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__________
MÉMOIRE
Présenté en vue d'obtenir
Master Sciences du Management
__________
L’esport, un sport comme les autres ?
Alexis TISSERAND
__________________________________________________________________________
Sous la direction de : M. Cédric GHETTY
2
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION .......................................................................................................................................... 4
PARTIE 1. L’ESPORT, UNE PRATIQUE MAL DÉFINIE ET STÉRÉOTYPÉE........... 10
A. L’ESPORT, QU’EST-CE QUE C’EST ?...................................................................... 11
1. Quelques notions utiles à la compréhension de l’esport........................................... 11
2. Les jeux esportifs : neuf disciplines qui se démarquent ............................................ 13
3. Comment définir précisément l’esport ? ................................................................... 15
B. LE SPORT, UNE NOTION AMBIGÜE ....................................................................... 16
1. La vision hygiéniste du sport..................................................................................... 17
2. Les définitions « officielles » du sport....................................................................... 18
3. La définition sociologique du sport pour régler le problème.................................... 19
C. MÉTHODOLOGIE ET OUTILS .................................................................................. 21
1. Aperçu général du panel : approche quantitative..................................................... 21
2. Le rapport au sport chez les sondés : analyse qualitative......................................... 24
3. Le rapport à l’esport chez les sondés : analyse qualitative ...................................... 26
PARTIE 2. L’ESPORT, UNE PRATIQUE À LA MOTRICITÉ DÉTERMINANTE ?.. 32
A. UN RAPPORT À LA DÉPENSE ÉNERGÉTIQUE QUI POSE PROBLÈME............. 33
1. Un rapport à l’activité physique nécessaire dans le sport ?..................................... 33
2. Activité physique ou activité motrice ?...................................................................... 35
B. L’ESPORT, UNE PRATIQUE DE NATURE MOTRICE............................................ 38
1. Les blessures physiques et psychologiques : première preuve de l’importance du
corps dans l’esport............................................................................................................ 38
2. Mise en situation d’une compétition d’esport : League Of Legends – Worlds 2017 41
C. JEUX VIDEO DIFFÉRENTS, MOTRICITÉ ÉGALE ?............................................... 51
3
PARTIE 3. COMPÉTITION, CODIFICATION ET INSTITUTIONNALISATION :
L’ESPORT EST-IL ENFIN UN SPORT ?......................................................................................... 54
A. ESPORT ET SYSTÈME COMPÉTITIF....................................................................... 55
1. Historique et grandes dates de l’esport..................................................................... 56
2. La saison 7 de League Of Legends : de la pré-saison aux Worlds ........................... 64
B. ESPORT ET CODIFICATION ..................................................................................... 76
1. Le programme informatique des développeurs : la régulation implicite.................. 76
2. La codification compétitive des organisateurs : la régulation explicite ................... 78
C. ESPORT ET INSTITUTIONNALISATION ................................................................ 85
1. Institutionnalisation associative, privée et gouvernementale.................................... 86
2. L’esport en France : volonté de reconnaissance ou passage sous silence ? ............ 94
D. L’ESPORT, PAS UN SPORT… MAIS UNE INDUSTRIE SPORTIVISÉE ?............. 95
1. L’écosystème esportif : chiffres et acteurs de l’esport .............................................. 96
2. Populaire et médiatique : l’esport, une activité à part............................................ 100
CONCLUSION............................................................................................................................................ 103
BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................................................... 107
ANNEXES...................................................................................................................................................... 113
ANNEXE 1 : LEXIQUE..................................................................................................... 114
ANNEXE 2 : TOUS LES ESPORTS.................................................................................. 118
ANNEXE 3 : QUESTIONNAIRE DE RECHERCHE ....................................................... 119
ANNEXE 4 : RÉPONSES AU QUESTIONNAIRE........................................................... 126
4
INTRODUCTION
INTRODUCTION
C’est un fait : l’esport est devenu « mainstream ». Méconnu il y a de cela une dizaine d’années,
le sport électronique est devenu aujourd’hui une activité incontournable, passant d’une niche
d’adeptes de dizaines de milliers d’individus à un phénomène mondial. Un véritable business
s’est amorcé autour de l’esport, confirmant ainsi son évolution exceptionnelle qui ne décroîtra
pas de sitôt. Chaque année semble être un tournant pour cette discipline : l’arrivée de nouveaux
jeux (Overwatch en 2016, Fortnite : Battle Royale en 2017, 8ème
saison de League Of Legends
en 2018…) et de nouvelles compétitions, augmentent indiscutablement le chiffre d’affaires
esportif et le nombre de (télé)-spectateurs. Selon les études récentes (décembre 2017) de
SuperData le marché financier annuel de l’esport (réparti principalement en Europe, Asie et
Amérique du Nord) représente 1.5 milliards de dollars de revenus1
en 2017 et accroîtra
théoriquement de 26% en 2020. Ces résultats proviennent surtout des revenus associés aux
sponsors, produits dérivés, publicité et vente de tickets.
Mais l’esport, ce n’est pas qu’une histoire de chiffres. L’esport, c’est aussi un engouement digne
des plus grands sports « traditionnels ». Avec un nombre croissant de compétitions
internationales, des retransmissions de matchs via des plateformes de streaming (Youtube live,
Twitch …) et même via des chaînes télévisées (L’Équipe 21 en France a retransmis la finale de
la Coupe du monde de l'ESWC sur Fifa 172
), des cashprizes (récompenses) en constante
évolution et des investisseurs privés pourvoyeurs de fonds dans une optique de visibilité, le
sport électronique a atteint une popularité exceptionnelle qui attire, bouleverse et influence nos
sociétés actuelles. Par exemple, les Worlds 2017 du jeu League Of Legends ont atteint une
moyenne d’audience de 33 millions de spectateurs et engendrés 4.3 milliards d’heures vues sur
l’ensemble du tournoi.3
Il ne faut pas oublier également qu’en août 2017, Tony ESTANGUET
(coprésident du Comité Paris 2024) a véritablement jeté un pavé dans la mare en mentionnant
la possibilité d’intégrer l’esport aux Jeux Olympiques : « Les jeunes s'intéressent à l'esport et
ce genre de choses. Donc oui, faisons de même, rencontrons ses représentants, voyons si l'on
peut établir des liens ou pas. Je ne veux pas dire non tout de suite. Je pense que c'est intéressant
qu'on discute tous ensemble pour mieux comprendre comment ça fonctionne et pourquoi
1
SuperData Research (Décembre 2017) Esports Courtside: Playmakers of 2017. Disponible sur
www.superdataresearch.com
2
Site L’Équipe 21, https://www.lequipe.fr/Esport/Actualites/L-esport-et-fifa-de-retour-sur-la-chaine-l-
equipe/740421
3
Statistiques des Worlds 2017 en Chine, https://esc.watch/tournaments/lol/2017-world-championship
6
l'esport a autant de succès ».4
Qu’une aussi grande institution se soucie du futur rôle à jouer de
l’esport dans la plus importante compétition sportive internationale prouve l’impact social que
possède cet univers vidéoludique.
Néanmoins, cette popularité est désormais à double tranchant, engrangeant de nouveaux
préjugés, attisant des anciens. Aujourd’hui, la facilité d’accès aux jeux vidéo grâce à la
multiplication des supports (ordinateurs, consoles, téléphones…) favorise les discours
stigmatisants, surtout vis-à-vis des jeunes. Associés au décrochage scolaire, à l’isolement social
ou encore à la sédentarité par de nombreux médias, les jeux vidéo souffrent d’idées reçues et le
récent débat autour de la notion de « sport » électronique n’a fait qu’accroitre les stéréotypes.
Les critiques acerbes autour du jeu vidéo compétitif ne concernent cependant qu’un point en
particulier : son rapport à l’activité physique. En effet, de nombreuses personnalités
médiatiques, spécialistes ou non dans la question5
mettent en exergue que « l’esport, ce n’est
pas une activité physique »6
et que le considérer comme tel serait une aberration. Et pourtant,
son impact en tant que véritable phénomène culturel chez les jeunes générations et son
retentissement social tendent à légitimer la prise de conscience des institutions
gouvernementales sur la question « esportive ». Et c’est aujourd’hui chose faite puisque depuis
le 7 octobre 2016, la pratique compétitive de jeux vidéo est officiellement reconnue par l’Etat
Français7
. Mais bien que dorénavant encadrée et non plus considérée comme jeu de hasard,
cette pratique suscite encore d’autres interrogations. La première et plus importante : comment
définir l’esport ?
Aujourd’hui, aucune définition n’est véritablement officielle même si certains sociologues du
sport à l’instar de WAGNER ont essayé de s’y aventurer. Ainsi si WAGNER affirme que
« l’esport est l’ensemble des activités sportives dans lequel les individus développent et
améliorent leurs capacités mentales ou physiques par l’intermédiaire des technologies de
4
Discours de Tony ESTANGUET, co-président du Comité Paris 2024, à propos de l’intégration de la possibilité
d’intégrer l’Esport aux JO de Paris 20124, https://www.apnews.com/ca6640ffde80403ea17f339247192324
5
AUDUREAU, Antoine de Caunes s'excuse d'avoir « froissé » les joueurs de jeu vidéo. Antoine de CAUNES au
Grand Journal critique de manière très condescendante les gamers visionnant des streams sur Internet en
s’exclamant « qu’il ne faut vraiment rien d’autre à foutre de sa vie »
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/09/01/antoine-de-caunes-s-excuse-d-avoir-froisse-les-joueurs-de-jeu-
video_4479800_4408996.html
6
Interview de Teddy Riner, champion Olympique de Judo exprimant son désarroi face à la possible instauration
de l’esport aux Jeux Olympiques, http://rmcsport.bfmtv.com/mediaplayer/video/t-riner-l-esport-n-a-rien-a-faire-
aux-j-o-ce-n-est-pas-une-activite-physique-984913.html
7
La loi pour une République Numérique permet d’encadrer la pratique de compétition de jeux vidéo depuis le 7
octobre 2016 https://www.economie.gouv.fr/entreprises/e-sport
7
l’information et de la communication »8
, il en néglige totalement l’aspect compétitif du sport
électronique qui fait pourtant partie intégrante de cette pratique. Il convient donc de repréciser
la définition et nous en resterons pour l’instant à celle de Nicolas BESOMBES, Docteur en
Sciences du Sport, assimilant « le sport électronique comme un affrontement codifié de joueurs,
par écran(s) interposé(s), lors de compétitions online ou offline de jeux vidéo9
». BESOMBES
précise ainsi quatre conditions pour « circonscrire le phénomène : l’affrontement entre joueurs
réels, l’organisation de compétitions, leur règlementation, et le lieu de l’affrontement, à savoir
l’univers réel du jeu vidéo retransmis sur des écrans ». Afin de compléter au mieux cette
première approche, il convient de rajouter que tout comme dans les « sports traditionnels », la
pratique amateure est majoritaire, celle professionnelle plutôt marginale, réservée à l’élite des
joueurs et salariés par des structures privées. Enfin, après des recherches approfondies, nous
utiliserons l’orthographe « esport » pour parler du sport électronique puisque d’après les
travaux linguistiques de SAELENS et ROGERIE (2015) seuls deux orthographes pourraient
être admises10
: « e-sport » rappelant l’abréviation « électronique » et « esport » comme nom
commun. Esport sera l’orthographe utilisée dans ce mémoire, par pur choix personnel.
Depuis toujours passionné par les jeux vidéo indépendants ou « artistiques », je me suis
intéressé aux jeux vidéo compétitifs assez jeune avec quelques jeux en particulier (Wolfenstein
Enemy Territory, Quake, Warcraft 3, Age Of Empire) sans pour autant y prendre vraiment part.
C’est véritablement à partir de la saison 5 de League Of Legends que je me suis mis à « jouer »
de manière sérieuse et en atteignant un niveau correct (top 4% des meilleurs joueurs européens).
La présence dans mon entourage proche de joueurs réguliers de jeux vidéo compétitifs mais
surtout de détracteurs de cette pratique vidéoludique a éveillé ma curiosité quant à la notion de
« sport électronique ». Mais c’est surtout après l’annonce tonitruante de Tony ESTANGUET
sur la possibilité d’instaurer l’esport aux Jeux Olympiques que ma problématique s’est précisée.
Au départ uniquement orienté vers la légitimité de son instauration aux Jeux de Paris 2024, mon
raisonnement s’est révélé erroné : avant de savoir si le sport électronique avait sa place aux
Jeux, il fallait savoir si l’esport était bel et bien un sport. Ce questionnement exploratoire
permit alors d’établir une problématisation d’ordre définitionnelle : l’esport est-il un sport par
définition ?
8
WAGNER, M. (2006) On the scientific relevance of esport. Traduction personnelle de: “eSports” is an area of
sport activities in which people develop and train mental or physical abilities in the use of information and
communication technologies.”
9
BESOMBES (2017). L’esport est-il un sport comme les autres ? Conférence réalisée au MAIF Social Club
10
http://www.smartcast.ninja/2015/12/09/esport-e-sport-es-au-fait-comment-ca-secrit/#Le_esport_ou_lesport
8
En allant plus loin dans mes recherches, la notion de « sportivisation » revenait souvent lors
des débats autour des « nouveaux » sports (à l’instar du poker ou des échecs). Bien que de
nombreuses définitions existent, celle de PARLEBAS semble la plus pertinente. Ce dernier
affirme que la sportivisation est « le processus social, notamment institutionnel, et par extension
le résultat de ce processus, par lequel une activité ludomotrice acquiert le statut de sport »11
.
Ainsi selon cette définition, un sport est un sport s’il répond aux quatre critères définis par les
sociologues du sport : pertinence motrice, compétition, codification et institutionnalisation.
La réponse à cette interrogation devient limpide : il suffit de prouver que l’esport réponde à ces
critères pour le qualifier de sport. En revanche, certains auteurs comme AUBEL définissent la
sportivisation comme étant « l’avènement d’une activité puis sa marchandisation, c’est-à-dire
le développement d’un marché en matériel spécialisé, vêtements, magazines… ».12
Julien
BERTRAND quant à lui explique que la sportivisation peut être entendue comme une
« transformation de la pratique dans le sens d’une centration sur les enjeux compétitifs, sur
l’entraînement à la performance, en d’autres termes comme le reflet d’une autonomisation des
enjeux propres à un espace de pratiques (les titres, récompenses) face à des demandes ou
enjeux hétéronomes (fonction éducative et support de sociabilité par exemple) »13
. Autrement
dit, à l’inverse de PARLEBAS, la sportivisation peut signifier alors un processus social offrant
la possibilité à un individu ou une population de s’adonner à des pratiques sportives sans que
ces dernières soient dépendantes d’une organisation sportive, notamment fédérale. Pour
simplifier la compréhension, nous utiliserons les termes de « sportivisation sociologique », pour
la sportivisation définie par PARLEBAS et « sportivisation socio-économique » pour les autres.
Toutefois le problème s’est complexifié de par certaines de mes discussions avec mon
entourage proche : « Même si tu me prouves par A+B que l’esport est un sport, jamais ne je le
considèrerai comme tel, c’est du business tout ça ». Le questionnement devient donc totalement
différent : est-il suffisant de prouver que l’esport s’est sportivisé pour le percevoir comme
sport ? Pourquoi notre société n’arrive pas à percevoir l’esport comme du sport ? Est-ce un
problème culturel ou un problème définitionnel ? L’esport ne répond-il pas à une nouvelle
11
SUCHET citant PARLEBAS, La sportivisation des pratiques dites nouvelles, Aspects Sociologiques, Vol. 18,
Mars 2011, disponible sur : http://www.aspects-sociologiques.soc.ulaval.ca/sites/aspects-
sociologiques.soc.ulaval.ca/files/suchet2011_0.pdf
12
SUCHET citant AUBEL, La sportivisation des pratiques dites nouvelles, Aspects Sociologiques, Vol. 18,
Mars 2011, disponible sur : http://www.aspects-sociologiques.soc.ulaval.ca/sites/aspects-
sociologiques.soc.ulaval.ca/files/suchet2011_0.pdf
13
BERTRAND, La fabrique des footballeurs : Analyse sociologique de la construction de la vocation, des
dispositions et des savoir-faire dans une formation au sport professionnel, 2008, disponible sur :
http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2008/bertrand_j/download
9
définition du sport ? L’esport a-t-il besoin d’être assimilé au sport pour être légitime ? Au final,
la problématique est simple mais soulève de nombreux problèmes et interroge : l’esport est-il
un sport comme les autres ?
Bien que devenu un « objet d’étude scientifique légitime14
» selon BROUGÈRE, il ne faut pas
oublier que les travaux et les études sur l’esport sont assez marginaux et se focalisent plus sur
des statistiques notamment en France. En revanche en Europe, en Amérique du Nord et en Asie
de nombreuses recherches sur l’esport se sont amplifiées à partir des années 2010, à travers de
nombreuses thématiques et disciplines variées à l’instar de la place des femmes sur la scène
compétitive, du marketing ou encore de la médiatisation des événements esportifs. C’est
pourquoi j’appuierai mon hypothèse sur les travaux de recherche déjà effectués auparavant mais
aussi sur les réponses obtenues via mon questionnaire de recherche. Je défendrai ainsi la thèse
suivante : que l’esport n’est pas une activité sportive comme les autres, qu’elle n’est ni
différente ni identique, mais qu’elle ouvre la porte à une pratique nouvelle et que de ce
fait, l’esport n’a même pas besoin d’être caractérisé comme un sport à part entière pour
être légitime et exister.
Afin d’essayer de répondre aux interrogations sur ce phénomène qu’est le sport électronique,
la démarche de ce mémoire comportera trois parties. La première partie présentera ce qu’est
réellement l'esport mais également le sport puisqu’en analysant le questionnaire de recherche,
la méconnaissance définitionnelle de ces deux sujets est exacerbée. Dans la deuxième partie,
l’aspect « physique » du sport, si important aux yeux de nombreuses personnes sera débattue à
travers l’esport de par son rapport à la notion d’activité motrice déterminante, premier critère
de la sportivisation sociologique. Enfin la troisième partie mettra en relation l’esport aux trois
autres critères de sportivisation : compétition, codification et institutionnalisation. À travers une
méthodologie croisée, alliant revue de littérature et analyse aux réponses de mon questionnaire
de recherche, ce mémoire tentera d’expliquer quelles sont les caractéristiques immanentes
partagées par le sport « traditionnel » et le sport électronique.
14
Préface de BROUGERE dans Les jeux vidéo : pratiques, contenus et enjeux sociaux (2005), FORTIN, MORA
& TREMEL
10
PARTIE 1 :
L’ESPORT, UNE PRATIQUE MAL
DÉFINIE ET STÉRÉOTYPÉE
Cette première partie tentera tout d’abord d’expliquer ce qu’est réellement l’esport mais surtout
essayera de faire comprendre que la définition de sport n’est pas si simple et souffre d’un
amalgame évident : « sport = activité physique ».
A. L’ESPORT, QU’EST-CE QUE C’EST ?
1. Quelques notions utiles à la compréhension de l’esport
La première apparition du terme « eSport » apparait en 1999, lors d’un communiqué de presse
de la « Online Gamers Association », où Mat BETTINSON compare l’esport aux sports
traditionnels. Plus précisément, BETTINSON explique « qu’il ne faudra pas longtemps pour
que les sports électroniques soient couverts par la télévision de la même manière que les sports
traditionnels ».15
En 2018, soit plus de 19 ans plus tard, ce n’est pas encore tout à fait le cas.
Définir ce qu’est le sport électronique est aujourd’hui relativement complexe notamment de par
sa relative nouveauté historique. Afin de bien comprendre les enjeux de l’esport, il est
nécessaire de préciser plusieurs notions.
Tout d’abord, le sport électronique et les jeux vidéo « de sport » sont radicalement différents.
Ces derniers, proposant une reproduction des pratiques sportives professionnelles réelles à
l’écran sont appelés « simulations sportives ». Dans cette catégorie vidéoludique, les sports
représentés sont de plus en plus nombreux : football (FIFA, PES), basket-ball (NBA 2K), hockey
sur glace (NHL), football américain (Madden NFL), boxe (Fight Night), rallye (WRC), formule
1 (F1), courses automobiles (Forza Motorsport, Gran Turismo …), golf (Tiger Woods PGA
Tour), tennis (Top Spin), skate (Skate 2) et même les « sports extrêmes » avec Steep. Pourtant
malgré les succès commerciaux de la plupart des titres (FIFA 17 est le bien culturel le plus
vendu en France avec 1.426 millions d’unités vendues16
) c’est dans cette catégorie de jeux que
le sport électronique et le moins représenté. En effet, la plupart des jeux « esportifs » n’ont rien
en commun avec les pratiques sportives réelles (à l’exception de FIFA).
Deuxième point, les « exergames », à savoir la contraction de « exercice » et « game » (jeu en
anglais), à l’instar des jeux vidéo pratiqués via les consoles à détection de mouvement (Kinect,
15
BETTINSON, Traduction personnelle de “Certainly it won't be that long before eSports are covered on
television in the same way as traditional sports” disponible sur : https://www.eurogamer.net/articles/oga
16
MOSCA, FIFA 17 : le bien culture le plus vendu en France, 02/02/2017, disponible sur :
https://www.challenges.fr/high-tech/jeux-video/fifa-17-le-bien-culturel-le-plus-vendu-en-france_451966
12
Wii, Move …) ne sont pas prioritairement la cible des jeux vidéo esportifs. Il faut donc
comprendre que la plupart des jeux vidéo compétitifs sont essentiellement « sédentaires », où
le joueur contrôle son avatar, non pas via sa propre activité physique mais via le matériel
électronique en sa possession (manette, clavier, souris …). Une exception en revanche : Just
Dance, un jeu vidéo basé sur la rythmique et la danse. À sa sortie en 2009, Just Dance est
considéré comme un « party game », à savoir un jeu vidéo que l’on peut aisément jouer entre
amis. Mais à partir de 2014, ce jeu prend un tournant vidéoludique et devient officiellement un
jeu « esportif » avec le lancement du « World Dancefloor », qui permet aux joueurs du monde
entier de s’affronter en simultané et surtout lors de son apparition à l’ESWC17
pendant la Paris
Games Week. Facile à comprendre, Just Dance est devenu un titre aussi compétitif
qu’abordable et a participé à la « casualisation » de l’esport, c’est-à-dire, à la portée du grand
public de par sa simplicité d’accès et non plus réservée à des joueurs expérimentés de l’univers
vidéoludique. Cette casualisation de l’esport est aujourd’hui sans nul doute la raison pour
laquelle l’esport est si populaire même si les jeux esportifs les plus compétitifs sont relativement
difficiles à comprendre pour le grand public. Dans cette catégorie d’exergames, nous pouvons
rajouter également les activités sportives pratiquées en réalité virtuelle via des lunettes
spéciales, à l’instar du fameux Occulus Rift. Ces activités ne sont donc pas affiliées à l’esport.
