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32 – LES ECHOS WEEK-END
BUSINESS STORY
LE COVID, REVERS MEURTRIER
POUR LE TENNIS
Le 13 septembre,
à Flushing Meadows.
La cérémonie
de remise des prix
de l’US Open, tournoi
du Grand Chelem
se déroule sans
spectateurs,
ou presque.
Pour la première fois depuis 1947, le tournoi de Roland-Garros
ne s’est pas tenu au printemps – il se joue à partir de dimanche.
La pandémie a interrompu pendant plusieurs mois le tennis
professionnel et révélé les nombreuses faiblesses d’un sport
toujours ultra-médiatisé mais en fait menacé de déclin.
Dissensions entre joueurs et instances dirigeantes, public
vieillissant, désintérêt des nouveaux médias: le tennis
est contraint à l’aggiornamento, et vite.
Par Anna Bonalume et Alexandre Choiselat
LES ECHOS WEEK-END – 33
ROLAND-GARROS
Quand la
distanciation sociale
n’était que fiction:
une foule compacte
suit la demi-finale
opposant Rafael
Nadal (photo) à Juan
Martin Del Potro,
à Roland-Garros
en juin 2018.
e 8 mars, le tournoi Indian Wells est
officiellement annulé. Le circuit professionnel
n’échappe pas à la pétrification du monde
imposée par la propagation du Covid-19.
À quelque chose malheur est bon, la pandémie
accélère la prise de conscience de tous les maux
dont souffrait ce sport autrefois élitiste, naguère
populaire, et aujourd’hui en sérieuse perte
de vitesse. Reporté à cause de la crise sanitaire,
Roland-Garros s’ouvrira dimanche dans
un Paris à nouveau en pleine zone rouge,
sur le qui-vive face à la multiplication des
clusters liés aux réunions en grand nombre.
Tôt ou tard, le monde du tennis devra tirer les
leçons de ce traumatisme sans précédent.
« ÇA FAIT DU BIEN DE SOUFFLER »
La pandémie a au moins eu cet aspect positif
pour les athlètes, qui sillonnent la
planète onze mois par an en temps
normal: leur permettre de
souffler. Comme le confie
Caroline Garcia, victorieuse
en double à Roland-Garros
en 2016 : «Ça fait du bien de
couper un peu du tennis, de
savoir que pendant deux
mois tu vas être au même
endroit, sans compétition,
avec moins de stress, parce que
sinon c’est un stress
permanent.» La joueuse
française a pu s’entraîner pendant
le confinement à Majorque, dans
l’académie de Rafael Nadal, mais tout le monde
n’a pas eu cette opportunité. Richard Gasquet,
lui, n’a quasiment pas joué pendant trois mois:
«J’ai essayé de travailler ma condition physique
et j’ai rejoué au mois de juillet. Quand
tu as 33-34 ans, pour retrouver l’intensité du
haut niveau, il ne faut pas trop s’arrêter.»
Le problème fondamental est d’ordre
financier. Si les joueurs les mieux classés ont pu
économiser suffisamment durant leur carrière
pour faire face à cette pause forcée, les autres se
sont retrouvés démunis. Ils ne sont pas salariés,
leurs revenus proviennent de leurs gains en
tournois et, pour les meilleurs, du sponsoring.
Patrick Mouratoglou, entraîneur de Serena
Williams, assure que «les joueurs en deçà du Top
100 n’ont pas un euro de côté. La situation était
catastrophique pour eux». Cette période a selon
lui révélé l’aberration du système: «Quand 80%
des richesses sont gagnées par les 3 meilleurs du
monde, il y a une exagération, il faut trouver des
solutions. Que le 150e
mondial ne gagne pas sa vie,
c’est absolument anormal, il y a quand même un
peu d’argent dans le tennis, ce n’est pas du kayak!»
En termes de sponsoring, Nicolas
Lamperin, agent de Gaël Monfils et de Kristina
Mladenovic, estime que la situation
«va se tendre énormément pour les joueurs
de second rang car en période de crise,
ce sont les budgets marketing et sponsoring
qui sont coupés en premier».
UNION SACRÉE DES INSTANCES GOUVERNANTES
Les instances gouvernantes du tennis ont
collaboré, comme rarement auparavant, ce qui
ne fut pas tâche facile, puisque le tennis
professionnel est complètement fragmenté (voir
encadré p. 38). L’ATP, la WTA, L’ITF, les
tournois du Grand Chelem et les fédérations
nationales, tous ont leur mot à dire. Mais la
crise a constitué un électrochoc. L’Italien
Andrea Gaudenzi, récemment élu président de
l’ATP, estime que celle-ci a «lancé une très bonne
collaboration avec les Grand Chelem, nous
discutons pratiquement toutes les semaines».
Parmi les sujets les plus brûlants: un
nouveau calendrier des tournois, un protocole
sanitaire et un fonds de soutien aux joueurs.
Bernard Giudicelli, président de la FFT et
vice-président de l’ITF, témoigne de cette
nouvelle solidarité entre autorités
tennistiques: «Le Covid a mis tout le
monde d’accord. Nous avons
d’abord contribué à hauteur de
1 million d’euros au fonds de
soutien de l’ATP et de la WTA.
Et nous avons mis en place
pour le tennis français un
plan de relance de
35 millions d’euros.»
Concernant le protocole
sanitaire: «Nous avons créé un
collège scientifique et élaboré un
protocole, dont l’idée a été reprise
par l’ATP et la WTA.» Le ministère
des Sports s’est mobilisé rapidement:
«L’État a accompagné au maximum les
associations, les clubs professionnels comme
amateurs. À date, 3 milliards d’euros d’aides ont
été déjà consacrés au sport», souligne la
«LESJOUEURS
ENDEÇÀ
DUTOP100N’ONT
PASUNEURO
DECÔTÉ.»
34 – LES ECHOS WEEK-END
BUSINESS STORY ROLAND-GARROS
ministre Roxana Maracineanu, qui a organisé
des points très réguliers avec la FFT pour
l’organisation de Roland-Garros.
