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THINOTRY LIIIRY, APRÈS
AVOIR ÉTÉ L'Aimerai ou Ln
dans les années soixante, est devenu l'un desgourousde
la cyberculture, défendant l'idée d'un cyberespace ouvert
aux expériences individuelles contre tout désir de
chercher à legouverner.
VI
VI
VI
o
o
ENQUÊTE
Dis
papa
c'est
quoi
a cyberPhénomène de mode ou terreau de la
culture des siècles prochains, la cyberculture
se conjugue aujourd'hui à toutes les sauces.
Sur le terrain, et aussi chez les penseurs
du mouvement, nous avons cherché à savoir
ce qu'être cyber veut dire. Pas évident.
par DelphineSabbatier
culturedd a cyberculture est une ar-
naque !" Etonnant pro-
pos de la part d'Alain Le
Diberder, initiateur de
l'émission télé du même
nom et qui, à ce titre, revendique la
paternité du terme en France... Et
le responsable des nouveaux pro-
grammes de Canal+ de s'expliquer :
"La cyberculturea été construite par
les médias,pour les médias. C'est un
terme pratique parce qu'il fédère des
courants de mode. C'est devenu une
boîte à chaussures dans laquelle on
case tout ce que l'on veut dire. Et c'est
là que commence l'escroquerie."
Ce qui est vrai en tout cas, c'est que
le mot "cyberculture" et ses dérivés
(cybercafé, cyberpunk, cybersexe,
cybermonde, etc.) ont fait florès. Le
premier cyberpolar français, Les Ra-
cines du mal de Maurice G. Dantec,
s'est vendu à des milliers d'exem-
plaires ; un étudiant en sociologie a
présenté sa thèse sur "La cybercul-
ture: les nouvelles technologies et la
société contemporaine"; et, référence
entre toutes, Le Mondea récemment
publié un édito défendant le mouve-
ment techno et la culture cyber... Pas
supplémentaire dans la reconnais-
sance institutionnelle : le Conseil de
l'Europe lui-même a commandé à
Pierre Lévy, prosélyte des nouvelles
technologies, un rapport"pourpenser
la cyberculture".Pas de doute, tout le
monde veut en être. Mais au fait, ké-
zako la cyberculture ?
Phénomène de mode ou pas, nom-
breux sont les jeunes, tel Bertrand,
croisé dans une soirée "techno-house-
tribale", qui y croient dur comme fer,
à la cyberculture. Et parmi tous les
autres, il définit sa tribu comme
l'ensemble de ceux "qui naviguent
sur le Net,qui ont la foien une techno-
logie accessible à tout le monde et en
une gratuité des échanges mondiaux".
Transmettre son plaisir
Ce samedi soir-là, au Bataclan, les
tympans s'affolent au rythme des
basses de la musique techno, bour-
donnent d'hypnoses auditives. Ber-
trand, lui, garde les yeux rivés sur
l'écran d'un ordinateur. Il s'affaire
dans le but de retransmettre la fête
sur Internet. "Sur notre site Fanlive
.com, lesJaponais peuvent suivre la
soirée avec nous, en direct, c'est ça la
culture cyber.Je vis des moments ex-
traordinaires et je les transmets, juste
pour le plaisir.Nous créons une unité
SVM • JANVIER »98 • 53
ENQUÊTE
--•••11111111•1181.1ffl......n..m..
mondiale. Internet permet d'échanger
des savoir-faire et peut aboutir à des
fusions musicales,parexemple."
Vivre dans l'échange
De son petit coin sombre, Bertrand
aperçoit à peine les gogo-danceurs
des "Nuits Blanches" qui envahissent
la scène. Echassiers, voltigeurs, cra-
cheurs de feu, cyberclowns, ces"trou-
badours de l'an 2000", comme ils se
définissent eux-mêmes, multiplient
les accoutrements visuels pour ce
qu'ils aiment appeler des"performan-
ces fantasmagoriques". En coulisses,
Ulrik et KKO, le noyau dur des "Nuits
Blanches", se préparent physique-
ment et psychologiquement à leur
show :"Les organisateurs de soirées
font appel à notre troupe pour créer une
atmosphère surréaliste. Nous nous mé-
tamorphosons en person-
nages sortis tout droit de
l'univers cyber." Maquil-
lage outrancier blanc et
rouge, hardes en faux cuir
moyenâgeuses et plate-
formes argentées, le tout
mâtiné d'érotisme ten-
dance sado-maso, ils re-
créent un futur de bric et
de broc entre Orange Mé-
canique, Mad Max et Star
Wars... "Nous faisons en
sorte que le public plonge
dans un état de véritable
rêve éveillé."
Dans la salle, on croise
des regards brillants, des
vêtements synthétiques,
des cheveux fushia, quel-
ques sourires genre guimauve fluo,
corps perchés haut sur des talons
compensés. Amateurs éclairés de
techno, mais cybernautes de circons-
tance... On est obligé d'écouter de la
techno pour faire partie du mouve-
ment cyber ?, a-t-on envie de crier au
milieu du maelstreem sonore. "Ça
veut dire quoi au juste, 'cyber'?", s'in-
terrogent, mais guère plus d'une se-
conde, les night-clubbers.Phrases ac-
coudées au bar : "La techno ouvre au
cyber, mais ce n'est pas automatique."
