. En 1917, Mondrian et Théo Van Doesburg lancèrent une
revue du nom de De Stijl (le Style), ayant comme objectif de « rendre
l’homme moderne réceptif à ce qui est nouveau dans les arts visuels ». De
Stijl va constituer aussi, en même temps, tout un groupe de novateurs dans
127
toutes disciplines : peinture, architecture, ameublement, arts décoratifs et
typographie. Avec ses recherches fructueuses, ce mouvement, qui annonce
le Bauhaus, sera durant des années, un des pôles de référence de l’art
abstrait, surtout avec Doesburg, l’animateur infatigable du groupe.
De Monet à Mondrian
L’impressionnisme a constitué pour les artistes et les chercheurs en
esthétique la première révolution plastique dans les temps modernes,
entraînant par-là la rupture de l’art avec la société et le goût commun.
Grâce à cette grande autonomie de l’art, des champs nouveaux s’ouvrent à
la création, incitant les novateurs à être plus compétitifs, à s’acharner dans
la recherche pour accomplir tout un bond en avant jamais égalé.
Les impressionnistes n’ont voulu que proposer leur impression face à la
nature, mais grâce à eux, les règles classiques sont abolies dans un temps
très court, c’est ce qui explique le trouble du public, et même des initiés
qui ont assisté à l’évolution de cette peinture. Le paysage s’éclaire dans un
cocktail de couleurs, les sujets quotidiens sont mis en valeur, les figures ne
sont montrées qu’avec des taches lumineuses.
Seulement, leur vision, basée sur l’impression et la sensibilité, s’est ouverte
sur des divergences. D’autres artistes, plus logiques ou plus passionnés, ont
proposé d’autres conceptions et d’autres techniques plastiques, voulant
structurer le monde visuel ou exprimer leurs idées et leurs sentiments.
Dans ces expériences articulées frénétiquement dans la solitude, et qui
sont à la base de l’art contemporain, la vision n’est plus tourmentée par
la « sauce brune », ni par les détails superflus ; on opte pour l’épuration
plastique, un concept indispensable pour l’évolution artistique, un concept
qui va s’analyser durant un demi-siècle. Pour cela, on a été obligé de
s’enrichir par d’autres cultures, car on a remarqué que l’art européen,
hérité des Grecs, a insisté sur la réalité apparente, sur une conception
alourdie par des règles trompeuses.
128
On a découvert dans l’estampe Japonaise une autre perspective, une
stylisation remarquable du corps humain, une ligne épurée et des aplats de
couleur qui nient le volume ; chez les primitifs, on est encore plus séduit par
le traitement de la couleur et de la forme. Avec l’appropriation des fragments
des cultures, loin encore d’un dialogue sincère d’égal à égal, on a découvert
dans la couleur une expression directe et émotive, et dans la forme, une
stylisation et une géométrisation tellement sobres que ces arts, exotiques
ou sauvages deviennent des styles d’études et de recherche.
Avec les mouvements du début du XX° siècle, l’artiste cherche un autre idéal,
encore introuvable, incertain, qu’il s’acharne à imaginer, en se penchant,
tantôt sur la science, tantôt sur la métaphysique, tantôt en donnant à la
sensibilité sa grande liberté, tantôt en voulant codifier son monde visuel
selon une raison de plus en plus austère. Une vision antagonique s’élabore
ainsi, semblable à celle du XIX° siècle, seulement, cet antagonisme s’articule
autour des concepts purement plastiques, des concepts propres à une
époque qui se prépare à sa folie délirante.
Dans le fauvisme et l’expressionnisme, on a pu discerner deux points de vue
opposés ; dans le premier, malgré cette allure sauvage chez les peintres, il
ya tout un souci de recherche de la couleur pure, d’un ordre caché dans le
traitement du paysage et de la composition, un ordre hérité de la pensée
classique, tandis que dans le second, il y a cette expression tourmentée
et inquiète, violence délirante, héritée de l’esprit gothique allemand, et
qui va s’accroitre avec l’informel de Wols, une défiguration douloureuse
des personnages, débutée par Munch, rendue sauvage par Emile Nolde,
souffrante avec Soutine. Le spectre de la mort et de la déchéance règne
dans les œuvres des expressionnistes, et Rouault (le Français) est parmi
eux, tandis que dans le fauvisme, on sent parfois la joie des couleurs dans
les orgies éclatantes, la recherche d’une paix nostalgique, avec, certes, un
certain malaise.