DIFFICILE D’ASSURER LA SÉCURITÉ SANITAIRE
Les professionnels sont évidemment soumis à
un protocole très strict. Petra Martic, demi-
finaliste au tournoi de Palerme, le premier
tournoi de reprise, assure que «cela va prendre
du temps de s’adapter à toutes ces mesures, mais
au moins je me sens en sécurité». Certains se font
moins bien que d’autres au nouveau contexte. À
l’US Open, l’expérience de la bulle dite
«hermétique» a été parfois mal vécue. Caroline
Garcia témoigne: «Une fois qu’on est entré dans
la bulle on n’en sort plus. Les deux premiers tests
ont lieu à deux jours d’intervalle et après, c’est
tous les quatre jours. L’hôtel n’est que pour nous,
ils ont aménagé un espace sur le parking pour
qu’on puisse sortir prendre l’air, mais c’est
vraiment limité. On prend le bus pour aller au
club, pour s’entraîner, pour faire les matchs.» Les
déplacements des joueurs sont tracés par GPS.
Cela dit, certains membres du personnel des
hôtels ou du staff du tournoi ne sont pas
astreints aux mêmes règles et la bulle n’est pas
imperméable au virus. Le 30 août, Benoît Paire,
connu aussi pour ses colères et ses nombreuses
raquettes cassées sur les courts, a été contrôlé
positif: il est immédiatement placé en
quarantaine et doit se retirer du tournoi. Les
joueurs français qui l’ont côtoyé sont mis à
l’isolement puis finalement autorisés à disputer
leurs matchs. Une fois éliminés, ils seront
assignés à l’hôtel pendant une semaine. Pas
facile. Du côté du moral, on peut toutefois
espérer que le retour du public fera du bien aux
joueurs. Roland-Garros sera le premier tournoi
depuis la reprise du circuit à accueillir des
spectateurs, même s’ils sont moins nombreux
qu’en temps normal: réduite de moitié
initialement, à 11500 spectateurs par jour, la
jauge autorisée a encore été ramenée à 5000
face à la progression du virus. «C’est très bizarre
de jouer dans ces conditions. On est content de
voir du public à Roland-Garros, ça va changer
énormément les choses», escompte néanmoins
Richard Gasquet.
L’INCIDENT DJOKOVIC
Novak Djokovic a fait l’objet de vives critiques
pour avoir mis en place, fin juin, l’Adria Tour,
série d’exhibitions à but caritatif dans les pays
de l’ex-Yougoslavie. Les mesures de
distanciation ne sont pas respectées, les joueurs
célèbrent leurs retrouvailles en boîte de nuit.
Résultat: cinq d’entre eux testés positifs, dont
Djokovic lui-même, qui fait acte de contrition,
mais trop tard. Kevin Anderson, vice-président
du conseil des joueurs de l’ATP, tempête encore:
«Tout l’événement a été complètement
irresponsable.» Une leçon, selon lui, pour les
joueurs impliqués qui «peuvent comprendre
pourquoi, maintenant que le circuit a repris, nous
avons besoin de faire autant attention et de
prendre toutes ces précautions».
Le crédit du Serbe, déjà entamé par ses
prises de position anti-vaccin en plein cœur de
la pandémie, s’amenuise encore. Lui qui
souhaite s’affirmer tant sur le plan sportif (il
chasse les records de Federer et Nadal en Grand
Chelem) que politique au sein des instances de
gouvernance, est contraint de faire profil bas
pendant deux mois. À la veille de l’US Open,
UNE ANNÉE
APOCALYPTIQUE
8MARS
Le tournoi Indian Wells
est annulé.
17MARS
La FFT annonce le
report de Roland-
Garros à la fin du mois
de septembre.
10AVRIL
La FFT débloque
35 millions d’euros
pour soutenir
l’économie du tennis.
20AVRIL
Novak Djokovic
se déclare
personnellement
opposé à la vaccination
contre le Covid-19.
9MAI
La joueuse algérienne
Inès Ibbou répond
vertement, sur les
réseaux sociaux,
à Dominic Thiem,
qui ne souhaite pas
participer au fonds
de soutien pour les
joueurs mal classés.
Elle recueille de
nombreux appuis,
comme ceux des
joueurs Nick Kyrgios
et Venus Williams,
mais aussi du
président algérien
Tebboune.
10JUIN
Roger Federer annonce
mettre un terme à sa
saison après avoir subi
une arthroscopie
du genou droit.
14JUIN
Démarrage de
l’Ultimate Tennis
Showdown (UTS),
le tournoi créé par
Patrick Mouratoglou.
27SEPTEMBRE
Début de Roland-
Garros.
SURL’ADRIATOUR,
CINQJOUEURS
SONTTESTÉS
POSITIFS,DONT
NOVAKDJOKOVIC.
En juin, lors de
l’Adria Tour, Novak
Djokovic (à droite)
retrouve Filip
Krajinovic,
son compatriote:
pas sûr que leur
«chest bump»
soit homologué
par l’OMS comme
geste barrière.
36 – LES ECHOS WEEK-END
BUSINESS STORY ROLAND-GARROS
il annonce brutalement sa démission du conseil
des joueurs de l’ATP et la création
d’un syndicat indépendant. Ses griefs: un
manque de communication avec les instances
dirigeantes et une redistribution trop faible aux
joueurs des revenus engrangés par les tournois.
Probablement perturbé par toutes ces
considérations extra-sportives, il perd ses nerfs
en quart de finale de l’épreuve et, à la suite d’un
geste d’énervement, blesse involontairement une
juge de ligne. Il est disqualifié, alors que le
titre lui tendait les bras. À lui seul, vu son
classement et l’envergure de son jeu, il
illustre le désarroi de la profession.
Jusqu’à cette année, le tennis pouvait
se rassurer en se voyant quatrième
sport le plus populaire au monde, avec
87 millions de pratiquants et 2,2 milliards de
dollars de revenus annuels (entre la billetterie,
les sponsors et les droits). Mais en temps
de crise, d’autres chiffres se font plus mordants:
le tennis ne représente que 1,3% des droits
télévisuels et médias de l’ensemble des sports.
Les instances dirigeantes jugent plus urgent
de contrer la concurrence des autres sports
et de l’industrie du divertissement
que de céder aux revendications pécuniaires
des joueurs et des joueuses.