POUR BERTRAND,"tTRE CYBER",
C'EST VIVRE DES MOMENTS INTENSES
et les faire partager gratuitement,
parexemple en transmettant en
directsurson site Fanlive.com
des soirées techno, simplement
pour le plaisir d'échanger.
"Ceux qui disent cela ne savent pas
ce qu'est la techno,s'indigne Philippe,
créateur de l'association Dream Es-
cape, qui vient de présenter un pre-
mier site européen de ventes on-line
de CD virtuels. Notre premier instru-
ment est l'ordinateur. Et c'est le numé-
rique qui influence notre mode de pen-
sée: nous travaillons essentiellement
en échantillonnant des séquences mu-
sicales. Du coup, la notion de domaine
public qui régit la cyberculture est
très forte. Par définition, nous vivons
dans l'échange et le partage."Philippe
revendique aussi idées et bonnes in-
tentions :"Sur le Net, on échange des
idées, gratuitement. On aborde les re-
lations entre personnes de façon très
différente. Peu importe quel boulot tu
fais dans la vie, ce qui compte, c'est ce
que tu aimes. Peu importe la tête que
tu as ou ton âge, on te juge
surles résultats. C'est le rê-
ve américain dans le sens
où chacun part à chance
égale. L'idée de base, c'est :
j'ai des idées et elles sont
pas plus connes que les au-
tres ! "Cet état d'esprit,
Philippe l'attribue volon-
tiers à toute la tribu cyber.
Michael, le deuxième las-
car de Dream Escape, sort
un moment la tête de son
écran pour raconter com-
ment le Web a changé sa
vie:"Avant, j'étais ce qu'on
peut appeler un informati-
cien.rétais un garçon très
renfermé. Depuis que j'ai
découvert le Net, je me suis
BEHREND EUREZIOS
54 . SVM JANVIER 1998
ouvert au monde et je me sens nette-
ment mieux dans ma peau et dans ma
têtefy aiapprisle respect, le goût pour
l'art ainsi qu'une façon très zen de vi-
vre". Pour lui, son histoire s'inscrit
dans celle de sa génération :"Le mou-
vement est né d'un dé-
sespoir, de la fin d'une
quelconque croyance
en la télévision et la
politique. Alors, on a
cherché un lieu où la
diffusion de l'informa-
tion serait ouverte à
tout le monde, un lieu
où l'on puisse vraiment choisir ce que
l'on a envie de voir, écouter, découvrir."
La revanche des seventies?
Echangu. partage, rcalisatIon de soi
et mise en doute des rouages de la so-
ciété. Pour un peu, on croirait enten-
dre les discours de mai 68 et du Power
Flowers. Avec un brin de subversion
porté en boutonnière. Il n'est que de
se balader sur Internet pour voir que
l'on y touche du doigt une forme mo-
derne de contestation sociale. Les cy-
berpunks reprennent les idées anar-
chistes de leurs aînés seventies et, au
détour de magouilles électroniques,
s'amusent à détourner les lois habi-
tuelles du marché. Exemple : faites
ami-ami avec un cyperpunk et il vous
dévoilera son e-mail ultraconfiden-
tiel grâce auquel vous pourrez char-
ger vos disques préférés. Beau pied de
nez à l'industrie du disque... à condi-
tion d'aimer les Sex Pistols ! On lit
aussi régulièrement de longs articles
sur la philosophie des hackers, ces pi-
rates du Web qui défient les sites mis
sous le sceau du Secret Défense.
De fait, la culture cyber plonge ses
racines au début des années 70, et
ses gourous sont plutôt des quinqua-
génaires issus de ce mouvement-là.
Si le mot"cybercultu-
re" n'apparaît qu'en
1985, via un roman
culte de science fic-
tion, Neuromancien,
dû à la plume vision-
naire de William Gib-
son, la référence reste
Thimothy Leary, ex-
professeur à Havard, écrivain, théo-
ricien, humoriste, philosophe, poète
ou provocateur, c'est selon... Celui qui
fût l'apôtre du LSD, mort l'an passé
"en direct" (ses analyses médicales
étaient diffusées sur le Net au jour le
jour), défendait l'idée que "cyber
vient du grec"kubernetes",signifiant
"pilote".Du coup, le mouvement s'ins-
crirait, selon lui, dans une"tradition
socratique et platonicienne d'indépen-
dance et d'individualisme",loin du"gu-
bernator"latindu temps des Romains
qui signifie"gouverner".Latinistes et
hellénistes apprécieront. Pas si facile.
D'autant que la cyberculture s'expri-
me dans un lieu, le cyberespace, ou,
plus prosaïquement, Internet, dont
la mythologie n'est pas si reluisante :
sur son berceau se penchèrent, en
guise de bonnes fées, des militaires ;
le premier voeu était de flatter la pa-
ranoïa née de la guerre froide ; et au-
jourd'hui, les princes charmants sont
les plus gros consortiums améri-
cains... Un joli conte qui ne promet.
en définitive, d'engendrer que du
business sonnant et trébuchant.
La réalité est cruelle ? On peut se
consoler en allant chercher la vérité
ailleurs. Et retrouver, pourquoi pas,
de plus lointaines définitions. Celle,
par exemple, du mathématicien Nor-
bert Wierner, qui définissait dès 1948
la "cybernétique" comme"l'étude du
processus de commande et de commu-
nication chez les êtres vivants, et, par
extension,dansles machines et les sys-
tèmes sociologiques et économiques".