129
Il faut souligner aussi, que seul le groupe de Dresde, die Brûcke, a pu être
distingué par cette expression sauvage, tandis que le groupe de Munich (Der
blaue Reiter), avec son expression fougueuse et sa recherche de la couleur
épurée, a pu assimiler les deux directions, celle de l’expressionnisme et
celle du fauvisme. Sans doute, cela est dû à la position de Munich comme
foyer artistique international.
L’antagonisme dans la vision nouvelle est remarqué aussi dans le cubisme
et ses avatars, le futurisme et l’orphisme. Le cubisme a commencé par
la défiguration des personnages, mais en superposant les points de vue,
avec des plans disloqués, cherchant à supplanter les règles classiques qu’il
s’acharne à détruire, par une nouvelle construction.
Toutefois, le futurisme et l’orphisme, qui ont épousé les conceptions
cubistes, vont être plus dynamiques, se souciant peu de la construction
analytique ou synthétique, voulant glorifier, surtout, l’essor scientifique
et industriel, séduits par la vitesse des machines et la lumière électrique.
Certes, ces deux mouvements n’ont pas eu le temps de se développer,
comme les mouvements qui les ont précédés, rompus par la guerre, mais ils
vont trouver leur grand épanouissement, le premier dans l’architecture, et
même dans une vision futuriste de l’espace, et le second dans l’art cinétique,
et même dans une vision futuriste du spectacle.
Cependant, avec l’analyse des ces premiers mouvements du XX° siècle, deux
points de vue contradictoires apparaissent : le premier opte pour un retour
aux sources de l’art et de l’être, débuté par Gauguin, puis développé par
le fauvisme, l’expressionnisme et le cubisme, tandis que le second tend à
puiser son inspiration dans l’essor industriel, et même dans une idéalisation
de l’avenir conçu par la vision scientifique.
Toutefois, imprégné par l’expressionnisme allemand, mais issu d’un pays
ou l’orthodoxie chrétienne et l’Islam ont déjà conçu une esthétique qui
nie l’image figurative, tout en optant pour la ferveur spirituelle, Kandinsky
130
appelle à la « nécessité intérieure », tout en découvrant la vision abstraite.
Seulement, en découvrant ce champ inépuisable de la spiritualité plastique,
Kandinsky s’est empressé ^pour établir toute une grammaire picturale,
s’éloignant peu à peu de l’improvisation, et surtout de l’intuition qui l’a
éclairé dans la découverte de l’abstraction. Les artistes qui ont tendu vers la
recherche non-figurative, n’ont saisi de sa conception que cette grammaire
qui, selon eux, doit ordonner l’art et le rendre universel, impersonnel. Ils
ont oublié que la valeur de l’art réside dans son équilibre entre la religion
et la science, entre la sensibilité et la raison, ils ont oublié que dans l’art, le
senti doit s’assimiler au pensé, et l’expression à la synthèse, d’où l’impasse
à laquelle a abouti le suprématisme, et vers laquelle vont aboutir des
mouvements futurs.
Toutefois, le senti écarté totalement par De Stijl et les constructivistes, se
révèle dans la recherche de Paul Klee, l’ami de Kandinsky et son compagnon
dans le travail. Séduit, tout comme le Russe par l’art islamique, à tel point
qu’il apprend la calligraphie arabe, quoiqu’il soit gaucher, il élabore des
recherches originales où la sensibilité délicate est mise en évidence, à travers
des symboles improvisés, des teintes et des lignes légères, qui rappellent la
spontanéité de l’enfance, sans oublier l’introduction de la matière, encore
timide, dans la toile.
Si Kandinsky s’est intéressé à l’analyse des éléments de la peinture, Paul Klee
poétise l’art, le rend plus humain. Il est le père incontesté d’une nouvelle
abstraction, jaillie de la sensibilité et de l’improvisation, antagonique à
celle du constructivisme, mais proche de certains travaux de Kandinsky.