ACCROÎTRE LA TAILLE DU GÂTEAU
Selon Andrea Gaudenzi, la question de la
redistribution des gains est secondaire. Ancien
joueur, passé par l’industrie de la musique, il
veut d’abord accroître le gâteau global avant de
distribuer de plus grosses parts: «Chaque joueur
individuellement a des arguments à faire valoir.
Mais une instance gouvernante doit prendre des
décisions difficiles pour le bien collectif. On ne
peut pas se concentrer sur les détails. Mon
ambition est d’amener le tennis à un autre
niveau. Quand je vois que le golf génère trois fois
plus d’argent que le tennis, ça me fait mal. Ce qui
est fondamental, c’est le positionnement de notre
sport dans le monde digital face aux autres piliers
de l’industrie du divertissement: le cinéma, la
musique, le jeu vidéo.» Patrick Mouratoglou
rappelle de son côté que «la situation actuelle du
Covid montre à quel point le gâteau est trop petit.
En fait, tous les tournois sont en perte, dès qu’il
n’y a plus de billetterie, c’est terminé, ils perdent
tous de l’argent».
L’initiative de Djokovic ne fait pourtant pas
l’unanimité parmi les professionnels du circuit:
Federer et Nadal estiment que l’heure n’est pas
à la division. Jo-Wilfried Tsonga rappelle que
«l’ATP est déjà une union. Le vrai problème, c’est
qu’il y a une union des joueurs, qui est l’ATP,
et il y a l’ITF. Aujourd’hui, ces deux entités-là
ont beaucoup de mal à travailler ensemble».
La situation semble toutefois en passe
ATP
Association of Tennis
Professionals.
Créée en 1972 dans
le but de défendre les
intérêts des joueurs
professionnels
masculins. Elle devient
l’ATP Tour en 1990
et organise le circuit
professionnel masculin,
en remplacement
du Grand Prix tennis
circuit et du World
Championship Tennis.
WTA
Women’s Tennis
Association. Créée en
1973 pour défendre les
intérêts des joueuses
professionnelles. Le
WTA Tour est le circuit
professionnel féminin.
ITF International
Tennis Federation,
association sportive
internationale qui
chapeaute 205
fédérations nationales
affiliées, dont la FFT
(Fédération française
de tennis). Elle régit
LES INSTANCES DU TENNIS MONDIAL
Ils tentent de faire
bouger les lignes:
Naomi Osaka, engagée
contre les injustices
raciales; Patrick
Moratoglou,
entraîneur de Serena
Williams, qui milite
pour un nouveau
format de jeu
(au centre): Novak
Djokovic (en bas
à droite) défie l’ATP
en lançant un
syndicat
indépendant.
également les tournois
du Grand Chelem,
les plus prestigieux.
LES 4 TOURNOIS
DU GRAND CHELEM
Ils ont aussi un rôle
décisionnel et sont
réunis au sein du
Comité du Grand
Chelem, regroupant
l’ITF et les instances
organisatrices: les
fédérations nationales
australienne, française
et américaine et
l’AELTC (club privé
accueillant le tournoi
de Wimbledon).
38 – LES ECHOS WEEK-END
BUSINESS STORY ROLAND-GARROS
ensemble». Pour Andrea Gaudenzi, le plus
important est de «mettre en commun les droits
télévisuels. De cette façon, nous pourrons devenir
plus forts, en travaillant sur le point d’accès
à notre sport pour les fans». Même si les gains de
l’ATP ont quintuplé en trente ans, l’avenir du jeu
semble incertain. Beaucoup craignent qu’après la
retraite imminente de Federer, Nadal et Djokovic,
dont les affrontements dantesques ont constitué
la locomotive du sport depuis plus de dix ans,
le tennis ne perde de son attrait. D’abord auprès
des spectateurs, dont la moyenne d’âge ne fait
qu’augmenter, ensuite auprès des sponsors.
D’où le besoin de changements profonds.
« ON NE VIENT PAS VOIR UN GARS S’ESSUYER »
Nouveau comptage des points, plus de temps de
jeu, plus de suspense: voilà ce que propose
l’entraîneur de Serena Williams. Les deux
tournois de l’Ultimate Tennis Showdown
(UTS) qu’il a organisés dans son académie
de Sophia-Antipolis ont été un véritable
succès auprès des joueurs. «L’UTS a
revu le format en se fondant non sur
le point de vue du tennisman, mais
sur celui du fan», affirme Patrick
Mouratoglou, pour qui le tennis a
du mal à suivre les évolutions de la
société. «L’offre est complètement
décalée par rapport à la manière
contemporaine de consommer des
gens, qui préfèrent des formats de plus
en plus courts. Or le tennis est non
seulement un format potentiellement long,
mais aussi extrêmement lent dans son action.
Le jeu effectif représente entre le 8 et 15% du temps
de diffusion, pendant les autres 85%, on voit des
gens faire des routines, marcher, il ne se passe
absolument rien», constate-t-il. Pour Jo-Wilfried
Tsonga, le jeu pourrait s’accélérer: «Yannick
(Noah) avait dit qu’aller chercher la serviette entre
chaque point, ce n’est pas possible, on ne vient pas
regarder un match de tennis pour voir un gars
s’essuyer.» Nicolas Lamperin observe que si les
plus jeunes peinent à suivre un match de cinq
sets sur cinq heures à la télévision, «ils ont un
téléphone portable ou une tablette en permanence
entre les mains et ils veulent voir des “highlights”,
des vidéos courtes et les partager entre eux».
L’initiative de l’UTS est aussi née d’un autre
constat: le jeu actuel est trop stéréotypé et policé.
Francesca Schiavone, vainqueur de Roland-
Garros il y a dix ans, dont les émotions affichées
comme la versatilité du jeu ont fait le bonheur
des spectateurs du Central, regrette le temps où
«il y avait Amélie, Graf, Sabatini, Navratilova; on
observait alors beaucoup de diversité». À l’heure
actuelle, on déplore à l’inverse une certaine
uniformité. Elle veut rester optimiste, toutefois:
«Viendront toujours ces deux ou trois joueuses qui
introduiront un tennis légèrement différent,
poussant les autres à s’améliorer. Une joueuse de
la prochaine génération viendra, je la trouverai et
l’enverrai à Paris.» On l’attend avec impatience.
d’évoluer et les instances elles-mêmes se sont
modernisées. L’ATP et la WTA ont suspendu une
journée du tournoi de Cincinnati – délocalisé à
New York pour raisons sanitaires – pour
protester contre l’injustice raciale aux États-
Unis, après les tirs policiers dans le dos de Jacob
Blake. Cette décision historique marque un
changement de mentalité. L’initiative, lancée par
la joueuse Naomi Osaka, nouvelle star de la
discipline, montre que l’impact du mouvement
Black Lives Matter s’étend jusque sur les courts,
qui ne peuvent ignorer les bruits du monde.