•30 millions
d'amis
internantes
Internet est aujourd'hui un
symbole majeur du cyberes-
pace. Son histoire remonte à
1969, lorsque le ministère de
la Défense américain décida
de construire Arpanet, soit
un réseau conçu pour résister
en cas d'éventuelle guerre
nucléaire. Très rapidement,
ce réseau se scinda en deux :
d'un côté, Milnet, réservé aux
militaires; de l'autre, un nou-
vel Arpanet, civil celui-là.
En 1972, Arpanet, devenu
Internet, rassemble une qua-
rantaine d'ordinateurs; en
1984, il en connecte plus de
mille. Jusqu'à 1986, où le
réseau est branché sur les
lignes publiques de transmis-
sions. En 1994 apparaissent
enfin les premières images
vidéo transmises par le réseau.
"L'histoire d'Internet est un
beau rêve américain", écrivit
en 1995 Thierry Platon dans le
magazine "Planète Internet".
"Celui d'une expérimentation
militaire qui s'est transformée
en monstre tentaculaire chao-
tique et anarchique: un cyber-
espace aux trente millions de
ramifications."
"Le cyber renoue
avec la tradition
platonicienne de
l'individualisme."
Thimothy Leary
JANVIER 1998 • SVM • 55
ENQUÊTE
Une définition que reprend d'ailleurs
le PetitLarousse. Une version officiel-
le, donc, que Thimothy Leary refu-
sait tout net. Pour lui, elle sous-en-
tend que l'esprit de l'homme serait
sous contrôle extérieur, et, pire, sous
l'oeil d'une machine. C'est BigBrother.
Le philosophe Pierre Lévy, auteur
en 1994 de L'intelligence collective-
Pour une anthropologie du cyberespa-
ce, a lui aussi vu l'intérêt de prendre
du champ par rapport aux définitions
institutionnalisées. A le suivre, le cy-
berespace serait un nouveau milieu
de communication, de pensée et de
travail dans lequel tout élément d'in-
formation se trouve en contact vir-
tuel avec n'importe quel autre et avec
tout un chacun... Ça donne déjà plus
envie. Et dans son nouvel ouvrage, La
Cyberculture, il tord le cou au com-
plexe militaro-industriel du Net en
rappelant l'étroit rapport qui existe
entre les développements technico-
industriels et la naissance de grands
courants culturels. Pour lui,"l'émer-
gence du cyberespace est le fruit d'un
véritable mouvement social".Et de dé-
finir les trois mots d'ordre de la nou-
velle génération :"Interconnexion,
création de communautés virtuelles,
intelligence collective".
Espace virtuel, vrai commerce
A ce propos, ohn Perry Barlow, qui
parcourt le monde pour défendre In-
ternet, explique :"Nous sommes en
train de dessiner le futur, dans le sens
le plus littéralduterme (...)Je pense qu'il
y a quelque chose dans la nature d'In-
ternet qui tend à créer un environne-
ment ouvert et libre, mais je n'ensuis pas
certain...pasassez, en touscas,pour me
dire que ça se fèra tout seul (...) Nous de-
vons faireavancer une culture qui soit
naturellement résistante aux tenta-
tions de l'autoritarisme et de l'enferme-
ment". Philippe Quéau, le nouveau
directeur des programmes informa-
tiques de l'Unesco, est depuis vingt-
cinq ans une des têtes pensantes de la
cyberculture dont le salon Imagina,
créé dès 1984, fut l'un des principaux
vecteurs de propagation au niveau
mondial. Et lui n'hésite pas à parler
(l'humanisme :"L'esprit cyber est par
définition partageur".Virtuellement,
par essence."Il est vrai que cela de-
vient fàcile d'être généreux quand on
n'est pas lié à la ma téria lité. Internet vé-
hicule la notion du bien commun. Et ce-
la jusque dans ses normes informa-
tiques. Désormais, une norme n'a de la
valeurquesi tout le monde la partage."
Seul hic au joli tableau : au-delà des
thuriféraires du cyberspace, le grand
mouvement culturel annoncé pour
le siècle prochain semble plutôt vé-
hiculé par des cybernautes ressem-
blant davantage à des businessmen à
la pointe de la technologie qu'à des
rêveurs perdus dans des mondes vir-
tuels. L'un développe des -home-stu-
dio" (studio d'enregistrement chez
soi), l'autre créé ses disques, ses sites-
et ça marche ! Le cyberespace est
bourré de cyberentrepreneurs... Mi-
FRAC! AU CYBIRESPACE, PHILIPPE IT
CRÉATIIIRS DE L'ASSOCIATION
Dream Escape, ont trouvé un lieu où il
est possible de vraiment choisir ce que
l'on a envie de voir, écouter, découvrir,
un lieu où leur histoire personnelle
s'inscrit aussi danscelle d'une généra-
tion confrontée au désespoir et à la fin
de la croyance en la politique.
•
• 0° 6 6
D _
56• SVM • JANVIER 1998
chael, rencontré au Mix Move, salon
techno-cyber qui s'est tenu à la Porte
de Versailles, est le seul à se reconnaî-
tre un gourou. En l'occurrence Mark
Pesce, l'inventeur du Virtual Reality
Modeling Language(VRML), le lan-
gage qui permet de simuler un uni-
vers 3D sur un écran 2D tout en con-
servant la logique de navigation du
Web. Une référence plutôt pragma-
tique. Quant à Philippe, notre créa-
teur de l'association Dream Escape, il
s'énerve tout rouge quand on lui de-
mande s'il s'estime intégré à un mou-
vement culturel:"Il faut arrêterde de-
mander aux jeunes ce qu'ils pensent,
contre quoi ils sont etpour quoi ilsmili-
tent. Noussommesdifférents, c'est tout".