Pour le moment !
Tout comme les sports traditionnels, l’esport se répartit en différents types de jeux vidéo et
possèdent tous un point commun : l’affrontement entre joueurs. En ligne (via Internet) ou en
réseau local (manettes branchées sur un même support), les joueurs s’attellent donc à une
compétition en temps réel, contre d’autres joueurs réels. Ce dernier point est essentiel, car la
plupart des jeux vidéo proposent certes un affrontement, mais souvent contre l’intelligence
artificielle du logiciel et ne peuvent donc être considérés comme du sport électronique. Ainsi,
bien que challengeant, remporter votre partie de FIFA contre l’ordinateur en difficulté
« Légende » ou finir la campagne solo de Call Of Duty en « Vétéran » ne fait pas de vous un
esportif. En revanche bien que tous les jeux esportifs soient compétitifs, tous les jeux
compétitifs ne sont pas esportifs. En effet, à l’instar du football que vous pouvez pratiquer entre
amis de manière informelle dans un parc, un jeu vidéo multijoueur compétitif que vous
effectuez entre amis, ne sera pas une discipline esportive, et ce malgré la notion d’affrontement,
car cette pratique ne sera pas exécutée dans le cadre d’une compétition officielle. Pour qu’un
17
Esport World Convention : événement de sport électronique majeur
13
jeu vidéo compétitif soit considéré comme esportif, il doit être pratiqué en tournoi ou
championnat.
2. Les jeux esportifs : neuf disciplines qui se démarquent
Mais alors, quels sont les jeux vidéo compétitifs que nous pouvons qualifier de esportifs ?
Aujourd’hui, tout comme l’athlétisme se divise en plusieurs catégories et sous-catégories
(athlétisme  course  sprint, marathon … / athlétisme  sports de lancer  javelot, marteau,
poids …), les jeux vidéo peuvent se diviser en plusieurs disciplines et sous-disciplines. L’esport
étant une pratique qui se développe d’années en années, les divisions et sous-divisions sont en
constante évolution, mais il est possible de scinder l’esport en 9 disciplines aujourd’hui :
• MOBA (Multiplayer Online Battle Arena) ou arène de bataille en ligne multijoueur :
généralement, deux équipes de 5 joueurs s’affrontent avec pour objectif de détruire le
« camp » adverse. Pour mener à bien cette mission, les joueurs contrôlent différents
personnages aux caractéristiques propres avec l’aide d’unités générées par l’ordinateur.
• RTS (Real Time Strategy) ou jeu de stratégie en temps réel : chaque joueur doit
développer sa base en récoltant des ressources et unités de combat, avec pour objectif
de trouver et détruire son ou ses adversaire(s).
• SPORTS GAMES ou jeux de sports : théoriquement les plus faciles à comprendre car
il s’agit de jeux de simulations sportives et se rapprochent donc des règles
« traditionnelles » du sport. Les joueurs s’affrontent en choisissant leur équipe avec
pour objectif de vaincre l’adversaire.
• RACING GAMES ou jeux de courses : là encore le principe reste simple et se
rapproche des simulations sportives puisqu’il s’agit de simulations automobiles. En
revanche, bien que la plupart des jeux sont fidèles à la réalité (notamment pour la
physique des voitures), certains jeux de courses sont considérés comme « arcade »,
soumis à une physique fantaisiste (à l’instar de Mario Kart par exemple).
• SHOOTING GAMES ou jeux de tir : en vue première personne (FPS – First Person
Shooter - vue subjective) ou troisième personne (TPS – Third Person Shooter – vue
objective), les joueurs doivent vaincre leurs ennemis en utilisant un arsenal d’armes
et/ou compétences diverses.
• TRADING CARD GAMES (TDG) ou jeux de cartes à collectionner : à la différence
des jeux de cartes traditionnels, les joueurs s’affrontent avec leur « deck », à savoir un
14
paquet de cartes, dont la composition est choisie en amont parmi les cartes disponibles
dans le jeu.
• FIGHTING GAMES ou jeux de combat : en général, deux joueurs s’opposent le plus
souvent sur un seul écran et s’affrontent sur plusieurs rounds, en choisissant leur
personnage dans le menu de sélection au préalable.
• PUZZLE GAME ou jeu de puzzle : le joueur doit mettre en ordre des pièces ou des
objets dans un ordre précis dans le but de marquer le plus de point possible. Bien
qu’étant des jeux de « puzzle », ces jeux se démarquent plus sur la coordination œil-
main et les réflexes plutôt que sur la logique et la pensée. Le plus célèbre représentant
de cette catégorie est Tetris.
• MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game) ou jeu de rôle en ligne
massivement multijoueur : à la base, le MMORPG est un type de jeu rassemblant un très
grand nombre de personnes qui interagissent en simultané dans un espace ouvert, où le
joueur est amené à créer un avatar et le faire évoluer dans ce monde virtuel. Le
MMORPG peut prendre une dimension esportive lorsque les joueurs font combattre
leur(s) avatar(s) dans des arènes fermées, comme les gladiateurs de l’Antiquité.
Bien que nombreuses, les différentes disciplines esportives ne possèdent pas toutes la même
popularité ni le même prize pool : aujourd’hui, MOBA, RTS, jeux de tir et TDG sont les
disciplines esportives les plus représentées. Les autres catégories, avec un nombre de
pratiquants moins important ne bénéficient pas de la même visibilité médiatique malgré des
compétitions bien structurées. De plus, au sein même des différentes catégories des jeux vidéo
compétitifs cette différence de popularité existe. Ainsi, le MOBA de Riot Games, League Of
Legends reste bien supérieur au MOBA de Blizzard, Heroes Of The Storm en termes de
visibilité, d’audience et de chiffre d’affaires. De même FIFA 18, la célèbre simulation de
football de EA Sports reste largement plus populaire que PES 2018, édité par Konami.
Actuellement, selon une étude18
de Jens HILGERS co-fondateur de BITKRAFT, quatre jeux
dominent la pratique esportive, que ce soit au niveau du cashprize annuel ou le nombre d’heures
de contenu visionné chaque mois : League Of Legends, Counter Strike : Global Offensive,
DOTA 2 et HearthStone. Ces jeux font partie de ce qu’on appelle le « Tier 1 ». Les jeux moins
populaires, le « Tier 2 » etc. Toutefois, Jens HILGERS précise qu’une tendance se dégage de
ces chiffres : « en moyenne tous les 3 ans, un nouveau jeu atteint le Tier 1 »19
. En 2018, la
18
Esports Games Tiers, https://esportsobserver.com/esports-games-tiers/
19
Traduction personnelle de : “Historically, on average, every three years a new Tier 1 contender is produced”
15
popularité croissante du jeu Fortnite tend à valider cette théorie mais aucun chiffres pertinents
ne peuvent actuellement le prouver, le jeu étant bien trop récent.
Figure 1. Les catégories esportives et quelques exemples des jeux les plus populaires par discipline
3. Comment définir précisément l’esport ?
Comme nous l’avons vu dans l’introduction, l’utilisation du terme « e-sport » et « esport » sont
les seuls orthographes valides concernant cette pratique. En France, l’édition du bicentenaire
du Larousse 2018 verra pour la première fois l’apparition de plusieurs définitions autour de
l’univers du jeu vidéo et plus particulièrement de l’univers esportif. Une première explication
plus ou moins vague est rajoutée à l’adjectif « électronique » et renvoie à la définition d’esport :
« électronique - adj. Sport électronique, pratique du jeu vidéo multijoueur, notamment en
réseau ; ensemble des compétitions dédiées à cette pratique (SYN. e-sport). »20
. Le dictionnaire
met donc l’accent sur 3 critères principaux : compétition, joueurs, jeu vidéo. Cependant, cette
définition étant incomplète, l’association française France Esports a eu pour ambition de
repréciser le sujet et a essayé de donner une définition globale. À travers le recensement de 42
définitions issues de travaux académiques en langue française mais aussi anglaise, France
Esports a identifié en tout 14 critères, que l’association a hiérarchisé en fonction de « leur
20
Communiqué de presse du Petit Larousse illustré 2018
http://www.lagardere.com/fichiers/fckeditor/File/Presse/Communique_presse/Livres/Dossier_PressePLI_2018.p
df
ESPORTS
MOBA
League Of
Legends
DOTA 2
Heroes Of
The Storm
Smite
RTS
Stracraft 2
Age Of
Empire
Warcraft 3
SPORTS
GAMES
FIFA
PES
NBA 2K
NHL
RACING
GAMES
Gran
Turismo
Rocket
League
WRC
F1
SHOOTING
GAMES
Counter
Strike
Overwatch
Fortnite
World Of
Tanks
TCG
Hearth
Stone
Gwent
Clash
Royale
PUZZLE
GAMES
Tetris
Puyo Puyo
Puzzle
League
FIGHTING
GAMES
Tekken
Mortal
Kombat
Street
Fighter
For Honor
MMORPG
World Of
Warcraft
Pokemon
Dofus
Guild Wars
16
inhérence à la pratique ». Ainsi, « trois critères se sont démarqués car essentiels à la pratique
esportive : l’affrontement (au sens d’"opposition", nuancé par rapport à "la compétition"
entendue comme "événement compétitif"), les joueurs (qu’ils soient seuls ou en équipes), et le
support électronique (parfois identifié comme "digital" ou "numérique", et principalement le
"jeu vidéo") ».21
Les 11 autres critères considérés comme secondaire, n’entrent donc pas en
compte dans leur définition finale. Ainsi pour France Esports, l’esport désigne « l’ensemble des
pratiques permettant à des joueurs de confronter leur niveau par l’intermédiaire d’un support
électronique, et essentiellement le jeu vidéo ».
En rajoutant à cette définition celle de Nicolas BESOMBES, nous obtenons une définition du
sport électronique la plus complète possible :
Esport : l’ensemble des pratiques permettant l’affrontement codifié de joueurs
professionnels ou non, par l’intermédiaire d’écran(s) interposé(s) lors de compétitions
réglementées online ou offline de jeux vidéo.
Pour aller encore plus loin, il serait possible de différencier deux types d’esport par définition.
Le premier pouvant faire une analogie à notre expression « faire du sport » : « faire du esport »
renvoie donc à l’ensemble des pratiques permettant de jouer à un jeu vidéo compétitif. Le
deuxième type pouvant faire analogie à notre expression « faire un sport » : « faire un esport »
renvoie donc au contenu du jeu en question.
B. LE SPORT, UNE NOTION AMBIGÜE
Aujourd’hui employé de manière extrêmement fréquente, le terme de « sport » n’est pas si
évident à définir et met en avant une surprenante confusion. En effet, « faire du sport » est une
expression qui, de nos jours, est entrée dans le langage commun et peut désigner tout ce qui est
considérée comme une activité physique : du jardinage, faire un footing le dimanche matin,
jouer au football avec ses amis dans un parc, une randonnée, la finale du 100 mètres des Jeux
Olympiques etc. Pierre PARLEBAS a même affirmé que « s’appliquant à tout, ce terme [le
sport] perd toute valeur distinctive et ne signifie plus rien »22
. De même, en reprenant les
réponses à la question « Quelle est votre définition du sport ? » du questionnaire de recherche,
21
http://france-esports.org/site/definition-et-orthographe/
22
PARLEBAS Pierre, 1999 : Jeux sports et sociétés. Lexique de praxéologie motrice. Collection recherche
INSEP
17
la plupart des réponses mettent en avant l’aspect « physique », la « dépense énergétique » et les
« bienfaits pour la santé ».
1. La vision hygiéniste du sport
Toutes ces approches s’acheminent vers la définition « hygiéniste » du sport, contre laquelle
Pierre DE COUBERTIN lui-même s’est opposé. Pour rappel, l’hygiénisme est un courant de
pensée apparu au 19ème
siècle qui prêche une nouvelle approche de l’environnement humain,
notamment dans le domaine de la santé où les hygiénistes postulent qu’une amélioration de la
santé de l’Homme passe par une amélioration de leur niveau de vie. Ainsi, pour les hygiénistes
la pratique sportive s’assimile à l’activité physique, avec pour objectif de se maintenir en bonne
santé. Pour aller plus loin, les hygiénistes, à l’instar du Docteur Philippe TISSIÉ, fondateur de
la Ligue Girondine de l’Éducation Physique, voyaient le sport comme uniquement une activité
physique bienfaisante pour l’hygiène sociale, notamment chez les jeunes, qui se doivent d’être
éduqués dès l’école des bienfaits des pratiques corporelles. Dans un même temps les
compétitions sont perçues comme un tournant dangereux, loin de l’approche éducative du sport,
promulguant la violence et mauvais pour la santé. C’est donc tout naturellement que la mise en
place des Jeux Olympiques modernes a été mal perçue chez les hygiénistes. Pendant que Pierre
DE COUBERTIN affirmait que « le sport est le culte volontaire et habituel de l’exercice
musculaire intensif appuyé sur le désir du progrès et pouvant aller jusqu’au risque. »23
et donc
promouvait la « liberté d’excès », les hygiénistes, avec TISSIÉ en tête, affirmaient que « le
rétablissement des Jeux olympiques n'intéresse pas directement la Ligue girondine qui ne
s'occupe que des jeunes gens ou des enfants en cours de scolarité »24
. La plupart des hygiénistes
étaient donc plutôt antisportifs mais en faveur d’une pratique sportive éducative et ne
partageaient pas les valeurs Olympiques. Ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui, de l’école
primaire au lycée, nous employons le terme EPS, « éducation physique et sportive » pour
désigner l’ensemble des activités motrices professées dans le milieu de l’enseignement. Et de
même, nous utilisons le raccourci de langage « cours de sport » pour parler de l’EPS, ce qui est
en partie faux. L’éducation physique est perçue comme un enseignement spécifique visant à
développer des compétences propres relatives au bien-être ou encore à la prestation corporelle
tandis que l’éducation sportive est perçue comme un enseignement spécifique pour développer
ses performances optimales et assimiler les valeurs culturelles du sport (équipe, compétition,
23
P. DE COUBERTIN, Pédagogie Sportive, Préambule, 1922
24
J. DURRY, Le Vrai Pierre De Coubertin, 1997
18
performance …). L’éducation physique et l’éducation sportive possèdent donc deux approches
différentes mais complémentaires.
2. Les définitions « officielles » du sport
Malgré celle de COUBERTIN, la définition même de sport reste floue. Et lorsque l’on regarde
les différentes définitions officielles, il n’existe pas de définition univoque du sport. Avec le
temps, les différentes définitions se sont succédées, enrichies et affinées. Celle du Petit Larousse
édition 1974 est par exemple bien différente de celle du Larousse édition 2017 qui arrive à faire
la part des choses en proposant quatre définitions au lieu d’une seule :
• Éd. 1974 : sport : n.m (mot angl. sport, de l'ancien français desport, amusement).
Ensemble des exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels et
collectifs, pratiqués en observant certaines règles, et sans but utilitaire immédiat.25
• Éd. 2017 : sport : n.m :
o Activité physique visant à améliorer sa condition physique.
o Ensemble des exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels
ou collectifs, donnant généralement lieu à compétition, pratiqués en observant
certaines règles précises.
o Chacune des formes particulières de cette activité.
o Familier. Toute activité nécessitant à la fois du savoir-faire et une particulière
attention à ce que fait le partenaire : Avec lui, la conversation est un sport.26
De manière officielle, le Ministère des Sports retient une définition du terme « sport » : « toutes
formes d’activités physiques et sportives qui, à travers une participation organisée ou non, ont
pour objectif l’expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le
développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétition de tous
niveaux »27
. Mais ne retenir qu’une seule définition officielle semble impossible tant elles sont
nombreuses et provenant de différentes institutions. Ainsi le Comité National Olympique et
Sportif Français (CNOSF) défini le sport comme « la seule pratique compétitive, licenciée,
c’est à dire engagée dans l’institution qui fixe les règles du jeu et définit l’éthique sur laquelle
25
Petit Larousse en Couleur, éd.1974, p 878
26
Définition de sport : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sport/74327?q=sport#73493
27
Définition de sport selon le Ministère des Sports, http://www.sports.gouv.fr/pratiques-sportives/sante-bien-
etre/Donnees-scientifiques/
19
celui-ci doit impérativement reposer ». Plus simplement, selon une enquête de l’INSEE de 1986
« le sport, c’est ce que font les gens quand ils pensent qu’ils font du sport ».
Au final, il est aujourd’hui pratiquement impossible de retenir une définition tout à fait exacte
de la notion de sport, tant son évolution a été importante au cours des siècles : du terme
« desport » au 13ème
siècle en France à « esport » en 2018, la définition de sport évolue
constamment et dépend des contextes socio-historiques dans lequel il prend place. L’aspect
compétitif, l’entrainement, les règles, les records, les récompenses, le fair-play, etc. sont des
caractéristiques qu’il est possible de rajouter à la définition de sport aujourd’hui sans pour
autant perdre en pertinence.
3. La définition sociologique du sport pour régler le problème
S’il convient globalement de définir le sport de la manière officielle décrite par le Ministère des
Sports, la construction d’une définition précise doit s’effectuer d’un point de vue sociologique.
En effet, la notion de dépense énergétique ou a minima l’activité physique nécessaire à la
pratique est le critère qui revient le plus souvent dans les définitions ci-dessus. Or, chaque
discipline sportive possède un rapport à l’activité physique variable : par exemple le marathon
et le tir à l’arc ont des rapports énergétiques bien différents. La question de la pratique physique
n’est donc pas suffisante pour définir le sport.
En sociologie du sport et selon Nicolas BESOMBES, « un sport est un sport » s’il répond à
quatre critères objectifs : l’activité est un sport si « [elle] est de nature motrice, elle est
réglementée, donne lieu à des compétitions et se manifeste par une prise en compte
institutionnelle ».28
En analysant cette définition sociologique du sport, fort est de constater que la notion d’activité
physique est remplacée par ce qu’on appelle la pertinence motrice ou situation motrice
déterminante. Ce terme met en exergue un point essentiel du sport, à savoir la motricité. Par
définition, la motricité correspond à l’ensemble des fonctions corporelles qui permettent
d’assurer les mouvements. On parle alors de pertinence motrice lorsque l’on souhaite savoir si
la motricité d’un individu va influer sur le résultat final lors d’un affrontement compétitif entre
deux sportifs. Ainsi, théoriquement, les échecs ne peuvent pas être considérés comme un sport
par définition puisqu’il est possible de déplacer les pions du plateau sous les directives de
quelqu’un d’autre sans pour autant influer sur le résultat. En effet, la « manière » de déplacer
28
Thèse de Nicolas BESOMBES, Sport électronique, agressivité motrice et sociabilités, p. 45
20
un pion (un mouvement de poignet particulier par exemple) ne peut pas déteindre sur le résultat
en tant que tel, puisque ce pion n’est pas rendu « plus fort » de par ce mouvement. En revanche
la stratégie cérébrale effectuée par le joueur qui donne des directives est lui, le principal
influenceur du jeu. Par conséquent, si vous déplacez les pions d’un jeu d’échec sous les
directives de Garry KASPAROV (ancien champion du monde d’échec de 1985 à 2000) et
remportez la partie, ce n’est pas vous qui vainquez mais bien l’ancien champion du Monde. À
l’inverse, à la pétanque par exemple, si on vous demande de tirer une boule ou de pointer à la
place d’un professionnel, il serait bien difficile d’obtenir le résultat qu’aurait eu ce dernier s’il
avait joué à votre place. La motricité possède donc une influence sur le résultat final. Cette
question de motricité permet d’opposer de ce fait deux types de sport : les sport « moteurs » (où
la victoire dépend d’une maîtrise corporelle) et « non-moteurs » (où la victoire dépend d’autres
facteurs comme le hasard ou la combinatoire). Par conséquent, il est possible de comprendre
via cette caractéristique motrice la présence de certains sports aux Jeux Olympiques dont les
dépenses énergétiques sont faibles (tir à l’arc, curling…).
Le deuxième critère sociologique est la notion de compétition. Par définition la compétition
peut être assimilée à un affrontement entre deux ou plusieurs joueurs et pas une confrontation
à soi-même. Un jogging dominical, bien que « sport moteur » n’est donc pas un sport en tant
que tel car ne se réalise pas dans un système compétitif. Lorsque l’on va courir, il est donc
préférable de dire « je vais faire de l’exercice physique » plutôt que « je vais faire du sport ».
Une activité est donc considérée comme un sport lorsqu‘elle s’effectue de manière compétitive
et donc génère gagnants et perdants.
Troisièmement, la codification est un critère essentiel. Dans le sport, il s’agit des règles
explicites et uniformisées au niveau international. Ainsi, le « football de rue » est bien différent
de la finale de la Ligue des Champions non pas par la pertinence motrice qui est la même mais
par la présence de codes implicites et malléables, qui varient donc selon les joueurs présents ou
encore le terrain. Par exemple, la taille du terrain est très codifiée dans le football professionnel,
ce n’est pas le cas lors d’un football entre amis.
Enfin, le dernier point correspond à l’institutionnalisation, c’est-à-dire la reconnaissance par
les autorités publiques. En France par exemple, c’est le Ministère des Sports qui décide si une
activité est un sport ou pas. Par conséquent, une activité motrice, codifiée et compétitive n’est
pas un sport si elle n’est pas reconnue par les autorités fédérales. Par exemple le « Red Bull
21
PERTINENCE
MOTRICE
• Le résultat dépend de
l'expertise motrice du
joueur
COMPÉTITION
• Affrontement entre
joueurs
CODIFICATION
• Règles explicites et
standardisées
INSTITUTION
FÉDÉRALE
• Reconnaissance par
les autorités fédérales
• Institutionnalisation
publique
Cliff Diving », une célèbre compétition de plongeon en milieu naturel, n’est pas reconnue par
la Fédération Internationale de Natation tandis que le « plongeon à 10 mètres » l’est.
Pour résumer, une activité est un sport s’il répond aux quatre critères ci-dessous :
Exemples :
ÉCHECS JOGGING PARKOUR FOOTBALL ESPORT
PERTINENCE MOTRICE ✘ ✔ ✔ ✔ ?
COMPÉTITION ✔ ✘ ✔ ✔ ?
CODIFICATION ✔ ✔ ✔ ✔ ?
INSTITUTIONNALISATION ✔ ✔ ✘ ✔ ?
SPORT ? ✘ ✘ ✘ ✔ ?
C. MÉTHODOLOGIE ET OUTILS
1. Aperçu général du panel : approche quantitative
Afin d’aider à la compréhension du problème soulevé par ce mémoire, l’utilisation d’un
questionnaire de recherche, alliant données qualitatives et quantitatives fut d’une aide
précieuse. Réalisé du 16 avril 2018 au 11 mai 2018, nous avons eu la possibilité d’obtenir 125
réponses, toutes pertinentes, permettant de mieux comprendre la problématique de l’esport chez
les individus et rendant compte du manquement définitionnel de la notion de sport.