Toutefois, le jaillissement de cette abstraction sensible ne fera jour que
dans la Deuxième Guerre mondiale. La Première Guerre, quant à elle,
s’est contentée de provoquer la destruction pure et simple de l’art et de la
création…

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Chapitre III: Vers une épuration de l'art- 2- L'abstraction et l'épuration des concepts

  • 1. Modifiez le style du titre 1 “ CHAPITRE III Vers une épuration de l’art 1- Les bases de l’épuration au début du XXème siècle - Prélude à la fièvre de la guerre - Des recherches audacieuses - Le futurisme plastique 2- L’abstraction et l’épuration des concepts - La libération totale - Le degré zéro de la création - Le constructivisme comme concept - Mondrian et De Stijl - De Monet à Mondrian
  • 2. 117 Dans le cubisme synthétique, les artistes découvrent d’autres champs inattendus pour la création, en optant pour la technique du collage, ils rendent possible l’insertion de plusieurs matériaux ou objets, les uns dans les autres, découverte chez les primitifs, ayant recours aux « techniques mixtes », une technique qui va faire ravage dans les arts contemporains ; en aplatissant l’espace dénué des ombrages, et en tendant vers la stylisation des formes, ils s’ouvrent sur l’abstraction, grâce à un mouvement issu du cubisme : l’orphisme, avec Delaunay. D’autres artistes, en étudiant le cubisme analytique, ont abouti à une abstraction pure, comme Mondrian et son néoplasticisme, selon des recherches rigoureuses et logiques. Ainsi, le cubisme, qui propose de dégager les formes et les structures géométriques cachées sous l’apparence des objets, selon un ordre nouveau, va influencer profondément les esprits actifs dans le domaine plastique et architectural. Il va inspirer le futurisme dans la décomposition du mouvement, et l’orphisme dans celle de la lumière. En même temps, il inspirera le dadaïsme et le pop’art dans l’introduction du collage et des techniques mixtes dans l’œuvre. Mais son influence sur l’architecture et le design sera encore plus importante et plus directe, avec le « rondocubisme» tchèque, le mouvement De Stijl en Hollande, et le fonctionnalisme de Le Corbusier. Prélude à la fièvre de la guerre La peinture en plein air a ouvert aux artistes des horizons inconnus, se situant comme le champ fécond pour le dialogue artistique, et même l’origine et tout l’art moderne. En quittant l’atelier, pour peindre la nature directement et spontanément, l’artiste impressionniste découvre une lumière scintillante où les corps se meuvent dans des taches en mouvement. Il va s’occuper à peindre « l’instant », ému par un cocktail visuel, contre lequel d’autres artistes vont réagir.
  • 3. 118 Les qualités dynamiques de la vie ont été mises en valeur par les artistes baroques, mais le mouvement exprimé dans leurs œuvres, tourne dans un tourbillon flottant, comme en spirale autour d’un axe imaginaire. En le saisissant plus fort dans la vie moderne, tout en exprimant la lumière, l’eau et son reflet, les impressionnistes n’ont pas su résoudre le problème de sa représentation dans leurs peintures. Les attitudes et les conceptions se trouvent bouleversées, certes, mais le peintre reste toujours devant un paysage localisé, et non pas au milieu de ce paysage, avec son chaos visuel et sonore. C’est ce spectacle troublant que les futuristes vont essayer d’exprimer, et même de définir. Des recherches audacieuses En brandissant le flambeau de la vitesse, les futuristes proposent une solution naïve, qui va être exploitée, d’ailleurs, dans la bande dessinée : un cheval au galop, selon eux, n’a pas quatre pattes mais vingt, et le mouvement effectué par les pattes est triangulaire. En se mettant à peindre, suivant cette logique, des objets et des corps dotés d’une profusion de formes et de couleurs, avec une sensation du dynamisme, les futuristes ont essayé de développer une technique. Pour comprendre cette peinture déroutante, on doit analyser la conception futuriste, en général, où la peinture et la sculpture ne préfigurent que comme des aspects symboliques. Le futurisme est né dans un jaillissement de recherches culturelles qui vont constituer les bases de l’art contemporain. Tous les domaines de la culture au début du XX° siècle connaissent des bouleversements. Revues, manifestes et mouvements poétiques foisonnent, opposant des préoccupations nouvelles. Après le symbolisme de Mallarmé et son groupe, l’unanisme de Jules Romains recherche la présence d’une collective au-delà du spectacle de la vie; Marinetti appelle à une poésie violente; Apollinaire préconise une
