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68 CONFLITS
Géopolitique et entreprises donne
la parole dans ce numéro à éric
Branca pour lequel il faut accepter
le rapport de force pour protéger
nos entreprises, notamment vis-à-
vis des états-Unis, comme l’illustre
l’histoire des relations entre de
Gaulle et Washington. Pour mieux
comprendre la stratégie chinoise,
Pierre Fayard nous invite à faire
mieux connaître l’œuvre de Sun
Tzu. La Chine mettrait à profit les
failles des états-Unis davantage
qu’elle ne l’affronterait.
Par David Simonnet
L
alecturedesinterviewsquenousvous
proposons incite les entreprises à
penser la profondeur et la complexité
de la guerre économique.Celle-ci se déroule
surlelongtermeetestmenéeaunomdeprin-
cipes. Pour la livrer il faut engager le rapport
de force sans affrontement direct. Pierre
Fayard cite Sun Tzu: «L’art de la guerre est
comme l’eau qui fuit les hauteurs et qui rem-
plit les creux.»
Le dernier sommet du Forum de coopéra-
tion économique Asie-Pacifique (APEC) qui
s’est déroulé à Da Nang, au Vietnam, sur le
thème en donne un exemple. En marge du
sommet,onzepaysonttrouvéle11 novembre
dernier un accord afin de relancer le traité de
libre-échange transpacifique (TPP): le Japon,
la Nouvelle-Zélande, l’Australie, Brunei, le
Canada, le Chili, la Malaisie, le Mexique, le
Pérou,SingapouretleVietnam.Cetraité,signé
en 2015, entendait faire un contrepoids à la
Chine mais DonaldTrump s’en était retiré dès
son arrivée au pouvoir.
L’accord qui relance leTPP sans la Chine et
les États-Unis isole un peu plus encore le pré-
sident américain sur les questions commer-
ciales. Il prend la forme d’un désaveu fait à
Trumpquiconfirmaitlorsdusommetdel’APEC
sa volonté protectionniste: «Je mettrai tou-
joursl’Amériqued’abord,delamêmemanière
que j’espère que vous tous dans cette pièce
donnerez la priorité à vos pays respectifs»,a-
t-ildéclaré,reprenantuneformuledéjàutilisée
à la tribune des Nations unies en septembre.
Xi Jinping, lui, comme il l’avait fait en début
d’année au sommet de Davos, a de nouveau
plaidé (hypocritement?) pour la mondialisa-
tion: les échanges doivent être repensés pour
être «plus ouverts, plus équilibrés, plus équi-
tables et bénéfiques pour tous», «nous
devrionssoutenirlelibre-échangeetpratiquer
un régionalisme ouvert pour permettre aux
pays en développement de tirer davantage
profit du commerce et des investissements
internationaux»,a-t-il poursuivi.
SanslesoutiendesÉtats-Unis,lesonzepays
ont donc poursuivi un projet de libre-échange
qui est un des futurs moteurs de la croissance
decettezoneavecdespaysdontlesmutations
économiques se sont accélérées.
Ainsi parmi les pays signataires, le cas du
Vietnamest-ilintéressant:ilaconnuunessor
soutenu ces trente dernières années.L’ouver-
ture économique et les réformes politiques
entreprises dès 1986 ont porté leurs fruits: il
connaît désormais une croissance écono-
miqueannuellede6%.Quantautauxdepau-
vreté, il a chuté, passant de 37% en 1998 à
8,2% en 2014. Celui qu’on surnomme le
«nouveau dragon d’Asie du Sud-Est» comp-
tera d’ici 2025 plus de 100 millions d’habi-
tants. Parmi les pays qui disposent d’un
marché intérieur significatif (entre 25 et
200 millions d’habitants), le Vietnam fait
figure d’exception avec le taux d’ouverture
(rapport de la somme des exports et des
imports sur le PIB) le plus élevé (supérieur à
160% en 2014). Il montre une intégration
croissante dans les chaînes de valeur (en
2014,60%ducommerceextérieurestgénéré
par le secteur des investissements étrangers).
Le Vietnam est aussi une illustration intéres-
santedelafaiblessedenotrepositionnement
danscettezonepuisquesilaFranceestletroi-
sième bailleur bilatéral duVietnam en termes
d’engagements d’aide publique au dévelop-
pement (2,5 milliards d’euros entre 2006 et
2015), elle est seulement parmi les pays de
l’Union européenne son 4e
partenaire com-
mercial (4,7 milliards d’euros d’échanges) et
son déficit commercial continue malgré tout
de se creuser (3 milliards d’euros en 2016
contre 2,7 milliards en 2015) avec 4,5 mil-
liards d’euros d’importations (produits tex-
tiles et chaussures, articles de sport,
téléphones portables, notamment) et des
exportations composées de ventes aéronau-
tiques et de produits pharmaceutiques et
agroalimentaires.
On constate ainsi que des pays occupent
l’espace laissé vacant par les grandes puis-
sances à vocation hégémonique, et que les
pays,commelaFrance,quirefusentlerapport
de force direct avec celles-ci, demeurent en
retraitdansdesespacesoùilsavaientpourtant
historiquement vocation à être présents.
Tout sauf la Chine et les
États-Unis ? Occuper le vide
Tout sauf la Chine et les
États-Unis ? Occuper le vide
Tout sauf la Chine et les
GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES
Entrepreneur, david simonnet est PDG du groupe
industriel Axyntis qu’il a créé en 2007. Diplômé
de l’Essec (1993), il a poursuivi des études en
Histoire (Paris IV), en DEA de droit (Paris XIII) et
en DEA d’économie (Paris-Dauphine). Il a enseigné
histoire et géographie économiques en classes
préparatoires ECS et la création d’entreprise en
Master 2 à Paris I Panthéon-Sorbonne.Auteur des
100 mots de l’entreprise dans la collection Que
sais-je ? (PUF), il est membre de jury du prix
Conflits du meilleur livre de géopolitique.