"Les acteurs de la cyberculture n'ont
pasle recul nécessaire pour conceptua-
liser cequ'ils vivent, justifie ici Philip-
pe Quéau. Normal :c'est aux médias,
aux philoso-
phes ou aux
sociologues
de cette culture de de le faire...
Eux, ils ont
le nez dansle
le futur? Un ou deux guidon, et le
micros peut-êtrerplus souvent
moins de la
trentaine !"
"C'est tant mieux!, s'emporte même
Alain Le Diberder, qui a pourtant dé-
passé la quarantaine... Il était temps
d'arrêter la persécution des soixante-
huitards s'esclaffant à tout va que, de-
puis eux, rien n'a été inventé ! Le cyber,
c'est comme un ouvre-boîtes. Dans un
univers vierge, le monde &Internet,
avec des outils dont la génération pré-
cédente n'a pas su s'emparer, une géné-
ration bâillonnée par le tir de barrage
des soixante-huitards est en train de
trouver un terrain d'expression."
Reste le grand, le vrai bonheur des
jeunes gens d'aujourd'hui à fréquen-
ter les ordinateurs. Beaucoup de cy-
bernautes l'avouent : "Tantque j'ai des
micros autour de moi, je suis heureux."
Au point que c'en est presque un leit-
motiv. Et le jeune thésard d'expli-
quer que la cyberculture est précisé-
ment une tentative d'humanisation
d'une technologie froide et a priori
La lutte des
classes sur
Internet
En juin 1996, la Confédération
internationale des syndicats
libres (C151) ouvre un site sur
Internet et donne naissance
aux premiers cyberprolos.
Un an après, la CISL jette les
jalons d'une cyber-Internatio-
mile des travailleurs : "Il faut
savoir retourner les armes
(des multinationales) qui, les
premières, se sont servies des
nouvelles technologies de l'in-
formation pour doper la mon-
dialisation, et aussi leurs pro-
fits", lit-on dans le journal
"Le Monde syndical".
Apparemment, Internet est
devenu un moyen de pression
efficace sur le patronat. Les
cyberprolos peuvent inonder
de courriers électroniques les
grands patrons, poser des cy-
berpiquets de grève, ou encore
appeler en ligne au boycotta-
ge de certaines sociétés. Seul
bémol à cette aventure, selon
la CISL : "C'est ici le monde du
spontané, avec les inévitables
petits grains de folie qui font
le charme des médias... mais
qui font aussi parfois grincer
les rouages de la communica-
tion syndicale, traditionnelle-
ment verticale".
étrangère, voire hostile. Pour lui, la
nouvelle génération part du constat
qu'il est impossible d'échapper aux
machines ; elle aurait donc décidé
d'en faire une source de plaisir, de
communication et de spiritualité,
s'appropriant la technologie de façon
créative. Ce que Marshall Mc Luhan,
dans La Galaxie Gutenberg, pointait
déjà lorsqu'il définissait les techno-
logies comme un prolongement de
nos sens... A partir de là, lorsque l'on
naît avec une console vidéo dans les
mains, que deviennent les écrans si-
non un prolongement de l'enfance ?
Un bonheur, malgré tout, qui se
transforme rapidement en besoin
vital... Ce que Thimothy Leary tra-
duisait par un "appétit pour les don-
nées numériques, toujours plus, tou-
jours plus vite (..) Le cerveau a besoin
d'électrons et de stimulants autant que
le corps a besoin d'oxygène. Les nutri-
tionnistes calculent nos besoins quoti-
diens en vitamines. Il est temps que les
psybernéticiens établissent la liste de
nos besoins quotidiens en matière d'in-
formations numériques". Assumant
sans réserve l'inédite situation créée
par les nouvelles technologies, ce gé-
nial démiurge pousse le cyberbou-
chon jusqu'à formuler une véritable
cosmogonie contemporaine. A l'en
croire, de même que"la créature ma-
rine des origines a dû s'inventer une
nouvelle écorce pour affronter la vie
sur la terre", le passage à l'ère cyber-
culturelle - qu'il préfère appeler"cy-
beria" -va nous obliger à "utiliser les
outils numériques pour coloniser du-
rablement le cyberespace".