Dans un premier temps, nous avons cherché à savoir quel rapport avaient les sondés avec
l’univers du jeu vidéo en général, puis pour les joueurs, leur rapport aux jeux compétitifs. Il
s’est alors dégagé une dichotomie claire et très intéressante : sur 125 sondés, 65 personnes
(52%) jouaient aux jeux vidéo tandis que 60 personnes ne jouaient pas (48%). Cette division
quasi-parfaite a permis plus tard de se rendre compte qu’un joueur pouvait ne pas considérer
22
l’esport comme un sport alors qu’un non-joueur pouvait le considérer comme tel. Pour la
majorité des joueurs, les jeux vidéo sont utiles pour « se détendre » (42 personnes / 64.6%) ou
« s’amuser avec ses amis » (39 personnes / 60%) alors qu’une faible proportion voit dans le jeu
vidéo l’importance de la « compétition et de l’amélioration de ses capacités » (14 personnes /
21.5%). Quant aux supports du jeu, l’ordinateur, la console de salon et le téléphone restent
privilégiés, largement devant les tablettes et consoles portables. Pour les 60 non-joueurs, les
deux arguments qui ressortent majoritairement sont le « manque de temps » à 43.3% (26
personnes) et « je n’aime pas ça » à 50% (30 personnes).
Néanmoins, le mémoire tournant autour de l’esport, il semblait fondamental de soumettre le
panel aux jeux vidéo compétitifs. Ainsi, parmi les 65 joueurs, 53 individus (81.5%) soit une
grande majorité jouent à ces derniers. Parmi ces jeux compétitifs, quatre se démarquent :
League of Legends (19 personnes / 35.8%), Call Of Duty (21 personnes / 39.6%), Fortnite (24
personnes / 45.3%) et FIFA (25 personnes / 47.2%). Concernant la fréquence hebdomadaire de
jeu, trois tendances se dégagent : les joueurs « casual » jouant entre 1h et 4h par semaine (22
personnes / 41.5%), les joueurs « mainstream » jouant entre 4h et 14h par semaine (20
personnes / 37.8%) et les joueurs « hardcore » jouant plus de 14h par semaine (11 personnes /
20.8%).
Mais ce mémoire aborde également un point essentiel : le sport. Nous avons eu la volonté de
voir si le panel présentait un rapport au sport important ou bien en était complètement détaché.
À notre grande surprise, à la question « Pratiquez-vous ou avez-vous déjà pratiqué un sport
"traditionnel" ou toute autre activité physique à vocation sportive ? » la réponse est OUI à
98.4%, soit 123 personnes. Le sport, ou du moins le sport comme les sondés le définissent,
représente donc une activité primordiale chez ces derniers que ce soit en compétition (84
personnes) ou en loisir (90 personnes). En revanche, si la pratique de sport est presque unanime,
suivre le sport de haut niveau n’est pas un plaisir partagé par tous (37 individus ne le suivent
pas du tout) mais reste une priorité (88 personnes le suivent). Pour ces aficionados du sport
professionnel traditionnel, la télévision (94.3%) reste le support privilégié, devant Internet
(60.9%) et la radio (21.8%).
Le second objectif de ce questionnaire de recherche fut de connaitre l’approche générale de
l’esport chez les sondés. Tout d’abord, le public reste globalement sensibilisé à cette pratique
puisqu’avant de débuter le questionnaire, 86 personnes soit 68.8% connaissaient la définition
d’esport retenue et précisée avant de poser la question. En revanche, l’esport ne parait pas si
23
populaire puisque seulement 41.9% (36 personnes) des connaisseurs de cette pratique regardent
de l’esport. Toutefois, à l’inverse du sport « traditionnel », le support de visionnage n’est pas la
télévision (2 personnes / 5.6%) mais bien Internet (35 personnes / 97.2%) à travers les
plateformes de stream à l’instar de Twitch. Certains partisans restent disposés à voir
« réellement » les compétitions esportives lors d’événements dédiés (Paris Games Week,
Dreamhack…) ou dans des bars (Meltdown…) mais restent minoritaires (11 personnes /
30.5%).
Concernant la médiatisation de l’esport et notamment sa possible instauration aux Jeux
Olympiques de Paris 2024 le constat est plutôt mitigé et très hétéroclite puisque quatre
tendances se précisent : Content, c'est mérité (17 personnes / 13.6%), Content, mais je ne pense
pas que l'esport ait sa place aux JO (24 personnes / 19.2%), Mécontent, l'esport n'a pas sa
place aux JO (38 personnes / 30.4%), Sans opinion (29 personnes / 23.2%). De manière plus
globale, l’exposition de l’esport provoque une légère « exaspération » chez les sondés puisque
plus de la moitié estiment que l’esport ne doit pas être plus médiatisé qu’il ne l’est actuellement
(72 personnes / 57.6%). Pour se rendre compte de l’état d’esprit général sur la place de l’esport
aux Jeux Olympiques, un des sondés n’hésite pas à affirmer qu’il serait « absolument outré »
par cette nouvelle, tout en conseillant de « créer vos propres olympiades des jeux vidéo » et en
rajoutant de surcroît « faites pas chier les sportifs ». En outre, si certains ne voient pas d’un bon
œil cette possible instauration puisqu’ils seraient capable de « voler la flamme Olympique de
[leurs] propres mains », d’autres sondés pourraient être « ravis de son exposition » mais
mettent en évidence un autre problème qui n’a pas été abordé jusque-là, à savoir le fait que
« l'e-sport et son audience n'en ont pas besoin (et pas forcément envie) ». De même, un des
sondés explique : « Je ne vois pas l'intérêt si c'est juste pour mettre du FIFA, NBA ou autre. Je
pense qu’il devrait y avoir un "JO parallèle" car si c'est pour avoir 0 violence et que même
LOL ne passe pas, le manque d'intérêt sera grand. Ça sert à rien de se forcer non plus à
absolument vouloir le caser aux JO ».
Enfin le dernier objectif de ce questionnaire était finalement le plus important : est-ce que les
sondés considèrent l’esport comme un sport ? Sans surprise, 63.2% des individus soit 79
personnes considèrent que « non, l’esport ce n’est pas un sport ». En outre, il est possible
d’observer une mauvaise foi évidente puisqu’à la question « Si je vous prouvais que l’esport
est un sport, le considéreriez-vous comme tel ? », 57% des personnes interrogées soit 45
individus répondent par la négative, preuve qu’avant d’être un problème définitionnel,
considérer l’esport comme un sport semble d’abord être une étape sociale et culturelle. Sur le
24
même principe, à la question « Est-ce que vous vous considérez comme sportif lorsque vous
jouez à ce genre de jeu vidéo compétitif ? » posée à tous les joueurs de jeux compétitifs, une
majorité écrasante ne se considère pas comme un sportif (45 personnes / 84.9%).
Si le questionnaire a permis de récolter de nombreuses informations quantitatives, l’analyse des
questions ouvertes a été utile quant à l’orientation du mémoire, notamment sur deux points :
d’abord sur la définition du sport, qui est méconnue chez la plupart des sondés, puis sur leur
rapport à l’esport. Les sondés ont pu partager leurs opinions, notamment sur ce qui les
dérangeaient dans l’esport ou concernant les raisons selon lesquelles l’esport serait un sport ou
non.
2. Le rapport au sport chez les sondés : analyse qualitative
Comme vu précédemment, le questionnaire de recherche a mis en exergue un rapport au sport
très important chez les sondés, puisque 98.4% des personnes interrogées soit 123 personnes
font ou ont déjà fait « du sport ». Pourtant de manière globale, leur définition du sport reste
plutôt erronée et reste dans l’amalgame « le sport est forcément une activité physique ». Les
définitions réunies du terme « sport » peuvent alors se scinder en quatre catégories.
Tout d’abord, une partie du panel associe le sport à tout ce qui touche uniquement à l’activité
physique (effort, dépense, transpiration, calories brûlées…) sans prendre en compte d’autres
critères. Cette définition reste très simpliste mais constitue tout de même un panel de 28
personnes soit 22.4% des sondés. Il est possible de retenir quelques citations, parmi les plus
précises :
- « Une activité physique volontaire d'une certaine intensité »
- « Une activité physique où tous les membres et tous les muscles sont en activités »
- « Transpirer, effort physique »
- « Dépense physique, brûler des calories »
- « Une activité qui nécessite l’investissement d’un effort physique »
Bien que cette définition du sport soit très imprécise, elle permet de rendre compte que le sport
en France est toujours assimilé à l’effort physique.
La deuxième catégorie associe toujours le sport à l’activité physique mais en rajoutant d’autres
critères variés, comme le plaisir, la recherche de bien être corporel, le dépassement de soi, la
recherche de performance, la convivialité, le partage... Globalement, toute activité physique
qui est utile à la recherche d’un résultat quelconque mais qui n’utilise pas les critères
25
sociologiques du sport (codification, compétition et institutionnalisation notamment). Cette
catégorie précise un peu plus la définition de sport en rajoutant l’aspect de recherche de résultat
mais continue à mettre l’activité physique au cœur de la pratique : nous comptons dans cette
catégorie 37 personnes soit 29.6% des sondés. Parmi les citations les plus pertinentes :
- « Pratique physique ayant vocation à entretenir/développer la condition physique et
évacuer le stress. »
- « Activité physique et/ou intellectuelle dont la motivation est la performance et le
dépassement de soi »
- « Activité physique où le plaisir est au centre »
- « Activité qui permet de garder la forme et de se faire plaisir et de se vider la tête »
- « Activité physique pour éliminer les toxines et oxygéner les neurones »
Il y a donc toujours dans cette définition, une part importante de l’effort physique. Les
précisions apportées tournent souvent autour de l’utilité de l’activité, c’est-à-dire qu’elle permet
la recherche d’un résultat quelconque.
La troisième catégorie définit quant à elle le sport de manière beaucoup plus intéressante car au
moins un des critères sociologiques du sport est précisé. Ainsi de manière globale, les personnes
interrogées définissent le sport comme une activité physique ou non, qui répond à au moins
un des critères sociologiques de la définition de sport. Cette catégorie contient 21 personnes
soit 16.8% du panel mais reste très certainement l’échantillon d’individus se rapprochant le plus
de la définition sociologique de sport. Entre autres, il est possible de citer :
- « Activité physique et sportive de compétitions organisées et règlementées »
- « Activité physique avec des règles et un classement en fonction de la performance »
- « Passion, loisir, compétition, esprit d'équipe. Ce qui reste le plus important est le
plaisir et la compétition. »
- « Discipline physique réglementée, pouvant se pratiquer seul ou en équipe en fonction
des cas et faisant appel à des capacités physiques et mentales. »
- Toutes activités permettant une amélioration via un entrainement et mettant en duel
une/des autre(s) entre elles n'ayant pas pour but de développer l'intellectuel (bien que
l'on puisse améliorer nos compétences à travers les entrainements.)
- « Activité physique exercée dans le sens du jeu et de l’effort, et dont la pratique suppose
un entraînement méthodique et le respect de règles »
26
Enfin, la dernière catégorie reprend l’analyse de la définition de sport vu précédemment, à
savoir toutes caractéristiques qu’il est possible de rajouter à la définition de sport
aujourd’hui sans pour autant perdre en pertinence et sans mettre l’effort physique au cœur
de la pratique. Ces caractéristiques sont variées et peuvent comprendre l’entrainement, les
règles, les records, les récompenses, le fair-play, les valeurs, les émotions etc. Cette ultime
catégorie de 19 individus (soit 15.2% des sondés) définit le sport à sa manière, sans amalgames,
sans être ni fausse ni juste, mais apparait plus comme une succession de détails plutôt qu’une
définition précise. Entre autres nous pouvons retenir :
- « Le sport est selon moi un divertissement qui fournit des émotions et une sensation de
bien-être »
- « Le plaisir de jouer avec ses copains »
- « La pratique « professionnelle » d’un sport implique une phase d’apprentissage, une
phase d’entrainement et une phase de perfectionnement en vue d’une performance
visée »
- « Moment de partage et de cohésion, porteur de valeurs »
- « Persévérance, honnêteté, esprit d'équipe et convivialité »
- « Dépasser la notion de passe-temps pour optimiser ces performances »
Pour résumer, nous avons quatre définitions de sport selon notre panel de sondés :
DÉFINITION 1 DÉFINITION 2 DÉFINITION 3 DÉFINITION 4
Activité physique pure et
simple sans autres
critères.
Activité physique qui est
utile à la recherche d’un
résultat quelconque
Activité, physique ou non,
qui répond à au moins un
des critères sociologiques
Succession de
caractéristiques qu’il est
possible de rajouter à la
définition de sport sans
pour autant perdre en
pertinence
3. Le rapport à l’esport chez les sondés : analyse qualitative
Si nous avons vu que le sport était une activité primordiale chez les individus interrogés et que
sa définition n’était pas univoque, l’esport est quant à lui une pratique propice au débat. La
question « l’esport est-il un sport ? » divise le panel en deux camps bien distincts : les
défenseurs et les détracteurs. Les premiers sont en faveur de l’appellation « sport » pour
l’esport quant aux seconds, ils sont bien évidemment contre.
27
a. Les « détracteurs » de l’esport et leur rapport à cette discipline
Dans un premier temps, nous avons voulu savoir ce qui dérangeait le plus dans le sport
électronique selon les 79 détracteurs de cette discipline. Il s’est alors distingué 7 problèmes
mais 5 surclassent les autres. Classés par ordre d’importance :
PROBLÈME 1 PROBLÈME 2 PROBLÈME 3 PROBLÈME 4 PROBLÈME 5
Son rapport à
l’activité physique
Son rapport au
monde virtuel
Peut nuire à la
santé
Compétition en
intérieur
Le matériel utilisé
(écran, manette…)
En outre, si nous avons remarqué que ce qui dérangeait les sondés dans l’esport tournait autour
de cinq axes principaux, il semblait nécessaire de savoir de manière plus qualitative, pour
quelles raisons l’esport n’était pas un sport selon eux. Les explications, bien que nombreuses et
variées, s’acheminent là encore vers cinq catégories.
La première catégorie, grandement majoritaire, ne considère pas l’esport comme un sport à
cause de son rapport à l’activité physique. Pour ces sondés, l’esport n’est pas un sport car il
ne présente pas la notion d’effort physique qui correspond en grande partie à leur définition de
sport. Nous verrons l’analyse de ces résultats plus tard dans la deuxième partie mais il est
possible de retenir pour l’instant quelques réactions pertinentes. Ainsi un sondé précise « c'est
42%
23%
15%
7%
5%
4%
4%
Problèmes avec l'esport
Son rapport à l'activité physique
Son rapport au monde virtuel
Peut nuire à la santé
Compétition en intérieur
Le matériel utilisé
L'aspect "business"
Autre ou pas dérangé
28
une maladie plutôt », en rajoutant que « tout ce qui ramène de l'argent et ce qui confronte des
personnes ou des défis personnels peut être considéré comme sport » mais qu’au final
« l'activité ne contribue pas à améliorer des qualités physiques même si la réactivité doit être
mise à rude épreuve et les pouces exercent leur musculation quotidienne de par différents
poids ». En outre, les réponses des sondés tournent globalement autour de la « sédentarité », de
l’aspect « trop statique » ou encore du « dépassement physique [qui] n’est pas pris en compte ».
Certains arrivent cependant à nuancer en affirmant que « ça demande des heures de pratique »
sans pour autant le considérer comme un sport « car on est souvent assis et on ne se dépense
pas ». Pour l’un des sondés, là encore l’esport « ne développe à aucun moment des ressources
physiques et psychologiques en même temps » mais propose une autre approche générale et
s’interroge de manière appropriée : « on peut se décrire ecoach ? Eathlète ? Ce n'est pas sérieux
même s'il y a un vrai business autour de ça pour les meilleurs. Cela reste un loisir passe-temps
très ludique mais pas un " sport " ».
La deuxième catégorie ne considère pas l’esport comme un sport à cause des représentations
négatives (généralement stéréotypées) du jeu vidéo en général, qui seraient à l’opposé de la
vision sportive. Ainsi si certains affirment que « le sport est un moyen de sortir de chez soi, de
rencontrer physiquement les gens, d’échanger, alors s’opposer de manière dématérialisée est
un peu décevant », d’autres regrettent le côté « inactif » du jeu vidéo en certifiant que « c’est
comme regarder un match à la télé c’est plus passif que la pratique réelle du dit sport » ou
encore critiquent le côté virtuel car le joueur est « trop seul devant son écran ». Certains
stéréotypes restent quant à eux très tenaces, notamment au niveau du problème « d’addiction »
ou encore de la sociabilité des joueurs qui n’auraient « pas de liens physiques entre [eux] ». En
outre, il est possible d’observer une méconnaissance du sujet puisque si quelques sondés
affirment que le sport électronique « coûte trop cher » d’autres rabaissent l’impact moteur du
joueur en expliquant « qu’en général, il suffit de manipuler une manette avec les doigts » ou
que l’esport est simplement « une manière de jouer les pouces ». Un des sondés critique de
manière tellement acerbe l’esport, vulgaire de surcroît, qu’il est possible de se demander s’il
s’agit juste d’une mauvaise foi exceptionnelle ou d’un manque de connaissance flagrant sur le
sujet ; pour cet individu, « [l’esport] est mauvais pour la santé, polluant, consomme les
ressources de la planète de manière extrême et déraisonné et peut être pratiqué dans ses
chiottes. Le Esport est un jeu vidéo en grand manque de définition qui souhaite s'acheter une
âme. Le considérer comme un sport c'est un peu comme associer "faire l'amour" à se
"masturber", c'est la "même chose" sauf que t'es seul face à ton écran ».
29
La troisième catégorie reste la plus « sociologiquement logique » car refuse d’assimiler l’esport
à un sport à cause de l’absence d’au moins un des critères sociologiques d’une activité
sportive. Ainsi, même si de nombreux individus concèdent à l’esport le fait de s’organiser en
format compétitif, la majorité des sondés affirme que « la motricité est très faible » dans
l’esport et que ce dernier n’a « pas d’institutionnalisation [et] une codification très floue ». Plus
précisément, un membre du panel explique que l’esport est « très peu reconnu », que cette
discipline « n’est pas présente aux JO ou n’a pas de vrai championnat du monde » et ajoute
très justement que « les compétitions s’effectuent sous la licence du jeu en question ».
Pour l’avant-dernière et quatrième catégorie, les sondés ne voient pas l’esport comme un sport
mais le considèrent comme « une activité différente du sport » tout à fait légitime. Les sondés
qui représentent cette division présentent une vision de l’esport potentiellement la plus
intéressante puisque certains arrivent à faire la part des choses en considérant cette discipline
comme « une vraie pratique compétitive » mais en ayant quand même « du mal à l’associer à
la notion de "sport" ». Cette difficulté d’assimilation au sport se retrouve aussi chez un autre
sondé, expliquant que l’esport « est un domaine à part entière, certes un mélange de culture (la
création d'un jeu et son contenu sont un art) et de sport (pour son aspect compétitif et sa récente
structuration), mais unique en son genre ». Par ailleurs, cette notion d’activité unique revient à
travers la dénomination « sport virtuel ». Finalement, un des individus a pu potentiellement
avoir le mot de la fin en répondant que « ce sera un sport quand il fera l’unanimité. La majorité
a toujours raison ».
La cinquième et dernière catégorie quant à elle assimile l’esport à du « sport mental » et
qu’en ce sens, cette discipline serait différente du « sport traditionnel ». Cette classe d’individus
est minoritaire et certifie que l’esport « relève […] d’efforts intellectuels [et] de réflexion » et
que « c’est plus une activité "cognitive" de stratégie ».
Pour résumer, nous avons cinq raisons pour lesquelles l’esport n’est pas un sport chez les
détracteurs :
RAISON 1 RAISON 2 RAISON 3 RAISON 4 RAISON 5
Manque d’activité
physique
Représentations
négatives du jeu
vidéo
Absence d’au moins
un des critères de
sportivisation
sociologique
Activité différente et
unique
Sport mental
30
b. Les « défenseurs » de l’esport et leur rapport à cette discipline
À l’instar des détracteurs de l’esport, les 46 défenseurs divisent également leurs arguments en
cinq catégories principales.
Premièrement, les sondés qui assimilent l’esport à du sport font référence aux caractéristiques
qu’il est possible de rajouter à la définition de sport sans pour autant perdre en pertinence
que l’on peut nommer « caractéristiques sportives classiques ». Ces caractéristiques sont
plutôt variées puisqu’elles peuvent correspondre aux entrainements, à la professionnalisation,
au stress, à la concentration, au talent, au dépassement de soi, à l’argent … Ainsi, de manière
pertinente certains expliquent que « l’esport implique une période d'apprentissage,
d’entrainement puis de perfectionnement en vue d’une performance » ou encore que « l'esport
fait travailler la coordination des membres, la concentration et il faut s'entraîner assidument
pour arriver à un haut niveau ». De même la « professionnalisation », la « constitution
d’équipe pro » et les « moyens mis en place » sont des termes qui reviennent fréquemment et
qui restent crédible en accord à la sportivisation socio-économique.
Deuxièmement, la référence aux critères de sportivisation sociologique est un critère
essentiel pour certains sondés. De manière très juste, un sondé développe le fait qu’il existe
« des règles générales visant à donner une situation initiale équitable, un réel engouement pour
certaines générations et enfin des compétitions ayant permis la démocratisation du jeu ». Tout
aussi correct, l’esport présente une « activité motrice codifiée et compétitive » même si « sa
reconnaissance institutionnelle est culturelle ».
Troisièmement, certains aficionados de l’esport défendent cette discipline de par son rapport
à l’activité physique. Pendant que les détracteurs de l’esport regrettent justement le manque
d’effort physique, certains défenseurs affirment que cette pratique « demande une bonne
condition physique » et qu’il existe un « effort constant et tactique ».
De même, la quatrième catégorie est à l’opposé des détracteurs sur un point : l’esport est un
sport mental ou cérébral donc un sport « traditionnel ». Globalement, les sondés en faveur de
l’esport utilisent une analogie originale en attestant que « c'est un sport à part entière […] dans
la même catégorie que les échecs ». Également, l’aspect qui revient souvent est « le fait de
réfléchir rapidement » et donc que « [l’esport] demande d'autre aptitudes que physiques
pures ».
31
Enfin, un seul et unique sondé représente une catégorie à lui seul et à part entière. L’esport peut
être un sport ou non, au final « [il] n’a pas besoin de se définir comme sport pour exister ».
Remarque pertinente qui prouve qu’irrémédiablement le débat sur « l’esport est-il un sport ? »
est potentiellement un faux débat.