BESOIN DE CHANGEMENTS STRUCTURELS
Une volonté partagée de préserver l’aura du
tennis a fait émerger, ou réémerger, durant la
crise sanitaire, un certain nombre d’idées.
Notamment: une fusion des circuits
ATP et WTA. Micky Lawler,
présidente de la WTA, estime
que «la pression du Covid
est une opportunité pour
essayer d’éviter tout ce
qui est duplication,
travailler
vraiment
Prouesses sportives
et personnalités
attachantes
(ci-dessous: Roger
Federer et Francesca
Schiavone) suffiront-
elles à séduire
un nouveau public?
Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend
Les négociations
de la Fédération
française de tennis
avec le gouvernement
avaient abouti
à une jauge de 11500
personnes réparties
sur trois zones
distinctes du site
de la porte d’Auteuil.
Le tournoi ne pourra
finalement,
au vu de la situation
sanitaire, accueillir
que 5000 personnes
par jour: celles
détentrices de billets
pour le court
Philippe-Chatrier
et qui auront accès
à tous les autres
courts sur l’ensemble
du site.
Le village sera ouvert
avec une capacité
d’accueil réduite:
les 14 espaces
partenaires
accueilleront
24 convives
(au lieu des 50
habituellement).
ROLAND-GARROS 2020,
MILLÉSIME RÉDUIT
DANSL’ULTIMATE
TENNISSHOWDOWN,
LESMATCHSSONT
PLUSCOURTSET
SANSTEMPSMORTS.
LES ECHOS WEEK-END – 39
ROLAND-GARROS BUSINESS STORY
Êtes-vous satisfait des mesures prises pour
garantir la santé des joueurs sur l’ATP Tour?
Il faut attendre et voir comment ça se passe. Je
pense que tout le monde essaye de faire au
mieux pour que le circuit puisse continuer dans
les conditions les plus sûres. Les personnes en
charge font un très bon travail, sous pression
et dans des circonstances difficiles où il est
parfois compliqué de prédire ce qui va
passer d’une semaine sur l’autre.
Vous avez appelé à l’unité après la
création d’un syndicat «dissident»
par Novak Djokovic. Pouvez-vous
nous préciser ce que vous en
pensez?
Je me suis toujours battu
pendant ma carrière afin
d’obtenir des choses pour les
joueurs. Je suis sur le circuit
depuis 2003 et croyez-moi, au
cours de ces dix-sept années,
nous n’avons jamais été dans une
meilleure position
qu’aujourd’hui. Oui, nous
pouvons demander plus, nous
battre pour obtenir davantage
de poids au sein de l’ATP. Mais
c’est compliqué de mettre
d’accord 100% des joueurs. Tout
le monde a des idées différentes
et je pense que ce n’est pas le bon
moment de créer des scissions,
c’est le moment de travailler
ensemble pour le futur proche car
nous vivons grâce aux fans, aux
droits télé, aux sponsors. Si les fans
ne sont pas autorisés à se rendre aux
tournois, ceux-ci auront des
rentrées financières moindres et
les joueurs auront du mal à
obtenir les mêmes gains. Donc
il s’agit de se serrer les coudes,
d’essayer de trouver des
solutions pour que les tournois
restent pérennes, faute de quoi
nous sommes sans emploi.
Quel est votre meilleur
souvenir à Roland-Garros?
J’en ai tellement. Peut-être la
victoire en 2017, c’était très spécial,
mon dixième titre. Mais
honnêtement j’ai apprécié toutes ces
années et pas seulement sur le court.
J’ai beaucoup d’amis à la fédération
française, parmi les gens qui travaillent sur
le tournoi. Je m’y sens un peu à la maison. Je
ressens le soutien de la foule, des gens sur place.
C’est quelque chose de difficile à décrire mais
quand vous jouez et que vous recevez ce soutien,
vous vous sentez bien.
Les conditions vont être un peu différentes
cette année…
Tout le monde va être affecté par ces
circonstances inédites. Cette période va être un
test. On va voir comment les choses évoluent
dans les prochaines semaines. Je dois garder
l’attitude la plus positive possible sachant que
revenir sur le circuit n’est jamais facile au début.
Il faut que j’accepte ce défi et que je n’aurai pas
forcément les meilleures sensations de jeu. Mais
avec la bonne attitude… J’ai déjà fait tellement de
come-back après de longues périodes sans jouer!
Vous avez coaché avec succès Roger Federer à la
Laver Cup. Seriez-vous intéressé par un rôle
d’entraîneur dans le futur?
Pourquoi pas. J’ai une académie et j’aime y
donner des conseils aux jeunes joueurs et aux
entraîneurs, donc je me vois bien aider ces
jeunes dans le futur.
Vous êtes très impliqué dans la communauté
avec votre fondation, l’argent que vous avez
récolté pour la Croix-Rouge avec le basketteur
Pau Gasol, ou l’aide que vous avez apportée
lors des inondations à Majorque. D’où vous
viennent ces valeurs de solidarité?
Pour moi, c’est quelque chose de complètement
naturel. Je pense que j’ai eu beaucoup de chance
dans ma vie, donc d’une manière ou d’une autre
je me dois de redonner. J’ai créé notre fondation
il y a dix ans et nous travaillons dur pour donner
des opportunités aux jeunes, en particulier aux
enfants. Contre le risque d’exclusion sociale,
nous avons différents projets, en Espagne et en
Inde. Le monde est parfois injuste, donc j’essaie
juste d’aider comme je peux. Quand vous voyez
les progrès de certains enfants dont le destin
était probablement de traîner dans la rue, que
vous créez un environnement où ils peuvent
pratiquer un sport, étudier, dans un cadre
serein… Nous essayons de leur donner une
chance d’être de meilleures personnes et de les
préparer pour l’avenir. Difficile de trouver
quelque chose qui rende plus heureux que ça.