©ArnaudCalaisPhotographie
CONFLITS 69
le documentaire guerre fantôme, diffusé
récemment sur la chaîne parlementaire, qui
racontel’histoiredurachatd’alstompargene-
ral electric,a beaucoup marqué l’opinion.en
lisant votre livre, on s’aperçoit que les
méthodes employées pour s’approprier cette
entreprise-clé participent de la stratégie à
longtermedéployéeparlesétats-unisquand
ils’agitdefaireplierleursconcurrents…
…Ou,enl’espèce,des’inviterdansunsec-
teur à très haute plus-value stratégique.Ce
quiestexactementlecasd’Alstompuisque,
enprenantlecontrôledecefleurondel’in-
dustriefrançaise,nos«amis»d’outre-Atlan-
tique ont ôté à la France la maîtrise de sa
filière nucléaire civile.Rappelons que celle-
ci reposait sur trois piliers: Areva, qui
conçoit nos réacteurs nucléaires et exporte
notre technologie; Alstom qui produit les
turbines de nos centrales; et EDF qui gère
letout.Cetteintégration,voulueparlegéné-
ral de Gaulle, était essentielle, puisqu’elle
fondaitnotreautonomieénergétique(75%
de notre électricité étant nucléaire) et per-
mettait à la France de vendre son savoir-
faire à des pays désireux de ne pas être à la
merci du bon vouloir américain.Ces deux
avantages sont bel et bien forclos: nous
dépendonsdésormaisdesÉtats-Unispour
l’entretien de nos centrales,ce qui,vous en
conviendrez, est gravissime en termes de
sécurité nationale; quant à ceux qui ache-
taient notre technologie, justement parce
qu’elle était 100% française, quel intérêt
auraient-ilsàpersister?
CeWaterloopolitique,industrieletcom-
mercial, c’est justement ce que de Gaulle
avaitcherchéàrendreimpossibleenfaisant
delaFranceunepuissancenucléaireàpart
entière, avec la création d’une filière civile
inséparabledel’avènementdeladissuasion
atomiquequielle-mêmen’auraiteuaucun
senssanslasortieducommandementinté-
gré de l’Otan.
Quand on rapproche la réintégration
dansl’OtanvoulueparNicolasSarkozyde
la mise sous tutelle américaine de notre
industrienucléairecivilepermiseparFran-
çois Hollande, on se dit, avec Alphonse
Allais, qu’une fois «les bornes dépassées, il
n’y a plus de limites»…
autrement dit?
En quelques années,la France a accepté,
defait,cequedeGaulleavaitmisunpoint
d’honneur à refuser: un libre-échangisme
mondial permettant aux États-Unis d’in-
vestir et d’exporter non sans se réserver le
privilège de protéger leurs productions
nationales quand le besoin s’en fait sentir;
l’extraterritorialité de leur droit, principe
envertuduqueltouteentrepriseétrangère
utilisantledollarpeutêtreamenéeàrendre
compte devant les tribunaux américains;
enfin et surtout,le monopole de ce même
dollarquiplacetoutunchacunenposition
d’êtreconcernéparcetteextraterritorialité!
Ce qui s’est passé avecalstom…
Absolument,mais pas seulement.Il faut
savoir qu’avant Alstom, General Electric
avaitmenacéquatreautresentreprisespour-
suivies pour faits de corruption (1)
des fou-
dres de la justice américaine si elles
refusaientsespropositionsderachat.Etl’on
connaît les calamités qui se sont abattues
sur Total, Peugeot et BNP quand elles ont
gêné leurs concurrents américains, sans
parler de Technip et Alcatel, carrément
absorbées. Ni de ce qui attend Airbus,
Sanofi,laSociétégénéraleetAreva,pareille-
mentdanslecollimateurdesAméricains…
Dans un tel contexte,comment protéger nos
entreprises?
En plaçant le réalisme au niveau qui
convient.Aujourd’hui,leréalismeconsiste
à éviter le rapport de force en se rangeant
sans discuter à la raison du plus fort.Avec
de Gaulle à la tête de l’État, le principe de
réalité consistait, au contraire, à accepter
le rapport de force en usant de tous les
GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / enTreTIen AveC érIC BrAnCA
Dans son dernier livre,L’Ami
américain (Perrin,2017) éric Branca
insiste sur la guerre économique
sans merci menée par les états-Unis
pour empêcher la France de
redevenir,après-guerre,une
puissance de premier plan.Grâce à
l’emploi simultané de trois armes :
le libre-échangisme mondial,
l’unilatéralisme juridique et le
monopole du dollar.Retour sur une
stratégie qui,depuis le plan Marshall
jusqu’au rachat-neutralisation
d’Alstom a détruit des pans
entiers de notre industrie…
Au-delà de l’affaire Alstom :
une volonté de puissance sans limites…
Historien et journaliste, Éric Branca est né en
1958. Membre de la Fondation Charles de Gaulle,
il a signé une quinzaine d’ouvrages, parmi lesquels
De Gaulle et les Français libres (Albin Michel,
2010), L’Histoire secrète de la droite, 1958-2008
(Plon,2008) ou encore 3000 ans d’idées politiques
(Chronique, 2014). Son dernier livre, qui traite de
la guerre secrète menée par Washington contre la
France gaulliste,est le fruit d’une patiente recherche
dans les archives américaines déclassifiées.
70 CONFLITS
moyens à notre disposition. Songez que
lorsqu’il a mis en cause le monopole du
dollar, il ne s’est pas borné à constater
combienle«privilègeexorbitantdesÉtats-
Unis de pouvoir payer leurs dettes avec
leur propre monnaie» devenait une
machine à exporter l’inflation mais aussi
à financer la prise de contrôle de l’écono-
mie mondiale, et spécialement euro-
péenne,par leurs multinationales.Il a agi.