Pour résumer, nous avons également cinq raisons pour lesquelles l’esport est un sport chez les
défenseurs
RAISON 1 RAISON 2 RAISON 3 RAISON 4 RAISON 5
Caractéristiques
sportives
« classiques »
Présence d’au
moins un critère de
sportivisation
sociologique
Activité physique
présente
Sport mental Faux débat
Le fait que les réponses au questionnaire des sondés aient été si complètes et si intéressantes
prouvent que le problème du mémoire est un véritable sujet d’actualité, propice au débat et
concernant toute la société. Si une grande majorité refuse ostensiblement d’assimiler l’esport
au sport à cause de son rapport à l’activité physique absente, il faut bien comprendre que la
définition sociologique du sport ne prend pas foncièrement en compte cette notion. Ainsi il ne
faut pas se demander « l’esport est-il physique ? » mais « l’esport dépend-il d’une activité
motrice déterminante ? ».
32
PARTIE 2 :
L’ESPORT, UNE PRATIQUE À LA
MOTRICITÉ DÉTERMINANTE ?
Si nous avons bien défini le sport et l’esport dans la partie précédente, cette deuxième partie
expliquera le principe d’activité motrice déterminante, premier critère de sportivisation
sociologique. Pourtant, il existe un préjugé tenace qui nuit au débat : pour une majeure
partie des personnes, le manque de dépense énergétique de l’esport reste une donnée qui
semble essentielle à l’illégitimité de ce dernier à être considéré comme sport. Cette partie
tentera de prouver que les résultats esportifs sont bien dépendants de la pertinence motrice
des joueurs et que l’esport répond donc bien au premier critère essentiel de sportivisation et
qu’une activité physique n’est en rien synonyme de sport.
A. UN RAPPORT À LA DÉPENSE ÉNERGÉTIQUE QUI
POSE PROBLÈME
1. Un rapport à l’activité physique nécessaire dans le sport ?
Comme vu dans la partie précédente, il est possible d’affirmer que d’un point de vue
« hygiéniste » l’activité physique reste le point central de toute activité sportive.
Fort est de constater qu’à la question « Considérez-vous la notion d’activité physique comme
point central de toute activité sportive ? » de mon questionnaire de recherche, 93.7% des sondés
qui ont répondu « Non » à la question « Considérez-vous l’esport comme un sport ? » répondent
par l’affirmative. Il est possible de citer plusieurs réponses pertinentes pour avancer29
:
- « Pour moi le sport doit être physique et doit faire souffrir le corps »
- « Pas de transpiration pas assez d’effort »
- « Manque l'activité physique »
- « Rester assis devant un écran j'appelle pas ça du sport »
La réponse est très intéressante car elle met en exergue le fait que la majorité de mon panel est
d’accord avec la notion hygiéniste du sport et en conclut donc que si l’activité physique est
absente dans le sport électronique, ce n’est donc pas un sport. L’effort physique, la dépense
énergétique, ne pas être assis et même la souffrance physique doivent donc être absolument
29
Voir réponses au questionnaire
34
présente dans tous les sports. En revanche, les défenseurs de l’esport utilisent au final le même
argument : l’esport est physique.
Mais alors, pourquoi la plupart de la population associe activité physique et sport ? Dans la
partie précédente, nous avons observé qu’au final aucune définition du terme « sport » n’était
entièrement crédible mais nous n’avons pas pour autant défini à quoi correspondait « une
activité physique ». Dans un rapport de l’INSERM (Institut national de la santé et de la
recherche médicale)30
qui cite l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), l’activité physique
est définie comme « tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques, entraînant
une dépense d’énergie supérieure à celle du repos. En aucun cas, la définition d’activité
physique est synonyme de sport. De même, toujours selon l’OMS, le sport « est un sous-
ensemble de l’activité physique, spécialisé et organisé » et « une activité revêtant la forme
d’exercices et/ou de compétitions, facilités par les organisations sportives ».
En conclusion, « le sport est la forme la plus sophistiquée de l’activité physique, mais l’activité
physique ne se réduit pas au sport ». Par définition, il est alors possible de dire qu’au final, le
sport est la forme la plus sophistiquée de tout mouvement corporel produit par les muscles
squelettiques, entraînant une dépense d’énergie supérieure à celle du repos et revêtant la forme
d’exercices et/ou compétitions, facilités par les organisations sportives. L’activité physique est
donc une chose de très vaste qui au final est une situation dans laquelle notre dépense
énergétique est supérieure à notre « position repos », ce qui arrive très souvent !
Dès lors, il est légitime d’affirmer qu’effectivement tout sport présente une activité physique et
donc que le problème central n’est plus autour de la notion de sport, mais autour de la notion
d’activité physique. La définition de l’OMS prouve que cette dernière « entraine une dépense
d’énergie supérieure à celle du repos » mais en aucun cas dans le cadre du sport, cette dépense
d’énergie ne possède un seuil minimal. Le tir à l’arc et le marathon sont tous les deux des sports
et des activités physiques, pourtant leur rapport énergétique est différent. On ne peut pas définir
un sport en fonction de son rapport à la dépense énergétique nécessaire pour le réaliser mais il
est en revanche possible le catégoriser (sport à haute dépense énergétique, à moyenne, à basse
etc.). Cette notion de dépense énergétique pour définir le sport est donc tout aussi
invraisemblable que si l’on définissait tous les sports utilisant majoritairement les muscles des
jambes comme « véritables sports » et ceux utilisant majoritairement les muscles des bras
30
INSERM (2007), Activités physique : contextes et effets sur la santé. Rapport d’experts d’analyse des
déterminants individuels et collectifs susceptibles de favoriser l’activité physique
http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/97/expcol_2008_activite.pdf?sequence=1&isAllowed=y
35
comme « faux sports ». Pourquoi un sport à haute dépense énergétique serait plus légitime
qu’un sport à basse dépense ?
Il convient cependant de préciser que si les gens utilisent le terme d’activité physique dans le
but d’améliorer leur performance corporelle et améliorer leur santé, cela sous-entend que
l’activité réalisée dépasse pour le coup un certain seuil de dépense énergétique. En effet, monter
une marche convient objectivement à une activité physique mais c’est en monter des centaines
d’affilée qui aboutira à un résultat bénéfique pour le corps. Le sport (sauf le sport « hygiéniste »)
n’a pas foncièrement la vocation d’améliorer le corps et la santé (au contraire le sport de haut
niveau peut la dégrader) mais plutôt l’évolution positive des performances dans le but
d’engranger des résultats. Dans les faits cependant, cette amélioration des résultats passe par
une amélioration corporelle et sanitaire, qui est indépendante du sport. Ce n’est pas pour rien
que le sport de haut niveau met en relation les sportifs à des professionnels de la santé
(kinésithérapeutes, nutritionnistes, préparateurs physiques etc.) pour augmenter leur chance de
réussite sportive.
2. Activité physique ou activité motrice ?
C’est pour éviter ce problème définitionnel que les sociologues du sport n’utilisent pas le
rapport à l’activité physique mais la notion de pertinence motrice, notamment Pierre
PARLEBAS, pour arriver à différencier ce qui est un sport de ce qui ne l’est pas.
Avant d’aller plus loin, il est nécessaire d’expliquer un peu plus en détail ce qu’est la pertinence
motrice. Au lieu d’utiliser la notion d’activité physique pour parler du sport, le sociologue
PARLEBAS emploie la notion de « situation motrice » pour parler plus en détail d’une pratique
physique sportive. Il définit alors la situation motrice comme un « ensemble de données
objectives et subjectives caractérisant l'action motrice d'une ou plusieurs personnes qui, dans
un milieu physique donné, accomplissent une tâche motrice »31
. La « pertinence motrice » est
donc tout simplement le fait qu’un individu agisse de manière déterminante au cours d’une
action motrice et donc que les comportements moteurs possèdent une signification et influent
sur le résultat. Pour faciliter la compréhension, PARLEBAS affirme au sujet des échecs, des
jeux de cartes ou de sociétés, que « la pertinence n’est pas motrice mais combinatoire et/ou
symbolique ».32
31
PARLEBAS (1981), Contribution à un lexique commenté en science de l’action motrice
32
PARLEBAS (2005), L’éducation par le sport, dans Vers l’Éducation Nouvelle n°515, pages 70-83
36
Dans tous les sports, l’activité motrice comme finalité de la pratique physique fait partie des
conditions nécessaires pour pouvoir caractériser une activité comme un sport. Or chez la plupart
des gens c’est bien ce point qui pose problème quant à la légitimité de l’esport comme sport.
En effet, comme vu précédemment, la plupart des sondés l’affirment : « il n’y a pas d’efforts
physiques majeurs, c’est plus mental que physique », « la stimulation physique absente en
grande partie, seul demeure un stimuli intellectuel », « aucune dépense musculaire »33
…
Mais alors qu’en est-il réellement ? Peut-on défendre l’esport comme sport de par sa pertinence
motrice ?
En analysant le questionnaire de recherche, fort est de constater que la plupart des joueurs qui
souhaitent défendre la pratique esportive utilisent souvent le même argumentaire :
- « C’est un sport à part entière que je classerais dans la même catégorie que les échecs »
- « Le sport électronique nécessite concentration et endurance, tout comme le sport d'une
manière générale. »
- « Car il y a les mêmes moyens mis en place pour les équipes de haut niveau »
- « Plaisir et compétition + Il faut s’entraîner dur pour être au-dessus du lot »
- « Car le esport requiert beaucoup d’entraînement avec le développement des réflexes
et des stratégies. »
- « Nécessite de l'entraînement. De la concentration. De la stratégie. Du talent. »
Une majorité des sondés défendent l’esport en utilisant des arguments qui sont en général
propres aux sports traditionnels, à savoir la notion d’entraînement, de compétition, de plaisir,
de réflexes, de stratégies, de concentration et même de talent. On constate toutefois que l’aspect
physique n’est pas toujours omis certes mais reste très nuancé et est cité la plupart du temps en
troisième ou quatrième position. Certains arrivent même à défendre l’esport en nuançant
l’aspect physique et en le comparant à une autre famille des sports à savoir les sports
mécaniques : « Il appartient à la grande famille des sports comme le sont les sports mécaniques
et autres mais n'est pas un sport traditionnel en raison de l'absence d'activité physique
propre ».
Sur les 46 personnes interrogées (sur un total de 125) qui considèrent l’esport comme un sport,
seulement 7 (soit 14.5%) utilisent le terme « physique » pour le défendre. À l’inverse, les 79
détracteurs de l’esport du questionnaire, appuient sur l’importance de l’absence d’activité
33
Voir réponses aux questionnaires en annexes « Considérez-vous l’esport comme un sport ? Pourquoi ? »
37
physique dans l’esport : 47 (soit 59.4% des détracteurs) font de cette notion leur principal
reproche. Ainsi on peut citer quelques critiques acerbes :
- « Aucun effort physique à proprement parler »
- « Pour moi le sport doit être physique et doit faire souffrir le corps »
- « L'esport nécessite de l'entrainement certes mais ce n'est pas un dépassement de soi, il
ne sera jamais dos au mur physiquement »
- « Car il n'y a aucune dépense d’énergie physique, ce qui est la définition même du
sport »
- « La partie "physique" de l'esport est ridicule. Savoir bouger 5 doigts à toute vitesse
sur un clavier et 5 autres sur une souris c'est bien mais concrètement ça ne sert à rien.
A moins de vouloir faire des études de "moines copistes 2.0" Il n'est pas non plus un
sport d'esprit comme les échecs ou le jeu de go. L'esport c'est fun à regarder et à
pratiquer, il n'y a pas d'affrontement direct (la partie est jouée sur écrans interposés). »
- « Pas de condition physique à avoir à part être capable de rester devant un écran 20h
par jour ! Je pense que valoriser les geeks donne une mauvaise image aux jeunes qui
croient qu'ils peuvent réussir dans la vie en jouant à FIFA. Au moins quand on joue
vraiment au foot même sans passer pro on peut rencontrer des entraîneurs, des amis,
des bénévoles qui vont nous inculquer des vraies valeurs, nous faire sortir de chez
nous... Je pourrais écrire longtemps et mieux mais j'ai pas le temps »
- « Pas une activité physique, la personne ne se dépense pas, ne transpire pas, ne se vide
pas la tête, n'a pas de courbature le lendemain etc »
Fort est de constater que la question motrice est certainement le problème majeur d’un point de
vue social quant à la définition même de l’esport. La question est donc de savoir si l’esport est
physique (ou moteur dans ce cas précis).
Pourtant, la place de la motricité dans le sport n’est pas récente et a été questionnée maintes
fois à travers différents sports, l’exemple le plus évident étant les échecs. D’ailleurs, de
nombreux sondés ont utilisés une analogie entre esport et échecs pour défendre ou
décrédibiliser l’esport ! Même argument, même idée … mais résultat différent :
- Pour un adepte de l’esport : « C'est un sport à part entière que je classerais dans la
même catégorie que les échecs »
- Pour un détracteur de l’esport : « Pas d'activité physique, je compare plutôt ça aux
compétitions d'échecs par exemple »
38
Considérés aujourd’hui comme un sport par le Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports
depuis le 19 janvier 200034
, les échecs n’ont cependant pas été la seule activité sportive à devoir
prouver qu’ils répondaient bien aux critères sportifs. Les activités impliquant des engins
motorisées (Formule 1, WRC, Moto GP…) ou des animaux (équitation…) ont eu à prouver
l’influence motrice corporelle de leur activité. Aujourd’hui, c’est au tour de l’esport d’expliquer
l’influence du corps sur le résultat.
Deux questions apparaissent alors : où se situe la part de motricité dans le jeu vidéo compétitif
et surtout, comment cette motricité influe-t-elle sur le résultat des parties jouées. Afin de
répondre à ces questions l’analyse s’aidera des résultats de recherches déjà effectuées
auparavant mais également de mon expérience personnelle.
B. L’ESPORT, UNE PRATIQUE DE NATURE MOTRICE
Il est vrai que de manière courante, on tend à opposer pratique physique et pratique
vidéoludique et surtout, on néglige la place du corps dans ce genre d’activité. Ce dernier serait
alors « inactif et subordonné à la machine »35
. Pour les joueurs en revanche, l’implication du
corps dans la pratique du jeu vidéo ne fait aucun doute et est même entièrement responsable
des résultats véhiculés à l’écran.
1. Les blessures physiques et psychologiques : première preuve de l’importance
du corps dans l’esport
Dans un premier temps, il est nécessaire de rappeler que le corps, dans tous les sports, peut
subir des dysfonctionnements : blessures, saignements, crispations, maux de tête … Ces
problèmes physiques se retrouvent également lors de la pratique de jeux vidéo. Quiconque a
joué plusieurs heures d’affilée à un jeu a déjà entraperçu les douleurs physiques qui pouvaient
en résulter : maux de tête, persistances rétiniennes, crispations des bras, etc. D’un point de vue
psychologique, l’Organisation Mondiale de la Santé classera l’addiction aux jeux vidéo comme
maladie dans la 11ème
révision de la Classification Internationale des Maladies (CIM-11)36
.
D’un point de vue psychologique et physiologique, la pratique de jeu vidéo présente donc
34
La Fédération française des échecs a été fondée le 19 mars 1921. Elle est reconnue fédération sportive depuis
l’attribution de l’agrément sport, le 19 janvier 2000,
http://www.sports.gouv.fr/IMG/pdf/sports_cerebraux_vf_03-11-2015.pdf
35
Nicolas BESOMBES citant PETER, https://journals.openedition.org/sdj/612
36
http://www.who.int/features/qa/gaming-disorder/fr/
39
certains dangers. À haut niveau, tout comme un sport professionnel traditionnel, les problèmes
peuvent devenir plus graves et engendrer des séquelles plus sérieuses sur le corps. L’Institut de
Recherche du Bien-Être de la Médecine et du Sport-Santé (IRBMS) a recensé les pathologies
les plus fréquentes lors de la pratique esportive de haut niveau, qui peuvent avoir des
conséquences sur l’organisme37
:
• TROUBLES MUSCULO-SQUELETTIQUES ET DOULEURS ARTICULAIRES
▪ La ténosynovite De Quervain : plus simplement une tendinite du pouce que l’on
peut également retrouver dans le monde du travail. Il s’agit d’une pathologie
inflammatoire du pouce et du poignet.
▪ Cervicalgies : douleurs, irradiations et raideurs musculaires dans le haut du dos.
▪ Syndrome du canal carpien : engourdissements et fourmillements dans les
doigts, perte de force musculaire dans le poignet et la main touchés.
• PATHOLOGIES DE CONCENTRATION
▪ Problèmes de vision : rester devant un écran plusieurs heures d’affilée fatigue
les yeux et peut dégrader le sommeil. De même, les écrans peuvent provoquer
des effets néfastes pour les potentiels épileptiques
▪ Problèmes d’agressivité : langages verbaux, « toxicité » de la communauté dans
certains jeux, agressivité après défaites …
▪ Perte de sommeil, addiction, troubles du comportement
Bien évidemment, cette liste n’est pas exhaustive et il est possible de rajouter d’autres
symptômes, à l’instar de pneumothorax spontanés ou encore de syndrome du défilé thoracique.
Dans le jeu vidéo, le corps souffre donc bel et bien.
Ainsi, si dans le sport traditionnel il a été possible d’assister malheureusement à de « célèbres »
blessures (Djibril CISSÉ : double fracture tibia-péroné à la veille de Coupe du Monde 2006 de
football // Clint MALARCHUK : gorge tranchée lors d’un match de hockey sur glace en NHL
// James HORWILL : doigt à moitié tranché lors d’un match de rugby) le sport électronique
possède également son lot de problèmes physiques connus dans le monde vidéoludique. Par
exemple le Sud-Coréen Jeong « Mvp » Jong Hyeon, très célèbre joueur du jeu Starcraft 2, a mis
fin à sa carrière en 2014 à cause d’un syndrome du canal carpien diagnostiqué dans ses deux
mains.
37
BACQUAERT, P. (2018). eSport et blessures : les dangers sont réels, Esport et blessures fréquentes,
https://www.irbms.com/e-sport/
40
Aujourd’hui cependant, et notamment grâce à l’ampleur que prend l’esport, les soins médicaux
et ergonomiques sont de plus en plus considérés par les équipes professionnelles de sport
électronique qui essayent de contrecarrer les problèmes physiques. Certains kinésithérapeutes,
à l’instar de Caitlin « Lurkaderp » MCGEE, se sont spécialisés dans l’univers vidéoludique et
soignent les pathologies liées à la pratique du jeu vidéo. Interviewée par Red Bull Esports38
,
cette dernière a pour volonté d’expliquer à tous les joueurs, expérimentés ou non, comment
limiter les risques de blessures liés à la pratique du sport électronique. Ce qui l’énerve le plus ?
« Les personnes qui ont une mauvaise posture et le dos courbé. Ensuite, ceux qui n'utilisent
jamais les repose-bras. On voit aussi des personnes qui reposent leurs poignets sur le bord de
la table. Les joueurs de Counter-Strike : Global Offensive, par exemple, se tiennent à quelques
centimètres de l'écran. C'est le genre de truc qui m'exaspère ». Bien qu’encore rare dans
l’esport, les blessures graves risquent d’augmenter avec le temps, logiquement à cause du
nombre de joueurs en constante progression, mais aussi parce que la concurrence sera rude et
nécessitera des entrainements de plus en plus rigoureux. Cette prévention des risques devra
donc passer par un recrutement d’un personnel compétent capable de soigner les futures
blessures. Comme l’affirme MCGEE : « Vu qu'il y a une prise de conscience, je pense que les
blessures seront de moins en moins sévères. En coulisses, il y aura de plus en plus de praticiens
qui vont accompagner les joueurs. […] Cloud 9 39
a déjà un kinésithérapeute, et je bosse
régulièrement avec celui de Counter Logic Gaming40
, donc on progresse. De plus en plus de
gens vont être engagés dans les staffs parce qu'on commence à se rendre compte que c'est
nécessaire. Avant, l'eSport était un petit milieu, plutôt marginal. Maintenant, les joueurs ont
l'opportunité de jouer au plus haut-niveau et faire carrière. Il faut donc des gens pour les
soutenir, et maintenir un circuit compétitif sain. »
38
Interview du Docteur Caitlin MCGEE, https://www.redbull.com/fr-fr/esports-blessures-joueurs-caitlin-mcgee-
kine
39
Important équipe esportive nord-américaine présente sur de nombreux jeux comme Rocket League, League of
Legends, CS:GO, Super Smash Bros, Overwatch etc.
40
Autre équipe nord-américaine d’esport
41
Figure 2. Docteur Caitlin MCGEE donne quelques conseils pour prévenir les douleurs et blessures liées à la
pratique intense de jeux vidéo. Disponible sur
https://www.youtube.com/watch?time_continue=6&v=5LEfNTv0spU
Les problèmes physiques évoqués ci-dessus précisent alors un point essentiel : le corps est bien
présent dans l’expérience vidéoludique.
2. Mise en situation d’une compétition d’esport : League Of Legends – Worlds
2017
Afin de comprendre comment le corps présente un impact essentiel dans le résultat d’une
performance esportive, il est nécessaire d’expliquer en détail comment peut se dérouler une
compétition internationale du point de vue des joueurs. Cette partie s’appuiera sur une analyse
des joueurs de la finale des Worlds 2017 de League Of Legends et du jeu en lui-même.
Le League Of Legends World Championship ou le Championnat du Monde de League Of
Legends en français représente chaque année l’apogée de la scène compétitive mondiale.
Chaque saison se termine en apothéose par cette compétition qui attire les meilleures équipes
mondiales qui ont réussi à se qualifier pendant l’année. En 2017, la finale de ce tournoi a eu
lieu le 4 novembre au stade national de Pékin et a opposé deux équipes coréennes : les Samsung
Galaxy (SSG) contre les SK Telecom T-1 (SKT). Pourtant vainqueurs des éditions 2015 et 2016
et favoris de la compétition, les SKT se sont lourdement inclinés contre leurs homologues
coréens sous le score sans appel de 3 parties à 0. Contre toute attente, celui que l’on considère
comme étant le meilleur joueur du monde, Lee « Faker » Sang-hyeok fond en larmes après ce
42
revers inopiné. Dans un long texte paru quelques semaines avant cette défaite sur le site
ThePlayersTribune, Faker s’assume totalement : « Mon nom est Lee Sang-hyeok. Mes fans
américains m’appellent "Dieu". Mes fans coréens, "l'Invincible Roi Démon". Mais je préfère
"Dieu", parce que ça me semble un tout petit peu plus imposant. Dans le jeu, je suis simplement
"Faker" »41
. Après cette défaite, il est juste redevenu humain.