  • 4. 119 poésie qui exalte la richesse et le désordre de la vie quotidienne. Le naturel de la vie est mis sur scène, avec le théâtre libre qui s’oppose au théâtre conventionnel. La musique suit le même mouvement; on applaudit Verdi, Richard Strauss et surtout Wagner qui s’impose sur les grandes scènes. L’expression musicale échappe à la tradition avec Maurice Ravel et Debussy. Toutes les capitales d’Europe sont enivrées par les Ballets russes. Ce sont des spectacles féériques où les décors de Picasso et de Derain se mêlent à la musique de Stravinsky, dont le Sacre du printemps, en 1913, déchaîne un grand tumulte dans le public. Dans ces recherches divergentes, le cinéma, cessant d’être un objet de curiosité, prend sa place, de plus en plus dominante, avec ses premières explorations multiples, voulant s’exprimer dès le début, avec Georges Méliès, par le mouvement et la lumière. Dans ce jaillissement des créations audacieuses multiples, et face aux événements historiques, l’attitude et le discours des futuristes ont évolué vers des positions extrémistes. Dans une fougue pleine d’audace et de révolte, le poète italien Marinetti répandit dans le monde, dans le courant de l’année 1909, un manifeste qui proclamait la mort du passé (le passéisme) et la naissance d’un art futur le « Futurisme ». Dans ce manifeste, publié dans le Figaro, il déclare que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse, tout en ajoutant qu’une «automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace». Selon lui, la beauté n’existe que dans la lutte, que dans la guerre, « seule hygiène au monde »; pour un art d’avenir, il crie à la destruction des musées et des bibliothèques qui ne sont que « d’innombrables cimetières ». Dans le dernier article de son manifeste, il déclare : « nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte, les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes (….) Les
  • 5. 120 locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux d’acier bridés de longs tuyaux et le vol glissant des aéroplanes »…. Chef de file de ce mouvement provocateur, qui pousse le culte de la force dynamique jusqu’à l’exaltation de la destruction, pour finir fasciste, Marinetti s’entoura d’un certain nombre de poètes et de peintres, dont les plus importants furent Umberto Boccioni, Carlo Carra, Luigi Russolo, Giacomo Balla et Gino Severini. Le futurisme plastique Boccioni, en tant que concepteur du mouvement, écrivit un Manifeste des peintres futuristes, en 1910 à Turin, suivi la même année par un Manifeste des techniques de la peinture futuriste, puis, en 1914, il publia un ouvrage, « Dynamisme plastique, peinture et sculpture futuristes », qui donna l’expression définitive aux idéaux du groupe. Durant ce temps, une exposition des œuvres futuristes fut organisée à Paris, à Londres et à Berlin. Les artistes futuristes ont voué leur expression au dynamisme de la vie industrielle, chantant la puissance de la machine et sa vitesse. Empruntant aux cubistes leur dislocation de la forme, ils l’ont utilisée comme fragmentation du mouvement dans l’espace, poursuivant la compénétration des objets, tout en prétendant faire du tableau ou de la statue une sensation dynamique éternisée. La vitesse fut leur dieu comme s’était écrié Marinetti. Cette peinture futuriste ne peut être que violente, fiévreuse et dynamique, tout à fait le contraire de celle des cubistes, mais urbaine ; en cela, elle est différente de celle des expressionnistes et des fauvistes, qui opte pour un lyrisme sauvage. Tous les peintres futuristes se sont adonnés à la représentation des forces physiques et mécaniques, voulant exprimer le dynamisme universel, dans la mouvance des corps qui s’interpénètrent, dans les couleurs scintillantes et les ombres lumineuses, épanouies dans un rythme prismatique endiablé.