Pourfreinercettecolonisation,iladonc
entrepris de créer une autre force de
frappe,économique celle-là,afin d’impo-
ser, le moment venu, une réforme du sys-
tème monétaire international fondée sur
le retour pur et simple à l’étalon-or – cet
or,disait-il,«quin’apasdenationalité,qui
est tenu, éternellement et universellement,
comme la valeur inaltérable et fiduciaire
par excellence».
Dès1958,ilaainsicommencéàéchanger
contredel’orunegrandepartiedesdollars
détenus par la Banque de France. De 1958
à 1963, nos réserves de métal précieux ont
grimpéenflèche,passantde581millionsà
prèsde3,2milliardsdedollars.Demême,il
n’apaslésinésurlessymbolesenenvoyant,
par exemple,la Marine française convoyer
verslesÉtats-Unisquelque150millionsde
dollars-papier pour ramener en échange
deslingotssonnantsettrébuchants!
Le résultat ne s’est pas fait attendre: fin
1967,lestockd’oraméricainavaitfondude
moitié,passantde22milliardsdedollarsen
1957à11milliardsdixansplustard!Cequi
prouvedemanièreincontestablequesiplu-
sieurs grands États avaient, au même
moment,imitélaFrance,Washingtonn’au-
rait pas disposé d’assez d’or pour honorer
la demande et maintenir la parité officielle
quelesÉtats-Uniseux-mêmesavaientfixée
à la conférence de Bretton Woods de 1944,
àsavoir 35dollarspouruneonced’or…
Devantcettedémonstrationflagrantedu
mensongesurlequelétaitfondélechoixdu
dollarcommemonnaiederéserveinterna-
tionale,undébutdepaniqueavaitgagnéla
Réserve fédérale américaine. Bref, juste
avant les «événements» de Mai 1968, la
peur avait changé de camp. Au point que
la presse américaine avait trouvé un
surnom à de Gaulle: «Gaullefinger», allu-
sionauGoldfingerdeJamesBond,lebandit
qui, pour devenir maître du monde, veut
dévaliser Fort Knox, où sont détenues les
réserves d’or de la Banque centrale des
États-Unis!
En novembre 1967, le Général avait
même tenté de passer en force en tentant
de convaincre les Allemands d’accompa-
gner la France dans son combat pour le
retour à l’étalon-or. Willy Brandt, alors
ministre des Affaires étrangères socialiste
dela«grandecoalition»aupouvoiroutre-
Rhin,était prêt à jouer le jeu en engageant
àsontourunachatmassif d’orfinancépar
les dollars que détenait la Bundesbank…
Mais le chancelier chrétien-démocrate,
Kurt Kiesinger, aussi hostile à de Gaulle
qu’il le fut naguère à la politique franco-
phile d’Adenauer, s’y était opposé, et avait
informé illico lesAméricains.
QuisaitcequiseraitadvenusiBrandt,qui
deviendra chancelier deux ans plus tard,
avaitétéauxaffaires?Onnerefaitpasl’his-
toireavecdes«si»,maisilestprobableque,
dans l’hypothèse d’un front commun
monétairefranco-allemand,laRéservefédé-
rale américaine n’aurait pas tenu le choc et
auraitété amenéeànégocier…
etpuis,commevouslerappelez,Mai1968est
passé par là…
Ce qui a permis aux Américains de
contre-attaquer en spéculant contre le
franc, affaibli par la crise, et bientôt d’en
finir avec la convertibilité du dollar en or
qui avait failli leur coûter si cher. Mais le
moins qu’on puisse dire est qu’ils avaient
euchaud,commeentémoignelecynisme
du secrétaire d’État,John Connally,décla-
ranten1971aurestedumonde:«Ledollar
estnotredevise,maisàpartirdemaintenant,
c’estvotreproblème!»Cequialeméritede
la clarté!
De gaulle n’était-il pas bien seul à vouloir
défendrelesentreprisesfrançaisescontreles
visées expansionnistes américaines?
C’estlemoinsqu’onpuissedire,comme
entémoignel’affaireBull,quiannoncel’af-
faire Alstom. Rappelons les faits:
jusqu’alors numéro deux mondial de l’in-
formatique, l’entreprise française Bull,
vedette de la Bourse de Paris,est victime,à
partir de 1963, de la concurrence améri-
caine(IBMet,déjà,GeneralElectric)mais
aussietsurtoutdel’embargodécrétéparle
président Johnson qui interdit de vendre
auxFrançaiscertainscomposantsinforma-
tiques stratégiques. Malgré son produit
phare, l’ordinateur Gamma 600, capable
d’enregistrer 600000 chiffres en une
seconde, l’entreprise est en grande diffi-
culté. De Gaulle demande alors à Valéry
Giscard d’Estaing, ministre des Finances,
detoutfairepourquecetteentreprise,dont
le CEA a impérativement besoin pour la
miseaupointdelabombeH,netombepas
entre des mains étrangères. Mais Giscard
ne proposera à l’actionnaire principal,
Joseph Callies, que la garantie de ses
emprunts.Lequeldécideradecéder,auprix
fort,49%desespartsàGeneralElectricqui,
en 1967, prendra la majorité à la faveur
d’une recapitalisation de l’entreprise. L’af-
faire jouera un rôle certain dans le renvoi
de Giscard auquel de Gaulle reprochera
d’avoirété«moudugenou»surcedossier.
Un défaut très français qui,semble-t-il,
n’a fait que croître et embellir! w
1. Amersham, Ionics, Vetcogray et Invision.
POuR en SavOiR PluS :
éric Branca
L’Ami américain,Washington contre de Gaulle
1940-1969, Perrin, 2017, 23 €
GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / enTreTIen AveC érIC BrAnCA
De Gaulle et Johnson
lors de leur unique
rencontre en tête à
tête, le 26 novembre
1963, juste après l’en-
terrement de Kennedy.