Propos recueillis par Anna Bonalume
et Alexandre Choiselat
Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend
RAFAEL NADAL
« IL FAUT SE SERRER LES COUDES POUR
QUE LES TOURNOIS RESTENT PÉRENNES »
Le champion espagnol,
qui n’a pas participé
à l’US Open, est revenu
sur le circuit au tournoi
de Rome, qui a débuté
le 12 septembre.
Prisonnier VIP de l’hôtel
où il était obligé de
résider pour raison
sanitaire, il nous a parlé
par écran interposé deux
jours plus tôt. Et nous
a expliqué comment il
envisage Roland-Garros.

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Le Tennis doit se reinventer

  • 1. 32 – LES ECHOS WEEK-END BUSINESS STORY LE COVID, REVERS MEURTRIER POUR LE TENNIS Le 13 septembre, à Flushing Meadows. La cérémonie de remise des prix de l’US Open, tournoi du Grand Chelem se déroule sans spectateurs, ou presque. Pour la première fois depuis 1947, le tournoi de Roland-Garros ne s’est pas tenu au printemps – il se joue à partir de dimanche. La pandémie a interrompu pendant plusieurs mois le tennis professionnel et révélé les nombreuses faiblesses d’un sport toujours ultra-médiatisé mais en fait menacé de déclin. Dissensions entre joueurs et instances dirigeantes, public vieillissant, désintérêt des nouveaux médias: le tennis est contraint à l’aggiornamento, et vite. Par Anna Bonalume et Alexandre Choiselat
  • 2. LES ECHOS WEEK-END – 33 ROLAND-GARROS Quand la distanciation sociale n’était que fiction: une foule compacte suit la demi-finale opposant Rafael Nadal (photo) à Juan Martin Del Potro, à Roland-Garros en juin 2018. e 8 mars, le tournoi Indian Wells est officiellement annulé. Le circuit professionnel n’échappe pas à la pétrification du monde imposée par la propagation du Covid-19. À quelque chose malheur est bon, la pandémie accélère la prise de conscience de tous les maux dont souffrait ce sport autrefois élitiste, naguère populaire, et aujourd’hui en sérieuse perte de vitesse. Reporté à cause de la crise sanitaire, Roland-Garros s’ouvrira dimanche dans un Paris à nouveau en pleine zone rouge, sur le qui-vive face à la multiplication des clusters liés aux réunions en grand nombre. Tôt ou tard, le monde du tennis devra tirer les leçons de ce traumatisme sans précédent. « ÇA FAIT DU BIEN DE SOUFFLER » La pandémie a au moins eu cet aspect positif pour les athlètes, qui sillonnent la planète onze mois par an en temps normal: leur permettre de souffler. Comme le confie Caroline Garcia, victorieuse en double à Roland-Garros en 2016 : «Ça fait du bien de couper un peu du tennis, de savoir que pendant deux mois tu vas être au même endroit, sans compétition, avec moins de stress, parce que sinon c’est un stress permanent.» La joueuse française a pu s’entraîner pendant le confinement à Majorque, dans l’académie de Rafael Nadal, mais tout le monde n’a pas eu cette opportunité. Richard Gasquet, lui, n’a quasiment pas joué pendant trois mois: «J’ai essayé de travailler ma condition physique et j’ai rejoué au mois de juillet. Quand tu as 33-34 ans, pour retrouver l’intensité du haut niveau, il ne faut pas trop s’arrêter.» Le problème fondamental est d’ordre financier. Si les joueurs les mieux classés ont pu économiser suffisamment durant leur carrière pour faire face à cette pause forcée, les autres se sont retrouvés démunis. Ils ne sont pas salariés, leurs revenus proviennent de leurs gains en tournois et, pour les meilleurs, du sponsoring. Patrick Mouratoglou, entraîneur de Serena Williams, assure que «les joueurs en deçà du Top 100 n’ont pas un euro de côté. La situation était catastrophique pour eux». Cette période a selon lui révélé l’aberration du système: «Quand 80% des richesses sont gagnées par les 3 meilleurs du monde, il y a une exagération, il faut trouver des solutions. Que le 150e mondial ne gagne pas sa vie, c’est absolument anormal, il y a quand même un peu d’argent dans le tennis, ce n’est pas du kayak!» En termes de sponsoring, Nicolas Lamperin, agent de Gaël Monfils et de Kristina Mladenovic, estime que la situation «va se tendre énormément pour les joueurs de second rang car en période de crise, ce sont les budgets marketing et sponsoring qui sont coupés en premier». UNION SACRÉE DES INSTANCES GOUVERNANTES Les instances gouvernantes du tennis ont collaboré, comme rarement auparavant, ce qui ne fut pas tâche facile, puisque le tennis professionnel est complètement fragmenté (voir encadré p. 38). L’ATP, la WTA, L’ITF, les tournois du Grand Chelem et les fédérations nationales, tous ont leur mot à dire. Mais la crise a constitué un électrochoc. L’Italien Andrea Gaudenzi, récemment élu président de l’ATP, estime que celle-ci a «lancé une très bonne collaboration avec les Grand Chelem, nous discutons pratiquement toutes les semaines». Parmi les sujets les plus brûlants: un nouveau calendrier des tournois, un protocole sanitaire et un fonds de soutien aux joueurs. Bernard Giudicelli, président de la FFT et vice-président de l’ITF, témoigne de cette nouvelle solidarité entre autorités tennistiques: «Le Covid a mis tout le monde d’accord. Nous avons d’abord contribué à hauteur de 1 million d’euros au fonds de soutien de l’ATP et de la WTA. Et nous avons mis en place pour le tennis français un plan de relance de 35 millions d’euros.» Concernant le protocole sanitaire: «Nous avons créé un collège scientifique et élaboré un protocole, dont l’idée a été reprise par l’ATP et la WTA.» Le ministère des Sports s’est mobilisé rapidement: «L’État a accompagné au maximum les associations, les clubs professionnels comme amateurs. À date, 3 milliards d’euros d’aides ont été déjà consacrés au sport», souligne la «LESJOUEURS ENDEÇÀ DUTOP100N’ONT PASUNEURO DECÔTÉ.»