Figure 3. Faker en larme après la défaite de son équipe en finale des championnats
du monde de League of Legends
Pourtant, les critiques sont unanimes quant à cette défaite : elle est entièrement méritée42
. Aucun
des joueurs de SKT n’a été à la hauteur de l’événement : Bae « Bang » Jun-sik et Lee « Wolf »
Jea-wan ont été les premiers responsables. Faker lui, nonobstant quelques erreurs, a fait ce
qu’on attendait de lui : malgré la gestion parfaite de ses personnages il n’a en revanche pas eu
la possibilité de « carry » (porter) son équipe jusqu’à la victoire. Mécaniquement et
stratégiquement parlant, les Samsung Galaxy étaient au-dessus, et même un grand Faker ne
pouvait rien y faire.
Et c’est bien là tout l’intérêt de League Of Legends. Tout comme le sport traditionnel de très
haut niveau, une succession d’individualités ne peut pas vaincre une équipe organisée.
41
Traduction personnelle de : “My name is Lee Sang-hyeok. My American fans call me “God.” My Korean fans
know me as “the Unkillable Demon King.” I actually prefer God, because it feels just a little bit higher”
https://www.theplayerstribune.com/en-us/articles/faker-league-of-legends-worlds-unkillable
42
AUTHIÉ, Mondiaux de LoL : le règne des SKT s’achève, 2017, disponible sur
https://esport.canal.fr/actualites/mondiaux-de-lol-regne-skt-sacheve/
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L'esport, un sport comme les autres ?

  • 1. __________ MÉMOIRE Présenté en vue d'obtenir Master Sciences du Management __________ L’esport, un sport comme les autres ? Alexis TISSERAND __________________________________________________________________________ Sous la direction de : M. Cédric GHETTY
  • 2. 2 TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION .......................................................................................................................................... 4 PARTIE 1. L’ESPORT, UNE PRATIQUE MAL DÉFINIE ET STÉRÉOTYPÉE........... 10 A. L’ESPORT, QU’EST-CE QUE C’EST ?...................................................................... 11 1. Quelques notions utiles à la compréhension de l’esport........................................... 11 2. Les jeux esportifs : neuf disciplines qui se démarquent ............................................ 13 3. Comment définir précisément l’esport ? ................................................................... 15 B. LE SPORT, UNE NOTION AMBIGÜE ....................................................................... 16 1. La vision hygiéniste du sport..................................................................................... 17 2. Les définitions « officielles » du sport....................................................................... 18 3. La définition sociologique du sport pour régler le problème.................................... 19 C. MÉTHODOLOGIE ET OUTILS .................................................................................. 21 1. Aperçu général du panel : approche quantitative..................................................... 21 2. Le rapport au sport chez les sondés : analyse qualitative......................................... 24 3. Le rapport à l’esport chez les sondés : analyse qualitative ...................................... 26 PARTIE 2. L’ESPORT, UNE PRATIQUE À LA MOTRICITÉ DÉTERMINANTE ?.. 32 A. UN RAPPORT À LA DÉPENSE ÉNERGÉTIQUE QUI POSE PROBLÈME............. 33 1. Un rapport à l’activité physique nécessaire dans le sport ?..................................... 33 2. Activité physique ou activité motrice ?...................................................................... 35 B. L’ESPORT, UNE PRATIQUE DE NATURE MOTRICE............................................ 38 1. Les blessures physiques et psychologiques : première preuve de l’importance du corps dans l’esport............................................................................................................ 38 2. Mise en situation d’une compétition d’esport : League Of Legends – Worlds 2017 41 C. JEUX VIDEO DIFFÉRENTS, MOTRICITÉ ÉGALE ?............................................... 51
  • 3. 3 PARTIE 3. COMPÉTITION, CODIFICATION ET INSTITUTIONNALISATION : L’ESPORT EST-IL ENFIN UN SPORT ?......................................................................................... 54 A. ESPORT ET SYSTÈME COMPÉTITIF....................................................................... 55 1. Historique et grandes dates de l’esport..................................................................... 56 2. La saison 7 de League Of Legends : de la pré-saison aux Worlds ........................... 64 B. ESPORT ET CODIFICATION ..................................................................................... 76 1. Le programme informatique des développeurs : la régulation implicite.................. 76 2. La codification compétitive des organisateurs : la régulation explicite ................... 78 C. ESPORT ET INSTITUTIONNALISATION ................................................................ 85 1. Institutionnalisation associative, privée et gouvernementale.................................... 86 2. L’esport en France : volonté de reconnaissance ou passage sous silence ? ............ 94 D. L’ESPORT, PAS UN SPORT… MAIS UNE INDUSTRIE SPORTIVISÉE ?............. 95 1. L’écosystème esportif : chiffres et acteurs de l’esport .............................................. 96 2. Populaire et médiatique : l’esport, une activité à part............................................ 100 CONCLUSION............................................................................................................................................ 103 BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................................................... 107 ANNEXES...................................................................................................................................................... 113 ANNEXE 1 : LEXIQUE..................................................................................................... 114 ANNEXE 2 : TOUS LES ESPORTS.................................................................................. 118 ANNEXE 3 : QUESTIONNAIRE DE RECHERCHE ....................................................... 119 ANNEXE 4 : RÉPONSES AU QUESTIONNAIRE........................................................... 126
  • 5. INTRODUCTION C’est un fait : l’esport est devenu « mainstream ». Méconnu il y a de cela une dizaine d’années, le sport électronique est devenu aujourd’hui une activité incontournable, passant d’une niche d’adeptes de dizaines de milliers d’individus à un phénomène mondial. Un véritable business s’est amorcé autour de l’esport, confirmant ainsi son évolution exceptionnelle qui ne décroîtra pas de sitôt. Chaque année semble être un tournant pour cette discipline : l’arrivée de nouveaux jeux (Overwatch en 2016, Fortnite : Battle Royale en 2017, 8ème saison de League Of Legends en 2018…) et de nouvelles compétitions, augmentent indiscutablement le chiffre d’affaires esportif et le nombre de (télé)-spectateurs. Selon les études récentes (décembre 2017) de SuperData le marché financier annuel de l’esport (réparti principalement en Europe, Asie et Amérique du Nord) représente 1.5 milliards de dollars de revenus1 en 2017 et accroîtra théoriquement de 26% en 2020. Ces résultats proviennent surtout des revenus associés aux sponsors, produits dérivés, publicité et vente de tickets. Mais l’esport, ce n’est pas qu’une histoire de chiffres. L’esport, c’est aussi un engouement digne des plus grands sports « traditionnels ». Avec un nombre croissant de compétitions internationales, des retransmissions de matchs via des plateformes de streaming (Youtube live, Twitch …) et même via des chaînes télévisées (L’Équipe 21 en France a retransmis la finale de la Coupe du monde de l'ESWC sur Fifa 172 ), des cashprizes (récompenses) en constante évolution et des investisseurs privés pourvoyeurs de fonds dans une optique de visibilité, le sport électronique a atteint une popularité exceptionnelle qui attire, bouleverse et influence nos sociétés actuelles. Par exemple, les Worlds 2017 du jeu League Of Legends ont atteint une moyenne d’audience de 33 millions de spectateurs et engendrés 4.3 milliards d’heures vues sur l’ensemble du tournoi.3 Il ne faut pas oublier également qu’en août 2017, Tony ESTANGUET (coprésident du Comité Paris 2024) a véritablement jeté un pavé dans la mare en mentionnant la possibilité d’intégrer l’esport aux Jeux Olympiques : « Les jeunes s'intéressent à l'esport et ce genre de choses. Donc oui, faisons de même, rencontrons ses représentants, voyons si l'on peut établir des liens ou pas. Je ne veux pas dire non tout de suite. Je pense que c'est intéressant qu'on discute tous ensemble pour mieux comprendre comment ça fonctionne et pourquoi 1 SuperData Research (Décembre 2017) Esports Courtside: Playmakers of 2017. Disponible sur www.superdataresearch.com 2 Site L’Équipe 21, https://www.lequipe.fr/Esport/Actualites/L-esport-et-fifa-de-retour-sur-la-chaine-l- equipe/740421 3 Statistiques des Worlds 2017 en Chine, https://esc.watch/tournaments/lol/2017-world-championship
  • 6. 6 l'esport a autant de succès ».4 Qu’une aussi grande institution se soucie du futur rôle à jouer de l’esport dans la plus importante compétition sportive internationale prouve l’impact social que possède cet univers vidéoludique. Néanmoins, cette popularité est désormais à double tranchant, engrangeant de nouveaux préjugés, attisant des anciens. Aujourd’hui, la facilité d’accès aux jeux vidéo grâce à la multiplication des supports (ordinateurs, consoles, téléphones…) favorise les discours stigmatisants, surtout vis-à-vis des jeunes. Associés au décrochage scolaire, à l’isolement social ou encore à la sédentarité par de nombreux médias, les jeux vidéo souffrent d’idées reçues et le récent débat autour de la notion de « sport » électronique n’a fait qu’accroitre les stéréotypes. Les critiques acerbes autour du jeu vidéo compétitif ne concernent cependant qu’un point en particulier : son rapport à l’activité physique. En effet, de nombreuses personnalités médiatiques, spécialistes ou non dans la question5 mettent en exergue que « l’esport, ce n’est pas une activité physique »6 et que le considérer comme tel serait une aberration. Et pourtant, son impact en tant que véritable phénomène culturel chez les jeunes générations et son retentissement social tendent à légitimer la prise de conscience des institutions gouvernementales sur la question « esportive ». Et c’est aujourd’hui chose faite puisque depuis le 7 octobre 2016, la pratique compétitive de jeux vidéo est officiellement reconnue par l’Etat Français7 . Mais bien que dorénavant encadrée et non plus considérée comme jeu de hasard, cette pratique suscite encore d’autres interrogations. La première et plus importante : comment définir l’esport ? Aujourd’hui, aucune définition n’est véritablement officielle même si certains sociologues du sport à l’instar de WAGNER ont essayé de s’y aventurer. Ainsi si WAGNER affirme que « l’esport est l’ensemble des activités sportives dans lequel les individus développent et améliorent leurs capacités mentales ou physiques par l’intermédiaire des technologies de 4 Discours de Tony ESTANGUET, co-président du Comité Paris 2024, à propos de l’intégration de la possibilité d’intégrer l’Esport aux JO de Paris 20124, https://www.apnews.com/ca6640ffde80403ea17f339247192324 5 AUDUREAU, Antoine de Caunes s'excuse d'avoir « froissé » les joueurs de jeu vidéo. Antoine de CAUNES au Grand Journal critique de manière très condescendante les gamers visionnant des streams sur Internet en s’exclamant « qu’il ne faut vraiment rien d’autre à foutre de sa vie » http://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/09/01/antoine-de-caunes-s-excuse-d-avoir-froisse-les-joueurs-de-jeu- video_4479800_4408996.html 6 Interview de Teddy Riner, champion Olympique de Judo exprimant son désarroi face à la possible instauration de l’esport aux Jeux Olympiques, http://rmcsport.bfmtv.com/mediaplayer/video/t-riner-l-esport-n-a-rien-a-faire- aux-j-o-ce-n-est-pas-une-activite-physique-984913.html 7 La loi pour une République Numérique permet d’encadrer la pratique de compétition de jeux vidéo depuis le 7 octobre 2016 https://www.economie.gouv.fr/entreprises/e-sport
  • 7. 7 l’information et de la communication »8 , il en néglige totalement l’aspect compétitif du sport électronique qui fait pourtant partie intégrante de cette pratique. Il convient donc de repréciser la définition et nous en resterons pour l’instant à celle de Nicolas BESOMBES, Docteur en Sciences du Sport, assimilant « le sport électronique comme un affrontement codifié de joueurs, par écran(s) interposé(s), lors de compétitions online ou offline de jeux vidéo9 ». BESOMBES précise ainsi quatre conditions pour « circonscrire le phénomène : l’affrontement entre joueurs réels, l’organisation de compétitions, leur règlementation, et le lieu de l’affrontement, à savoir l’univers réel du jeu vidéo retransmis sur des écrans ». Afin de compléter au mieux cette première approche, il convient de rajouter que tout comme dans les « sports traditionnels », la pratique amateure est majoritaire, celle professionnelle plutôt marginale, réservée à l’élite des joueurs et salariés par des structures privées. Enfin, après des recherches approfondies, nous utiliserons l’orthographe « esport » pour parler du sport électronique puisque d’après les travaux linguistiques de SAELENS et ROGERIE (2015) seuls deux orthographes pourraient être admises10 : « e-sport » rappelant l’abréviation « électronique » et « esport » comme nom commun. Esport sera l’orthographe utilisée dans ce mémoire, par pur choix personnel. Depuis toujours passionné par les jeux vidéo indépendants ou « artistiques », je me suis intéressé aux jeux vidéo compétitifs assez jeune avec quelques jeux en particulier (Wolfenstein Enemy Territory, Quake, Warcraft 3, Age Of Empire) sans pour autant y prendre vraiment part. C’est véritablement à partir de la saison 5 de League Of Legends que je me suis mis à « jouer » de manière sérieuse et en atteignant un niveau correct (top 4% des meilleurs joueurs européens). La présence dans mon entourage proche de joueurs réguliers de jeux vidéo compétitifs mais surtout de détracteurs de cette pratique vidéoludique a éveillé ma curiosité quant à la notion de « sport électronique ». Mais c’est surtout après l’annonce tonitruante de Tony ESTANGUET sur la possibilité d’instaurer l’esport aux Jeux Olympiques que ma problématique s’est précisée. Au départ uniquement orienté vers la légitimité de son instauration aux Jeux de Paris 2024, mon raisonnement s’est révélé erroné : avant de savoir si le sport électronique avait sa place aux Jeux, il fallait savoir si l’esport était bel et bien un sport. Ce questionnement exploratoire permit alors d’établir une problématisation d’ordre définitionnelle : l’esport est-il un sport par définition ? 8 WAGNER, M. (2006) On the scientific relevance of esport. Traduction personnelle de: “eSports” is an area of sport activities in which people develop and train mental or physical abilities in the use of information and communication technologies.” 9 BESOMBES (2017). L’esport est-il un sport comme les autres ? Conférence réalisée au MAIF Social Club 10 http://www.smartcast.ninja/2015/12/09/esport-e-sport-es-au-fait-comment-ca-secrit/#Le_esport_ou_lesport
  • 8. 8 En allant plus loin dans mes recherches, la notion de « sportivisation » revenait souvent lors des débats autour des « nouveaux » sports (à l’instar du poker ou des échecs). Bien que de nombreuses définitions existent, celle de PARLEBAS semble la plus pertinente. Ce dernier affirme que la sportivisation est « le processus social, notamment institutionnel, et par extension le résultat de ce processus, par lequel une activité ludomotrice acquiert le statut de sport »11 . Ainsi selon cette définition, un sport est un sport s’il répond aux quatre critères définis par les sociologues du sport : pertinence motrice, compétition, codification et institutionnalisation. La réponse à cette interrogation devient limpide : il suffit de prouver que l’esport réponde à ces critères pour le qualifier de sport. En revanche, certains auteurs comme AUBEL définissent la sportivisation comme étant « l’avènement d’une activité puis sa marchandisation, c’est-à-dire le développement d’un marché en matériel spécialisé, vêtements, magazines… ».12 Julien BERTRAND quant à lui explique que la sportivisation peut être entendue comme une « transformation de la pratique dans le sens d’une centration sur les enjeux compétitifs, sur l’entraînement à la performance, en d’autres termes comme le reflet d’une autonomisation des enjeux propres à un espace de pratiques (les titres, récompenses) face à des demandes ou enjeux hétéronomes (fonction éducative et support de sociabilité par exemple) »13 . Autrement dit, à l’inverse de PARLEBAS, la sportivisation peut signifier alors un processus social offrant la possibilité à un individu ou une population de s’adonner à des pratiques sportives sans que ces dernières soient dépendantes d’une organisation sportive, notamment fédérale. Pour simplifier la compréhension, nous utiliserons les termes de « sportivisation sociologique », pour la sportivisation définie par PARLEBAS et « sportivisation socio-économique » pour les autres. Toutefois le problème s’est complexifié de par certaines de mes discussions avec mon entourage proche : « Même si tu me prouves par A+B que l’esport est un sport, jamais ne je le considèrerai comme tel, c’est du business tout ça ». Le questionnement devient donc totalement différent : est-il suffisant de prouver que l’esport s’est sportivisé pour le percevoir comme sport ? Pourquoi notre société n’arrive pas à percevoir l’esport comme du sport ? Est-ce un problème culturel ou un problème définitionnel ? L’esport ne répond-il pas à une nouvelle 11 SUCHET citant PARLEBAS, La sportivisation des pratiques dites nouvelles, Aspects Sociologiques, Vol. 18, Mars 2011, disponible sur : http://www.aspects-sociologiques.soc.ulaval.ca/sites/aspects- sociologiques.soc.ulaval.ca/files/suchet2011_0.pdf 12 SUCHET citant AUBEL, La sportivisation des pratiques dites nouvelles, Aspects Sociologiques, Vol. 18, Mars 2011, disponible sur : http://www.aspects-sociologiques.soc.ulaval.ca/sites/aspects- sociologiques.soc.ulaval.ca/files/suchet2011_0.pdf 13 BERTRAND, La fabrique des footballeurs : Analyse sociologique de la construction de la vocation, des dispositions et des savoir-faire dans une formation au sport professionnel, 2008, disponible sur : http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2008/bertrand_j/download
  • 9. 9 définition du sport ? L’esport a-t-il besoin d’être assimilé au sport pour être légitime ? Au final, la problématique est simple mais soulève de nombreux problèmes et interroge : l’esport est-il un sport comme les autres ? Bien que devenu un « objet d’étude scientifique légitime14 » selon BROUGÈRE, il ne faut pas oublier que les travaux et les études sur l’esport sont assez marginaux et se focalisent plus sur des statistiques notamment en France. En revanche en Europe, en Amérique du Nord et en Asie de nombreuses recherches sur l’esport se sont amplifiées à partir des années 2010, à travers de nombreuses thématiques et disciplines variées à l’instar de la place des femmes sur la scène compétitive, du marketing ou encore de la médiatisation des événements esportifs. C’est pourquoi j’appuierai mon hypothèse sur les travaux de recherche déjà effectués auparavant mais aussi sur les réponses obtenues via mon questionnaire de recherche. Je défendrai ainsi la thèse suivante : que l’esport n’est pas une activité sportive comme les autres, qu’elle n’est ni différente ni identique, mais qu’elle ouvre la porte à une pratique nouvelle et que de ce fait, l’esport n’a même pas besoin d’être caractérisé comme un sport à part entière pour être légitime et exister. Afin d’essayer de répondre aux interrogations sur ce phénomène qu’est le sport électronique, la démarche de ce mémoire comportera trois parties. La première partie présentera ce qu’est réellement l'esport mais également le sport puisqu’en analysant le questionnaire de recherche, la méconnaissance définitionnelle de ces deux sujets est exacerbée. Dans la deuxième partie, l’aspect « physique » du sport, si important aux yeux de nombreuses personnes sera débattue à travers l’esport de par son rapport à la notion d’activité motrice déterminante, premier critère de la sportivisation sociologique. Enfin la troisième partie mettra en relation l’esport aux trois autres critères de sportivisation : compétition, codification et institutionnalisation. À travers une méthodologie croisée, alliant revue de littérature et analyse aux réponses de mon questionnaire de recherche, ce mémoire tentera d’expliquer quelles sont les caractéristiques immanentes partagées par le sport « traditionnel » et le sport électronique. 14 Préface de BROUGERE dans Les jeux vidéo : pratiques, contenus et enjeux sociaux (2005), FORTIN, MORA & TREMEL
  • 10. 10 PARTIE 1 : L’ESPORT, UNE PRATIQUE MAL DÉFINIE ET STÉRÉOTYPÉE
  • 11. Cette première partie tentera tout d’abord d’expliquer ce qu’est réellement l’esport mais surtout essayera de faire comprendre que la définition de sport n’est pas si simple et souffre d’un amalgame évident : « sport = activité physique ». A. L’ESPORT, QU’EST-CE QUE C’EST ? 1. Quelques notions utiles à la compréhension de l’esport La première apparition du terme « eSport » apparait en 1999, lors d’un communiqué de presse de la « Online Gamers Association », où Mat BETTINSON compare l’esport aux sports traditionnels. Plus précisément, BETTINSON explique « qu’il ne faudra pas longtemps pour que les sports électroniques soient couverts par la télévision de la même manière que les sports traditionnels ».15 En 2018, soit plus de 19 ans plus tard, ce n’est pas encore tout à fait le cas. Définir ce qu’est le sport électronique est aujourd’hui relativement complexe notamment de par sa relative nouveauté historique. Afin de bien comprendre les enjeux de l’esport, il est nécessaire de préciser plusieurs notions. Tout d’abord, le sport électronique et les jeux vidéo « de sport » sont radicalement différents. Ces derniers, proposant une reproduction des pratiques sportives professionnelles réelles à l’écran sont appelés « simulations sportives ». Dans cette catégorie vidéoludique, les sports représentés sont de plus en plus nombreux : football (FIFA, PES), basket-ball (NBA 2K), hockey sur glace (NHL), football américain (Madden NFL), boxe (Fight Night), rallye (WRC), formule 1 (F1), courses automobiles (Forza Motorsport, Gran Turismo …), golf (Tiger Woods PGA Tour), tennis (Top Spin), skate (Skate 2) et même les « sports extrêmes » avec Steep. Pourtant malgré les succès commerciaux de la plupart des titres (FIFA 17 est le bien culturel le plus vendu en France avec 1.426 millions d’unités vendues16 ) c’est dans cette catégorie de jeux que le sport électronique et le moins représenté. En effet, la plupart des jeux « esportifs » n’ont rien en commun avec les pratiques sportives réelles (à l’exception de FIFA). Deuxième point, les « exergames », à savoir la contraction de « exercice » et « game » (jeu en anglais), à l’instar des jeux vidéo pratiqués via les consoles à détection de mouvement (Kinect, 15 BETTINSON, Traduction personnelle de “Certainly it won't be that long before eSports are covered on television in the same way as traditional sports” disponible sur : https://www.eurogamer.net/articles/oga 16 MOSCA, FIFA 17 : le bien culture le plus vendu en France, 02/02/2017, disponible sur : https://www.challenges.fr/high-tech/jeux-video/fifa-17-le-bien-culturel-le-plus-vendu-en-france_451966