En route pour cinq ans
de guerre ouverte.
CONFLITS 71
GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / enTreTIen AveC PIerre FAYArD
un langage imagé, Mao Zedong le tradui-
sait par marcher sur ses deux jambes, soit
l’Armée Rouge d’une part et la guérilla
d’autre part.Selon le déroulement des cir-
constancesetdeladialectiquedesvolontés
auxprises,cesdeuxforcesnesontpasfixes
mais interchangeables. Ainsi, une ruse
identifiée devient Zheng, ce qui permet àZheng, ce qui permet àZheng
des ressources conventionnelles d’agir de
manière non conventionnelle Ji, dans un
jeusansfinoùintelligenceetconnaissance
font toute la différence.
Ainsi en va-t-il de la progression de la
puissancechinoisesurtouslescontinents. w
groupe axyntis - 45 rue de Pommard - 75012 Paris
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enquoil’œuvredeSuntzuest-elleenmesure
denouséclairerpourdécrypterl’actuellestra-
tégie chinoise face aux états-unis ? 
LalecturedeSunTzuéclairelesmodali-
tés du conflit que se livrent aujourd’hui
deux volontés impériales,et fait contraste
avec la caricature de stratégie portée par
Donald Trump. « D’abord se rendre invin-
cible, puis attendre des occasions de victoire
des erreurs adverses », recommandait Sun
Tzu25sièclesenarrière.Danscechocgéo-
politique, mais aussi économique, le loca-
tairedelaMaison-Blanches’enfermedans
des exigences localement autocentrées,
aveugles à une vision globale ainsi qu’au
moyen-long terme, et cela dans le main
stream d’une conception managériale et
technologiquedelastratégie.Faceàlui,un
empire plurimillénaire avance posément
ses pions en mettant à profit les failles,
voirelesbéances,dujeuadverse.Tueravec
uncouteaud’empruntestletitreembléma-
tiquedu3e
stratagèmetraditionnelchinois,
et le paradoxe veut que ce soit Trump lui-
même qui tienne le manche du couteau
contrel’Amérique!Laremiseencausedu
traitétranspacifiqueoulesreculadesamé-
ricaines sur le climat constituent ainsi de
formidables appels d’air pour la volonté
de puissance de l’Empire du Milieu.
PourSunTzu,l’ingrédientfondamental
de la stratégie est la connaissance car « les
armes sont des instruments de mauvais
augureàn’utiliserqu’enultimerecours».Le
stratège exemplaire est invisible. Il vise en
prioritél’espritdel’adversairepourl’instru-
mentaliseretlemanipulersansluioffrirde
points d’appui au contre. Comment agir
contre ce que l’on ne perçoit pas ou que
l’oninterprètedemanièreerronée?L’intel-
ligencedel’autreincarneuningrédientcen-
tral de la stratégie. C’est elle qui permet
d’attaquer en pleine lumière pour fixer l’at-
tention, mais de vaincre en secret avec éco-
nomie et efficacité sans que l’on identifie
stratège sous roche. Sun Tzu nous enseigne
«lastratégieavec»quiconstruitetquidure
plus que « la stratégie contre » coûteuse,
hasardeuse, génératrice de ressentiment…
« L’art de la guerre est comme l’eau qui fuit
leshauteursetquiremplitlescreux»ditSun
Tzu.Ilcontourneforcesetrésistances,pro-
fitedelatopologiedessituationspouraccé-
lérersesmouvementscommelevideattire
le plein car la stratégie adore le vide.
les leçons que dégage Suntzu sur le plan de
la stratégie militaire sont-elles déclinables
danslaguerreéconomique ?quelintérêtpour
les chefs d’entreprise français et européens
de lire Suntzu ? 
La stratégie recouvre l’exercice de la
volonté,quelqu’ensoitledomained’appli-
cation,mais l’approche qu’en fait Sun Tzu
est particulièrement en phase avec les
conditionsdescompétitionséconomiques
et des chocs de puissances de ce début de
XIXe
siècle. La vision chinoise du réel en
constituelatoiledefond.Elleconsidèreque
la seule constante est le changement dans
une interdépendance globale des phéno-
mènes.Danscetteoptique,l’artstratégique
consiste à raisonner global et exceller à se
positionner pour faire avec les mutations,
tendances et changements. Puisque les
contraires (yin & yang) sont interdépen-
dants au point de se donner naissance
mutuellement, il existe toujours quelque
partdesventsfavorablespourquisaitsentir
et choisir les bons caps.Et si la situation se
révèledésastreuse,le36e
stratagèmeoffrela
meilleuredessolutions,àsavoirlafuitequi
préservelesressourcescarlarouetourne…
Sun Tzu recommande d’articuler deux
forces complémentaires, l’une visible et
conventionnelle(Zheng)etuneautre,invi-Zheng)etuneautre,invi-Zheng
sible et extra-ordinaire (Ji) qui progresse
hors conventions derrière les lignes.Dans
Sun Tzu vs Donald Trump…
Quand la stratégie adore le vide !
EXPLORE LE CHAMP DES RAPPORTS
ENTRE LA GéOPOLITIQUE ET LES ENTREPRISES
Professeur émérite de l’université de Poitiers, cher-
cheur en intelligence culturelle de la stratégie, ensei-
gnantauBrésiletceinturenoire4e
danenaïkido,Pierre
Fayard est un vulgarisateur au long cours de la pensée
stratégique chinoise. Dans la nouvelle édition entière-
mentrevueetaugmentéedesonComprendreetappli-
quer Sun Tzu. En 36 stratagèmes (Dunod, 2017), il
explique comment,depuis SunTzu,un principe central
enconstituelenordmagnétique:l’économie !Oucom-
ment optimiser les ressources, tirer profit des circons-
tances,desstratégiesetdesmoyens,notammentceux
desalliés,desconcurrents,voiredesadversaires...« Ce
n’est pas parce que l’autre est mon ennemi que je ne
peux pas en tirer parti », écrit Pierre Fayard. Intégrant
deux principes dérivés que sont l’harmonie et le para-
doxe, cette tradition stratégique se décline autant sur
le plan géopolitique que dans la guerre économique.