  • 6. 121 Beaucoup d’artistes en Europe se sont inspirés de la conception futuriste, ne voyant en elle que dynamisme de la vie moderne, comme Marcel Duchamp, Picabia, et surtout Delaunay dans son orphisme. Le mouvement futuriste s’éteignit en 1916, avec la mort de Boccioni et la dispersion des membres du groupe. Avec la montée de Mussolini au pouvoir en 1922, le fascisme, qui découvrit beaucoup de valeurs communes avec le futurisme, cherchera à rassembler de nouveaux compagnons de Marinetti. Même dépassées par le cinéma, les œuvres futuristes restent des symboles; les artistes, adhérant à la conception de Boccioni, ont suscité une sensibilité nouvelle à l’égard de la machine et à l’industrie moderne, dont ils ont glorifié la puissance. Avant le futurisme, le spectateur est placé toujours devant le tableau ; avec cette expression dynamique violente et tourbillonnante, il est placé au centre d’un spectacle vertigineux, au centre d’une vie d’acier axée sur la vitesse, où les objets ne sont pas analysés avec l’impassibilité d’un Cézanne ou d’un Braque, mais saisis dans leurs odeurs polluantes, dans leur vacarme assourdissant et les vapeurs qu’ils éjectent, provoquant chez le spectateur une émotion de trouble, comme dans un théâtre total. Un spectacle orienté vers la déshumanisation de l’homme moderne. 2- L’abstraction et l’épuration des concepts L’histoire de l’art nous a appris que la synthèse des formes tend vers l’épuration qui s’épanouit dans l’abstraction. Seulement, les objectifs de l’épuration diffèrent de cet ancêtre lointain qui a tracé ses mystérieux blasons abstraits sur les parois des grottes paléolithiques, à cet inventeur de l’alphabet phénicien, ou à cet artiste musulman qui a opté pour l’abstraction spirituelle. L’Europe, qui a hérité sa culture de la Grèce antique, n’a pu se détacher de la représentation de l’objet qu’au prix de multiples efforts accomplis par les
  • 7. 122 artistes novateurs qui ont tendu vers l’épuration de l’art, avec une liberté consciente, loin de toute intervention sauf celle de l’engagement artistique. La libération totale : L’impressionniste a ouvert les horizons sur les divergences artistiques, inspirant ainsi aux premiers mouvements du XX° siècle l’épuration de la couleur, de la forme, du mouvement et de la lumière, une épuration qui ne cesse, d’ailleurs, de se développer. Avec le Russe Wassily Kandinsky, c’est l’épuration des concepts qui devient nécessaire. En 1895, dans une exposition des impressionnistes à Moscou, en contemplant la Meule de foin, de Monet, Kandinsky s’est demandé si la peinture n’aurait pu acquérir la même liberté que la musique ? Quinze ans plus tard, il réalisa sa première aquarelle abstraite, et écrivit son livre capital, « Du spirituel dans l’art », où il exprime sa conception audacieuse et spirituelle. Selon lui, la « nécessité intérieure » détermine l’œuvre. « Une œuvre d’art consiste en deux éléments, l’intérieur et l’extérieur. L’intérieur est l’émotion dans l’âme de l’artiste, cette émotion a la capacité d’éveiller une émotion similaire dans l’âme de l’observateur ». Ou encore : « L’élément intérieur, c’est-à-dire l’émotion, doit exister, autrement, l’œuvre d’art n’est qu’une tromperie. L’élément intérieur détermine la forme de l’œuvre d’art ». Avec Kandinsky, l’art abstrait devient l’entreprise la plus polémique aussi, surtout que les artistes qui restent attachés beaucoup trop à la figuration, ou ceux qui confondent encore entre art abstrait et art décoratif. Dans ce mouvement, qui va devenir tout un courant, avec ses propres tendances, se confrontant ou s’assimilant à la figuration, les artistes excluent toute représentation de la réalité extérieure et conçoivent la peinture ou la sculpture comme un pur agencement de formes et de couleurs susceptibles d’éveiller l’émotion esthétique. Loin de l’art décoratif, qui a ses propres
  • 8. 123 règles, cet art s’affirme comme une libération totale de la création artistique, et comme une réaction contre l’académisme encore dominant au début du XX° siècle. La conception abstraite est due en grande partie aux Russes, peuple sans grande tradition picturale, à l’européenne, mais imprégnés d’une religion soit orthodoxe, soit islamique hostile aux images. La guerre de 1914 et la révolution russe ont provoqué un exode massif d’artistes slaves en Occident. En dix ans, des mouvements et des écoles artistiques se sont créés en Europe, le rayonnisme de Larionov et de Gontcharova, en 1910, l’orphisme de Delaunay en 1913, le suprématisme de Malevitch en 1915, le construc- tivisme de Tatlin et de Rodchenko, à la même année, continué par Gabo et Pevsner, le néoplasticisme de Mondrian qui animera la revue De Stijl en 1917, et qui sera le parrain du Bauhaus, fondé en 1919. Le degré zéro de la création Kandinsky resta fidèle à son « principe de la nécessité intérieure », inspirant plus tard des tendances de plus en plus lyriques. Seulement, en se fondant aussi sur son œuvre, d’autres artistes furent orientés vers des conceptions antagoniques à la sienne, en élaborant un principe de ce qu’on pourrait appeler « nécessité extérieure ». Voulant s’affranchir de la tragédie humaine et des émotions individuelles, ils proposèrent un art pur, impersonnel et universel. Optant pour l’annihilation de toute représentation figurative et même de tout élément formel, cette recherche trouvera son aboutissement chez Casimir Malevitch. Se fondant sur les théories esthétiques de l’époque, cet artiste affirmait que la réalité dans l’art n’est autre que l’effet de la couleur sur les sens. Il exposa en 1913 un tableau, «Carré noir sur fond blanc », voulant soutenir que l’impression suscitée par ce contraste était le