  • 12. 12 Wii, Move …) ne sont pas prioritairement la cible des jeux vidéo esportifs. Il faut donc comprendre que la plupart des jeux vidéo compétitifs sont essentiellement « sédentaires », où le joueur contrôle son avatar, non pas via sa propre activité physique mais via le matériel électronique en sa possession (manette, clavier, souris …). Une exception en revanche : Just Dance, un jeu vidéo basé sur la rythmique et la danse. À sa sortie en 2009, Just Dance est considéré comme un « party game », à savoir un jeu vidéo que l’on peut aisément jouer entre amis. Mais à partir de 2014, ce jeu prend un tournant vidéoludique et devient officiellement un jeu « esportif » avec le lancement du « World Dancefloor », qui permet aux joueurs du monde entier de s’affronter en simultané et surtout lors de son apparition à l’ESWC17 pendant la Paris Games Week. Facile à comprendre, Just Dance est devenu un titre aussi compétitif qu’abordable et a participé à la « casualisation » de l’esport, c’est-à-dire, à la portée du grand public de par sa simplicité d’accès et non plus réservée à des joueurs expérimentés de l’univers vidéoludique. Cette casualisation de l’esport est aujourd’hui sans nul doute la raison pour laquelle l’esport est si populaire même si les jeux esportifs les plus compétitifs sont relativement difficiles à comprendre pour le grand public. Dans cette catégorie d’exergames, nous pouvons rajouter également les activités sportives pratiquées en réalité virtuelle via des lunettes spéciales, à l’instar du fameux Occulus Rift. Ces activités ne sont donc pas affiliées à l’esport. Pour le moment ! Tout comme les sports traditionnels, l’esport se répartit en différents types de jeux vidéo et possèdent tous un point commun : l’affrontement entre joueurs. En ligne (via Internet) ou en réseau local (manettes branchées sur un même support), les joueurs s’attellent donc à une compétition en temps réel, contre d’autres joueurs réels. Ce dernier point est essentiel, car la plupart des jeux vidéo proposent certes un affrontement, mais souvent contre l’intelligence artificielle du logiciel et ne peuvent donc être considérés comme du sport électronique. Ainsi, bien que challengeant, remporter votre partie de FIFA contre l’ordinateur en difficulté « Légende » ou finir la campagne solo de Call Of Duty en « Vétéran » ne fait pas de vous un esportif. En revanche bien que tous les jeux esportifs soient compétitifs, tous les jeux compétitifs ne sont pas esportifs. En effet, à l’instar du football que vous pouvez pratiquer entre amis de manière informelle dans un parc, un jeu vidéo multijoueur compétitif que vous effectuez entre amis, ne sera pas une discipline esportive, et ce malgré la notion d’affrontement, car cette pratique ne sera pas exécutée dans le cadre d’une compétition officielle. Pour qu’un 17 Esport World Convention : événement de sport électronique majeur
  • 13. 13 jeu vidéo compétitif soit considéré comme esportif, il doit être pratiqué en tournoi ou championnat. 2. Les jeux esportifs : neuf disciplines qui se démarquent Mais alors, quels sont les jeux vidéo compétitifs que nous pouvons qualifier de esportifs ? Aujourd’hui, tout comme l’athlétisme se divise en plusieurs catégories et sous-catégories (athlétisme  course  sprint, marathon … / athlétisme  sports de lancer  javelot, marteau, poids …), les jeux vidéo peuvent se diviser en plusieurs disciplines et sous-disciplines. L’esport étant une pratique qui se développe d’années en années, les divisions et sous-divisions sont en constante évolution, mais il est possible de scinder l’esport en 9 disciplines aujourd’hui : • MOBA (Multiplayer Online Battle Arena) ou arène de bataille en ligne multijoueur : généralement, deux équipes de 5 joueurs s’affrontent avec pour objectif de détruire le « camp » adverse. Pour mener à bien cette mission, les joueurs contrôlent différents personnages aux caractéristiques propres avec l’aide d’unités générées par l’ordinateur. • RTS (Real Time Strategy) ou jeu de stratégie en temps réel : chaque joueur doit développer sa base en récoltant des ressources et unités de combat, avec pour objectif de trouver et détruire son ou ses adversaire(s). • SPORTS GAMES ou jeux de sports : théoriquement les plus faciles à comprendre car il s’agit de jeux de simulations sportives et se rapprochent donc des règles « traditionnelles » du sport. Les joueurs s’affrontent en choisissant leur équipe avec pour objectif de vaincre l’adversaire. • RACING GAMES ou jeux de courses : là encore le principe reste simple et se rapproche des simulations sportives puisqu’il s’agit de simulations automobiles. En revanche, bien que la plupart des jeux sont fidèles à la réalité (notamment pour la physique des voitures), certains jeux de courses sont considérés comme « arcade », soumis à une physique fantaisiste (à l’instar de Mario Kart par exemple). • SHOOTING GAMES ou jeux de tir : en vue première personne (FPS – First Person Shooter - vue subjective) ou troisième personne (TPS – Third Person Shooter – vue objective), les joueurs doivent vaincre leurs ennemis en utilisant un arsenal d’armes et/ou compétences diverses. • TRADING CARD GAMES (TDG) ou jeux de cartes à collectionner : à la différence des jeux de cartes traditionnels, les joueurs s’affrontent avec leur « deck », à savoir un
  • 14. 14 paquet de cartes, dont la composition est choisie en amont parmi les cartes disponibles dans le jeu. • FIGHTING GAMES ou jeux de combat : en général, deux joueurs s’opposent le plus souvent sur un seul écran et s’affrontent sur plusieurs rounds, en choisissant leur personnage dans le menu de sélection au préalable. • PUZZLE GAME ou jeu de puzzle : le joueur doit mettre en ordre des pièces ou des objets dans un ordre précis dans le but de marquer le plus de point possible. Bien qu’étant des jeux de « puzzle », ces jeux se démarquent plus sur la coordination œil- main et les réflexes plutôt que sur la logique et la pensée. Le plus célèbre représentant de cette catégorie est Tetris. • MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game) ou jeu de rôle en ligne massivement multijoueur : à la base, le MMORPG est un type de jeu rassemblant un très grand nombre de personnes qui interagissent en simultané dans un espace ouvert, où le joueur est amené à créer un avatar et le faire évoluer dans ce monde virtuel. Le MMORPG peut prendre une dimension esportive lorsque les joueurs font combattre leur(s) avatar(s) dans des arènes fermées, comme les gladiateurs de l’Antiquité. Bien que nombreuses, les différentes disciplines esportives ne possèdent pas toutes la même popularité ni le même prize pool : aujourd’hui, MOBA, RTS, jeux de tir et TDG sont les disciplines esportives les plus représentées. Les autres catégories, avec un nombre de pratiquants moins important ne bénéficient pas de la même visibilité médiatique malgré des compétitions bien structurées. De plus, au sein même des différentes catégories des jeux vidéo compétitifs cette différence de popularité existe. Ainsi, le MOBA de Riot Games, League Of Legends reste bien supérieur au MOBA de Blizzard, Heroes Of The Storm en termes de visibilité, d’audience et de chiffre d’affaires. De même FIFA 18, la célèbre simulation de football de EA Sports reste largement plus populaire que PES 2018, édité par Konami. Actuellement, selon une étude18 de Jens HILGERS co-fondateur de BITKRAFT, quatre jeux dominent la pratique esportive, que ce soit au niveau du cashprize annuel ou le nombre d’heures de contenu visionné chaque mois : League Of Legends, Counter Strike : Global Offensive, DOTA 2 et HearthStone. Ces jeux font partie de ce qu’on appelle le « Tier 1 ». Les jeux moins populaires, le « Tier 2 » etc. Toutefois, Jens HILGERS précise qu’une tendance se dégage de ces chiffres : « en moyenne tous les 3 ans, un nouveau jeu atteint le Tier 1 »19 . En 2018, la 18 Esports Games Tiers, https://esportsobserver.com/esports-games-tiers/ 19 Traduction personnelle de : “Historically, on average, every three years a new Tier 1 contender is produced”
  • 15. 15 popularité croissante du jeu Fortnite tend à valider cette théorie mais aucun chiffres pertinents ne peuvent actuellement le prouver, le jeu étant bien trop récent. Figure 1. Les catégories esportives et quelques exemples des jeux les plus populaires par discipline 3. Comment définir précisément l’esport ? Comme nous l’avons vu dans l’introduction, l’utilisation du terme « e-sport » et « esport » sont les seuls orthographes valides concernant cette pratique. En France, l’édition du bicentenaire du Larousse 2018 verra pour la première fois l’apparition de plusieurs définitions autour de l’univers du jeu vidéo et plus particulièrement de l’univers esportif. Une première explication plus ou moins vague est rajoutée à l’adjectif « électronique » et renvoie à la définition d’esport : « électronique - adj. Sport électronique, pratique du jeu vidéo multijoueur, notamment en réseau ; ensemble des compétitions dédiées à cette pratique (SYN. e-sport). »20 . Le dictionnaire met donc l’accent sur 3 critères principaux : compétition, joueurs, jeu vidéo. Cependant, cette définition étant incomplète, l’association française France Esports a eu pour ambition de repréciser le sujet et a essayé de donner une définition globale. À travers le recensement de 42 définitions issues de travaux académiques en langue française mais aussi anglaise, France Esports a identifié en tout 14 critères, que l’association a hiérarchisé en fonction de « leur 20 Communiqué de presse du Petit Larousse illustré 2018 http://www.lagardere.com/fichiers/fckeditor/File/Presse/Communique_presse/Livres/Dossier_PressePLI_2018.p df ESPORTS MOBA League Of Legends DOTA 2 Heroes Of The Storm Smite RTS Stracraft 2 Age Of Empire Warcraft 3 SPORTS GAMES FIFA PES NBA 2K NHL RACING GAMES Gran Turismo Rocket League WRC F1 SHOOTING GAMES Counter Strike Overwatch Fortnite World Of Tanks TCG Hearth Stone Gwent Clash Royale PUZZLE GAMES Tetris Puyo Puyo Puzzle League FIGHTING GAMES Tekken Mortal Kombat Street Fighter For Honor MMORPG World Of Warcraft Pokemon Dofus Guild Wars
  • 16. 16 inhérence à la pratique ». Ainsi, « trois critères se sont démarqués car essentiels à la pratique esportive : l’affrontement (au sens d’"opposition", nuancé par rapport à "la compétition" entendue comme "événement compétitif"), les joueurs (qu’ils soient seuls ou en équipes), et le support électronique (parfois identifié comme "digital" ou "numérique", et principalement le "jeu vidéo") ».21 Les 11 autres critères considérés comme secondaire, n’entrent donc pas en compte dans leur définition finale. Ainsi pour France Esports, l’esport désigne « l’ensemble des pratiques permettant à des joueurs de confronter leur niveau par l’intermédiaire d’un support électronique, et essentiellement le jeu vidéo ». En rajoutant à cette définition celle de Nicolas BESOMBES, nous obtenons une définition du sport électronique la plus complète possible : Esport : l’ensemble des pratiques permettant l’affrontement codifié de joueurs professionnels ou non, par l’intermédiaire d’écran(s) interposé(s) lors de compétitions réglementées online ou offline de jeux vidéo. Pour aller encore plus loin, il serait possible de différencier deux types d’esport par définition. Le premier pouvant faire une analogie à notre expression « faire du sport » : « faire du esport » renvoie donc à l’ensemble des pratiques permettant de jouer à un jeu vidéo compétitif. Le deuxième type pouvant faire analogie à notre expression « faire un sport » : « faire un esport » renvoie donc au contenu du jeu en question. B. LE SPORT, UNE NOTION AMBIGÜE Aujourd’hui employé de manière extrêmement fréquente, le terme de « sport » n’est pas si évident à définir et met en avant une surprenante confusion. En effet, « faire du sport » est une expression qui, de nos jours, est entrée dans le langage commun et peut désigner tout ce qui est considérée comme une activité physique : du jardinage, faire un footing le dimanche matin, jouer au football avec ses amis dans un parc, une randonnée, la finale du 100 mètres des Jeux Olympiques etc. Pierre PARLEBAS a même affirmé que « s’appliquant à tout, ce terme [le sport] perd toute valeur distinctive et ne signifie plus rien »22 . De même, en reprenant les réponses à la question « Quelle est votre définition du sport ? » du questionnaire de recherche, 21 http://france-esports.org/site/definition-et-orthographe/ 22 PARLEBAS Pierre, 1999 : Jeux sports et sociétés. Lexique de praxéologie motrice. Collection recherche INSEP
  • 17. 17 la plupart des réponses mettent en avant l’aspect « physique », la « dépense énergétique » et les « bienfaits pour la santé ». 1. La vision hygiéniste du sport Toutes ces approches s’acheminent vers la définition « hygiéniste » du sport, contre laquelle Pierre DE COUBERTIN lui-même s’est opposé. Pour rappel, l’hygiénisme est un courant de pensée apparu au 19ème siècle qui prêche une nouvelle approche de l’environnement humain, notamment dans le domaine de la santé où les hygiénistes postulent qu’une amélioration de la santé de l’Homme passe par une amélioration de leur niveau de vie. Ainsi, pour les hygiénistes la pratique sportive s’assimile à l’activité physique, avec pour objectif de se maintenir en bonne santé. Pour aller plus loin, les hygiénistes, à l’instar du Docteur Philippe TISSIÉ, fondateur de la Ligue Girondine de l’Éducation Physique, voyaient le sport comme uniquement une activité physique bienfaisante pour l’hygiène sociale, notamment chez les jeunes, qui se doivent d’être éduqués dès l’école des bienfaits des pratiques corporelles. Dans un même temps les compétitions sont perçues comme un tournant dangereux, loin de l’approche éducative du sport, promulguant la violence et mauvais pour la santé. C’est donc tout naturellement que la mise en place des Jeux Olympiques modernes a été mal perçue chez les hygiénistes. Pendant que Pierre DE COUBERTIN affirmait que « le sport est le culte volontaire et habituel de l’exercice musculaire intensif appuyé sur le désir du progrès et pouvant aller jusqu’au risque. »23 et donc promouvait la « liberté d’excès », les hygiénistes, avec TISSIÉ en tête, affirmaient que « le rétablissement des Jeux olympiques n'intéresse pas directement la Ligue girondine qui ne s'occupe que des jeunes gens ou des enfants en cours de scolarité »24 . La plupart des hygiénistes étaient donc plutôt antisportifs mais en faveur d’une pratique sportive éducative et ne partageaient pas les valeurs Olympiques. Ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui, de l’école primaire au lycée, nous employons le terme EPS, « éducation physique et sportive » pour désigner l’ensemble des activités motrices professées dans le milieu de l’enseignement. Et de même, nous utilisons le raccourci de langage « cours de sport » pour parler de l’EPS, ce qui est en partie faux. L’éducation physique est perçue comme un enseignement spécifique visant à développer des compétences propres relatives au bien-être ou encore à la prestation corporelle tandis que l’éducation sportive est perçue comme un enseignement spécifique pour développer ses performances optimales et assimiler les valeurs culturelles du sport (équipe, compétition, 23 P. DE COUBERTIN, Pédagogie Sportive, Préambule, 1922 24 J. DURRY, Le Vrai Pierre De Coubertin, 1997
  • 18. 18 performance …). L’éducation physique et l’éducation sportive possèdent donc deux approches différentes mais complémentaires. 2. Les définitions « officielles » du sport Malgré celle de COUBERTIN, la définition même de sport reste floue. Et lorsque l’on regarde les différentes définitions officielles, il n’existe pas de définition univoque du sport. Avec le temps, les différentes définitions se sont succédées, enrichies et affinées. Celle du Petit Larousse édition 1974 est par exemple bien différente de celle du Larousse édition 2017 qui arrive à faire la part des choses en proposant quatre définitions au lieu d’une seule : • Éd. 1974 : sport : n.m (mot angl. sport, de l'ancien français desport, amusement). Ensemble des exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels et collectifs, pratiqués en observant certaines règles, et sans but utilitaire immédiat.25 • Éd. 2017 : sport : n.m : o Activité physique visant à améliorer sa condition physique. o Ensemble des exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, donnant généralement lieu à compétition, pratiqués en observant certaines règles précises. o Chacune des formes particulières de cette activité. o Familier. Toute activité nécessitant à la fois du savoir-faire et une particulière attention à ce que fait le partenaire : Avec lui, la conversation est un sport.26 De manière officielle, le Ministère des Sports retient une définition du terme « sport » : « toutes formes d’activités physiques et sportives qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour objectif l’expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétition de tous niveaux »27 . Mais ne retenir qu’une seule définition officielle semble impossible tant elles sont nombreuses et provenant de différentes institutions. Ainsi le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) défini le sport comme « la seule pratique compétitive, licenciée, c’est à dire engagée dans l’institution qui fixe les règles du jeu et définit l’éthique sur laquelle 25 Petit Larousse en Couleur, éd.1974, p 878 26 Définition de sport : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sport/74327?q=sport#73493 27 Définition de sport selon le Ministère des Sports, http://www.sports.gouv.fr/pratiques-sportives/sante-bien- etre/Donnees-scientifiques/
  • 19. 19 celui-ci doit impérativement reposer ». Plus simplement, selon une enquête de l’INSEE de 1986 « le sport, c’est ce que font les gens quand ils pensent qu’ils font du sport ». Au final, il est aujourd’hui pratiquement impossible de retenir une définition tout à fait exacte de la notion de sport, tant son évolution a été importante au cours des siècles : du terme « desport » au 13ème siècle en France à « esport » en 2018, la définition de sport évolue constamment et dépend des contextes socio-historiques dans lequel il prend place. L’aspect compétitif, l’entrainement, les règles, les records, les récompenses, le fair-play, etc. sont des caractéristiques qu’il est possible de rajouter à la définition de sport aujourd’hui sans pour autant perdre en pertinence. 3. La définition sociologique du sport pour régler le problème S’il convient globalement de définir le sport de la manière officielle décrite par le Ministère des Sports, la construction d’une définition précise doit s’effectuer d’un point de vue sociologique. En effet, la notion de dépense énergétique ou a minima l’activité physique nécessaire à la pratique est le critère qui revient le plus souvent dans les définitions ci-dessus. Or, chaque discipline sportive possède un rapport à l’activité physique variable : par exemple le marathon et le tir à l’arc ont des rapports énergétiques bien différents. La question de la pratique physique n’est donc pas suffisante pour définir le sport. En sociologie du sport et selon Nicolas BESOMBES, « un sport est un sport » s’il répond à quatre critères objectifs : l’activité est un sport si « [elle] est de nature motrice, elle est réglementée, donne lieu à des compétitions et se manifeste par une prise en compte institutionnelle ».28 En analysant cette définition sociologique du sport, fort est de constater que la notion d’activité physique est remplacée par ce qu’on appelle la pertinence motrice ou situation motrice déterminante. Ce terme met en exergue un point essentiel du sport, à savoir la motricité. Par définition, la motricité correspond à l’ensemble des fonctions corporelles qui permettent d’assurer les mouvements. On parle alors de pertinence motrice lorsque l’on souhaite savoir si la motricité d’un individu va influer sur le résultat final lors d’un affrontement compétitif entre deux sportifs. Ainsi, théoriquement, les échecs ne peuvent pas être considérés comme un sport par définition puisqu’il est possible de déplacer les pions du plateau sous les directives de quelqu’un d’autre sans pour autant influer sur le résultat. En effet, la « manière » de déplacer 28 Thèse de Nicolas BESOMBES, Sport électronique, agressivité motrice et sociabilités, p. 45
  • 20. 20 un pion (un mouvement de poignet particulier par exemple) ne peut pas déteindre sur le résultat en tant que tel, puisque ce pion n’est pas rendu « plus fort » de par ce mouvement. En revanche la stratégie cérébrale effectuée par le joueur qui donne des directives est lui, le principal influenceur du jeu. Par conséquent, si vous déplacez les pions d’un jeu d’échec sous les directives de Garry KASPAROV (ancien champion du monde d’échec de 1985 à 2000) et remportez la partie, ce n’est pas vous qui vainquez mais bien l’ancien champion du Monde. À l’inverse, à la pétanque par exemple, si on vous demande de tirer une boule ou de pointer à la place d’un professionnel, il serait bien difficile d’obtenir le résultat qu’aurait eu ce dernier s’il avait joué à votre place. La motricité possède donc une influence sur le résultat final. Cette question de motricité permet d’opposer de ce fait deux types de sport : les sport « moteurs » (où la victoire dépend d’une maîtrise corporelle) et « non-moteurs » (où la victoire dépend d’autres facteurs comme le hasard ou la combinatoire). Par conséquent, il est possible de comprendre via cette caractéristique motrice la présence de certains sports aux Jeux Olympiques dont les dépenses énergétiques sont faibles (tir à l’arc, curling…). Le deuxième critère sociologique est la notion de compétition. Par définition la compétition peut être assimilée à un affrontement entre deux ou plusieurs joueurs et pas une confrontation à soi-même. Un jogging dominical, bien que « sport moteur » n’est donc pas un sport en tant que tel car ne se réalise pas dans un système compétitif. Lorsque l’on va courir, il est donc préférable de dire « je vais faire de l’exercice physique » plutôt que « je vais faire du sport ». Une activité est donc considérée comme un sport lorsqu‘elle s’effectue de manière compétitive et donc génère gagnants et perdants. Troisièmement, la codification est un critère essentiel. Dans le sport, il s’agit des règles explicites et uniformisées au niveau international. Ainsi, le « football de rue » est bien différent de la finale de la Ligue des Champions non pas par la pertinence motrice qui est la même mais par la présence de codes implicites et malléables, qui varient donc selon les joueurs présents ou encore le terrain. Par exemple, la taille du terrain est très codifiée dans le football professionnel, ce n’est pas le cas lors d’un football entre amis. Enfin, le dernier point correspond à l’institutionnalisation, c’est-à-dire la reconnaissance par les autorités publiques. En France par exemple, c’est le Ministère des Sports qui décide si une activité est un sport ou pas. Par conséquent, une activité motrice, codifiée et compétitive n’est pas un sport si elle n’est pas reconnue par les autorités fédérales. Par exemple le « Red Bull
  • 21. 21 PERTINENCE MOTRICE • Le résultat dépend de l'expertise motrice du joueur COMPÉTITION • Affrontement entre joueurs CODIFICATION • Règles explicites et standardisées INSTITUTION FÉDÉRALE • Reconnaissance par les autorités fédérales • Institutionnalisation publique Cliff Diving », une célèbre compétition de plongeon en milieu naturel, n’est pas reconnue par la Fédération Internationale de Natation tandis que le « plongeon à 10 mètres » l’est. Pour résumer, une activité est un sport s’il répond aux quatre critères ci-dessous : Exemples : ÉCHECS JOGGING PARKOUR FOOTBALL ESPORT PERTINENCE MOTRICE ✘ ✔ ✔ ✔ ? COMPÉTITION ✔ ✘ ✔ ✔ ? CODIFICATION ✔ ✔ ✔ ✔ ? INSTITUTIONNALISATION ✔ ✔ ✘ ✔ ? SPORT ? ✘ ✘ ✘ ✔ ? C. MÉTHODOLOGIE ET OUTILS 1. Aperçu général du panel : approche quantitative Afin d’aider à la compréhension du problème soulevé par ce mémoire, l’utilisation d’un questionnaire de recherche, alliant données qualitatives et quantitatives fut d’une aide précieuse. Réalisé du 16 avril 2018 au 11 mai 2018, nous avons eu la possibilité d’obtenir 125 réponses, toutes pertinentes, permettant de mieux comprendre la problématique de l’esport chez les individus et rendant compte du manquement définitionnel de la notion de sport. Dans un premier temps, nous avons cherché à savoir quel rapport avaient les sondés avec l’univers du jeu vidéo en général, puis pour les joueurs, leur rapport aux jeux compétitifs. Il s’est alors dégagé une dichotomie claire et très intéressante : sur 125 sondés, 65 personnes (52%) jouaient aux jeux vidéo tandis que 60 personnes ne jouaient pas (48%). Cette division quasi-parfaite a permis plus tard de se rendre compte qu’un joueur pouvait ne pas considérer