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Géopolitique & entreprises n°5

  • 1. 68 CONFLITS Géopolitique et entreprises donne la parole dans ce numéro à éric Branca pour lequel il faut accepter le rapport de force pour protéger nos entreprises, notamment vis-à- vis des états-Unis, comme l’illustre l’histoire des relations entre de Gaulle et Washington. Pour mieux comprendre la stratégie chinoise, Pierre Fayard nous invite à faire mieux connaître l’œuvre de Sun Tzu. La Chine mettrait à profit les failles des états-Unis davantage qu’elle ne l’affronterait. Par David Simonnet L alecturedesinterviewsquenousvous proposons incite les entreprises à penser la profondeur et la complexité de la guerre économique.Celle-ci se déroule surlelongtermeetestmenéeaunomdeprin- cipes. Pour la livrer il faut engager le rapport de force sans affrontement direct. Pierre Fayard cite Sun Tzu: «L’art de la guerre est comme l’eau qui fuit les hauteurs et qui rem- plit les creux.» Le dernier sommet du Forum de coopéra- tion économique Asie-Pacifique (APEC) qui s’est déroulé à Da Nang, au Vietnam, sur le thème en donne un exemple. En marge du sommet,onzepaysonttrouvéle11 novembre dernier un accord afin de relancer le traité de libre-échange transpacifique (TPP): le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, Brunei, le Canada, le Chili, la Malaisie, le Mexique, le Pérou,SingapouretleVietnam.Cetraité,signé en 2015, entendait faire un contrepoids à la Chine mais DonaldTrump s’en était retiré dès son arrivée au pouvoir. L’accord qui relance leTPP sans la Chine et les États-Unis isole un peu plus encore le pré- sident américain sur les questions commer- ciales. Il prend la forme d’un désaveu fait à Trumpquiconfirmaitlorsdusommetdel’APEC sa volonté protectionniste: «Je mettrai tou- joursl’Amériqued’abord,delamêmemanière que j’espère que vous tous dans cette pièce donnerez la priorité à vos pays respectifs»,a- t-ildéclaré,reprenantuneformuledéjàutilisée à la tribune des Nations unies en septembre. Xi Jinping, lui, comme il l’avait fait en début d’année au sommet de Davos, a de nouveau plaidé (hypocritement?) pour la mondialisa- tion: les échanges doivent être repensés pour être «plus ouverts, plus équilibrés, plus équi- tables et bénéfiques pour tous», «nous devrionssoutenirlelibre-échangeetpratiquer un régionalisme ouvert pour permettre aux pays en développement de tirer davantage profit du commerce et des investissements internationaux»,a-t-il poursuivi. SanslesoutiendesÉtats-Unis,lesonzepays ont donc poursuivi un projet de libre-échange qui est un des futurs moteurs de la croissance decettezoneavecdespaysdontlesmutations économiques se sont accélérées. Ainsi parmi les pays signataires, le cas du Vietnamest-ilintéressant:ilaconnuunessor soutenu ces trente dernières années.L’ouver- ture économique et les réformes politiques entreprises dès 1986 ont porté leurs fruits: il connaît désormais une croissance écono- miqueannuellede6%.Quantautauxdepau- vreté, il a chuté, passant de 37% en 1998 à 8,2% en 2014. Celui qu’on surnomme le «nouveau dragon d’Asie du Sud-Est» comp- tera d’ici 2025 plus de 100 millions d’habi- tants. Parmi les pays qui disposent d’un marché intérieur significatif (entre 25 et 200 millions d’habitants), le Vietnam fait figure d’exception avec le taux d’ouverture (rapport de la somme des exports et des imports sur le PIB) le plus élevé (supérieur à 160% en 2014). Il montre une intégration croissante dans les chaînes de valeur (en 2014,60%ducommerceextérieurestgénéré par le secteur des investissements étrangers). Le Vietnam est aussi une illustration intéres- santedelafaiblessedenotrepositionnement danscettezonepuisquesilaFranceestletroi- sième bailleur bilatéral duVietnam en termes d’engagements d’aide publique au dévelop- pement (2,5 milliards d’euros entre 2006 et 2015), elle est seulement parmi les pays de l’Union européenne son 4e partenaire com- mercial (4,7 milliards d’euros d’échanges) et son déficit commercial continue malgré tout de se creuser (3 milliards d’euros en 2016 contre 2,7 milliards en 2015) avec 4,5 mil- liards d’euros d’importations (produits tex- tiles et chaussures, articles de sport, téléphones portables, notamment) et des exportations composées de ventes aéronau- tiques et de produits pharmaceutiques et agroalimentaires. On constate ainsi que des pays occupent l’espace laissé vacant par les grandes puis- sances à vocation hégémonique, et que les pays,commelaFrance,quirefusentlerapport de force direct avec celles-ci, demeurent en retraitdansdesespacesoùilsavaientpourtant historiquement vocation à être présents. Tout sauf la Chine et les États-Unis ? Occuper le vide Tout sauf la Chine et les États-Unis ? Occuper le vide Tout sauf la Chine et les GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES Entrepreneur, david simonnet est PDG du groupe industriel Axyntis qu’il a créé en 2007. Diplômé de l’Essec (1993), il a poursuivi des études en Histoire (Paris IV), en DEA de droit (Paris XIII) et en DEA d’économie (Paris-Dauphine). Il a enseigné histoire et géographie économiques en classes préparatoires ECS et la création d’entreprise en Master 2 à Paris I Panthéon-Sorbonne.Auteur des 100 mots de l’entreprise dans la collection Que sais-je ? (PUF), il est membre de jury du prix Conflits du meilleur livre de géopolitique. ©ArnaudCalaisPhotographie