  • 3. 34 – LES ECHOS WEEK-END BUSINESS STORY ROLAND-GARROS ministre Roxana Maracineanu, qui a organisé des points très réguliers avec la FFT pour l’organisation de Roland-Garros. DIFFICILE D’ASSURER LA SÉCURITÉ SANITAIRE Les professionnels sont évidemment soumis à un protocole très strict. Petra Martic, demi- finaliste au tournoi de Palerme, le premier tournoi de reprise, assure que «cela va prendre du temps de s’adapter à toutes ces mesures, mais au moins je me sens en sécurité». Certains se font moins bien que d’autres au nouveau contexte. À l’US Open, l’expérience de la bulle dite «hermétique» a été parfois mal vécue. Caroline Garcia témoigne: «Une fois qu’on est entré dans la bulle on n’en sort plus. Les deux premiers tests ont lieu à deux jours d’intervalle et après, c’est tous les quatre jours. L’hôtel n’est que pour nous, ils ont aménagé un espace sur le parking pour qu’on puisse sortir prendre l’air, mais c’est vraiment limité. On prend le bus pour aller au club, pour s’entraîner, pour faire les matchs.» Les déplacements des joueurs sont tracés par GPS. Cela dit, certains membres du personnel des hôtels ou du staff du tournoi ne sont pas astreints aux mêmes règles et la bulle n’est pas imperméable au virus. Le 30 août, Benoît Paire, connu aussi pour ses colères et ses nombreuses raquettes cassées sur les courts, a été contrôlé positif: il est immédiatement placé en quarantaine et doit se retirer du tournoi. Les joueurs français qui l’ont côtoyé sont mis à l’isolement puis finalement autorisés à disputer leurs matchs. Une fois éliminés, ils seront assignés à l’hôtel pendant une semaine. Pas facile. Du côté du moral, on peut toutefois espérer que le retour du public fera du bien aux joueurs. Roland-Garros sera le premier tournoi depuis la reprise du circuit à accueillir des spectateurs, même s’ils sont moins nombreux qu’en temps normal: réduite de moitié initialement, à 11500 spectateurs par jour, la jauge autorisée a encore été ramenée à 5000 face à la progression du virus. «C’est très bizarre de jouer dans ces conditions. On est content de voir du public à Roland-Garros, ça va changer énormément les choses», escompte néanmoins Richard Gasquet. L’INCIDENT DJOKOVIC Novak Djokovic a fait l’objet de vives critiques pour avoir mis en place, fin juin, l’Adria Tour, série d’exhibitions à but caritatif dans les pays de l’ex-Yougoslavie. Les mesures de distanciation ne sont pas respectées, les joueurs célèbrent leurs retrouvailles en boîte de nuit. Résultat: cinq d’entre eux testés positifs, dont Djokovic lui-même, qui fait acte de contrition, mais trop tard. Kevin Anderson, vice-président du conseil des joueurs de l’ATP, tempête encore: «Tout l’événement a été complètement irresponsable.» Une leçon, selon lui, pour les joueurs impliqués qui «peuvent comprendre pourquoi, maintenant que le circuit a repris, nous avons besoin de faire autant attention et de prendre toutes ces précautions». Le crédit du Serbe, déjà entamé par ses prises de position anti-vaccin en plein cœur de la pandémie, s’amenuise encore. Lui qui souhaite s’affirmer tant sur le plan sportif (il chasse les records de Federer et Nadal en Grand Chelem) que politique au sein des instances de gouvernance, est contraint de faire profil bas pendant deux mois. À la veille de l’US Open, UNE ANNÉE APOCALYPTIQUE 8MARS Le tournoi Indian Wells est annulé. 17MARS La FFT annonce le report de Roland- Garros à la fin du mois de septembre. 10AVRIL La FFT débloque 35 millions d’euros pour soutenir l’économie du tennis. 20AVRIL Novak Djokovic se déclare personnellement opposé à la vaccination contre le Covid-19. 9MAI La joueuse algérienne Inès Ibbou répond vertement, sur les réseaux sociaux, à Dominic Thiem, qui ne souhaite pas participer au fonds de soutien pour les joueurs mal classés. Elle recueille de nombreux appuis, comme ceux des joueurs Nick Kyrgios et Venus Williams, mais aussi du président algérien Tebboune. 10JUIN Roger Federer annonce mettre un terme à sa saison après avoir subi une arthroscopie du genou droit. 14JUIN Démarrage de l’Ultimate Tennis Showdown (UTS), le tournoi créé par Patrick Mouratoglou. 27SEPTEMBRE Début de Roland- Garros. SURL’ADRIATOUR, CINQJOUEURS SONTTESTÉS POSITIFS,DONT NOVAKDJOKOVIC. En juin, lors de l’Adria Tour, Novak Djokovic (à droite) retrouve Filip Krajinovic, son compatriote: pas sûr que leur «chest bump» soit homologué par l’OMS comme geste barrière.