Sur les traces du futur
Des outils qui, pour Philippe Quéau,
signent la naissance d'un nouvel al-
phabet - le numérique - et d'une nou-
velle imprimerie - les réseaux -, en
charge d'établir un nouveau modèle
de civilisation. Eh quoi ? des outils
pour faire une culture ? Pour les ar-
chéologues, c'est évident. Dominique
Baffier, auteur du Dictionnaire de la
Préhistoire, rappelle à ce sujet que les
cultures du paléolithique se définis-
sent par rapport à l'évolution des ou-
tils utilisés par les hommes."La pre-
mière raison est que ce sont les seules
choses qui nous restent de cette épo-
que..." Et de s'amuser à se projeter en
imagination dans l'avenir : "Que res-
tera-t-il de nousdansquelques dizaines
de siècles ? Tout le savoir du monde
porté sur Internet, un réseau immaté-
riel ? Quand on voit comment les pa-
rois des grottes ont eu du mal à résister
au temps ! Peut-être,alors,qu'il nenous
restera que quelques ordinateurs à étu-
dier... Les archéologues font avec ce
qu'ils ont. Et peut-être que notre monde
actuelsera défini à partir de un ou deux
vieux micros...". Mais là, seules les
chroniques du futur diront si, aux
alentours de l'an 2000, l'homme in-
venta la culture de l'immatériel. Et
quelles traces celle-ci laissa. s
"flue restera-t-11
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JANVIER 1998 • SVM • 57

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Svm 156-m2606-dream-escape.org

  • 1. THINOTRY LIIIRY, APRÈS AVOIR ÉTÉ L'Aimerai ou Ln dans les années soixante, est devenu l'un desgourousde la cyberculture, défendant l'idée d'un cyberespace ouvert aux expériences individuelles contre tout désir de chercher à legouverner. VI VI VI o o ENQUÊTE Dis papa c'est quoi a cyberPhénomène de mode ou terreau de la culture des siècles prochains, la cyberculture se conjugue aujourd'hui à toutes les sauces. Sur le terrain, et aussi chez les penseurs du mouvement, nous avons cherché à savoir ce qu'être cyber veut dire. Pas évident. par DelphineSabbatier
  • 2. culturedd a cyberculture est une ar- naque !" Etonnant pro- pos de la part d'Alain Le Diberder, initiateur de l'émission télé du même nom et qui, à ce titre, revendique la paternité du terme en France... Et le responsable des nouveaux pro- grammes de Canal+ de s'expliquer : "La cyberculturea été construite par les médias,pour les médias. C'est un terme pratique parce qu'il fédère des courants de mode. C'est devenu une boîte à chaussures dans laquelle on case tout ce que l'on veut dire. Et c'est là que commence l'escroquerie." Ce qui est vrai en tout cas, c'est que le mot "cyberculture" et ses dérivés (cybercafé, cyberpunk, cybersexe, cybermonde, etc.) ont fait florès. Le premier cyberpolar français, Les Ra- cines du mal de Maurice G. Dantec, s'est vendu à des milliers d'exem- plaires ; un étudiant en sociologie a présenté sa thèse sur "La cybercul- ture: les nouvelles technologies et la société contemporaine"; et, référence entre toutes, Le Mondea récemment publié un édito défendant le mouve- ment techno et la culture cyber... Pas supplémentaire dans la reconnais- sance institutionnelle : le Conseil de l'Europe lui-même a commandé à Pierre Lévy, prosélyte des nouvelles technologies, un rapport"pourpenser la cyberculture".Pas de doute, tout le monde veut en être. Mais au fait, ké- zako la cyberculture ? Phénomène de mode ou pas, nom- breux sont les jeunes, tel Bertrand, croisé dans une soirée "techno-house- tribale", qui y croient dur comme fer, à la cyberculture. Et parmi tous les autres, il définit sa tribu comme l'ensemble de ceux "qui naviguent sur le Net,qui ont la foien une techno- logie accessible à tout le monde et en une gratuité des échanges mondiaux". Transmettre son plaisir Ce samedi soir-là, au Bataclan, les tympans s'affolent au rythme des basses de la musique techno, bour- donnent d'hypnoses auditives. Ber- trand, lui, garde les yeux rivés sur l'écran d'un ordinateur. Il s'affaire dans le but de retransmettre la fête sur Internet. "Sur notre site Fanlive .com, lesJaponais peuvent suivre la soirée avec nous, en direct, c'est ça la culture cyber.Je vis des moments ex- traordinaires et je les transmets, juste pour le plaisir.Nous créons une unité SVM • JANVIER »98 • 53
  • 3. ENQUÊTE --•••11111111•1181.1ffl......n..m.. mondiale. Internet permet d'échanger des savoir-faire et peut aboutir à des fusions musicales,parexemple." Vivre dans l'échange De son petit coin sombre, Bertrand aperçoit à peine les gogo-danceurs des "Nuits Blanches" qui envahissent la scène. Echassiers, voltigeurs, cra- cheurs de feu, cyberclowns, ces"trou- badours de l'an 2000", comme ils se définissent eux-mêmes, multiplient les accoutrements visuels pour ce qu'ils aiment appeler des"performan- ces fantasmagoriques". En coulisses, Ulrik et KKO, le noyau dur des "Nuits Blanches", se préparent physique- ment et psychologiquement à leur show :"Les organisateurs de soirées font appel à notre troupe pour créer une atmosphère surréaliste. Nous nous mé- tamorphosons en person- nages sortis tout droit de l'univers cyber." Maquil- lage outrancier blanc et rouge, hardes en faux cuir moyenâgeuses et plate- formes argentées, le tout mâtiné d'érotisme ten- dance sado-maso, ils re- créent un futur