  • 2. CONFLITS 69 le documentaire guerre fantôme, diffusé récemment sur la chaîne parlementaire, qui racontel’histoiredurachatd’alstompargene- ral electric,a beaucoup marqué l’opinion.en lisant votre livre, on s’aperçoit que les méthodes employées pour s’approprier cette entreprise-clé participent de la stratégie à longtermedéployéeparlesétats-unisquand ils’agitdefaireplierleursconcurrents… …Ou,enl’espèce,des’inviterdansunsec- teur à très haute plus-value stratégique.Ce quiestexactementlecasd’Alstompuisque, enprenantlecontrôledecefleurondel’in- dustriefrançaise,nos«amis»d’outre-Atlan- tique ont ôté à la France la maîtrise de sa filière nucléaire civile.Rappelons que celle- ci reposait sur trois piliers: Areva, qui conçoit nos réacteurs nucléaires et exporte notre technologie; Alstom qui produit les turbines de nos centrales; et EDF qui gère letout.Cetteintégration,voulueparlegéné- ral de Gaulle, était essentielle, puisqu’elle fondaitnotreautonomieénergétique(75% de notre électricité étant nucléaire) et per- mettait à la France de vendre son savoir- faire à des pays désireux de ne pas être à la merci du bon vouloir américain.Ces deux avantages sont bel et bien forclos: nous dépendonsdésormaisdesÉtats-Unispour l’entretien de nos centrales,ce qui,vous en conviendrez, est gravissime en termes de sécurité nationale; quant à ceux qui ache- taient notre technologie, justement parce qu’elle était 100% française, quel intérêt auraient-ilsàpersister? CeWaterloopolitique,industrieletcom- mercial, c’est justement ce que de Gaulle avaitcherchéàrendreimpossibleenfaisant delaFranceunepuissancenucléaireàpart entière, avec la création d’une filière civile inséparabledel’avènementdeladissuasion atomiquequielle-mêmen’auraiteuaucun senssanslasortieducommandementinté- gré de l’Otan. Quand on rapproche la réintégration dansl’OtanvoulueparNicolasSarkozyde la mise sous tutelle américaine de notre industrienucléairecivilepermiseparFran- çois Hollande, on se dit, avec Alphonse Allais, qu’une fois «les bornes dépassées, il n’y a plus de limites»… autrement dit? En quelques années,la France a accepté, defait,cequedeGaulleavaitmisunpoint d’honneur à refuser: un libre-échangisme mondial permettant aux États-Unis d’in- vestir et d’exporter non sans se réserver le privilège de protéger leurs productions nationales quand le besoin s’en fait sentir; l’extraterritorialité de leur droit, principe envertuduqueltouteentrepriseétrangère utilisantledollarpeutêtreamenéeàrendre compte devant les tribunaux américains; enfin et surtout,le monopole de ce même dollarquiplacetoutunchacunenposition d’êtreconcernéparcetteextraterritorialité! Ce qui s’est passé avecalstom… Absolument,mais pas seulement.Il faut savoir qu’avant Alstom, General Electric avaitmenacéquatreautresentreprisespour- suivies pour faits de corruption (1) des fou- dres de la justice américaine si elles refusaientsespropositionsderachat.Etl’on connaît les calamités qui se sont abattues sur Total, Peugeot et BNP quand elles ont gêné leurs concurrents américains, sans parler de Technip et Alcatel, carrément absorbées. Ni de ce qui attend Airbus, Sanofi,laSociétégénéraleetAreva,pareille- mentdanslecollimateurdesAméricains… Dans un tel contexte,comment protéger nos entreprises? En plaçant le réalisme au niveau qui convient.Aujourd’hui,leréalismeconsiste à éviter le rapport de force en se rangeant sans discuter à la raison du plus fort.Avec de Gaulle à la tête de l’État, le principe de réalité consistait, au contraire, à accepter le rapport de force en usant de tous les GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / enTreTIen AveC érIC BrAnCA Dans son dernier livre,L’Ami américain (Perrin,2017) éric Branca insiste sur la guerre économique sans merci menée par les états-Unis pour empêcher la France de redevenir,après-guerre,une puissance de premier plan.Grâce à l’emploi simultané de trois armes : le libre-échangisme mondial, l’unilatéralisme juridique et le monopole du dollar.Retour sur une stratégie qui,depuis le plan Marshall jusqu’au rachat-neutralisation d’Alstom a détruit des pans entiers de notre industrie… Au-delà de l’affaire Alstom : une volonté de puissance sans limites… Historien et journaliste, Éric Branca est né en 1958. Membre de la Fondation Charles de Gaulle, il a signé une quinzaine d’ouvrages, parmi lesquels De Gaulle et les Français libres (Albin Michel, 2010), L’Histoire secrète de la droite, 1958-2008 (Plon,2008) ou encore 3000 ans d’idées politiques (Chronique, 2014). Son dernier livre, qui traite de la guerre secrète menée par Washington contre la France gaulliste,est le fruit d’une patiente recherche dans les archives américaines déclassifiées.