  • 4. 36 – LES ECHOS WEEK-END BUSINESS STORY ROLAND-GARROS il annonce brutalement sa démission du conseil des joueurs de l’ATP et la création d’un syndicat indépendant. Ses griefs: un manque de communication avec les instances dirigeantes et une redistribution trop faible aux joueurs des revenus engrangés par les tournois. Probablement perturbé par toutes ces considérations extra-sportives, il perd ses nerfs en quart de finale de l’épreuve et, à la suite d’un geste d’énervement, blesse involontairement une juge de ligne. Il est disqualifié, alors que le titre lui tendait les bras. À lui seul, vu son classement et l’envergure de son jeu, il illustre le désarroi de la profession. Jusqu’à cette année, le tennis pouvait se rassurer en se voyant quatrième sport le plus populaire au monde, avec 87 millions de pratiquants et 2,2 milliards de dollars de revenus annuels (entre la billetterie, les sponsors et les droits). Mais en temps de crise, d’autres chiffres se font plus mordants: le tennis ne représente que 1,3% des droits télévisuels et médias de l’ensemble des sports. Les instances dirigeantes jugent plus urgent de contrer la concurrence des autres sports et de l’industrie du divertissement que de céder aux revendications pécuniaires des joueurs et des joueuses. ACCROÎTRE LA TAILLE DU GÂTEAU Selon Andrea Gaudenzi, la question de la redistribution des gains est secondaire. Ancien joueur, passé par l’industrie de la musique, il veut d’abord accroître le gâteau global avant de distribuer de plus grosses parts: «Chaque joueur individuellement a des arguments à faire valoir. Mais une instance gouvernante doit prendre des décisions difficiles pour le bien collectif. On ne peut pas se concentrer sur les détails. Mon ambition est d’amener le tennis à un autre niveau. Quand je vois que le golf génère trois fois plus d’argent que le tennis, ça me fait mal. Ce qui est fondamental, c’est le positionnement de notre sport dans le monde digital face aux autres piliers de l’industrie du divertissement: le cinéma, la musique, le jeu vidéo.» Patrick Mouratoglou rappelle de son côté que «la situation actuelle du Covid montre à quel point le gâteau est trop petit. En fait, tous les tournois sont en perte, dès qu’il n’y a plus de billetterie, c’est terminé, ils perdent tous de l’argent». L’initiative de Djokovic ne fait pourtant pas l’unanimité parmi les professionnels du circuit: Federer et Nadal estiment que l’heure n’est pas à la division. Jo-Wilfried Tsonga rappelle que «l’ATP est déjà une union. Le vrai problème, c’est qu’il y a une union des joueurs, qui est l’ATP, et il y a l’ITF. Aujourd’hui, ces deux entités-là ont beaucoup de mal à travailler ensemble». La situation semble toutefois en passe ATP Association of Tennis Professionals. Créée en 1972 dans le but de défendre les intérêts des joueurs professionnels masculins. Elle devient l’ATP Tour en 1990 et organise le circuit professionnel masculin, en remplacement du Grand Prix tennis circuit et du World Championship Tennis. WTA Women’s Tennis Association. Créée en 1973 pour défendre les intérêts des joueuses professionnelles. Le WTA Tour est le circuit professionnel féminin. ITF International Tennis Federation, association sportive internationale qui chapeaute 205 fédérations nationales affiliées, dont la FFT (Fédération française de tennis). Elle régit LES INSTANCES DU TENNIS MONDIAL Ils tentent de faire bouger les lignes: Naomi Osaka, engagée contre les injustices raciales; Patrick Moratoglou, entraîneur de Serena Williams, qui milite pour un nouveau format de jeu (au centre): Novak Djokovic (en bas à droite) défie l’ATP en lançant un syndicat indépendant. également les tournois du Grand Chelem, les plus prestigieux. LES 4 TOURNOIS DU GRAND CHELEM Ils ont aussi un rôle décisionnel et sont réunis au sein du Comité du Grand Chelem, regroupant l’ITF et les instances organisatrices: les fédérations nationales australienne, française et américaine et l’AELTC (club privé accueillant le tournoi de Wimbledon).
  • 5. 38 – LES ECHOS WEEK-END BUSINESS STORY ROLAND-GARROS ensemble». Pour Andrea Gaudenzi, le plus important est de «mettre en commun les droits télévisuels. De cette façon, nous pourrons devenir plus forts, en travaillant sur le point d’accès à notre sport pour les fans». Même si les gains de l’ATP ont quintuplé en trente ans, l’avenir du jeu semble incertain. Beaucoup craignent qu’après la retraite imminente de Federer, Nadal et Djokovic, dont les affrontements dantesques ont constitué la locomotive du sport depuis plus de dix ans, le tennis ne perde de son attrait. D’abord auprès des spectateurs, dont la moyenne d’âge ne fait qu’augmenter, ensuite auprès des sponsors. D’où le besoin de changements profonds. « ON NE VIENT PAS VOIR UN GARS S’ESSUYER » Nouveau comptage des points, plus de temps de jeu, plus de suspense: voilà ce que propose l’entraîneur de Serena Williams. Les deux tournois de l’Ultimate Tennis Showdown (UTS) qu’il a organisés dans son académie de Sophia-Antipolis ont été un véritable succès auprès des joueurs. «L’UTS a revu le format en se fondant non sur le point de vue du tennisman, mais sur celui du fan», affirme Patrick Mouratoglou, pour qui le tennis a du mal à suivre les évolutions de la société. «L’offre est complètement décalée par rapport à la manière contemporaine de consommer des gens, qui préfèrent des formats de plus en plus courts. Or le tennis est non seulement un format potentiellement long, mais aussi extrêmement lent dans son action. Le jeu effectif représente entre le 8 et 15% du temps de diffusion, pendant les autres 85%, on voit des gens faire des routines, marcher, il ne se passe absolument rien», constate-t-il. Pour Jo-Wilfried Tsonga, le jeu pourrait s’accélérer: «Yannick (Noah) avait dit qu’aller chercher la serviette entre chaque point, ce n’est pas possible, on ne vient pas regarder un match de tennis pour voir un gars s’essuyer.» Nicolas Lamperin observe que si les plus jeunes peinent à suivre un match de cinq sets sur cinq heures à la télévision, «ils ont un téléphone portable ou une tablette en permanence entre les mains et ils veulent voir des “highlights”, des vidéos courtes et les partager entre eux». L’initiative de l’UTS est aussi née d’un autre constat: le jeu actuel est trop stéréotypé et policé. Francesca Schiavone, vainqueur de Roland- Garros il y a dix ans, dont les émotions affichées comme la versatilité du jeu ont fait le bonheur des spectateurs du Central, regrette le temps où «il y avait Amélie, Graf, Sabatini, Navratilova; on observait alors beaucoup de diversité». À l’heure actuelle, on déplore à l’inverse une certaine uniformité. Elle veut rester optimiste, toutefois: «Viendront toujours ces deux ou trois joueuses qui introduiront un tennis légèrement différent, poussant les autres à s’améliorer. Une joueuse de la prochaine génération viendra, je la trouverai et l’enverrai à Paris.» On l’attend avec impatience. d’évoluer et les instances elles-mêmes se sont modernisées. L’ATP et la WTA ont suspendu une journée du tournoi de Cincinnati – délocalisé à New York pour raisons sanitaires – pour protester contre l’injustice raciale aux États- Unis, après les tirs policiers dans le dos de Jacob Blake. Cette décision historique marque un changement de mentalité. L’initiative, lancée par la joueuse Naomi Osaka, nouvelle star de la discipline, montre que l’impact du mouvement Black Lives Matter s’étend jusque sur les courts, qui ne peuvent ignorer les bruits du monde. BESOIN DE CHANGEMENTS STRUCTURELS Une volonté partagée de préserver l’aura du tennis a fait émerger, ou réémerger, durant la crise sanitaire, un certain nombre d’idées. Notamment: une fusion des circuits ATP et WTA. Micky Lawler, présidente de la WTA, estime que «la pression du Covid est une opportunité pour essayer d’éviter tout ce qui est duplication, travailler vraiment Prouesses sportives et personnalités attachantes (ci-dessous: Roger Federer et Francesca Schiavone) suffiront- elles à séduire un nouveau public? Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend Les négociations de la Fédération française de tennis avec le gouvernement avaient abouti à une jauge de 11500 personnes réparties sur trois zones distinctes du site de la porte d’Auteuil. Le tournoi ne pourra finalement, au vu de la situation sanitaire, accueillir que 5000 personnes par jour: celles détentrices de billets pour le court Philippe-Chatrier et qui auront accès à tous les autres courts sur l’ensemble du site. Le village sera ouvert avec une capacité d’accueil réduite: les 14 espaces partenaires accueilleront 24 convives (au lieu des 50 habituellement). ROLAND-GARROS 2020, MILLÉSIME RÉDUIT DANSL’ULTIMATE TENNISSHOWDOWN, LESMATCHSSONT PLUSCOURTSET SANSTEMPSMORTS.