de bric et de broc entre Orange Mé- canique, Mad Max et Star Wars... "Nous faisons en sorte que le public plonge dans un état de véritable rêve éveillé." Dans la salle, on croise des regards brillants, des vêtements synthétiques, des cheveux fushia, quel- ques sourires genre guimauve fluo, corps perchés haut sur des talons compensés. Amateurs éclairés de techno, mais cybernautes de circons- tance... On est obligé d'écouter de la techno pour faire partie du mouve- ment cyber ?, a-t-on envie de crier au milieu du maelstreem sonore. "Ça veut dire quoi au juste, 'cyber'?", s'in- terrogent, mais guère plus d'une se- conde, les night-clubbers.Phrases ac- coudées au bar : "La techno ouvre au cyber, mais ce n'est pas automatique." POUR BERTRAND,"tTRE CYBER", C'EST VIVRE DES MOMENTS INTENSES et les faire partager gratuitement, parexemple en transmettant en directsurson site Fanlive.com des soirées techno, simplement pour le plaisir d'échanger. "Ceux qui disent cela ne savent pas ce qu'est la techno,s'indigne Philippe, créateur de l'association Dream Es- cape, qui vient de présenter un pre- mier site européen de ventes on-line de CD virtuels. Notre premier instru- ment est l'ordinateur. Et c'est le numé- rique qui influence notre mode de pen- sée: nous travaillons essentiellement en échantillonnant des séquences mu- sicales. Du coup, la notion de domaine public qui régit la cyberculture est très forte. Par définition, nous vivons dans l'échange et le partage."Philippe revendique aussi idées et bonnes in- tentions :"Sur le Net, on échange des idées, gratuitement. On aborde les re- lations entre personnes de façon très différente. Peu importe quel boulot tu fais dans la vie, ce qui compte, c'est ce que tu aimes. Peu importe la tête que tu as ou ton âge, on te juge surles résultats. C'est le rê- ve américain dans le sens où chacun part à chance égale. L'idée de base, c'est : j'ai des idées et elles sont pas plus connes que les au- tres ! "Cet état d'esprit, Philippe l'attribue volon- tiers à toute la tribu cyber. Michael, le deuxième las- car de Dream Escape, sort un moment la tête de son écran pour raconter com- ment le Web a changé sa vie:"Avant, j'étais ce qu'on peut appeler un informati- cien.rétais un garçon très renfermé. Depuis que j'ai découvert le Net, je me suis BEHREND EUREZIOS 54 . SVM JANVIER 1998
  • 4. ouvert au monde et je me sens nette- ment mieux dans ma peau et dans ma têtefy aiapprisle respect, le goût pour l'art ainsi qu'une façon très zen de vi- vre". Pour lui, son histoire s'inscrit dans celle de sa génération :"Le mou- vement est né d'un dé- sespoir, de la fin d'une quelconque croyance en la télévision et la politique. Alors, on a cherché un lieu où la diffusion de l'informa- tion serait ouverte à tout le monde, un lieu où l'on puisse vraiment choisir ce que l'on a envie de voir, écouter, découvrir." La revanche des seventies? Echangu. partage, rcalisatIon de soi et mise en doute des rouages de la so- ciété. Pour un peu, on croirait enten- dre les discours de mai 68 et du Power Flowers. Avec un brin de subversion porté en boutonnière. Il n'est que de se balader sur Internet pour voir que l'on y touche du doigt une forme mo- derne de contestation sociale. Les cy- berpunks reprennent les idées anar- chistes de leurs aînés seventies et, au détour de magouilles électroniques, s'amusent à détourner les lois habi- tuelles du marché. Exemple : faites ami-ami avec un cyperpunk et il vous dévoilera son e-mail ultraconfiden- tiel grâce auquel vous pourrez char- ger vos disques préférés. Beau pied de nez à l'industrie du disque... à condi- tion d'aimer les Sex Pistols ! On lit aussi régulièrement de longs articles sur la philosophie des hackers, ces pi- rates du Web qui défient les sites mis sous le sceau du Secret Défense. De fait, la culture cyber plonge ses racines au début des années 70, et ses gourous sont plutôt des quinqua- génaires issus de ce mouvement-là. Si le mot"cybercultu- re" n'apparaît qu'en 1985, via un roman culte de science fic- tion, Neuromancien, dû à la plume vision- naire de William Gib- son, la référence reste Thimothy Leary, ex- professeur à Havard, écrivain, théo- ricien, humoriste, philosophe, poète ou provocateur, c'est selon... Celui qui fût l'apôtre du LSD, mort l'an passé "en direct" (ses analyses médicales étaient diffusées sur le Net au jour le jour), défendait l'idée que "cyber vient du grec"kubernetes",signifiant "pilote".Du coup, le mouvement s'ins- crirait, selon lui, dans une"tradition socratique et platonicienne d'indépen- dance et d'individualisme",loin du"gu- bernator"latindu temps des Romains qui signifie"gouverner".Latinistes et hellénistes apprécieront. Pas si facile. D'autant que la cyberculture s'expri- me dans un lieu, le cyberespace, ou, plus prosaïquement, Internet, dont la mythologie n'est pas si reluisante : sur son berceau se penchèrent, en guise de bonnes fées, des militaires ; le premier voeu était de flatter la pa- ranoïa née de la guerre froide ; et au- jourd'hui, les princes charmants sont les plus gros consortiums améri- cains... Un joli conte qui ne promet. en définitive, d'engendrer que du business sonnant et trébuchant. La réalité est cruelle ? On peut se consoler en