  • 3. 70 CONFLITS moyens à notre disposition. Songez que lorsqu’il a mis en cause le monopole du dollar, il ne s’est pas borné à constater combienle«privilègeexorbitantdesÉtats- Unis de pouvoir payer leurs dettes avec leur propre monnaie» devenait une machine à exporter l’inflation mais aussi à financer la prise de contrôle de l’écono- mie mondiale, et spécialement euro- péenne,par leurs multinationales.Il a agi. Pourfreinercettecolonisation,iladonc entrepris de créer une autre force de frappe,économique celle-là,afin d’impo- ser, le moment venu, une réforme du sys- tème monétaire international fondée sur le retour pur et simple à l’étalon-or – cet or,disait-il,«quin’apasdenationalité,qui est tenu, éternellement et universellement, comme la valeur inaltérable et fiduciaire par excellence». Dès1958,ilaainsicommencéàéchanger contredel’orunegrandepartiedesdollars détenus par la Banque de France. De 1958 à 1963, nos réserves de métal précieux ont grimpéenflèche,passantde581millionsà prèsde3,2milliardsdedollars.Demême,il n’apaslésinésurlessymbolesenenvoyant, par exemple,la Marine française convoyer verslesÉtats-Unisquelque150millionsde dollars-papier pour ramener en échange deslingotssonnantsettrébuchants! Le résultat ne s’est pas fait attendre: fin 1967,lestockd’oraméricainavaitfondude moitié,passantde22milliardsdedollarsen 1957à11milliardsdixansplustard!Cequi prouvedemanièreincontestablequesiplu- sieurs grands États avaient, au même moment,imitélaFrance,Washingtonn’au- rait pas disposé d’assez d’or pour honorer la demande et maintenir la parité officielle quelesÉtats-Uniseux-mêmesavaientfixée à la conférence de Bretton Woods de 1944, àsavoir 35dollarspouruneonced’or… Devantcettedémonstrationflagrantedu mensongesurlequelétaitfondélechoixdu dollarcommemonnaiederéserveinterna- tionale,undébutdepaniqueavaitgagnéla Réserve fédérale américaine. Bref, juste avant les «événements» de Mai 1968, la peur avait changé de camp. Au point que la presse américaine avait trouvé un surnom à de Gaulle: «Gaullefinger», allu- sionauGoldfingerdeJamesBond,lebandit qui, pour devenir maître du monde, veut dévaliser Fort Knox, où sont détenues les réserves d’or de la Banque centrale des États-Unis! En novembre 1967, le Général avait même tenté de passer en force en tentant de convaincre les Allemands d’accompa- gner la France dans son combat pour le retour à l’étalon-or. Willy Brandt, alors ministre des Affaires étrangères socialiste dela«grandecoalition»aupouvoiroutre- Rhin,était prêt à jouer le jeu en engageant àsontourunachatmassif d’orfinancépar les dollars que détenait la Bundesbank… Mais le chancelier chrétien-démocrate, Kurt Kiesinger, aussi hostile à de Gaulle qu’il le fut naguère à la politique franco- phile d’Adenauer, s’y était opposé, et avait informé illico lesAméricains. QuisaitcequiseraitadvenusiBrandt,qui deviendra chancelier deux ans plus tard, avaitétéauxaffaires?Onnerefaitpasl’his- toireavecdes«si»,maisilestprobableque, dans l’hypothèse d’un front commun monétairefranco-allemand,laRéservefédé- rale américaine n’aurait pas tenu le choc et auraitété amenéeànégocier… etpuis,commevouslerappelez,Mai1968est passé par là… Ce qui a permis aux Américains de contre-attaquer en spéculant contre le franc, affaibli par la crise, et bientôt d’en finir avec la convertibilité du dollar en or qui avait failli leur coûter si cher. Mais le moins qu’on puisse dire est qu’ils avaient euchaud,commeentémoignelecynisme du secrétaire d’État,John Connally,décla- ranten1971aurestedumonde:«Ledollar estnotredevise,maisàpartirdemaintenant, c’estvotreproblème!»Cequialeméritede la clarté! De gaulle n’était-il pas bien seul à vouloir défendrelesentreprisesfrançaisescontreles visées expansionnistes américaines? C’estlemoinsqu’onpuissedire,comme entémoignel’affaireBull,quiannoncel’af- faire Alstom. Rappelons les faits: jusqu’alors numéro deux mondial de l’in- formatique, l’entreprise française Bull, vedette de la Bourse de Paris,est victime,à partir de 1963, de la concurrence améri- caine(IBMet,déjà,GeneralElectric)mais aussietsurtoutdel’embargodécrétéparle président Johnson qui interdit de vendre auxFrançaiscertainscomposantsinforma- tiques stratégiques. Malgré son produit phare, l’ordinateur Gamma 600, capable d’enregistrer 600000 chiffres en une seconde, l’entreprise est en grande diffi- culté. De Gaulle demande alors à Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances, detoutfairepourquecetteentreprise,dont le CEA a impérativement besoin pour la miseaupointdelabombeH,netombepas entre des mains étrangères. Mais Giscard ne proposera à l’actionnaire principal, Joseph Callies, que la garantie de ses emprunts.Lequeldécideradecéder,auprix fort,49%desespartsàGeneralElectricqui, en 1967, prendra la majorité à la faveur d’une recapitalisation de l’entreprise. L’af- faire jouera un rôle certain dans le renvoi de Giscard auquel de Gaulle reprochera d’avoirété«moudugenou»surcedossier. Un défaut très français qui,semble-t-il, n’a fait que croître et embellir! w 1. Amersham, Ionics, Vetcogray et Invision. POuR en SavOiR PluS : éric Branca L’Ami américain,Washington contre de Gaulle 1940-1969, Perrin, 2017, 23 € GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / enTreTIen AveC érIC BrAnCA De Gaulle et Johnson lors de leur unique rencontre en tête à tête, le 26 novembre 1963, juste après l’en- terrement de Kennedy. En route pour cinq ans de guerre ouverte.