  • 22. 22 l’esport comme un sport alors qu’un non-joueur pouvait le considérer comme tel. Pour la majorité des joueurs, les jeux vidéo sont utiles pour « se détendre » (42 personnes / 64.6%) ou « s’amuser avec ses amis » (39 personnes / 60%) alors qu’une faible proportion voit dans le jeu vidéo l’importance de la « compétition et de l’amélioration de ses capacités » (14 personnes / 21.5%). Quant aux supports du jeu, l’ordinateur, la console de salon et le téléphone restent privilégiés, largement devant les tablettes et consoles portables. Pour les 60 non-joueurs, les deux arguments qui ressortent majoritairement sont le « manque de temps » à 43.3% (26 personnes) et « je n’aime pas ça » à 50% (30 personnes). Néanmoins, le mémoire tournant autour de l’esport, il semblait fondamental de soumettre le panel aux jeux vidéo compétitifs. Ainsi, parmi les 65 joueurs, 53 individus (81.5%) soit une grande majorité jouent à ces derniers. Parmi ces jeux compétitifs, quatre se démarquent : League of Legends (19 personnes / 35.8%), Call Of Duty (21 personnes / 39.6%), Fortnite (24 personnes / 45.3%) et FIFA (25 personnes / 47.2%). Concernant la fréquence hebdomadaire de jeu, trois tendances se dégagent : les joueurs « casual » jouant entre 1h et 4h par semaine (22 personnes / 41.5%), les joueurs « mainstream » jouant entre 4h et 14h par semaine (20 personnes / 37.8%) et les joueurs « hardcore » jouant plus de 14h par semaine (11 personnes / 20.8%). Mais ce mémoire aborde également un point essentiel : le sport. Nous avons eu la volonté de voir si le panel présentait un rapport au sport important ou bien en était complètement détaché. À notre grande surprise, à la question « Pratiquez-vous ou avez-vous déjà pratiqué un sport "traditionnel" ou toute autre activité physique à vocation sportive ? » la réponse est OUI à 98.4%, soit 123 personnes. Le sport, ou du moins le sport comme les sondés le définissent, représente donc une activité primordiale chez ces derniers que ce soit en compétition (84 personnes) ou en loisir (90 personnes). En revanche, si la pratique de sport est presque unanime, suivre le sport de haut niveau n’est pas un plaisir partagé par tous (37 individus ne le suivent pas du tout) mais reste une priorité (88 personnes le suivent). Pour ces aficionados du sport professionnel traditionnel, la télévision (94.3%) reste le support privilégié, devant Internet (60.9%) et la radio (21.8%). Le second objectif de ce questionnaire de recherche fut de connaitre l’approche générale de l’esport chez les sondés. Tout d’abord, le public reste globalement sensibilisé à cette pratique puisqu’avant de débuter le questionnaire, 86 personnes soit 68.8% connaissaient la définition d’esport retenue et précisée avant de poser la question. En revanche, l’esport ne parait pas si
  • 23. 23 populaire puisque seulement 41.9% (36 personnes) des connaisseurs de cette pratique regardent de l’esport. Toutefois, à l’inverse du sport « traditionnel », le support de visionnage n’est pas la télévision (2 personnes / 5.6%) mais bien Internet (35 personnes / 97.2%) à travers les plateformes de stream à l’instar de Twitch. Certains partisans restent disposés à voir « réellement » les compétitions esportives lors d’événements dédiés (Paris Games Week, Dreamhack…) ou dans des bars (Meltdown…) mais restent minoritaires (11 personnes / 30.5%). Concernant la médiatisation de l’esport et notamment sa possible instauration aux Jeux Olympiques de Paris 2024 le constat est plutôt mitigé et très hétéroclite puisque quatre tendances se précisent : Content, c'est mérité (17 personnes / 13.6%), Content, mais je ne pense pas que l'esport ait sa place aux JO (24 personnes / 19.2%), Mécontent, l'esport n'a pas sa place aux JO (38 personnes / 30.4%), Sans opinion (29 personnes / 23.2%). De manière plus globale, l’exposition de l’esport provoque une légère « exaspération » chez les sondés puisque plus de la moitié estiment que l’esport ne doit pas être plus médiatisé qu’il ne l’est actuellement (72 personnes / 57.6%). Pour se rendre compte de l’état d’esprit général sur la place de l’esport aux Jeux Olympiques, un des sondés n’hésite pas à affirmer qu’il serait « absolument outré » par cette nouvelle, tout en conseillant de « créer vos propres olympiades des jeux vidéo » et en rajoutant de surcroît « faites pas chier les sportifs ». En outre, si certains ne voient pas d’un bon œil cette possible instauration puisqu’ils seraient capable de « voler la flamme Olympique de [leurs] propres mains », d’autres sondés pourraient être « ravis de son exposition » mais mettent en évidence un autre problème qui n’a pas été abordé jusque-là, à savoir le fait que « l'e-sport et son audience n'en ont pas besoin (et pas forcément envie) ». De même, un des sondés explique : « Je ne vois pas l'intérêt si c'est juste pour mettre du FIFA, NBA ou autre. Je pense qu’il devrait y avoir un "JO parallèle" car si c'est pour avoir 0 violence et que même LOL ne passe pas, le manque d'intérêt sera grand. Ça sert à rien de se forcer non plus à absolument vouloir le caser aux JO ». Enfin le dernier objectif de ce questionnaire était finalement le plus important : est-ce que les sondés considèrent l’esport comme un sport ? Sans surprise, 63.2% des individus soit 79 personnes considèrent que « non, l’esport ce n’est pas un sport ». En outre, il est possible d’observer une mauvaise foi évidente puisqu’à la question « Si je vous prouvais que l’esport est un sport, le considéreriez-vous comme tel ? », 57% des personnes interrogées soit 45 individus répondent par la négative, preuve qu’avant d’être un problème définitionnel, considérer l’esport comme un sport semble d’abord être une étape sociale et culturelle. Sur le
  • 24. 24 même principe, à la question « Est-ce que vous vous considérez comme sportif lorsque vous jouez à ce genre de jeu vidéo compétitif ? » posée à tous les joueurs de jeux compétitifs, une majorité écrasante ne se considère pas comme un sportif (45 personnes / 84.9%). Si le questionnaire a permis de récolter de nombreuses informations quantitatives, l’analyse des questions ouvertes a été utile quant à l’orientation du mémoire, notamment sur deux points : d’abord sur la définition du sport, qui est méconnue chez la plupart des sondés, puis sur leur rapport à l’esport. Les sondés ont pu partager leurs opinions, notamment sur ce qui les dérangeaient dans l’esport ou concernant les raisons selon lesquelles l’esport serait un sport ou non. 2. Le rapport au sport chez les sondés : analyse qualitative Comme vu précédemment, le questionnaire de recherche a mis en exergue un rapport au sport très important chez les sondés, puisque 98.4% des personnes interrogées soit 123 personnes font ou ont déjà fait « du sport ». Pourtant de manière globale, leur définition du sport reste plutôt erronée et reste dans l’amalgame « le sport est forcément une activité physique ». Les définitions réunies du terme « sport » peuvent alors se scinder en quatre catégories. Tout d’abord, une partie du panel associe le sport à tout ce qui touche uniquement à l’activité physique (effort, dépense, transpiration, calories brûlées…) sans prendre en compte d’autres critères. Cette définition reste très simpliste mais constitue tout de même un panel de 28 personnes soit 22.4% des sondés. Il est possible de retenir quelques citations, parmi les plus précises : - « Une activité physique volontaire d'une certaine intensité » - « Une activité physique où tous les membres et tous les muscles sont en activités » - « Transpirer, effort physique » - « Dépense physique, brûler des calories » - « Une activité qui nécessite l’investissement d’un effort physique » Bien que cette définition du sport soit très imprécise, elle permet de rendre compte que le sport en France est toujours assimilé à l’effort physique. La deuxième catégorie associe toujours le sport à l’activité physique mais en rajoutant d’autres critères variés, comme le plaisir, la recherche de bien être corporel, le dépassement de soi, la recherche de performance, la convivialité, le partage... Globalement, toute activité physique qui est utile à la recherche d’un résultat quelconque mais qui n’utilise pas les critères
  • 25. 25 sociologiques du sport (codification, compétition et institutionnalisation notamment). Cette catégorie précise un peu plus la définition de sport en rajoutant l’aspect de recherche de résultat mais continue à mettre l’activité physique au cœur de la pratique : nous comptons dans cette catégorie 37 personnes soit 29.6% des sondés. Parmi les citations les plus pertinentes : - « Pratique physique ayant vocation à entretenir/développer la condition physique et évacuer le stress. » - « Activité physique et/ou intellectuelle dont la motivation est la performance et le dépassement de soi » - « Activité physique où le plaisir est au centre » - « Activité qui permet de garder la forme et de se faire plaisir et de se vider la tête » - « Activité physique pour éliminer les toxines et oxygéner les neurones » Il y a donc toujours dans cette définition, une part importante de l’effort physique. Les précisions apportées tournent souvent autour de l’utilité de l’activité, c’est-à-dire qu’elle permet la recherche d’un résultat quelconque. La troisième catégorie définit quant à elle le sport de manière beaucoup plus intéressante car au moins un des critères sociologiques du sport est précisé. Ainsi de manière globale, les personnes interrogées définissent le sport comme une activité physique ou non, qui répond à au moins un des critères sociologiques de la définition de sport. Cette catégorie contient 21 personnes soit 16.8% du panel mais reste très certainement l’échantillon d’individus se rapprochant le plus de la définition sociologique de sport. Entre autres, il est possible de citer : - « Activité physique et sportive de compétitions organisées et règlementées » - « Activité physique avec des règles et un classement en fonction de la performance » - « Passion, loisir, compétition, esprit d'équipe. Ce qui reste le plus important est le plaisir et la compétition. » - « Discipline physique réglementée, pouvant se pratiquer seul ou en équipe en fonction des cas et faisant appel à des capacités physiques et mentales. » - Toutes activités permettant une amélioration via un entrainement et mettant en duel une/des autre(s) entre elles n'ayant pas pour but de développer l'intellectuel (bien que l'on puisse améliorer nos compétences à travers les entrainements.) - « Activité physique exercée dans le sens du jeu et de l’effort, et dont la pratique suppose un entraînement méthodique et le respect de règles »
  • 26. 26 Enfin, la dernière catégorie reprend l’analyse de la définition de sport vu précédemment, à savoir toutes caractéristiques qu’il est possible de rajouter à la définition de sport aujourd’hui sans pour autant perdre en pertinence et sans mettre l’effort physique au cœur de la pratique. Ces caractéristiques sont variées et peuvent comprendre l’entrainement, les règles, les records, les récompenses, le fair-play, les valeurs, les émotions etc. Cette ultime catégorie de 19 individus (soit 15.2% des sondés) définit le sport à sa manière, sans amalgames, sans être ni fausse ni juste, mais apparait plus comme une succession de détails plutôt qu’une définition précise. Entre autres nous pouvons retenir : - « Le sport est selon moi un divertissement qui fournit des émotions et une sensation de bien-être » - « Le plaisir de jouer avec ses copains » - « La pratique « professionnelle » d’un sport implique une phase d’apprentissage, une phase d’entrainement et une phase de perfectionnement en vue d’une performance visée » - « Moment de partage et de cohésion, porteur de valeurs » - « Persévérance, honnêteté, esprit d'équipe et convivialité » - « Dépasser la notion de passe-temps pour optimiser ces performances » Pour résumer, nous avons quatre définitions de sport selon notre panel de sondés : DÉFINITION 1 DÉFINITION 2 DÉFINITION 3 DÉFINITION 4 Activité physique pure et simple sans autres critères. Activité physique qui est utile à la recherche d’un résultat quelconque Activité, physique ou non, qui répond à au moins un des critères sociologiques Succession de caractéristiques qu’il est possible de rajouter à la définition de sport sans pour autant perdre en pertinence 3. Le rapport à l’esport chez les sondés : analyse qualitative Si nous avons vu que le sport était une activité primordiale chez les individus interrogés et que sa définition n’était pas univoque, l’esport est quant à lui une pratique propice au débat. La question « l’esport est-il un sport ? » divise le panel en deux camps bien distincts : les défenseurs et les détracteurs. Les premiers sont en faveur de l’appellation « sport » pour l’esport quant aux seconds, ils sont bien évidemment contre.
  • 27. 27 a. Les « détracteurs » de l’esport et leur rapport à cette discipline Dans un premier temps, nous avons voulu savoir ce qui dérangeait le plus dans le sport électronique selon les 79 détracteurs de cette discipline. Il s’est alors distingué 7 problèmes mais 5 surclassent les autres. Classés par ordre d’importance : PROBLÈME 1 PROBLÈME 2 PROBLÈME 3 PROBLÈME 4 PROBLÈME 5 Son rapport à l’activité physique Son rapport au monde virtuel Peut nuire à la santé Compétition en intérieur Le matériel utilisé (écran, manette…) En outre, si nous avons remarqué que ce qui dérangeait les sondés dans l’esport tournait autour de cinq axes principaux, il semblait nécessaire de savoir de manière plus qualitative, pour quelles raisons l’esport n’était pas un sport selon eux. Les explications, bien que nombreuses et variées, s’acheminent là encore vers cinq catégories. La première catégorie, grandement majoritaire, ne considère pas l’esport comme un sport à cause de son rapport à l’activité physique. Pour ces sondés, l’esport n’est pas un sport car il ne présente pas la notion d’effort physique qui correspond en grande partie à leur définition de sport. Nous verrons l’analyse de ces résultats plus tard dans la deuxième partie mais il est possible de retenir pour l’instant quelques réactions pertinentes. Ainsi un sondé précise « c'est 42% 23% 15% 7% 5% 4% 4% Problèmes avec l'esport Son rapport à l'activité physique Son rapport au monde virtuel Peut nuire à la santé Compétition en intérieur Le matériel utilisé L'aspect "business" Autre ou pas dérangé
  • 28. 28 une maladie plutôt », en rajoutant que « tout ce qui ramène de l'argent et ce qui confronte des personnes ou des défis personnels peut être considéré comme sport » mais qu’au final « l'activité ne contribue pas à améliorer des qualités physiques même si la réactivité doit être mise à rude épreuve et les pouces exercent leur musculation quotidienne de par différents poids ». En outre, les réponses des sondés tournent globalement autour de la « sédentarité », de l’aspect « trop statique » ou encore du « dépassement physique [qui] n’est pas pris en compte ». Certains arrivent cependant à nuancer en affirmant que « ça demande des heures de pratique » sans pour autant le considérer comme un sport « car on est souvent assis et on ne se dépense pas ». Pour l’un des sondés, là encore l’esport « ne développe à aucun moment des ressources physiques et psychologiques en même temps » mais propose une autre approche générale et s’interroge de manière appropriée : « on peut se décrire ecoach ? Eathlète ? Ce n'est pas sérieux même s'il y a un vrai business autour de ça pour les meilleurs. Cela reste un loisir passe-temps très ludique mais pas un " sport " ». La deuxième catégorie ne considère pas l’esport comme un sport à cause des représentations négatives (généralement stéréotypées) du jeu vidéo en général, qui seraient à l’opposé de la vision sportive. Ainsi si certains affirment que « le sport est un moyen de sortir de chez soi, de rencontrer physiquement les gens, d’échanger, alors s’opposer de manière dématérialisée est un peu décevant », d’autres regrettent le côté « inactif » du jeu vidéo en certifiant que « c’est comme regarder un match à la télé c’est plus passif que la pratique réelle du dit sport » ou encore critiquent le côté virtuel car le joueur est « trop seul devant son écran ». Certains stéréotypes restent quant à eux très tenaces, notamment au niveau du problème « d’addiction » ou encore de la sociabilité des joueurs qui n’auraient « pas de liens physiques entre [eux] ». En outre, il est possible d’observer une méconnaissance du sujet puisque si quelques sondés affirment que le sport électronique « coûte trop cher » d’autres rabaissent l’impact moteur du joueur en expliquant « qu’en général, il suffit de manipuler une manette avec les doigts » ou que l’esport est simplement « une manière de jouer les pouces ». Un des sondés critique de manière tellement acerbe l’esport, vulgaire de surcroît, qu’il est possible de se demander s’il s’agit juste d’une mauvaise foi exceptionnelle ou d’un manque de connaissance flagrant sur le sujet ; pour cet individu, « [l’esport] est mauvais pour la santé, polluant, consomme les ressources de la planète de manière extrême et déraisonné et peut être pratiqué dans ses chiottes. Le Esport est un jeu vidéo en grand manque de définition qui souhaite s'acheter une âme. Le considérer comme un sport c'est un peu comme associer "faire l'amour" à se "masturber", c'est la "même chose" sauf que t'es seul face à ton écran ».
  • 29. 29 La troisième catégorie reste la plus « sociologiquement logique » car refuse d’assimiler l’esport à un sport à cause de l’absence d’au moins un des critères sociologiques d’une activité sportive. Ainsi, même si de nombreux individus concèdent à l’esport le fait de s’organiser en format compétitif, la majorité des sondés affirme que « la motricité est très faible » dans l’esport et que ce dernier n’a « pas d’institutionnalisation [et] une codification très floue ». Plus précisément, un membre du panel explique que l’esport est « très peu reconnu », que cette discipline « n’est pas présente aux JO ou n’a pas de vrai championnat du monde » et ajoute très justement que « les compétitions s’effectuent sous la licence du jeu en question ». Pour l’avant-dernière et quatrième catégorie, les sondés ne voient pas l’esport comme un sport mais le considèrent comme « une activité différente du sport » tout à fait légitime. Les sondés qui représentent cette division présentent une vision de l’esport potentiellement la plus intéressante puisque certains arrivent à faire la part des choses en considérant cette discipline comme « une vraie pratique compétitive » mais en ayant quand même « du mal à l’associer à la notion de "sport" ». Cette difficulté d’assimilation au sport se retrouve aussi chez un autre sondé, expliquant que l’esport « est un domaine à part entière, certes un mélange de culture (la création d'un jeu et son contenu sont un art) et de sport (pour son aspect compétitif et sa récente structuration), mais unique en son genre ». Par ailleurs, cette notion d’activité unique revient à travers la dénomination « sport virtuel ». Finalement, un des individus a pu potentiellement avoir le mot de la fin en répondant que « ce sera un sport quand il fera l’unanimité. La majorité a toujours raison ». La cinquième et dernière catégorie quant à elle assimile l’esport à du « sport mental » et qu’en ce sens, cette discipline serait différente du « sport traditionnel ». Cette classe d’individus est minoritaire et certifie que l’esport « relève […] d’efforts intellectuels [et] de réflexion » et que « c’est plus une activité "cognitive" de stratégie ». Pour résumer, nous avons cinq raisons pour lesquelles l’esport n’est pas un sport chez les détracteurs : RAISON 1 RAISON 2 RAISON 3 RAISON 4 RAISON 5 Manque d’activité physique Représentations négatives du jeu vidéo Absence d’au moins un des critères de sportivisation sociologique Activité différente et unique Sport mental
  • 30. 30 b. Les « défenseurs » de l’esport et leur rapport à cette discipline À l’instar des détracteurs de l’esport, les 46 défenseurs divisent également leurs arguments en cinq catégories principales. Premièrement, les sondés qui assimilent l’esport à du sport font référence aux caractéristiques qu’il est possible de rajouter à la définition de sport sans pour autant perdre en pertinence que l’on peut nommer « caractéristiques sportives classiques ». Ces caractéristiques sont plutôt variées puisqu’elles peuvent correspondre aux entrainements, à la professionnalisation, au stress, à la concentration, au talent, au dépassement de soi, à l’argent … Ainsi, de manière pertinente certains expliquent que « l’esport implique une période d'apprentissage, d’entrainement puis de perfectionnement en vue d’une performance » ou encore que « l'esport fait travailler la coordination des membres, la concentration et il faut s'entraîner assidument pour arriver à un haut niveau ». De même la « professionnalisation », la « constitution d’équipe pro » et les « moyens mis en place » sont des termes qui reviennent fréquemment et qui restent crédible en accord à la sportivisation socio-économique. Deuxièmement, la référence aux critères de sportivisation sociologique est un critère essentiel pour certains sondés. De manière très juste, un sondé développe le fait qu’il existe « des règles générales visant à donner une situation initiale équitable, un réel engouement pour certaines générations et enfin des compétitions ayant permis la démocratisation du jeu ». Tout aussi correct, l’esport présente une « activité motrice codifiée et compétitive » même si « sa reconnaissance institutionnelle est culturelle ». Troisièmement, certains aficionados de l’esport défendent cette discipline de par son rapport à l’activité physique. Pendant que les détracteurs de l’esport regrettent justement le manque d’effort physique, certains défenseurs affirment que cette pratique « demande une bonne condition physique » et qu’il existe un « effort constant et tactique ». De même, la quatrième catégorie est à l’opposé des détracteurs sur un point : l’esport est un sport mental ou cérébral donc un sport « traditionnel ». Globalement, les sondés en faveur de l’esport utilisent une analogie originale en attestant que « c'est un sport à part entière […] dans la même catégorie que les échecs ». Également, l’aspect qui revient souvent est « le fait de réfléchir rapidement » et donc que « [l’esport] demande d'autre aptitudes que physiques pures ».
  • 31. 31 Enfin, un seul et unique sondé représente une catégorie à lui seul et à part entière. L’esport peut être un sport ou non, au final « [il] n’a pas besoin de se définir comme sport pour exister ». Remarque pertinente qui prouve qu’irrémédiablement le débat sur « l’esport est-il un sport ? » est potentiellement un faux débat. Pour résumer, nous avons également cinq raisons pour lesquelles l’esport est un sport chez les défenseurs RAISON 1 RAISON 2 RAISON 3 RAISON 4 RAISON 5 Caractéristiques sportives « classiques » Présence d’au moins un critère de sportivisation sociologique Activité physique présente Sport mental Faux débat Le fait que les réponses au questionnaire des sondés aient été si complètes et si intéressantes prouvent que le problème du mémoire est un véritable sujet d’actualité, propice au débat et concernant toute la société. Si une grande majorité refuse ostensiblement d’assimiler l’esport au sport à cause de son rapport à l’activité physique absente, il faut bien comprendre que la définition sociologique du sport ne prend pas foncièrement en compte cette notion. Ainsi il ne faut pas se demander « l’esport est-il physique ? » mais « l’esport dépend-il d’une activité motrice déterminante ? ».