allant chercher la vérité ailleurs. Et retrouver, pourquoi pas, de plus lointaines définitions. Celle, par exemple, du mathématicien Nor- bert Wierner, qui définissait dès 1948 la "cybernétique" comme"l'étude du processus de commande et de commu- nication chez les êtres vivants, et, par extension,dansles machines et les sys- tèmes sociologiques et économiques". •30 millions d'amis internantes Internet est aujourd'hui un symbole majeur du cyberes- pace. Son histoire remonte à 1969, lorsque le ministère de la Défense américain décida de construire Arpanet, soit un réseau conçu pour résister en cas d'éventuelle guerre nucléaire. Très rapidement, ce réseau se scinda en deux : d'un côté, Milnet, réservé aux militaires; de l'autre, un nou- vel Arpanet, civil celui-là. En 1972, Arpanet, devenu Internet, rassemble une qua- rantaine d'ordinateurs; en 1984, il en connecte plus de mille. Jusqu'à 1986, où le réseau est branché sur les lignes publiques de transmis- sions. En 1994 apparaissent enfin les premières images vidéo transmises par le réseau. "L'histoire d'Internet est un beau rêve américain", écrivit en 1995 Thierry Platon dans le magazine "Planète Internet". "Celui d'une expérimentation militaire qui s'est transformée en monstre tentaculaire chao- tique et anarchique: un cyber- espace aux trente millions de ramifications." "Le cyber renoue avec la tradition platonicienne de l'individualisme." Thimothy Leary JANVIER 1998 • SVM • 55
  • 5. ENQUÊTE Une définition que reprend d'ailleurs le PetitLarousse. Une version officiel- le, donc, que Thimothy Leary refu- sait tout net. Pour lui, elle sous-en- tend que l'esprit de l'homme serait sous contrôle extérieur, et, pire, sous l'oeil d'une machine. C'est BigBrother. Le philosophe Pierre Lévy, auteur en 1994 de L'intelligence collective- Pour une anthropologie du cyberespa- ce, a lui aussi vu l'intérêt de prendre du champ par rapport aux définitions institutionnalisées. A le suivre, le cy- berespace serait un nouveau milieu de communication, de pensée et de travail dans lequel tout élément d'in- formation se trouve en contact vir- tuel avec n'importe quel autre et avec tout un chacun... Ça donne déjà plus envie. Et dans son nouvel ouvrage, La Cyberculture, il tord le cou au com- plexe militaro-industriel du Net en rappelant l'étroit rapport qui existe entre les développements technico- industriels et la naissance de grands courants culturels. Pour lui,"l'émer- gence du cyberespace est le fruit d'un véritable mouvement social".Et de dé- finir les trois mots d'ordre de la nou- velle génération :"Interconnexion, création de communautés virtuelles, intelligence collective". Espace virtuel, vrai commerce A ce propos, ohn Perry Barlow, qui parcourt le monde pour défendre In- ternet, explique :"Nous sommes en train de dessiner le futur, dans le sens le plus littéralduterme (...)Je pense qu'il y a quelque chose dans la nature d'In- ternet qui tend à créer un environne- ment ouvert et libre, mais je n'ensuis pas certain...pasassez, en touscas,pour me dire que ça se fèra tout seul (...) Nous de- vons faireavancer une culture qui soit naturellement résistante aux tenta- tions de l'autoritarisme et de l'enferme- ment". Philippe Quéau, le nouveau directeur des programmes informa- tiques de l'Unesco, est depuis vingt- cinq ans une des têtes pensantes de la cyberculture dont le salon Imagina, créé dès 1984, fut l'un des principaux vecteurs de propagation au niveau mondial. Et lui n'hésite pas à parler (l'humanisme :"L'esprit cyber est par définition partageur".Virtuellement, par essence."Il est vrai que cela de- vient fàcile d'être généreux quand on n'est pas lié à la ma téria lité. Internet vé- hicule la notion du bien commun. Et ce- la jusque dans ses normes informa- tiques. Désormais, une norme n'a de la valeurquesi tout le monde la partage." Seul hic au joli tableau : au-delà des thuriféraires du cyberspace, le grand mouvement culturel annoncé pour le siècle prochain semble plutôt vé- hiculé par des cybernautes ressem- blant davantage à des businessmen à la pointe de la technologie qu'à des rêveurs perdus dans des mondes vir- tuels. L'un développe des -home-stu- dio" (studio d'enregistrement chez soi), l'autre créé ses disques, ses sites- et ça marche ! Le cyberespace est bourré de cyberentrepreneurs... Mi- FRAC! AU CYBIRESPACE, PHILIPPE IT CRÉATIIIRS DE L'ASSOCIATION Dream Escape, ont trouvé un lieu où il est possible de vraiment choisir ce que l'on a envie de voir, écouter, découvrir, un lieu où leur histoire personnelle s'inscrit aussi danscelle d'une généra- tion confrontée au désespoir et à la fin de la croyance en la politique. • • 0° 6 6 D _ 56• SVM • JANVIER 1998