  • 9. 124 fondement de tout art, tout en déclarant : « je me suis transfiguré dans le zéro des formes et suis allé au-delà du zéro vers la création ». Il donna à sa démarche le nom de « Suprématisme », c’est-à-dire au-delà de tout. Cette conception radicale dépasse par son audace et sa logique largement toutes les recherches effectuées avant lui. Tout en annonçant que l’assujettissement de la peinture aux éléments extérieurs est révolu, et que l’œuvre se réfère uniquement à elle-même, il déclare : « La représentation d’un objet en soi est une chose qui n’a rien à voir avec l’art. Pour le suprématisme, le moyen adéquat est celui qui exprime le plus entièrement le sentiment pur et qui ignore l’objet tel qu’il est habituellement adopté. L’objet en lui-même est sans signification pour lui, et les idées de l’esprit conscient sont sans valeur. Le sentiment est le facteur décisif (…) L’art parvient de la sorte à une représentation non objective-au suprématisme ». La peinture, selon lui, était le côté esthétique de l’objet, sans jamais parvenir à son but, ni à être elle-même. Il écrit : « il ya création seulement là où dans les tableaux apparait la forme qui ne prend rien de ce qui a été créé dans la nature, mais qui découle des masses picturales, sans répéter et sans modifier les formes premières des objets de la nature ». L’aboutissement de cette recherche sera le « Carré blanc sur fond blanc », en 1918. Une impasse pour la création elle-même. Le constructivisme comme concept Dès 1913, en Russie, trois points de vue antagoniques s’articulèrent : le point de vue de Kandinsky tendu vers le sensible, celui de Malevitch axé sur le purisme, et celui de Tatlin et de Rodchenko situé sur le constructivisme. La révolution russe fit revenir en Russie plusieurs artistes novateurs, dont les deux frères, Gabo et Pevsner. Avec eux se produisit la fusion d’une vision artistique et d’une méthode scientifique.
  • 10. 125 Se défendant d’être qualifiés d’artistes abstraits, et s’élevant contre l’emploi du terme d’ « abstraction » en art, les deux frères acceptèrent néanmoins le point de vue non-objectif de Malevitch, et cherchèrent une conception de l’art plus spatiale et plus dynamique. Rejetant aussi le point de vue fonc- tionnaliste de Tatlin et de Rodchenko, Gabo précise : « le groupe de Tatlin réclame l’abolition de l’art, sous prétexte qu’il s’agissait d’un esthétisme dépassé appartenant à la culture de la société capitaliste, et appelait les artistes…à faire des choses utiles à la vie matérielle de l’être humain, à fabriquer des chaises et des tables… Nous étions opposés à ces idées matérialistes et politiques sur l’art et surtout à cette sorte de nihilisme »… En publiant ce manifeste en 1920, les deux frères optèrent pour une nouvelle synthèse de l’art, affirmant que « l’art sera toujours vivant, en tant qu’expression indispensable de l’expérience humaine », et que « l’espace et le temps constituent l’épine dorsale des arts constructifs ». Leur rêve fut dissout sous le dirigisme des Soviets, ainsi que celui des autres novateurs. En 1922, Gabo partit pour Berlin ; son frère le rejoignit une année plus tard. Kandinsky s’en alla aussi, pour enseigner au Bauhaus. Restés à Moskou, Tatlin et d’autres devinrent des dessinateurs industriels, d’autres encore, comme Malevitch, sombrèrent dans la pauvreté et l’oubli. Cette synthèse de l’art ne verra pas le jour à Moscou qui veut pour sa révolution un art de propagande ; elle sera articulée en Hollande, avec De Stijl. Mondrian et De Stijl Avec sa logique rigoureuse, Mondrian introduit l’abstraction dans sa tendance constructiviste vers une structure rigide et austère. De formation académique, Piet Mondrian passa du réalisme à l’impressionnisme, puis au fauvisme et au cubisme, surtout analytique, pour aboutir à sa recherche finale, une abstraction pure et statique.