  • 32. 32 PARTIE 2 : L’ESPORT, UNE PRATIQUE À LA MOTRICITÉ DÉTERMINANTE ?
  • 33. Si nous avons bien défini le sport et l’esport dans la partie précédente, cette deuxième partie expliquera le principe d’activité motrice déterminante, premier critère de sportivisation sociologique. Pourtant, il existe un préjugé tenace qui nuit au débat : pour une majeure partie des personnes, le manque de dépense énergétique de l’esport reste une donnée qui semble essentielle à l’illégitimité de ce dernier à être considéré comme sport. Cette partie tentera de prouver que les résultats esportifs sont bien dépendants de la pertinence motrice des joueurs et que l’esport répond donc bien au premier critère essentiel de sportivisation et qu’une activité physique n’est en rien synonyme de sport. A. UN RAPPORT À LA DÉPENSE ÉNERGÉTIQUE QUI POSE PROBLÈME 1. Un rapport à l’activité physique nécessaire dans le sport ? Comme vu dans la partie précédente, il est possible d’affirmer que d’un point de vue « hygiéniste » l’activité physique reste le point central de toute activité sportive. Fort est de constater qu’à la question « Considérez-vous la notion d’activité physique comme point central de toute activité sportive ? » de mon questionnaire de recherche, 93.7% des sondés qui ont répondu « Non » à la question « Considérez-vous l’esport comme un sport ? » répondent par l’affirmative. Il est possible de citer plusieurs réponses pertinentes pour avancer29 : - « Pour moi le sport doit être physique et doit faire souffrir le corps » - « Pas de transpiration pas assez d’effort » - « Manque l'activité physique » - « Rester assis devant un écran j'appelle pas ça du sport » La réponse est très intéressante car elle met en exergue le fait que la majorité de mon panel est d’accord avec la notion hygiéniste du sport et en conclut donc que si l’activité physique est absente dans le sport électronique, ce n’est donc pas un sport. L’effort physique, la dépense énergétique, ne pas être assis et même la souffrance physique doivent donc être absolument 29 Voir réponses au questionnaire
  • 34. 34 présente dans tous les sports. En revanche, les défenseurs de l’esport utilisent au final le même argument : l’esport est physique. Mais alors, pourquoi la plupart de la population associe activité physique et sport ? Dans la partie précédente, nous avons observé qu’au final aucune définition du terme « sport » n’était entièrement crédible mais nous n’avons pas pour autant défini à quoi correspondait « une activité physique ». Dans un rapport de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale)30 qui cite l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), l’activité physique est définie comme « tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques, entraînant une dépense d’énergie supérieure à celle du repos. En aucun cas, la définition d’activité physique est synonyme de sport. De même, toujours selon l’OMS, le sport « est un sous- ensemble de l’activité physique, spécialisé et organisé » et « une activité revêtant la forme d’exercices et/ou de compétitions, facilités par les organisations sportives ». En conclusion, « le sport est la forme la plus sophistiquée de l’activité physique, mais l’activité physique ne se réduit pas au sport ». Par définition, il est alors possible de dire qu’au final, le sport est la forme la plus sophistiquée de tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques, entraînant une dépense d’énergie supérieure à celle du repos et revêtant la forme d’exercices et/ou compétitions, facilités par les organisations sportives. L’activité physique est donc une chose de très vaste qui au final est une situation dans laquelle notre dépense énergétique est supérieure à notre « position repos », ce qui arrive très souvent ! Dès lors, il est légitime d’affirmer qu’effectivement tout sport présente une activité physique et donc que le problème central n’est plus autour de la notion de sport, mais autour de la notion d’activité physique. La définition de l’OMS prouve que cette dernière « entraine une dépense d’énergie supérieure à celle du repos » mais en aucun cas dans le cadre du sport, cette dépense d’énergie ne possède un seuil minimal. Le tir à l’arc et le marathon sont tous les deux des sports et des activités physiques, pourtant leur rapport énergétique est différent. On ne peut pas définir un sport en fonction de son rapport à la dépense énergétique nécessaire pour le réaliser mais il est en revanche possible le catégoriser (sport à haute dépense énergétique, à moyenne, à basse etc.). Cette notion de dépense énergétique pour définir le sport est donc tout aussi invraisemblable que si l’on définissait tous les sports utilisant majoritairement les muscles des jambes comme « véritables sports » et ceux utilisant majoritairement les muscles des bras 30 INSERM (2007), Activités physique : contextes et effets sur la santé. Rapport d’experts d’analyse des déterminants individuels et collectifs susceptibles de favoriser l’activité physique http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/97/expcol_2008_activite.pdf?sequence=1&isAllowed=y
  • 35. 35 comme « faux sports ». Pourquoi un sport à haute dépense énergétique serait plus légitime qu’un sport à basse dépense ? Il convient cependant de préciser que si les gens utilisent le terme d’activité physique dans le but d’améliorer leur performance corporelle et améliorer leur santé, cela sous-entend que l’activité réalisée dépasse pour le coup un certain seuil de dépense énergétique. En effet, monter une marche convient objectivement à une activité physique mais c’est en monter des centaines d’affilée qui aboutira à un résultat bénéfique pour le corps. Le sport (sauf le sport « hygiéniste ») n’a pas foncièrement la vocation d’améliorer le corps et la santé (au contraire le sport de haut niveau peut la dégrader) mais plutôt l’évolution positive des performances dans le but d’engranger des résultats. Dans les faits cependant, cette amélioration des résultats passe par une amélioration corporelle et sanitaire, qui est indépendante du sport. Ce n’est pas pour rien que le sport de haut niveau met en relation les sportifs à des professionnels de la santé (kinésithérapeutes, nutritionnistes, préparateurs physiques etc.) pour augmenter leur chance de réussite sportive. 2. Activité physique ou activité motrice ? C’est pour éviter ce problème définitionnel que les sociologues du sport n’utilisent pas le rapport à l’activité physique mais la notion de pertinence motrice, notamment Pierre PARLEBAS, pour arriver à différencier ce qui est un sport de ce qui ne l’est pas. Avant d’aller plus loin, il est nécessaire d’expliquer un peu plus en détail ce qu’est la pertinence motrice. Au lieu d’utiliser la notion d’activité physique pour parler du sport, le sociologue PARLEBAS emploie la notion de « situation motrice » pour parler plus en détail d’une pratique physique sportive. Il définit alors la situation motrice comme un « ensemble de données objectives et subjectives caractérisant l'action motrice d'une ou plusieurs personnes qui, dans un milieu physique donné, accomplissent une tâche motrice »31 . La « pertinence motrice » est donc tout simplement le fait qu’un individu agisse de manière déterminante au cours d’une action motrice et donc que les comportements moteurs possèdent une signification et influent sur le résultat. Pour faciliter la compréhension, PARLEBAS affirme au sujet des échecs, des jeux de cartes ou de sociétés, que « la pertinence n’est pas motrice mais combinatoire et/ou symbolique ».32 31 PARLEBAS (1981), Contribution à un lexique commenté en science de l’action motrice 32 PARLEBAS (2005), L’éducation par le sport, dans Vers l’Éducation Nouvelle n°515, pages 70-83
  • 36. 36 Dans tous les sports, l’activité motrice comme finalité de la pratique physique fait partie des conditions nécessaires pour pouvoir caractériser une activité comme un sport. Or chez la plupart des gens c’est bien ce point qui pose problème quant à la légitimité de l’esport comme sport. En effet, comme vu précédemment, la plupart des sondés l’affirment : « il n’y a pas d’efforts physiques majeurs, c’est plus mental que physique », « la stimulation physique absente en grande partie, seul demeure un stimuli intellectuel », « aucune dépense musculaire »33 … Mais alors qu’en est-il réellement ? Peut-on défendre l’esport comme sport de par sa pertinence motrice ? En analysant le questionnaire de recherche, fort est de constater que la plupart des joueurs qui souhaitent défendre la pratique esportive utilisent souvent le même argumentaire : - « C’est un sport à part entière que je classerais dans la même catégorie que les échecs » - « Le sport électronique nécessite concentration et endurance, tout comme le sport d'une manière générale. » - « Car il y a les mêmes moyens mis en place pour les équipes de haut niveau » - « Plaisir et compétition + Il faut s’entraîner dur pour être au-dessus du lot » - « Car le esport requiert beaucoup d’entraînement avec le développement des réflexes et des stratégies. » - « Nécessite de l'entraînement. De la concentration. De la stratégie. Du talent. » Une majorité des sondés défendent l’esport en utilisant des arguments qui sont en général propres aux sports traditionnels, à savoir la notion d’entraînement, de compétition, de plaisir, de réflexes, de stratégies, de concentration et même de talent. On constate toutefois que l’aspect physique n’est pas toujours omis certes mais reste très nuancé et est cité la plupart du temps en troisième ou quatrième position. Certains arrivent même à défendre l’esport en nuançant l’aspect physique et en le comparant à une autre famille des sports à savoir les sports mécaniques : « Il appartient à la grande famille des sports comme le sont les sports mécaniques et autres mais n'est pas un sport traditionnel en raison de l'absence d'activité physique propre ». Sur les 46 personnes interrogées (sur un total de 125) qui considèrent l’esport comme un sport, seulement 7 (soit 14.5%) utilisent le terme « physique » pour le défendre. À l’inverse, les 79 détracteurs de l’esport du questionnaire, appuient sur l’importance de l’absence d’activité 33 Voir réponses aux questionnaires en annexes « Considérez-vous l’esport comme un sport ? Pourquoi ? »
  • 37. 37 physique dans l’esport : 47 (soit 59.4% des détracteurs) font de cette notion leur principal reproche. Ainsi on peut citer quelques critiques acerbes : - « Aucun effort physique à proprement parler » - « Pour moi le sport doit être physique et doit faire souffrir le corps » - « L'esport nécessite de l'entrainement certes mais ce n'est pas un dépassement de soi, il ne sera jamais dos au mur physiquement » - « Car il n'y a aucune dépense d’énergie physique, ce qui est la définition même du sport » - « La partie "physique" de l'esport est ridicule. Savoir bouger 5 doigts à toute vitesse sur un clavier et 5 autres sur une souris c'est bien mais concrètement ça ne sert à rien. A moins de vouloir faire des études de "moines copistes 2.0" Il n'est pas non plus un sport d'esprit comme les échecs ou le jeu de go. L'esport c'est fun à regarder et à pratiquer, il n'y a pas d'affrontement direct (la partie est jouée sur écrans interposés). » - « Pas de condition physique à avoir à part être capable de rester devant un écran 20h par jour ! Je pense que valoriser les geeks donne une mauvaise image aux jeunes qui croient qu'ils peuvent réussir dans la vie en jouant à FIFA. Au moins quand on joue vraiment au foot même sans passer pro on peut rencontrer des entraîneurs, des amis, des bénévoles qui vont nous inculquer des vraies valeurs, nous faire sortir de chez nous... Je pourrais écrire longtemps et mieux mais j'ai pas le temps » - « Pas une activité physique, la personne ne se dépense pas, ne transpire pas, ne se vide pas la tête, n'a pas de courbature le lendemain etc » Fort est de constater que la question motrice est certainement le problème majeur d’un point de vue social quant à la définition même de l’esport. La question est donc de savoir si l’esport est physique (ou moteur dans ce cas précis). Pourtant, la place de la motricité dans le sport n’est pas récente et a été questionnée maintes fois à travers différents sports, l’exemple le plus évident étant les échecs. D’ailleurs, de nombreux sondés ont utilisés une analogie entre esport et échecs pour défendre ou décrédibiliser l’esport ! Même argument, même idée … mais résultat différent : - Pour un adepte de l’esport : « C'est un sport à part entière que je classerais dans la même catégorie que les échecs » - Pour un détracteur de l’esport : « Pas d'activité physique, je compare plutôt ça aux compétitions d'échecs par exemple »
  • 38. 38 Considérés aujourd’hui comme un sport par le Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports depuis le 19 janvier 200034 , les échecs n’ont cependant pas été la seule activité sportive à devoir prouver qu’ils répondaient bien aux critères sportifs. Les activités impliquant des engins motorisées (Formule 1, WRC, Moto GP…) ou des animaux (équitation…) ont eu à prouver l’influence motrice corporelle de leur activité. Aujourd’hui, c’est au tour de l’esport d’expliquer l’influence du corps sur le résultat. Deux questions apparaissent alors : où se situe la part de motricité dans le jeu vidéo compétitif et surtout, comment cette motricité influe-t-elle sur le résultat des parties jouées. Afin de répondre à ces questions l’analyse s’aidera des résultats de recherches déjà effectuées auparavant mais également de mon expérience personnelle. B. L’ESPORT, UNE PRATIQUE DE NATURE MOTRICE Il est vrai que de manière courante, on tend à opposer pratique physique et pratique vidéoludique et surtout, on néglige la place du corps dans ce genre d’activité. Ce dernier serait alors « inactif et subordonné à la machine »35 . Pour les joueurs en revanche, l’implication du corps dans la pratique du jeu vidéo ne fait aucun doute et est même entièrement responsable des résultats véhiculés à l’écran. 1. Les blessures physiques et psychologiques : première preuve de l’importance du corps dans l’esport Dans un premier temps, il est nécessaire de rappeler que le corps, dans tous les sports, peut subir des dysfonctionnements : blessures, saignements, crispations, maux de tête … Ces problèmes physiques se retrouvent également lors de la pratique de jeux vidéo. Quiconque a joué plusieurs heures d’affilée à un jeu a déjà entraperçu les douleurs physiques qui pouvaient en résulter : maux de tête, persistances rétiniennes, crispations des bras, etc. D’un point de vue psychologique, l’Organisation Mondiale de la Santé classera l’addiction aux jeux vidéo comme maladie dans la 11ème révision de la Classification Internationale des Maladies (CIM-11)36 . D’un point de vue psychologique et physiologique, la pratique de jeu vidéo présente donc 34 La Fédération française des échecs a été fondée le 19 mars 1921. Elle est reconnue fédération sportive depuis l’attribution de l’agrément sport, le 19 janvier 2000, http://www.sports.gouv.fr/IMG/pdf/sports_cerebraux_vf_03-11-2015.pdf 35 Nicolas BESOMBES citant PETER, https://journals.openedition.org/sdj/612 36 http://www.who.int/features/qa/gaming-disorder/fr/
  • 39. 39 certains dangers. À haut niveau, tout comme un sport professionnel traditionnel, les problèmes peuvent devenir plus graves et engendrer des séquelles plus sérieuses sur le corps. L’Institut de Recherche du Bien-Être de la Médecine et du Sport-Santé (IRBMS) a recensé les pathologies les plus fréquentes lors de la pratique esportive de haut niveau, qui peuvent avoir des conséquences sur l’organisme37 : • TROUBLES MUSCULO-SQUELETTIQUES ET DOULEURS ARTICULAIRES ▪ La ténosynovite De Quervain : plus simplement une tendinite du pouce que l’on peut également retrouver dans le monde du travail. Il s’agit d’une pathologie inflammatoire du pouce et du poignet. ▪ Cervicalgies : douleurs, irradiations et raideurs musculaires dans le haut du dos. ▪ Syndrome du canal carpien : engourdissements et fourmillements dans les doigts, perte de force musculaire dans le poignet et la main touchés. • PATHOLOGIES DE CONCENTRATION ▪ Problèmes de vision : rester devant un écran plusieurs heures d’affilée fatigue les yeux et peut dégrader le sommeil. De même, les écrans peuvent provoquer des effets néfastes pour les potentiels épileptiques ▪ Problèmes d’agressivité : langages verbaux, « toxicité » de la communauté dans certains jeux, agressivité après défaites … ▪ Perte de sommeil, addiction, troubles du comportement Bien évidemment, cette liste n’est pas exhaustive et il est possible de rajouter d’autres symptômes, à l’instar de pneumothorax spontanés ou encore de syndrome du défilé thoracique. Dans le jeu vidéo, le corps souffre donc bel et bien. Ainsi, si dans le sport traditionnel il a été possible d’assister malheureusement à de « célèbres » blessures (Djibril CISSÉ : double fracture tibia-péroné à la veille de Coupe du Monde 2006 de football // Clint MALARCHUK : gorge tranchée lors d’un match de hockey sur glace en NHL // James HORWILL : doigt à moitié tranché lors d’un match de rugby) le sport électronique possède également son lot de problèmes physiques connus dans le monde vidéoludique. Par exemple le Sud-Coréen Jeong « Mvp » Jong Hyeon, très célèbre joueur du jeu Starcraft 2, a mis fin à sa carrière en 2014 à cause d’un syndrome du canal carpien diagnostiqué dans ses deux mains. 37 BACQUAERT, P. (2018). eSport et blessures : les dangers sont réels, Esport et blessures fréquentes, https://www.irbms.com/e-sport/
  • 40. 40 Aujourd’hui cependant, et notamment grâce à l’ampleur que prend l’esport, les soins médicaux et ergonomiques sont de plus en plus considérés par les équipes professionnelles de sport électronique qui essayent de contrecarrer les problèmes physiques. Certains kinésithérapeutes, à l’instar de Caitlin « Lurkaderp » MCGEE, se sont spécialisés dans l’univers vidéoludique et soignent les pathologies liées à la pratique du jeu vidéo. Interviewée par Red Bull Esports38 , cette dernière a pour volonté d’expliquer à tous les joueurs, expérimentés ou non, comment limiter les risques de blessures liés à la pratique du sport électronique. Ce qui l’énerve le plus ? « Les personnes qui ont une mauvaise posture et le dos courbé. Ensuite, ceux qui n'utilisent jamais les repose-bras. On voit aussi des personnes qui reposent leurs poignets sur le bord de la table. Les joueurs de Counter-Strike : Global Offensive, par exemple, se tiennent à quelques centimètres de l'écran. C'est le genre de truc qui m'exaspère ». Bien qu’encore rare dans l’esport, les blessures graves risquent d’augmenter avec le temps, logiquement à cause du nombre de joueurs en constante progression, mais aussi parce que la concurrence sera rude et nécessitera des entrainements de plus en plus rigoureux. Cette prévention des risques devra donc passer par un recrutement d’un personnel compétent capable de soigner les futures blessures. Comme l’affirme MCGEE : « Vu qu'il y a une prise de conscience, je pense que les blessures seront de moins en moins sévères. En coulisses, il y aura de plus en plus de praticiens qui vont accompagner les joueurs. […] Cloud 9 39 a déjà un kinésithérapeute, et je bosse régulièrement avec celui de Counter Logic Gaming40 , donc on progresse. De plus en plus de gens vont être engagés dans les staffs parce qu'on commence à se rendre compte que c'est nécessaire. Avant, l'eSport était un petit milieu, plutôt marginal. Maintenant, les joueurs ont l'opportunité de jouer au plus haut-niveau et faire carrière. Il faut donc des gens pour les soutenir, et maintenir un circuit compétitif sain. » 38 Interview du Docteur Caitlin MCGEE, https://www.redbull.com/fr-fr/esports-blessures-joueurs-caitlin-mcgee- kine 39 Important équipe esportive nord-américaine présente sur de nombreux jeux comme Rocket League, League of Legends, CS:GO, Super Smash Bros, Overwatch etc. 40 Autre équipe nord-américaine d’esport
  • 41. 41 Figure 2. Docteur Caitlin MCGEE donne quelques conseils pour prévenir les douleurs et blessures liées à la pratique intense de jeux vidéo. Disponible sur https://www.youtube.com/watch?time_continue=6&v=5LEfNTv0spU Les problèmes physiques évoqués ci-dessus précisent alors un point essentiel : le corps est bien présent dans l’expérience vidéoludique. 2. Mise en situation d’une compétition d’esport : League Of Legends – Worlds 2017 Afin de comprendre comment le corps présente un impact essentiel dans le résultat d’une performance esportive, il est nécessaire d’expliquer en détail comment peut se dérouler une compétition internationale du point de vue des joueurs. Cette partie s’appuiera sur une analyse des joueurs de la finale des Worlds 2017 de League Of Legends et du jeu en lui-même. Le League Of Legends World Championship ou le Championnat du Monde de League Of Legends en français représente chaque année l’apogée de la scène compétitive mondiale. Chaque saison se termine en apothéose par cette compétition qui attire les meilleures équipes mondiales qui ont réussi à se qualifier pendant l’année. En 2017, la finale de ce tournoi a eu lieu le 4 novembre au stade national de Pékin et a opposé deux équipes coréennes : les Samsung Galaxy (SSG) contre les SK Telecom T-1 (SKT). Pourtant vainqueurs des éditions 2015 et 2016 et favoris de la compétition, les SKT se sont lourdement inclinés contre leurs homologues coréens sous le score sans appel de 3 parties à 0. Contre toute attente, celui que l’on considère comme étant le meilleur joueur du monde, Lee « Faker » Sang-hyeok fond en larmes après ce
  • 42. 42 revers inopiné. Dans un long texte paru quelques semaines avant cette défaite sur le site ThePlayersTribune, Faker s’assume totalement : « Mon nom est Lee Sang-hyeok. Mes fans américains m’appellent "Dieu". Mes fans coréens, "l'Invincible Roi Démon". Mais je préfère "Dieu", parce que ça me semble un tout petit peu plus imposant. Dans le jeu, je suis simplement "Faker" »41 . Après cette défaite, il est juste redevenu humain. Figure 3. Faker en larme après la défaite de son équipe en finale des championnats du monde de League of Legends Pourtant, les critiques sont unanimes quant à cette défaite : elle est entièrement méritée42 . Aucun des joueurs de SKT n’a été à la hauteur de l’événement : Bae « Bang » Jun-sik et Lee « Wolf » Jea-wan ont été les premiers responsables. Faker lui, nonobstant quelques erreurs, a fait ce qu’on attendait de lui : malgré la gestion parfaite de ses personnages il n’a en revanche pas eu la possibilité de « carry » (porter) son équipe jusqu’à la victoire. Mécaniquement et stratégiquement parlant, les Samsung Galaxy étaient au-dessus, et même un grand Faker ne pouvait rien y faire. Et c’est bien là tout l’intérêt de League Of Legends. Tout comme le sport traditionnel de très haut niveau, une succession d’individualités ne peut pas vaincre une équipe organisée. 41 Traduction personnelle de : “My name is Lee Sang-hyeok. My American fans call me “God.” My Korean fans know me as “the Unkillable Demon King.” I actually prefer God, because it feels just a little bit higher” https://www.theplayerstribune.com/en-us/articles/faker-league-of-legends-worlds-unkillable 42 AUTHIÉ, Mondiaux de LoL : le règne des SKT s’achève, 2017, disponible sur https://esport.canal.fr/actualites/mondiaux-de-lol-regne-skt-sacheve/