  • 6. LES ECHOS WEEK-END – 39 ROLAND-GARROS BUSINESS STORY Êtes-vous satisfait des mesures prises pour garantir la santé des joueurs sur l’ATP Tour? Il faut attendre et voir comment ça se passe. Je pense que tout le monde essaye de faire au mieux pour que le circuit puisse continuer dans les conditions les plus sûres. Les personnes en charge font un très bon travail, sous pression et dans des circonstances difficiles où il est parfois compliqué de prédire ce qui va passer d’une semaine sur l’autre. Vous avez appelé à l’unité après la création d’un syndicat «dissident» par Novak Djokovic. Pouvez-vous nous préciser ce que vous en pensez? Je me suis toujours battu pendant ma carrière afin d’obtenir des choses pour les joueurs. Je suis sur le circuit depuis 2003 et croyez-moi, au cours de ces dix-sept années, nous n’avons jamais été dans une meilleure position qu’aujourd’hui. Oui, nous pouvons demander plus, nous battre pour obtenir davantage de poids au sein de l’ATP. Mais c’est compliqué de mettre d’accord 100% des joueurs. Tout le monde a des idées différentes et je pense que ce n’est pas le bon moment de créer des scissions, c’est le moment de travailler ensemble pour le futur proche car nous vivons grâce aux fans, aux droits télé, aux sponsors. Si les fans ne sont pas autorisés à se rendre aux tournois, ceux-ci auront des rentrées financières moindres et les joueurs auront du mal à obtenir les mêmes gains. Donc il s’agit de se serrer les coudes, d’essayer de trouver des solutions pour que les tournois restent pérennes, faute de quoi nous sommes sans emploi. Quel est votre meilleur souvenir à Roland-Garros? J’en ai tellement. Peut-être la victoire en 2017, c’était très spécial, mon dixième titre. Mais honnêtement j’ai apprécié toutes ces années et pas seulement sur le court. J’ai beaucoup d’amis à la fédération française, parmi les gens qui travaillent sur le tournoi. Je m’y sens un peu à la maison. Je ressens le soutien de la foule, des gens sur place. C’est quelque chose de difficile à décrire mais quand vous jouez et que vous recevez ce soutien, vous vous sentez bien. Les conditions vont être un peu différentes cette année… Tout le monde va être affecté par ces circonstances inédites. Cette période va être un test. On va voir comment les choses évoluent dans les prochaines semaines. Je dois garder l’attitude la plus positive possible sachant que revenir sur le circuit n’est jamais facile au début. Il faut que j’accepte ce défi et que je n’aurai pas forcément les meilleures sensations de jeu. Mais avec la bonne attitude… J’ai déjà fait tellement de come-back après de longues périodes sans jouer! Vous avez coaché avec succès Roger Federer à la Laver Cup. Seriez-vous intéressé par un rôle d’entraîneur dans le futur? Pourquoi pas. J’ai une académie et j’aime y donner des conseils aux jeunes joueurs et aux entraîneurs, donc je me vois bien aider ces jeunes dans le futur. Vous êtes très impliqué dans la communauté avec votre fondation, l’argent que vous avez récolté pour la Croix-Rouge avec le basketteur Pau Gasol, ou l’aide que vous avez apportée lors des inondations à Majorque. D’où vous viennent ces valeurs de solidarité? Pour moi, c’est quelque chose de complètement naturel. Je pense que j’ai eu beaucoup de chance dans ma vie, donc d’une manière ou d’une autre je me dois de redonner. J’ai créé notre fondation il y a dix ans et nous travaillons dur pour donner des opportunités aux jeunes, en particulier aux enfants. Contre le risque d’exclusion sociale, nous avons différents projets, en Espagne et en Inde. Le monde est parfois injuste, donc j’essaie juste d’aider comme je peux. Quand vous voyez les progrès de certains enfants dont le destin était probablement de traîner dans la rue, que vous créez un environnement où ils peuvent pratiquer un sport, étudier, dans un cadre serein… Nous essayons de leur donner une chance d’être de meilleures personnes et de les préparer pour l’avenir. Difficile de trouver quelque chose qui rende plus heureux que ça. Propos recueillis par Anna Bonalume et Alexandre Choiselat Plus d’infos sur lesechos.fr/weekend RAFAEL NADAL « IL FAUT SE SERRER LES COUDES POUR QUE LES TOURNOIS RESTENT PÉRENNES » Le champion espagnol, qui n’a pas participé à l’US Open, est revenu sur le circuit au tournoi de Rome, qui a débuté le 12 septembre. Prisonnier VIP de l’hôtel où il était obligé de résider pour raison sanitaire, il nous a parlé par écran interposé deux jours plus tôt. Et nous a expliqué comment il envisage Roland-Garros.