  • 11. 126 Grâce à la société théosophique d’Amsterdam à laquelle il avait adhéré en 1909, et à l’influence du mathématicien et philosophe Schoenmaekers, Mondrian put acquérir un vocabulaire philosophique et concevoir une vision artistique, du nom de « néoplasticisme». La nature, selon Schoenmaekers, «aussi vivace et capricieuse qu’elle puisse être dans ses variations, fonctionne toujours fondamentalement avec une régularité absolue, une régularité plastique ». Selon Mondrian, la beauté du monde s’exprime scientifiquement, c’est-à-dire avec une exactitude et une extrême logique, et « comme représentation de l’esprit humain, l’art s’exprimera dans une forme esthétique purifiée, c’est-à-dire abstraite ». Ainsi, la peinture doit être libérée de toute subjectivité humaine, pour aboutir à une réalité universelle « dans l’abstraction de toute forme et couleur, c’est-à-dire dans la ligne droite et dans la couleur primaire nettement définie ».Il se fixa alors des contraintes, n’utilisant que des verticales et des horizontales noires, des couleurs primaires et des non-couleurs. L’art de Mondrian, qui refuse toute subjectivité et toute sentimentalité, est purement mathématique, à l’instar du néo-platonisme de son ami et philosophe Schoenmaekers ; pourtant, dans ses tableaux qui se répètent sans se répéter, on « sent » une émotion mystique et spirituelle qui évoque l’exactitude plastique, non du Cosmos, mais de la contemplation de ce Cosmos. A la quête d’un beau universel, le désir d’objectivité mène le néoplasticisme à une tendance anti-individualiste et anti-expressive, une tendance vouée à l’architecture. En 1917, Mondrian et Théo Van Doesburg lancèrent une revue du nom de De Stijl (le Style), ayant comme objectif de « rendre l’homme moderne réceptif à ce qui est nouveau dans les arts visuels ». De Stijl va constituer aussi, en même temps, tout un groupe de novateurs dans
  • 12. 127 toutes disciplines : peinture, architecture, ameublement, arts décoratifs et typographie. Avec ses recherches fructueuses, ce mouvement, qui annonce le Bauhaus, sera durant des années, un des pôles de référence de l’art abstrait, surtout avec Doesburg, l’animateur infatigable du groupe. De Monet à Mondrian L’impressionnisme a constitué pour les artistes et les chercheurs en esthétique la première révolution plastique dans les temps modernes, entraînant par-là la rupture de l’art avec la société et le goût commun. Grâce à cette grande autonomie de l’art, des champs nouveaux s’ouvrent à la création, incitant les novateurs à être plus compétitifs, à s’acharner dans la recherche pour accomplir tout un bond en avant jamais égalé. Les impressionnistes n’ont voulu que proposer leur impression face à la nature, mais grâce à eux, les règles classiques sont abolies dans un temps très court, c’est ce qui explique le trouble du public, et même des initiés qui ont assisté à l’évolution de cette peinture. Le paysage s’éclaire dans un cocktail de couleurs, les sujets quotidiens sont mis en valeur, les figures ne sont montrées qu’avec des taches lumineuses. Seulement, leur vision, basée sur l’impression et la sensibilité, s’est ouverte sur des divergences. D’autres artistes, plus logiques ou plus passionnés, ont proposé d’autres conceptions et d’autres techniques plastiques, voulant structurer le monde visuel ou exprimer leurs idées et leurs sentiments. Dans ces expériences articulées frénétiquement dans la solitude, et qui sont à la base de l’art contemporain, la vision n’est plus tourmentée par la « sauce brune », ni par les détails superflus ; on opte pour l’épuration plastique, un concept indispensable pour l’évolution artistique, un concept qui va s’analyser durant un demi-siècle. Pour cela, on a été obligé de s’enrichir par d’autres cultures, car on a remarqué que l’art européen, hérité des Grecs, a insisté sur la réalité apparente, sur une conception alourdie par des règles trompeuses.
  • 13. 128 On a découvert dans l’estampe Japonaise une autre perspective, une stylisation remarquable du corps humain, une ligne épurée et des aplats de couleur qui nient le volume ; chez les primitifs, on est encore plus séduit par le traitement de la couleur et de la forme. Avec l’appropriation des fragments des cultures, loin encore d’un dialogue sincère d’égal à égal, on a découvert dans la couleur une expression directe et émotive, et dans la forme, une stylisation et une géométrisation tellement sobres que ces arts, exotiques ou sauvages deviennent des styles d’études et de recherche. Avec les mouvements du début du XX° siècle, l’artiste cherche un autre idéal, encore introuvable, incertain, qu’il s’acharne à imaginer, en se penchant, tantôt sur la science, tantôt sur la métaphysique, tantôt en donnant à la sensibilité sa grande liberté, tantôt en voulant codifier son monde visuel selon une raison de plus en plus austère. Une vision antagonique s’élabore ainsi, semblable à celle du XIX° siècle, seulement, cet antagonisme s’articule autour des concepts purement plastiques, des concepts propres à une époque qui se prépare à sa folie délirante. Dans le fauvisme et l’expressionnisme, on a pu discerner deux points de vue opposés ; dans le premier, malgré cette allure sauvage chez les peintres, il ya tout un souci de recherche de la couleur pure, d’un ordre caché dans le traitement du paysage et de la composition, un ordre hérité de la pensée classique, tandis que dans le second, il y a cette expression tourmentée et inquiète, violence délirante, héritée de l’esprit gothique allemand, et qui va s’accroitre avec l’informel de Wols, une défiguration douloureuse des personnages, débutée par Munch, rendue sauvage par Emile Nolde, souffrante avec Soutine. Le spectre de la mort et de la déchéance règne dans les œuvres des expressionnistes, et Rouault (le Français) est parmi eux, tandis que dans le fauvisme, on sent parfois la joie des couleurs dans les orgies éclatantes, la recherche d’une paix nostalgique, avec, certes, un certain malaise.