  • 6. chael, rencontré au Mix Move, salon techno-cyber qui s'est tenu à la Porte de Versailles, est le seul à se reconnaî- tre un gourou. En l'occurrence Mark Pesce, l'inventeur du Virtual Reality Modeling Language(VRML), le lan- gage qui permet de simuler un uni- vers 3D sur un écran 2D tout en con- servant la logique de navigation du Web. Une référence plutôt pragma- tique. Quant à Philippe, notre créa- teur de l'association Dream Escape, il s'énerve tout rouge quand on lui de- mande s'il s'estime intégré à un mou- vement culturel:"Il faut arrêterde de- mander aux jeunes ce qu'ils pensent, contre quoi ils sont etpour quoi ilsmili- tent. Noussommesdifférents, c'est tout". "Les acteurs de la cyberculture n'ont pasle recul nécessaire pour conceptua- liser cequ'ils vivent, justifie ici Philip- pe Quéau. Normal :c'est aux médias, aux philoso- phes ou aux sociologues de cette culture de de le faire... Eux, ils ont le nez dansle le futur? Un ou deux guidon, et le micros peut-êtrerplus souvent moins de la trentaine !" "C'est tant mieux!, s'emporte même Alain Le Diberder, qui a pourtant dé- passé la quarantaine... Il était temps d'arrêter la persécution des soixante- huitards s'esclaffant à tout va que, de- puis eux, rien n'a été inventé ! Le cyber, c'est comme un ouvre-boîtes. Dans un univers vierge, le monde &Internet, avec des outils dont la génération pré- cédente n'a pas su s'emparer, une géné- ration bâillonnée par le tir de barrage des soixante-huitards est en train de trouver un terrain d'expression." Reste le grand, le vrai bonheur des jeunes gens d'aujourd'hui à fréquen- ter les ordinateurs. Beaucoup de cy- bernautes l'avouent : "Tantque j'ai des micros autour de moi, je suis heureux." Au point que c'en est presque un leit- motiv. Et le jeune thésard d'expli- quer que la cyberculture est précisé- ment une tentative d'humanisation d'une technologie froide et a priori La lutte des classes sur Internet En juin 1996, la Confédération internationale des syndicats libres (C151) ouvre un site sur Internet et donne naissance aux premiers cyberprolos. Un an après, la CISL jette les jalons d'une cyber-Internatio- mile des travailleurs : "Il faut savoir retourner les armes (des multinationales) qui, les premières, se sont servies des nouvelles technologies de l'in- formation pour doper la mon- dialisation, et aussi leurs pro- fits", lit-on dans le journal "Le Monde syndical". Apparemment, Internet est devenu un moyen de pression efficace sur le patronat. Les cyberprolos peuvent inonder de courriers électroniques les grands patrons, poser des cy- berpiquets de grève, ou encore appeler en ligne au boycotta- ge de certaines sociétés. Seul bémol à cette aventure, selon la CISL : "C'est ici le monde du spontané, avec les inévitables petits grains de folie qui font le charme des médias... mais qui font aussi parfois grincer les rouages de la communica- tion syndicale, traditionnelle- ment verticale". étrangère, voire hostile. Pour lui, la nouvelle génération part du constat qu'il est impossible d'échapper aux machines ; elle aurait donc décidé d'en faire une source de plaisir, de communication et de spiritualité, s'appropriant la technologie de façon créative. Ce que Marshall Mc Luhan, dans La Galaxie Gutenberg, pointait déjà lorsqu'il définissait les techno- logies comme un prolongement de nos sens... A partir de là, lorsque l'on naît avec une console vidéo dans les mains, que deviennent les écrans si- non un prolongement de l'enfance ? Un bonheur, malgré tout, qui se transforme rapidement en besoin vital... Ce que Thimothy Leary tra- duisait par un "appétit pour les don- nées numériques, toujours plus, tou- jours plus vite (..) Le cerveau a besoin d'électrons et de stimulants autant que le corps a besoin d'oxygène. Les nutri- tionnistes calculent nos besoins quoti- diens en vitamines. Il est temps que les psybernéticiens établissent la liste de nos besoins quotidiens en matière d'in- formations numériques". Assumant sans réserve l'inédite situation créée par les nouvelles technologies, ce gé- nial démiurge pousse le cyberbou- chon jusqu'à formuler une véritable cosmogonie contemporaine. A l'en croire, de même que"la créature ma- rine des origines a dû s'inventer une nouvelle écorce pour affronter la vie sur la terre", le passage à l'ère cyber- culturelle - qu'il préfère appeler"cy- beria" -va nous obliger à "utiliser les outils numériques pour coloniser du- rablement le cyberespace". Sur les traces du futur Des outils qui, pour Philippe Quéau, signent la naissance d'un nouvel al- phabet - le numérique - et d'une nou- velle imprimerie - les réseaux -, en charge d'établir un nouveau modèle de civilisation. Eh quoi ? des outils pour faire une culture ? Pour les ar- chéologues, c'est évident. Dominique Baffier, auteur du Dictionnaire de la Préhistoire, rappelle à ce sujet que les cultures du paléolithique se définis- sent par rapport à l'évolution des ou- tils utilisés par les hommes."La pre- mière raison est que ce sont les seules choses qui nous restent de cette épo- que..." Et de s'amuser à se projeter en imagination dans l'avenir : "Que res- tera-t-il de nousdansquelques dizaines de siècles ? Tout le savoir du monde porté sur Internet, un réseau immaté- riel ? Quand on voit comment les pa- rois des grottes ont eu du mal à résister au temps ! Peut-être,alors,qu'il nenous restera que quelques ordinateurs à étu- dier... Les archéologues font avec ce qu'ils ont. Et peut-être que notre monde actuelsera défini à partir de un ou deux vieux micros...". Mais là, seules les chroniques du futur diront si, aux alentours de l'an 2000, l'homme in- venta la culture de l'immatériel. Et quelles traces celle-ci laissa. s "flue restera-t-11 T'immatériel dans JANVIER 1998 • SVM • 57