  • 4. CONFLITS 71 GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISES / enTreTIen AveC PIerre FAYArD un langage imagé, Mao Zedong le tradui- sait par marcher sur ses deux jambes, soit l’Armée Rouge d’une part et la guérilla d’autre part.Selon le déroulement des cir- constancesetdeladialectiquedesvolontés auxprises,cesdeuxforcesnesontpasfixes mais interchangeables. Ainsi, une ruse identifiée devient Zheng, ce qui permet àZheng, ce qui permet àZheng des ressources conventionnelles d’agir de manière non conventionnelle Ji, dans un jeusansfinoùintelligenceetconnaissance font toute la différence. Ainsi en va-t-il de la progression de la puissancechinoisesurtouslescontinents. w groupe axyntis - 45 rue de Pommard - 75012 Paris www.axyntis.com - tél : +33 (0)1 44 06 77 00 géopolitique.entreprises@axyntis.com enquoil’œuvredeSuntzuest-elleenmesure denouséclairerpourdécrypterl’actuellestra- tégie chinoise face aux états-unis ?  LalecturedeSunTzuéclairelesmodali- tés du conflit que se livrent aujourd’hui deux volontés impériales,et fait contraste avec la caricature de stratégie portée par Donald Trump. « D’abord se rendre invin- cible, puis attendre des occasions de victoire des erreurs adverses », recommandait Sun Tzu25sièclesenarrière.Danscechocgéo- politique, mais aussi économique, le loca- tairedelaMaison-Blanches’enfermedans des exigences localement autocentrées, aveugles à une vision globale ainsi qu’au moyen-long terme, et cela dans le main stream d’une conception managériale et technologiquedelastratégie.Faceàlui,un empire plurimillénaire avance posément ses pions en mettant à profit les failles, voirelesbéances,dujeuadverse.Tueravec uncouteaud’empruntestletitreembléma- tiquedu3e stratagèmetraditionnelchinois, et le paradoxe veut que ce soit Trump lui- même qui tienne le manche du couteau contrel’Amérique!Laremiseencausedu traitétranspacifiqueoulesreculadesamé- ricaines sur le climat constituent ainsi de formidables appels d’air pour la volonté de puissance de l’Empire du Milieu. PourSunTzu,l’ingrédientfondamental de la stratégie est la connaissance car « les armes sont des instruments de mauvais augureàn’utiliserqu’enultimerecours».Le stratège exemplaire est invisible. Il vise en prioritél’espritdel’adversairepourl’instru- mentaliseretlemanipulersansluioffrirde points d’appui au contre. Comment agir contre ce que l’on ne perçoit pas ou que l’oninterprètedemanièreerronée?L’intel- ligencedel’autreincarneuningrédientcen- tral de la stratégie. C’est elle qui permet d’attaquer en pleine lumière pour fixer l’at- tention, mais de vaincre en secret avec éco- nomie et efficacité sans que l’on identifie stratège sous roche. Sun Tzu nous enseigne «lastratégieavec»quiconstruitetquidure plus que « la stratégie contre » coûteuse, hasardeuse, génératrice de ressentiment… « L’art de la guerre est comme l’eau qui fuit leshauteursetquiremplitlescreux»ditSun Tzu.Ilcontourneforcesetrésistances,pro- fitedelatopologiedessituationspouraccé- lérersesmouvementscommelevideattire le plein car la stratégie adore le vide. les leçons que dégage Suntzu sur le plan de la stratégie militaire sont-elles déclinables danslaguerreéconomique ?quelintérêtpour les chefs d’entreprise français et européens de lire Suntzu ?  La stratégie recouvre l’exercice de la volonté,quelqu’ensoitledomained’appli- cation,mais l’approche qu’en fait Sun Tzu est particulièrement en phase avec les conditionsdescompétitionséconomiques et des chocs de puissances de ce début de XIXe siècle. La vision chinoise du réel en constituelatoiledefond.Elleconsidèreque la seule constante est le changement dans une interdépendance globale des phéno- mènes.Danscetteoptique,l’artstratégique consiste à raisonner global et exceller à se positionner pour faire avec les mutations, tendances et changements. Puisque les contraires (yin & yang) sont interdépen- dants au point de se donner naissance mutuellement, il existe toujours quelque partdesventsfavorablespourquisaitsentir et choisir les bons caps.Et si la situation se révèledésastreuse,le36e stratagèmeoffrela meilleuredessolutions,àsavoirlafuitequi préservelesressourcescarlarouetourne… Sun Tzu recommande d’articuler deux forces complémentaires, l’une visible et conventionnelle(Zheng)etuneautre,invi-Zheng)etuneautre,invi-Zheng sible et extra-ordinaire (Ji) qui progresse hors conventions derrière les lignes.Dans Sun Tzu vs Donald Trump… Quand la stratégie adore le vide ! EXPLORE LE CHAMP DES RAPPORTS ENTRE LA GéOPOLITIQUE ET LES ENTREPRISES Professeur émérite de l’université de Poitiers, cher- cheur en intelligence culturelle de la stratégie, ensei- gnantauBrésiletceinturenoire4e danenaïkido,Pierre Fayard est un vulgarisateur au long cours de la pensée stratégique chinoise. Dans la nouvelle édition entière- mentrevueetaugmentéedesonComprendreetappli- quer Sun Tzu. En 36 stratagèmes (Dunod, 2017), il explique comment,depuis SunTzu,un principe central enconstituelenordmagnétique:l’économie !Oucom- ment optimiser les ressources, tirer profit des circons- tances,desstratégiesetdesmoyens,notammentceux desalliés,desconcurrents,voiredesadversaires...« Ce n’est pas parce que l’autre est mon ennemi que je ne peux pas en tirer parti », écrit Pierre Fayard. Intégrant deux principes dérivés que sont l’harmonie et le para- doxe, cette tradition stratégique se décline autant sur le plan géopolitique que dans la guerre économique.