  • 14. 129 Il faut souligner aussi, que seul le groupe de Dresde, die Brûcke, a pu être distingué par cette expression sauvage, tandis que le groupe de Munich (Der blaue Reiter), avec son expression fougueuse et sa recherche de la couleur épurée, a pu assimiler les deux directions, celle de l’expressionnisme et celle du fauvisme. Sans doute, cela est dû à la position de Munich comme foyer artistique international. L’antagonisme dans la vision nouvelle est remarqué aussi dans le cubisme et ses avatars, le futurisme et l’orphisme. Le cubisme a commencé par la défiguration des personnages, mais en superposant les points de vue, avec des plans disloqués, cherchant à supplanter les règles classiques qu’il s’acharne à détruire, par une nouvelle construction. Toutefois, le futurisme et l’orphisme, qui ont épousé les conceptions cubistes, vont être plus dynamiques, se souciant peu de la construction analytique ou synthétique, voulant glorifier, surtout, l’essor scientifique et industriel, séduits par la vitesse des machines et la lumière électrique. Certes, ces deux mouvements n’ont pas eu le temps de se développer, comme les mouvements qui les ont précédés, rompus par la guerre, mais ils vont trouver leur grand épanouissement, le premier dans l’architecture, et même dans une vision futuriste de l’espace, et le second dans l’art cinétique, et même dans une vision futuriste du spectacle. Cependant, avec l’analyse des ces premiers mouvements du XX° siècle, deux points de vue contradictoires apparaissent : le premier opte pour un retour aux sources de l’art et de l’être, débuté par Gauguin, puis développé par le fauvisme, l’expressionnisme et le cubisme, tandis que le second tend à puiser son inspiration dans l’essor industriel, et même dans une idéalisation de l’avenir conçu par la vision scientifique. Toutefois, imprégné par l’expressionnisme allemand, mais issu d’un pays ou l’orthodoxie chrétienne et l’Islam ont déjà conçu une esthétique qui nie l’image figurative, tout en optant pour la ferveur spirituelle, Kandinsky
  • 15. 130 appelle à la « nécessité intérieure », tout en découvrant la vision abstraite. Seulement, en découvrant ce champ inépuisable de la spiritualité plastique, Kandinsky s’est empressé ^pour établir toute une grammaire picturale, s’éloignant peu à peu de l’improvisation, et surtout de l’intuition qui l’a éclairé dans la découverte de l’abstraction. Les artistes qui ont tendu vers la recherche non-figurative, n’ont saisi de sa conception que cette grammaire qui, selon eux, doit ordonner l’art et le rendre universel, impersonnel. Ils ont oublié que la valeur de l’art réside dans son équilibre entre la religion et la science, entre la sensibilité et la raison, ils ont oublié que dans l’art, le senti doit s’assimiler au pensé, et l’expression à la synthèse, d’où l’impasse à laquelle a abouti le suprématisme, et vers laquelle vont aboutir des mouvements futurs. Toutefois, le senti écarté totalement par De Stijl et les constructivistes, se révèle dans la recherche de Paul Klee, l’ami de Kandinsky et son compagnon dans le travail. Séduit, tout comme le Russe par l’art islamique, à tel point qu’il apprend la calligraphie arabe, quoiqu’il soit gaucher, il élabore des recherches originales où la sensibilité délicate est mise en évidence, à travers des symboles improvisés, des teintes et des lignes légères, qui rappellent la spontanéité de l’enfance, sans oublier l’introduction de la matière, encore timide, dans la toile. Si Kandinsky s’est intéressé à l’analyse des éléments de la peinture, Paul Klee poétise l’art, le rend plus humain. Il est le père incontesté d’une nouvelle abstraction, jaillie de la sensibilité et de l’improvisation, antagonique à celle du constructivisme, mais proche de certains travaux de Kandinsky. Toutefois, le jaillissement de cette abstraction sensible ne fera jour que dans la Deuxième Guerre mondiale. La Première Guerre, quant à elle, s’est contentée de provoquer la destruction pure et simple de l’art et de la création…